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L’elfe m’attira dehors, sous le regard de plusieurs ynoriens surpris du spectacle. Je tâchai de faire bonne figure, saluant de la tête ceux qu’il me semblait reconnaître, et tâchant de ne pas capter le regard des autres, de crainte de me voir jugé sur mon apparence sombre. Dans un premier temps éberlué par l’audace de cette elfe blanche, je parvins à me ressaisir et, sans lui opposer la moindre résistance, commentai d’une voix curieuse :
« Puis-je savoir la raison de cet enlèvement subit ? »
Elle s’arrêta instantanément et plongea sur moi deux yeux d’un bleu céruléen aussi clair que le cristal. Elle lâcha ma main et, l’air sûre d’elle, se présenta.
« Je me nomme Jila Na’alem, artisane et artiste forgeronne d’une lointaine Cité elfe. Je suis présente en cette ville humaine pour tenter une participation à un concours de forge élémentaire, le… Erementarïföji, dans leur langue colorée. Et j’aspire à travailler le métal de glace, l’Helcéa, aux reflets irisés si tentants. Et pour ce faire, j’ai besoin de vous. »
J’haussai un sourcil surpris face à cette affirmation. Poli, je lui retournai les présentations, mais n’en ôtai pas la moindre question me brûlant les lèvres.
« Vadokan Og’Elend. Il serait pour moi un plaisir de vous aider mais… je ne connais rien à la forge élémentaire, ni même à ce que vous appelez Helcéa. Qu’espérez-vous exactement ? Et pourquoi votre dévolu s’est-il si subitement jeté sur moi ? »
Le sourire en coin qu’elle me lança donnait le ton de sa réponse. Malicieuse, elle précisa :
« Hé bien, sieur Og’Elend, vous qui observiez les gens, vous semblez soudain bien aveugle. Sachez que vous n’êtes pas le seul à avoir des yeux, et que ça fait plusieurs heures que je vous observe. Votre… intervention auprès de cet humain n’a fait qu’éclairer un choix que je pensais déjà évident. Nous nous complèterons, pour cette quête, pour cet objectif. Vous l’ombre, moi la lumière, moi la forge, vous la magie élémentaire. Vous la glace, moi le métal… Il s’agira pour vous d’une mission d’escorte, lors d’un périple pendant lequel je devrai récolter et ramener ici-même du métal élémentaire de glace. Moi la recherche, vous la protection. Qu’en dites-vous ? »
Elle parlait avec une assurance et un idéalisme qui laissaient admiratif. Je me sentais pris au piège, comme si je n’avais en aucun cas le droit de lui refuser cette demande, alors que c’était pourtant mon droit le plus strict. Elle piquait ma curiosité, titillait mes élans d’aventuriers. Était-ce le hasard qui l’avait placée sur ma route ? Faute de mieux, de toute façon, j’allais accepter son projet. J’ouvris les lèvres pour marquer mon accord mais avant que le moindre son ne soit sorti de ma bouche, elle lança :
« Parfait ! Ne tardons plus, alors ! »
Et sans avoir pu placer le moindre mot, je me laissai entraîner, de gré et non plus de force, vers le centre de la cité. Elle me mena jusqu’au bâtiment du conseil, dans lequel il ne m’avait jamais été donné d’entrer malgré mon séjour prolongé ici. J’avais quelque crainte concernant mon apparence, mon ascendance, au sein de celui-ci, et espérais que les gardes ne seraient pas trop zélés en me prenant pour un garzok ou un shaakt, moi qui étais les deux, et me flécherait sur place. Je misai sur ma bonne compagnie, et, le cas échéant, sur le pendentif qui me reliait directement à la Reine Thelenwën de Cuilnen, m’ayant reconnu comme ami des siens. Une plus-value non négligeable, sans doute. Il était trop tard pour faire demi-tour, de toute façon, et la demoiselle Na’alem semblait pressée d’y entrer. Était-ce là que le concours prenait part ?
Elle s’adressa elle-même aux gardes, se présentant comme l’une des participantes forgeronnes au jeu, et m’indiquant comme son escorte, jusqu’à ce que nous arrivions devant ce que je compris être la porte du bureau d’un des conseillers de l’Ynorie. Rien que ça. Un serviteur nous fit patienter là, et après quelques instants, nous fûmes conviés à entrer. Nous pénétrâmes l’antre du Conseiller, et avant de solennellement baisser la tête en un salut respectueux, je pus distinguer les traits généraux de son apparence. Plus de toute prime jeunesse, il arborait une calvitie marquée ainsi qu’une longue moustache blanche. Il avait à l’œil un monocle cerclé d’or lumineux, et portait de nobles habits. Ce n’était pas le dernier des pitres, et il tenait à le montrer. Une personne à ne pas froisser, en somme. Je pris la parole en premier, m’adressant à lui avec tous les égards dus à son rang.
« Votre éminence, je me nomme Vadokan Og’Elend, et je sollicite votre attention sur… »
Jila interrompit mon début de diatribe, plus directe dans son approche.
« Il sera, avec votre accord, mon escorte pour le concours de l’Erementarīfōji. »
Je jetai un œil à l’elfe. Sans doute se connaissaient-ils déjà, pour qu’elle lui parle de la sorte, sans se présenter. À moins que ça n’ait été de sa part un moment d’inattention ? Lèvres désormais closes, je relevai le regard pour observer la réponse de notre hôte.
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