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Par vents et marées
- Yli... debout.
Ce fut avec difficulté que j’ouvrai des yeux encore embués de fatigue. Le soleil était encore loin d’avoir percé la voûte obscure du ciel et seule une mince bande de lumière était visible depuis la fenêtre de la chambre. Emergeant difficilement, je levai les yeux vers le visage de Nyllyn qui me souriait tendrement, caressant doucement ma tête.
- C’est l’heure.
Je me levai, dans un état second, encore courbaturée de la journée précédente, avant d’enfiler mon équipement et de vérifier mon sac, y rangeant tout ce que j’avais sorti le peu de temps que j’étais restée ici. Je lançai un regard interrogateur à Nyllyn qui acquiesça avant de me suivre à l’extérieur de la chambre. Je me retournai vers elle en la sentant fébrile et elle m’enlaça sans un mot. Elle ne voulait probablement pas afficher un visage triste devant Tanaëth et me garda serrée contre elle quelques minutes avant de s’écarter en soufflant doucement, affichant un petit sourire. Je la rassurai de la même façon et nous reprîmes la direction de la porte principale où Tanaëth nous attendait déjà, accompagné de sa femme et de Lyann. Je laissai Nyllyn lui dire au revoir, la regardant hésiter avant de le prendre dans ses bras sous les regards étonnés des deux autres. Elle s’écarta rapidement et lui souhaita bonne chance avant de revenir vers moi pour laisser Lyann et Sylënn faire de même à leur façon.
- Yli… fait attention.
Elle m’enlaça de nouveau et je caressai sa tête en fermant les yeux. Je détestai les adieux, quels qu’ils soient.
- Je serai de retour avant que tu ne te rendes compte que je suis partie, tu verras. Prends soin de toi.
- Promis…
Elle me lâcha lorsque Tanaëth annonça qu’il était temps et, après lui avoir embrassé le front, je mis mon masque et cachai mes cheveux sous l’étoffe mauve récupérée sur l’Île Interdite. Je suivis Tanaëth en dehors et jetai un dernier coup d’œil en arrière pour voir Nyllyn me saluer. Je lui rendis avant que les portes ne se referment, poussant un long soupir, heureuse pour une fois d’avoir un masque pour que personne ne voie l’expression sur mon visage. J’emboîtai le pas à Tanaëth et nous descendîmes le long escalier qui menait à la rue, déserte à cette heure, avant de prendre la direction de la mer. Guidée par Tanaëth, je pus brièvement voir l’étendue de la cité, les hautes murailles gardées en permanence et les maisons au luxe presque exubérant qui composaient le quartier. J’eus des sueurs froides lorsque Tanaëth se dirigea vers une porte férocement gardée, s’entretenant quelques instants avec les gardes qui, malgré des regards suspicieux dans ma direction, nous laissèrent finalement passer. Probablement que son influence lui permettait bien plus que la plupart des Sindeldi de la cité.
Ce fut un changement brutal qui m’attendait lorsque nous changeâmes de quartier. Ce lieu était sans conteste le quartier pauvre, délabré au mieux, miséreux le plus souvent. Il était bruyant, même à cette heure matinale, mais c’était apparemment le seul moyen d’accéder au port situé en contrebas. Vérifiant que rien ne dépassait de l’étoffe, je me hâtai derrière Tanaëth, peu désireuse de rester ici très longtemps. Cela me rappelait Exech dans sa forme, et je n’avais guère envie de revivre les mêmes choses qu’à mon arrivée dans cette ville et je me rapprochais de mon guide pour éviter de créer des ennuis, espérant que sa présence serait largement dissuasive en cas de pépin. J’étais tout de même étonnée par cette pauvreté en me remémorant le faste des rues précédentes, comme s’il y avait un tout autre monde derrière les portes du quartier. Je gardai cependant mes réflexions pour moi, pas certaine que mes pensées soient du goût de Tanaëth. Il allait bien falloir qu’on apprenne à voyager et à se connaître, mais pour le moment, je me contentai de marcher avant de finalement lever les yeux vers lui, retenant ma question en voyant son expression presque colérique lorsqu'il passait ses yeux sur les alentours. Je restai donc muette malgré les questions qui fourmillaient dans ma tête.
Le port fut finalement en vue et n’était guère différent des ports que j’avais pu visiter à plusieurs reprises. Bruyant, odorant et empli d’activité avant même que le soleil ne soit levé. Slalomant entre les marins, les caisses et les tonneaux, nous approchâmes d’un vaisseau qui me sembla sensiblement différents des autres, plus effilé, comme taillé pour la vitesse avant tout . Je posai la question à Tanaëth qui m’expliqua qu’il s’agissait d’une galère Sindel, le bateau sur lequel nous allions embarquer pour nous rendre chez les Eruïons. Il précisa qu’il en existait six à l’identique, tout nommée pareillement pour brouiller les pistes et que tous les équipages étaient des fidèles de l’Ordre et que j’y serai en sécurité. Il ne put voir ma moue dubitative et je me contentai d’un hochement de tête, le suivant tandis qu’il s’approchait du vaisseau.
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas mis le pied sur un bateau. Sans compter l’incident de Yarthiss, la dernière traversée remontait à notre fuite de Gwadh et je me souviens d’avoir vu mon père malade tandis que j’étais parfaitement à l’aise malgré le roulis parfois violent en pleine mer. Lorsque nous fîmes finalement face à la passerelle, je le laissai prendre pied le premier, convaincue que cela se passerait mieux dans ce sens-là. J’avais suffisamment donné en ce qui concernait l’accueil Sindel, je préférais attendre que Tanaëth explique la situation avant de faire quoi que ce soit. Je le suivis jusque sur le pont où il allait probablement s’entretenir avec le capitaine et lui expliquer tout ce qu’il avait besoin de savoir.
Je ne m’étais visiblement pas trompée et le capitaine hocha la tête face aux instructions de Tanaëth, haussant tout de même un sourcil et jetant un coup d’œil dans ma direction, mais sans faire le moindre commentaire. Lorsque le capitaine partit donner ses instructions, je restai comme un rond de flan sur le pont, sans trop savoir quoi faire jusqu’à ce que Tanaëth me fasse signe de le suivre, me montrant où je pourrais me reposer pendant toute la durée du trajet. Je privilégiai largement le hamac suspendu plutôt que le lit disponible, bien moins pratique en mer, posant mes affaires avec celles de mon désormais compagnon de voyage, avant d’enfin retirer mon masque et l’étoffe qui enserrait mes cheveux, rangeant le tout avec un certain soulagement. J’avais vraiment craint que quelque chose tourne mal. Baillant brusquement, je jetai un regard désolé vers Tanaëth.
- Désolée, la nuit n’a pas été très reposante, et j’ai les mêmes besoins que les humains sur ce point. Je ne serai pas contre une ou deux heures de plus…
J’enlevai mon équipement, gardant seulement les habits en tissu pour me faufiler dans le hamac après le départ de Tanaëth. Je ne mis pas longtemps à m’endormir, espérant que cela serait suffisant et que mon sommeil serait calme cette fois.
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