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L'écrin d'Ynorie
Comme si le destin lui-même avait décidé de m'envoyer un petit clin d’œil, la signification de la rune m'apparut en même temps que l'astre qu'elle désignait grimpait dans le ciel, face à mon regard. Cela me tira un sourire et j'observai un instant la rune, posée dans la paume de ma main, les reflets du soleil scintillant doucement dessus. Je la rangeai délicatement dans ma besace avec les autres, me demandant si ce n'était qu'une simple et heureuse coïncidence. Alyah soupira, blasée, affirmant que oui, mais je ne pouvais m'empêcher d'imaginer d'autres raison pour trouver cette rune-ci plutôt qu'une autre. Je me décidai finalement à descendre, prête pour une nouvelle journée au dessus de la mer.
Ces quelques jours sur le navire se déroulèrent plus ou moins de la même façon. Entraînement le matin, quelques passes avec Cherock, plus amicales et calmes que le premier duel et une bonne partie de chaque journée à ne rien faire d'autre que flâner sur le bateau, donnant parfois un coup de main dans la voilure où j'étais à l'aise. Je passais chaque jour un moment à interagir avec Ssussun, expérimentant peu à peu, à l'écart et de nuit, ce que je pouvais faire grâce à lui, voulant éviter d'inquiéter l'équipage probablement peu familier avec une créature faite de fluide. Il répondait sans mal à mes sollicitations, mais ne communiquait pas, se contentait d'obéir tout en m'émerveillant par ce dont il était capable. Un être fait de fluide comme lui avait sans doute une affinité magique incroyable, mais cela allait bien au-delà de ce que j'imaginais et je ne savais pas si j'allais un jour être capable d'appréhender tout ce qu'il pouvait réellement faire.
Puis, par un après-midi au ciel couvert, le port de la fameuse Oranan fut finalement en vue. La vigie prévint les marins et la capitaine prépara les manœuvres d'entrée et j'en profitai pour grimper sur la vergue du grand-mât pour apercevoir la cité. Passée la surprise de voir deux immenses tours garder l'entrée du port, ce furent des toits pointues et aux angles étrangement redressés qui attirèrent mon regard. Les bâtiment étaient hauts, le port immense et en pleine activité, d'immense vaisseaux amarrés aux quais ou, plus loin, en pleine construction. Tulorim souffrait largement la comparaison avec ce ville, qui semblait plus vaste et surtout plus organisée et construite de façon bien plus ordonnée.
Ce que j'aperçus aussi, et ça c'était immanquable, c'était l'immense champ de tentes et d'abris désorganisés semblant faire le tour de la cité. Je me demandais si l'armée ynorienne stationnait souvent devant la cité d'ordinaire, mais une fois entrée dans le port, je perdis le tout de vue sans avoir de réponse. Les hautes tours que nous passâmes sans encombre étaient pleines de gardes vigilants et je pus apercevoir de nombreux soldats sur les quais et certains vaisseaux. Je déglutis, soudainement légèrement mal à l'aise à l'idée de débarquer dans une cité militaire semblable à Nessima. une fois de plus je n'allais pas être accueillies à bras ouverts, mais la présence d'autant de soldats me faisaient angoisser plus que d'ordinaire.
(Cherock t'as dit que tout irait bien si tu restes avec lui.)
(Je sais... j'ai l'impression de revivre la même chose qu'à Nessima...)
(C'est sûr que ça y ressemble. Tout ira bien, calme-toi et profite de la visite.)
Je hochai la tête et descendis les cordages tandis que le bateau commençait les manœuvres d'approche alors que des soldats, probablement venus vérifier l'identité du navire, se plaçaient sur le quai. J'allais rapidement à ma cabine et m'équipai intégralement, glissant mon masque sur mon visage avant de remonter. Cherock semblait étrangement tendu alors qu'il rentrait finalement chez lui. Que ce soit lui, sa mère ou les marins, tous semblaient bien plus sur leurs gardes qu'avant et je ne comprenais pas vraiment ce qui pouvait provoquer cela chez eux. Je me contentai de rester derrière lui et d'observer la ville alors que nous entrions dans le port. Outre les bâtiments à l'aspect étonnant, les gens portaient des tenues différentes de tout ce que j'avais pu voir. Que ce fussent les chapeaux étranges ou les vêtements que je pouvais apercevoir sur certains, rien ne semblait pareil ici. Le dépaysement était encore plus flagrant qu'à Kers où les gens avaient tout de même des habits similaires à ceux que j'avais l'habitude d'observer ailleurs. J'inspirai alors qu'on approchait du quai et me plaçait non loin de Cherock. Juste au cas où.
Ce dernier m'informa calmement, mais avec toujours cette tension dans la voix, que mon masque serait plus un problème qu'autre chose. Faire bonne impression, selon lui, était l'essentiel au vu de la situation avec Oaxaca et mieux valait être à visage découvert pour l'arrivée au port. L'idée ne me plaisait pas du tout et ce n'étaient pas les mots d'Anthelia, qui se voulait rassurante, qui allaient m'aider. Que Cherock soit connu ou non, je ne voyais pas en quoi cela allait empêcher quiconque de dégainer une lame en me prenant pour un agent de la Déesse Sombre. Je soupirai en sentant mon cœur accélérer et jurai dans un murmure avant de glisser mon masque sur le côté de mon visage plutôt que devant, laissant un regard sombre à Cherock tandis que la passerelle était positionnée sur le quai.
- Je te laisse leur parler, parce que quoi que je dise, je doute qu'ils en écoutent un seul mot.
Et cela ne loupa pas. A peine le premier soldat mit le pied sur le navire que j'étais déjà repérée et une main se posa sur la poignée d'un sabre. Je retins de justesse ma main de faire de même et me bornai à garder un visage aussi neutre que possible, laissant à Cherock le soin d'expliquer et justifier ma présence. Plus que ma bonne foi, il joua sur son statut lié à la Kizoku Rana, parla d'un dragon d'or shaakt, ce qui n'avait pas de sens pour moi et, après quelques pourparlers et un salut, il parvint à m'obtenir un sauf-conduit... en quelque sorte. Les autorités militaires allaient être au courant de ma présence et le moindre problème se reporterait sur Cherock, mais je pouvais entrer en ville sans crainte pour le moment. Le chef du groupe de soldat alla ensuite s'entretenir un instant avec la capitaine, nous laissant débarquer sans encombre. Les regards que me jetèrent les gardes n'avaient rien d'amicaux et je soupirai en serrant les poings, détestant un peu plus mes origines si cela était possible.
- Voilà. Maintenant que ta présence est officielle, libre à toi de mettre ou non ton masque, mais comme je t'ai dis il faudra me passer dessus avant qu'on te pose le moindre problème.
Je fixai Cherock une demi-seconde avant de remettre mon masque devant mon visage, sans même hésiter. Ce n'était pas parce qu'un soldat estimait que sa parole avait de la valeur que tous les citoyens allaient penser la même chose et j'avais mon eu mon compte de haine ces derniers temps, je voulais juste qu'on m'oublie. Je hochai la tête après avoir repris une respiration plus calme, me rendant compte que j'avais quelque peu retenu mon souffle pendant une partie de l'échange.
- Cela a été... plus simple que je ne l'imaginais, mais je préfère rester prudente.
Peut-être qu'un jour je pourrais me balader partout sans risquer des regards de haine ou des insultes, mais pour l'heure, je me contentai de ce que j'avais.
- Ou est-ce qu'on va maintenant ?
Je tentai de faire abstraction de l'expression déçue de Cherock alors qu'il fixait un instant mon visage. J'aurai pu lui expliquer, essayer de lui faire comprendre à quel point c'était pesant, de supporter ces regards quand je n'avais rien fait d'autre qu'exister pour les mériter. Je m'abstins, néanmoins, en voyant son expression changer lorsqu'il expliqua devoir passer chez lui. Il commença à parler d'une auberge pour déposer nos affaires, mais Anthelia ne l'entendit pas de cette oreille et proposa de nous loger chez elle. Je ne voulais pas être un fardeau de plus.
- Je peux aller à l'aub...
- C'est hors de question, tu viens avec nous, inutile de discuter !
Ce fut tout juste si elle ne m'empoigna pas par les épaules pour me forcer à prendre le même chemin qu'elle et je jetais un regard un peu surpris à Cherock, ne m'attendant pas à une réaction de ce genre de la part de la jeune femme avec qui j'avais eu peu de contacts jusqu'à présent. Je finis par leur emboîter le pas, à la fois soulagée et légèrement inquiète concernant les moyens qu'elle serait prête à mettre en œuvre pour me forcer à la suivre. Elle avait tout de même lancé une boule de feu à Cherock à peine l'avait-elle retrouvé...
Tout en avançant, j'observai avec une certaine curiosité la ville. Les rues étaient larges, pavées et bien plus propres que je ne l'imaginais. La majorité des habitants semblait être des ynoriens, mais je perçus quelques elfes et thorkins au milieu des passants, bien qu'ils fussent peu nombreux. Partout où je portais les yeux, je voyais des visages fermés et soucieux. Ce n'était vraiment pas ce à quoi je m'attendais en écoutant Cherock parler de sa ville natale. Quelque chose clochait, ou alors j'étais simplement trop paranoïaque et je voyais le mal partout.. Elena étant en train de discuter avec Anthelia, je tapotai le bras de Cherock pour me faire remarquer, une question me brûlant les lèvres depuis que j'avais vu les premiers bâtiments.
- Tu saurais m'indiquer où se trouve le temple de Gaïa si on peut l'apercevoir pendant le trajet jusqu'à chez Anthelia ? Elle est toujours comme ça d'ailleurs ? Je suis pas à l'épreuve du feu moi...
- Mmmh... On ne va pas passer devant, mais tu n'auras aucun mal à le trouver. Il est au beau milieu de la ville, en face du Conseil d'Ynorie. Un grand temple blanc. Et pour Theli... elle a un sacré caractère, mais c'est sa façon de s'inquiéter pour toi. Je crois bien qu'elle t'apprécie, mais elle réserve des boules de feu exclusivement pour moi. Même si je ne sais pas si c'est un compliment...
Je ne pus retenir un léger gloussement à ses derniers mots et remerciai mon masque de masquer mes joues rouges et la gêne qui y était inscrite. La maison d'Anthelia, située dans le quartier Ouest, finit par apparaître. Elle ressemblait en tout point à ses voisines et, en entrant, je sentis comme une atmosphère plus apaisante. Alors que j'observai les lieux décorés de tentures de couleurs comme le pourpre ou le turquoise, je vis Cherock déposer ses affaires et discuter avec sa mère, un air grave inscrit sur le visage. Je me figeai en entendant qu'il allait aller chez lui avec sa mère. Je l'observai alors qu'Anthelia, malgré l'envie évidente de le soutenir, décidai finalement de les laisser entre eux. En silence, ils s'avancèrent vers la porte et, déposant mon sac près d'un mur, je les suivis. Cherock ouvrit la porte et son regard surpris, tout comme celui de sa mère, tomba sur moi alors que je sortais en le dépassant. Je répondis à sa question avant même qu'il ne la pose.
- Je viens. Je ne vous dérangerai pas, Elena et toi, j'ai juste... besoin d'y aller. S'il te plaît...
J'avais des choses à me faire pardonner. Alors peut-être que cela pouvait sembler stupide ou étrange, mais j'avais besoin de ça. Sans doute que Cherock n'allait pas comprendre, mais je ne me voyais pas faire autrement.