Le Port des Pirates

[Yuimen]

Le Port des Pirates

Le port représente aussi la ville de l'île du Serpent. Ni l'un ni l'autre n'ont pas nom. Ce n'est qu'un ensemble de cabanes au milieu desquelles se dressent quelques grandes demeures en pierre appartenant à de grands capitaines. Les rues sont globalement assez insalubres et l'odeur de poisson est omniprésente puisque c'est la base de l'alimentation de toute l'île. En bordure, on trouve quand même quelques vergers et même une oliveraie. Une petite rivière la traverse. Des passerelles de bois ont été jetées par-dessus. Elles ne sont pas très stables, mais de toute façon l'eau n'est pas assez profonde pour se noyer. Ces passerelles ont plus vocation à faciliter le passage des marchandises.
La population est essentiellement féminine, il s'agit de toutes les femmes ramenées des expéditions en condamnés à élever les enfants sang-pourpres ici, sans espoir de pouvoir un jour quitter l'île. Heureusement, comme leurs époux sont généralement loin (ou morts au cours d'une expédition), beaucoup se sont accommodées de cette vie. Ainsi, certaines ne rêvent que de s'enfuir de l'île tandis que d'autres en viennent à trouver qu'il y fait bon vivre, pour peu qu'on s'éloigne des quais qui représentent le quartier le plus sale et le plus mal famé...

Femmes et enfants assurent l'entretien de la petite communauté, assurant la pêche et un commerce autant basé sur le troc que sur l'argent. L'ensemble est assez chaotique en apparence mais, dans cette petite communauté, les gens se connaissent bien et l'ambiance est d'une convivialité surprenante. Enfin, tant qu'on reste à l'écart des quais, encore une fois...

La baie elle-même est sillonnée de pontons qui forment un réseau incroyablement complexe. Ils sont conçus pour accueillir aussi bien les grands navires que de petits bateaux de pêche. Il y a toujours au moins une vingtaine de navires sang-pourpres arrimés, présentant un ensemble assez hétéroclite, mêlant galions modernes et modèles traditionnels des sang-pourpres, des birèmes ou trirèmes décorées.
Juste à la sortie des pontons, se trouvent les tavernes de la ville. Mal famées, proposant bière et nourriture à demi-périmée... elles sont un lieu de bagarres incessantes où les sang-pourpres dépensent leur argent en jeu et bonne compagnie.

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Objets vendus par les marchands :

Équipement (De bonne qualité maximum) :

• Arme de mêlée, magique et à distance
• Boucliers de toutes tailles
• Habits et armures de tous types
• Capes
• Bijoux magiques
• Ceinture de consommables

Fluides magiques d'éléments :

• Fluide 1/16e, 1/8e, de tous les types d'éléments.

Divers :

• Objets RP
• Gourdes magiques et potions (sauf les immenses potions)
• Carquois et projectiles.

Fonctionnement :

• Achat :
  • Objets personnalisables : Choisir le type d'objet dans la liste, lui donner un nom, des caractéristiques et en calculer le prix.
  • Vente : Le vendeur ne reprend que les objets du même type que ceux qu'il vend.
  • Calcul des prix de vente, achat, réparation : via le Générateur de prix d'équipements.
  • La demande doit être postée, avec le lien du post, dans le sujet d'Interventions GM.

[Mercurio]

Le Serpent Bleu - Chapitre V (Ancienne base)

Le Serpent Bleu

Chapitre VI

Mercurio était désemparé alors que le cortège et la prêtresse s'évanouissaient dans le méandres des rues du port, son regard aussi souvent attiré par le navire, se demandant ce que l'équipage était devenu et craignant le pire.

Makkar, l'inconnu de la taverne, s'est pendant ce temps tranquillement présenté à la capitaine, réussissant l'exploit d'une démonstration d'insupportable nonchalance en un temps records, s'allumant tranquillement une longue pipe qui en disait long sur son besoin de compenser. Il parlait du règne de Sans-Pitié et des derniers événements avec un détachement consternant même pour le normalement impassible humoran.

Il annonça cependant des informations importantes ; Sans-Pitié ne régnait pas sur l'île depuis longtemps et nombreux étaient ceux parmi la population et les équipages à bien vouloir se débarrasser de l'encombrant personnage, son ancien capitaine, Pique-Émeraude, en tête.

La capitaine restait étonnamment stoïque, se permettant même une certaine courtoisie avec cette face-de-primate de Makkar, lui faisant se demander si sa nature d'oudio lui faisait manquer l'empathie que vivaient les autres races dans des moments pareils. Ça semblait tellement naturel pour elle, alors soit elle cachait vraiment bien ses émotions, soit il lui manquait tout bonnement cette capacité.
Et ce Makkar lui faisait de la lèche et voulait se montrer rassurant à un point ridicule, on aurait dit une répétition pour une petite scène de théâtre joué par des amateurs nuls.

L'humoran gardait pendant ce temps les yeux totalement écarquillés, abattu par son impuissance.
Mais il ne trouva du soutien dans le regard de personne, même si ça le rassurait un peu de voir que tout le monde n'était pas pour autant tranquille. Ils avaient juste su mieux gérer l'information que lui pour ne pas totalement céder à la panique. Ne sachant pas quoi faire d'autre, il marmonna en boucle une petite prière à Gaïa qu'Alkrim lui avait appris pour ne pas paniquer lorsqu'un soin se passait mal ; il ne savait pas vraiment si Gaïa en avait quelque chose à faire mais la répétition le calmait. Il se rendait compte qu'il faisait un bien piètre maître d'équipage en s'affolant de la sorte et fit de son mieux pour récupérer son sang-froid.

Makkar proposa alors d'aller à la rencontre de Pique-Émeraude, avec lequel il disait avoir eu une embrouille rapport à des jeux d'argent mais avec qui il disait être resté en bons termes... Étrange, mais Mercurio ne s'attarda pas sur ce détail. Il les mena alors jusqu'à un navire, celui qu'ils avaient croisé plus tôt en arrivant sur l'île, avec son équipage d'humains et son capitaine à grand chapeau.

Le simiesque personnage leur décrocha le droit de parvenir sur le pont et les mena jusqu'au capitaine. Les hommes de Pique-Émeraude vaquaient à leurs occupations comme si de rien n'était. Il ne semblait pas avoir changé de place depuis la dernière fois et à le voir de plus près, ce n'était qu'un grand cornichon qui semblait être l'allégorie vivante de l'ennui. Super, comme allié potentiel, se disait Mercurio.

Les représentants de la Rascasse Volante s'attendaient à ce qu'il commence à parler, mais il ne dit mot, créant une petite confusion un peu gênante.
Voyant que les capitaines laissaient cet embarras durer, il prit la parole pour demander ce qui l'inquiétait le plus depuis tout à l'heure, de but en blanc et en parlant si vite que c'était à peine intelligible :
"Not' navire a été capturé, y avait des gars à nous d'ssus. On veut savoir c'qui z'en ont fait, les libérer s'y sont t'jours en vie et aller p'ter la gueule d'Sans-P'tié. Z'allez n'z'aider ou z'êtes trop occupé à attend' qu'vos escarres s'nécrosent ?", dit-il en terminant sur un petit signe de main qui l'invitait à lever son cul.

Il mit une demi-seconde après avoir dit ces mots pour se rendre compte qu'il laissait encore parler sa panique. Il se figea un instant, ne sachant s'il devait redouter la réaction de Pique-Émeraude ou de ses compagnons d'infortune.



Le Serpent Bleu - Chapitre VII

[Mythanorië]

*<---*

*25*

Plus Makkar tentait de se faire rassurant, moins j'étais convaincue de la facilité de la chose. S'il était une certitude que j'avais acquise au gré des flots, c'était bien que tout ce qui paraissait trop simple ne l'était véritablement jamais. Toutefois, je pris sur moi de ne pas mettre une fois de plus en doute la bonne foi du pirate, lui emboitant le pas en direction des quais. Il nous guida jusqu'à un navire imposant, un quatre-mâts aux voiles grises vaguement familier. J'avisai brièvement le drapeau flottant au sommet, devinant un symbole squelettique tenant un rectangle vert. Un lien avec le surnom du capitaine, peut-être ? Deux gardes nous barrèrent l'accès au pont, auxquels notre guide s'adressa. Point positif : ils le laissèrent passer. Point négatif : lui uniquement. Même s'il joua encore d'un ton rassurant et familier à notre endroit, affirmant pouvoir nous décrocher un entretien rapidement en une poignée de minutes, j'avais bien du mal à avoir foi en lui. J'échangeai un regard avec mes compagnons pendant son absence. Eliwin observait le navire avec attention, Samrik semblait évaluer quelque chose dans les gardes nous barrant l'accès et Nahöriel ne quittait pas un Mercurio au poil encore hérissé du regard.

Finalement, la poignée de minutes passée, nous fûmes invités à monter à bord. La vision de l'équipage humain puis celle du capitaine au grand chapeau noir allongé sur un siège me rappela alors l'étrange rencontre faite après la bataille. Le vaisseau qui avait laissé passer la Rascasse et dont le meneur nous avait vaguement salué. Makkar non loin de lui, il ne dit mot, semblant s'ennuyer ferme. Alternant entre le regarder et aviser notre guide pour m'assurer qu'il n'y avait pas méprise, je haussais tout juste mon tricorne du pouce quand la voix du guérisseur félin fendit l'air. À grande vitesse, il résuma notre situation : notre vaisseau capturé avec nos hommes à bord, des questions sur ce qui leur était arrivé et une demande des plus impolies pour aller -dans les termes toujours aussi fleuris de l'humoran- faire regretter son geste à Sans-Pitié. Un blanc prit place suite à sa prise de parole des plus vives et le premier à réagir fut mon demi-elfe d'ami.

"Un jour, faudra que tu m'apprennes comment tu fais pour dire autant de trucs dans un seul souffle, Mercu'."

Je roulai brièvement des yeux puis me tournai vers le capitaine étendu, le saluant d'un signe de tête en haussant mon tricorne.

"Capitaine Mythanorië, de la Rascasse Volante. Et pour clarifier ce que mon Maître d'équipage a voulu partager avec vous... L'accueil de Sans-Pitié n'ayant pas été des plus agréables et son hospitalité n'étant guère plus à notre goût, nous cherchons d'autres clients mécontents dans notre genre, histoire d'aller le trouver afin de..."

J'arborai un léger sourire en coin, fracassant sans ménagement l'image polie que j'avais pu donner jusque là.

"Lui péter la gueule."

Un hoquet de surprise échappa à un Nahöriel aux yeux écarquillés.

"Myt... Capitaine ?"

Mes serpentins s'élevèrent légèrement tandis que je haussais les épaules. Puisqu'il n'avait pas l'air de me comprendre en si peu de mots, les autres risquant d'avoir la même réaction, autant m'expliquer.

"Bon, je l'admets, je me sens davantage attirée par la possibilité de lui arracher lentement les yeux pour les lui faire déguster en brochettes servies sur les ailerons de ses Raies Sanglantes, remplacer un à un les os de sa carriole par les siens en m'assurant qu'il observe consciencieusement le spectacle ou l'enchainer façon marionnette pour qu'il s'équarrisse lui-même au gré de la volonté de ceux qu'il a... Manipulé... Mais simplifier par lui péter la gueule m'a semblé tout aussi clair."

J'abaissai les bras, accolant un serpentin serré au niveau de mon bassin et avisant mon collègue maître de navire.

"La perspective vous soulagerait-elle un temps de votre ennui, Capitaine ?"


*--->*

[Capitaine Hart]

Quelques-un des gaillards encerclant le petit groupe de rescapés de la Rascasse se mirent à glousser suite à la déclamation de Mercurio, puis la franchise de Mythanorië. Makkar maintenait en permanence son sourire peu auspicieux tandis que le sombre capitaine écoutait en silence, le visage caché dans l'ombre de son large chapeau. Il fit se tourna alors vers Makkar qui se pencha pour entendre ce qu'il avait à lui murmurer dans l'oreille. Ce dernier parla alors de vive voix comme pour transmettre les mots de son ex-capitaine :

- Monsieur le Pique-Emeraude est amusé de voir tant d'entrain chez la jeune génération, et il admet avoir été impressionné par la manière dont vous avez vaincu les Raies Sanglantes. Il trouve l'idée de détrôner et d'humilier l'infâme Sans-Pitié très séduisante, mais il trouve aussi que nos chances de réussites seraient bien maigres sans compter sur des alliés supplémentaires.

L'interprète tendit encore une fois l'oreille pour que le Pique-Emeraude y déverse ses instructions.

- Il possède un modeste équipage et son navire a connu des jours meilleurs, mais il vous accorde volontiers son aide, si toutefois vous vous montrez à la hauteur de la tâche.

Murmures murmures...

- Sans-Pitié dispose de sa propre petite armée de fanatiques et d'une grande villa bien gardée. Mais dans le village situé à flanc de colline derrière le port, un homme que l'on surnomme "l'Anguille" serait, si l'on en croit les mots qui courent, en train de nourrir une rébellion de Sangs-Pourpres. Si vous parvenez à le convaincre de faire front commun, alors mon capitaine vous fera part d'un de ses plans géniaux et top-secrets !

Après ce discours, le Pique-Emeraude se remit apparemment à songer tandis que Makkar se tenait droit comme un i, les bras derrière le dos, comme une parodie de légionnaire kendran.

[Mythanorië]

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*26*

Aux paroles du guérisseur puis aux miennes, les réactions furent quasiment unanimes : des éclats de rire dans l'entourage, précédant une nouvelle traduction des réactions de mon vis-à-vis par Makkar. Notre affrontement avec les Raies Sanglantes semblait nous avoir attiré les faveurs du Capitaine, et je fus rapidement fixée quant à son rapport avec l'actuel meneur de l'île. Pique-Emeraude était aussi tenté par l'idée de voir l'homme mis à bas et humilié, mais il demeurait prudent. S'il ne nous refusa pas le soutien de son vaisseau et de son équipage, il nous fit tout de même savoir que partir à l'assaut de la villa de Sans-Pitié et de sa petite armée risquait fort de ne pas être une mince affaire. Je ne pouvais qu'acquiescer à ce fait. Sans davantage de préparations et de bras armés, renverser le tyran risquait juste de demeurer à l'état de plan sur la comète. Visiblement, notre interlocuteur avait déjà sa petite idée et, par l'intermédiaire de son subordonné, nous fit savoir que le village à flanc de colline près du port abritait peut-être la solution. Celui qui portait le surnom d'Anguille aurait commencé à fomenter une rébellion de Sang-Pourpres. Je plissai légèrement les yeux à cette nouvelle, car si ces bruits avaient déjà couru jusqu'ici, je doutais fort que le meneur de l'île n'en eusse rien su. Pour le bien de cette révolte comme pour le nôtre, nous devions agir vite avant les représailles de Sans-Pitié.

En résumé, si nous parvenions à persuader ces rebelles de faire front commun avec nos tous nouveaux amis, le Capitaine Pique-Emeraude allait sceller l'affaire en partageant un plan de son cru. Et aux dire de son matelot, génial et surtout top-secret. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais j'avais la quasi-certitude que cela incluait d'envoyer la jeune génération que nous étions à l'avant-garde. Soit en tant que distraction ou élément sacrifiable. Toutefois, si cela permettait à mes hommes de recouvrer leur liberté, j'étais prête à prendre le risque.

Je soulevai légèrement mon tricorne du pouce, esquissant un sourire à la posture rigide de Makkar, bien éloignée de son flegme précédent. J'eus presque envie de le taquiner à ce sujet en lui rappelant que l'oudio ici était moi, ou le prévenant de ne pas abuser de mouvements inhabituels, au risque de se froisser quelque chose. Mais je m'abstins, retrouvant mon sérieux assez vite.

"L'Anguille, hum ? Soit."

Avec un sobriquet pareil, j'étais certaine qu'il n'allait pas être facile à rencontrer si nous y allions frontalement. Laisser entendre que nous voulions le rencontrer était peut-être une meilleure stratégie, histoire de lui laisser la main quand au lieu et aux circonstances de l'entrevue.

"Des recommandations quant aux bonnes manières locales, Capitaine ? Je n'aimerais pas froisser notre futur camarade commun à cause d'une faute de goût."

À mes côtés, j'entendis un bref rire nasal sans en déterminer l'auteur. Mes yeux clairs pesèrent sur l'homme de main de mon vis-à-vis sans que j'y fisse paraitre la moindre émotion. Peut-être Makkar allait-il se joindre à notre escapade, histoire de jouer les pions bien placés par Pique-Emeraude, ou peut-être allait-il rester à bord. Les problèmes d'un équipage restaient dans l'équipage jusqu'à implication d'une tierce personne, et je n'avais pas à m'opposer au règlement d'un litige s'il y avait friction entre l'homme au chapeau et son traducteur.

Si nul conseil ne venait, je n'avais aucun scrupule à tourner les talons et entrainer mon petit contingent d'élite au village. Car oui, bien qu'il ait été amputé de Leyna', je pensais difficilement pouvoir être mieux entourée que d'Eliwin, de Mercurio, de Nahöriel et de Samrik, bien que je gardais ce dernier à l'oeil. Enfin, juste pour m'assurer qu'il allait faire attention aux démonstrations de force du Capitaine de son vaisseau. Le demi-garzok ne se cachait pas quant à son admiration pour la force sous toutes ses formes ni ne niait le respect que lui en inspiraient les auteurs. Et vue la démonstration de Sans-Pitié plus tôt, je ne pouvais m'attendre qu'à une poignée de réactions de sa part : une envie viscérale de se mesurer à lui pour mettre réellement cette force à l'épreuve, ou une comparaison malvenue entre les détenteurs d'autorité qu'Eliwin et moi représentions et ce meneur d'hommes, ce qui nous ferait perdre tout respect de sa part. Pouvant aller jusqu'à la remise en question de nos statut voire une possible désertion.

Mais ce n'était que l'hypothèse la plus pessimiste. Après tout, qui, à travers toutes les mers du monde, était réellement capable de déchiffrer les pensées de mon Maître d'arme ?


*--->*

[Capitaine Hart]

A la question de Mythanorië, Makkar répondit en s'avançant, un grand sourire aux lèvres, vers la capitaine :

- Oh, mais c'est avec plaisir que je me propose pour vous servir d'entremetteur, madame !

Il s'arrêta de marcher un instant, puis il regarda son capitaine avec un air gêné :

- Euh, si, néanmoins, vous me le permettez, mon capitaine...

Le Pique-Emeraude opina du chef, et Makkar afficha un grand soulagement.

- Parfait, alors allons-y, z'allons-y ! Il n'y a pas de temps à perdre, n'est-ce pas ? fit-il à Mythanorië.

Makkar, au faciès toujours aussi horripilant, ne cachait pas son enthousiasme. L'équipe semblait confiante, mais l’œil averti pouvait déceler un air de doute chez le brave Eliwin, et le silence pesant de Samrik ne promettait rien de bon quant à son état d'esprit actuel. Néanmoins, ils répondaient aux ordres, sans dévoiler aux autres le fond de leur pensée.
D'un geste de la main, le capitaine du navire intima à ses hommes de laisser passer les membres de la Confrérie. Ils n'allaient pas obtenir davantage de soutien de sa part.

[Mythanorië]

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*27*

J'eus malgré moi un léger tic de sourcil en entendant le traducteur Makkar m'appeler madame. Pas par mon statut ni par mon nom, mais par un terme des plus inhabituels à mon endroit. Heureusement pour lui, je décidai de mettre cela sur le compte de son enthousiasme à nous accompagner pour nous servir d'intermédiaire. Cela ne m'empêcha pourtant pas de songer qu'il s'était rué sur l'opportunité, sans doute histoire de fausser compagnie à son propre ex-capitaine, quand bien même il lui avait d'abord demandé la permission. Il n'aurait pas pu confirmer davantage mes soupçons qu'en laissant échapper le souffle le plus soulagé qu'il m'avait été donné d'entendre - et de voir physiquement- depuis un moment. Enfin, je n'allais pas reprocher sa conduite à un pirate qui devait, sans doute, porter ce titre depuis bien plus longtemps que moi. Cela aurait été de mauvais goût et, puisqu'il le fit remarquer en me regardant, une perte de temps que nous ne pouvions pas nous permettre.

D'un geste tranquille, je resserrai la liane me servant de ruban retenant ma chevelure végétale puis acquiesçai. J'adressai ensuite une salutation à Pique-Émeraude en effleurant mon tricorne avant de tourner les talons. Une fois de nouveau sur le quai, j'avisai Makkar de mon regard clair.

"Suivons le guide."

J'étendis le bras, laissant l'homme prendre la tête du groupe et en profitant pour jeter un regard à mes compagnons. Pour qui n'aurait pas voyagé avec eux, rien n'eut semblé sortir de l'ordinaire. À mes yeux par contre, une certaine tension persistait chez plusieurs d'entre eux. Je pouvais le comprendre. Après avoir laissé nos hommes seuls puis aux mains des forces de l'Île, j'étais en train de m'associer avec un capitaine dont j'ignorais tout afin de négocier avec des sang-poupre aux portes du soulèvement. Et dont nous avions humilié certains représentants au passage, qu'ils fussent soumis à Sans-Pitié ou pas n'y changeant rien. N'importe qui avec un peu de bon sens pouvait voir le danger d'une telle conduite. Et j'étais consciente de tout ceci, de l'air innocent ou démuni que je pouvais avoir au milieu de toutes ces manœuvres de contestation de pouvoir. Une petite feuille perdue dans la brise et aisément manipulable par qui sait orienter son éventail, mais aussi un élément incontrôlable et imprévisible dans le fond.

Notre intervention pouvait aussi bien faire choir un tyran affirmé de son trône qu'en installer un autre plus perfide voire causer un chaos sans nom, les différentes forces en présence pouvant se poignarder dans le dos les unes les autres... Jusqu'à l'émergence d'un pouvoir assez grand pour canaliser tout ce petit monde, entrainant la venue d'une figure d'autorité unique et... Un retour au point de départ.

Je fermai brièvement les yeux et écoutai les sons du port un instant, laissant ce poids se poser sur mes épaules et s'y équilibrer malgré sa masse métaphorique. Notre mission consistait à acquérir l'aide des locaux pour la Confrérie. Tant que le ou les dirigeants des environs voyaient du même œil que le nôtre, leur identité importait peu en vérité. Et tout cela dépendait d'abord de notre capacité à rallier les rebelles en devenir à cette cause commune.

"Ça va, Capitaine ?"

La voix de Nahöriel, qui jouait d'une manière faussement distraite avec l'anneau d'or de son oreille, me ramena à notre situation. J'esquissai un sourire en coin.

"Un brin de mal de terre. Rien d'alarmant."

Une vérité incomplète et loin de mes préoccupations, mais je n'étais pas la première à garder mes pensées à l'abri et n'allais pas être la dernière à le faire. Je m'interrogeais évidemment sur l'accueil que l'Anguille allait nous réserver, quelle que fut son identité, et surtout à quel moment l'un ou l'autre des miens allait exposer le fond de sa pensée à son entourage.



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[Mercurio]

Le Serpent Bleu - Chapitre VI

Le Serpent Bleu

Chapitre VII

Mercurio avait encore sous-estimé la bienveillance de ses camarades, Nahö apaisant la situation avec une petite moquerie innocente et Mytha allant même jusqu'à dire elle-même vouloir s'occuper de Sans-Pitié sans... pitié. L'équipage de Pique-Émeraude semblait prendre tout ceci avec une certaine légèreté, un peu moqueurs mais appréciant visiblement leur franc-parler.

Leur capitaine devait se prendre pour un genre de prince ynorien ou être encore plus flemmard que ce qu'il pensait car il ne s'adressait jamais directement à eux, préférant murmurer ses réponses à l'oreille de Makkar, qui se chargeait de les répéter. Comme si s'adresser directement à eux était une infamie. Le genre de cérémoniel que l'humoran aurait trouvé insultant en temps normal mais l'heure n'était pas aux vexations faciles et ce que l'étrange capitaine disait n'était pas sans intérêt.

Pique-Émeraude se dévoilait être un homme pragmatique : Renverser Sans-Pitié était une idée qui n'était pas pour lui déplaire mais il n'avait simplement pas les moyens de le faire seul. Il y avait cependant une rumeur de rébellion parmi les Sangs-Pourpres, qui serait inspiré par un certain "L'Anguille". S'ils le trouvaient et réussissaient à le convaincre de s'unir pour renverser le tyran, il avait un plan pour la suite, un plan non-explicité que Makkar leur vendait avec un enthousiasme de gosse qui devait se retenir de tout leur dévoiler.

La capitaine semblait un peu contrarié de cet échange, mais il était difficile de savoir si elle se sentait insulté ou faisait simplement preuve de méfiance. Ayant peur de commettre un impair auprès des locaux, elle demanda une aide qui lui fut accordé ; Makkar les accompagneraient.

C'est ainsi qu'ils quittèrent le navire de la même manière qu'ils étaient venus.
La situation continuait à s'appesantir de manière de plus en plus palpable, et ce n'était pas la bonne volonté décalée de Makkar qui allégeait ce poids.

Le pire était sans doute le cas de Samrik, qui ne semblait pas s'émouvoir du sort des camarades de la Rascasse Volante ou s'inquiéter du futur, comme s'il avait toute autre chose en tête. Cet impassible semi-garzok n'était jamais d'un grand réconfort en temps de crise, plutôt une source supplémentaire d'inquiétude. C'était sans doute le seul membre d'équipage avec lequel Mercurio n'avait jamais réussi à communiquer efficacement et s'il avait une certaine sympathie pour le personnage et sa capacité à rester indépendant malgré son appartenance à l'équipage, il était tout de même un électron libre dont la loyauté semblait aussi difficile à conserver qu'à acquérir. Sa soumission aux ordres semblait constamment cacher une profonde contrariété mais sa capacité d'intimidation, sa force, sa bravoure et son habilité au combat en faisait quelqu'un qu'on préférait avoir à ses côtés.

Mais ce n'était pas que lui, chacun dans cette petite compagnie était un poil à cran. Cette histoire de révolte semblait un bien trop gros morceau pour eux et Mercurio avait toujours un dégoût certain pour les histoires d'intrigues et de politiques.
La capitaine et Eliwin fermaient silencieusement la marche en ne lâchant ni Makkar ni Samrik des yeux, lui faisant penser que eux aussi avaient ressenti un certain malaise vis-à-vis du maître d'arme. Ce dernier, comme à son habitude, n'était pas plus bavard. Mercurio marchait à sa hauteur, laissant à l'avant le sociable Nahöriel discuter avec un Makkar ravi de répondre à ses questions.

L'humoran n'arrivait pas vraiment à se concentrer sur ce dont ils discutaient ou sur les environnements qu'ils traversaient, ses pensées finissant toujours par se demander ce qu'il était advenu du reste de l'équipage avec angoisse... Et s'ils étaient tous, simplement, morts ? Il essayait de s'enlever cette crainte du crâne sans succès. Il tourna la tête vers Samrik un instant, qui le remarqua. Il hésita à simplement lui demander sans détour ce qu'il pensait de tout cela avant de se raviser.
Et alors que Nahöriel s'était éclipsé vers la capitaine, Mercurio préféra s'avancer vers leur étrange guide :
"Dis... Kammar, c'ça ? T'sais quoi d'cet'anguille, là ? S'il a vraiment du pouvoir par-'ci, t'penses pas qu'il risque d'nous accueillir à coup de flèches dans l'cul ?"

[Capitaine Hart]

Le groupe quitta sans encombre le navire du Pique-Emeraude. Makkar n'était que trop heureux de répondre aux questions de Mercurio, et il répondit avec son sourire habituel :

- Le bruit court qu'il prépare un grand coup, et il est arrivé plusieurs fois que l'on trouve le corps sans vie d'un garde ou d'un indiscret aux abords du village. Il va sans doute falloir faire preuve d'un peu de finesse... dit-il en se frottant les mains.

Il jeta quelques regards indiscrets envers Samrik et Eliwin en particulier :

- Non pas que je ne vous en croie guère capables. Ce serait selon les dires une véritable armoire, mais rapide et discrète comme le nom l'indique bien. Pas très arrangeant, mais diablement intelligent.

Il prit les devants, comme pour mener le groupe :

- Je vous guide au village, ma trogne y est pas connue, de toutes façons. Pour ce qui est du Pique-Emeraude, n'ayez crainte, il donne rarement sa parole, mais il la tient toujours !

[Mythanorië]

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*28*

Notre contingent, renforcé de l’interprète Makkar, se dirigeait vers sa destination dans une atmosphère assez tendue. Mercurio fit entendre sa voix, écorchant le nom de notre guide, pour lui demander de sa façon habituelle si l'accueil de l'Anguille ne risquait pas d'être désagréable. Peut-être parce qu'il se sentait utile ou parce que c'était dans sa nature, le pirate traducteur souriait en nous répondant. D'abord, il fit état de rumeurs concernant un grand coup fomenté par l'Anguille, l'appuyant de preuves concrètes comme les corps de gardes ou d'indiscrets aux abords du village. J'en fronçai légèrement les sourcils. Si cet homme en avait eu vent, nul doute que le maître de l'île également. Le sous-estimait-il tant qu'il négligeait d'agir contre lui ou, comme l'indiquait le sobriquet de notre homme, parvenait-il toujours à lui filer entre les doigts ? Il allait falloir faire preuve de finesse, entendis-je, tandis que Makkar lorgnait ostensiblement vers Eliwin et Samrik. Ma langue claqua d'elle-même au sous-entendu et il me fallut toute ma sève-froide pour ne pas poignarder l'importun du regard. Après tout ce que nous venions déjà de vivre, mes hommes ne méritaient pas un tel jugement de la part d'un inconnu !

Portant mon tricorne aux lèvres pour ravaler physiquement une répartie fort peu polie, je défis ma couette de lianes tout en écoutant notre guide. Il était presque jovial et confiant en indiquant que si son capitaine ne parlait pas beaucoup, sa parole avait toujours été tenue. Et il croyait vraiment que j'allais me laisser convaincre par un être endetté à son endroit ? Qu'est-ce qui me prouvait que le Pique-Emeraude et l'Anguille n'avaient pas un accord quelconque dont les nouveaux arrivants malgré eux faisaient aussi les frais ? Je me mordis l'intérieur de la joue et poussais un souffle lent pour me calmer. La situation me mettait à cran, mais ce n'était pas une raison pour voir des manipulateurs et des complots partout. Nous avions besoin d'alliés, et nous allions en trouver. Une fois de plus, mes pensées se tournèrent vers les nôtres, vers Leyna' puis vers Moura, que je priai de tout mon être de nous donner la force de sauver notre famille.

Mes serpentins se déroulaient et s'enroulaient nerveusement, m'empêchant de refaire ma couette proprement. Agacée, accaparée par cette inquiétude que je me devais de refouler pour le bien des hommes libres qu'il me restait, il me fallut une poignée de secondes pour sentir qu'on me dérobait la liane me servant de ruban puis la légère traction de quelqu'un rassemblant ma tignasse végétale. J'eus une envie folle de persiffler sur l'importun, mais elle fut tempérée par le côté rationnel et pragmatique lié au geste : je n'allais pas me balader avec une tignasse libre pouvant gêner mon champ de vision. Que mon aide ne m'ait pas demandé mon avis n'était qu'un simple gain de temps. Je fermai un instant les yeux, me concentrant sur le contact pour ensevelir ma tension. La chose ne fut pas aisée, car lorsque mes yeux clairs n'embrassaient plus les alentours, mon esprit faisait ressurgir le coloris carmin maculant le pont de la Rascasse et les visages pâles de mes gens restés à bord. Pour eux, que j'avais sciemment mené sur cette île, je comptais mettre mes limites et mes scrupules de côté.

Lorsque je rouvris les yeux, ce fut pour voir le groupe à quelques mètres de moi. J'écarquillai le regard puis le plissai, contrariée à l'idée que je m'étais suffisamment laissée prendre par mes pensées pour momentanément perdre contact avec le présent. J'allongeai les foulées, rattrapant tout ce petit monde en calant mon tricorne entre mes branches de tête. J'ouvris la bouche pour remercier celui qui m'avait aidé à nouer ma chevelure végétale, lorsque je pris conscience ne pas savoir lequel d'entre eux m'avait filé ce coup de main. C'était certainement Nahö'... Quoique lui aurait papoté même brièvement en s'activant. Et il était en tête du groupe. Il n'aurait pas pu s'en rendre compte, si ?

Je secouai la tête, testant la tenue du ruban au passage, et décidai de laisser tomber. Je n'allais pas me mettre à formuler des hypothèses basées sur ce que je savais des uns et des autres avant d'interroger tout le monde pour une broutille.

Nous avions bien plus urgent à faire.


*--->*

[Capitaine Hart]

Mytha, Mercurio :

Le groupe, guidé par Makkar, suivit un long chemin de terre, le même que le carrosse de Sans-Pitié avait emprunté. Ils se rendirent vite compte que plus ils s'éloignaient du port, plus il y avait de femmes sur le chemin. Elles étaient déjà majoritaires près des quais, mais après quelques centaines de mètres, il n'y avait plus un seul homme local en vue, ni même un pirate. Les bâtisses aux façades plus ou moins engageantes laissèrent place à de bien modestes huttes une fois arrivé au village derrière le port.

Sur les chemins boueux entre les maisons, des femmes de toutes les races vaquaient à leurs occupations. Toutes les races sauf une bien sûr, car certaines étaient accompagnées d'enfants, tous des garçons à la peau bleue et aux cheveux rouges, tous ayant l'air d'avoir dix ans ou moins. Makkar commenta :

- Dès que les gosses atteignent l'adolescence, on les emmène chez Sans-Pitié. Parfaits petits soldats.

En parlant de soldats, il en aperçut justement un, et se tut. Il y avait en effet quelques Sangs-Pourpres, chargés de garder la populace. Une mère s'arrêta près de l'un d'eux, semblant reconnaître quelqu'un, puis s'en alla en regardant le sol.

- Ils sont sur leurs gardes. Sans doute l'Anguille, murmura Makkar. Ça va être dur de trouver où il se cache.

Un grondement se fit entendre. Un soldat semblait se disputer avec une des villageoises. La femme était à terre, presque à ses genoux, en train de pleurer, d'implorer, que l'on lui rende son fils. Le Sang-Pourpre, ne voulant rien entendre, la battait avec le manche de sa lance, la sommant de se taire.

- Ces femmes ne sont que des fours à mioches, ici.


Leyna :

Leyna et Mouréna prirent un chemin quelque peu différent de celui que la prêtresse de Moura avait emprunté pour arriver au temple, si bien qu'ils arrivèrent à un pan de colline assez élevé pour leur permettre d'admirer le village caché de l'Île du Serpent dans toute sa longueur, et sa misère. Les coutumes des Sangs-Pourpres étaient bien connus des deux religieux, qui voyaient se promener des mères de toutes les origines, accompagnées de jeunes garçons Sangs-Pourpres.

- Sans-Pitié recrute de force tous les enfants qui dépassent les douze ans. Il les emmène dans un camp d'entraînement. On leur apprend à se battre, à suivre les ordres, à considérer Sans-Pitié comme leur guide, leur père... Il empiète sur leur liberté sans qu'ils s'en rendent compte. Ils croient œuvrer pour une grand cause, un grand chef. Ces mêmes enfants, plus tard, opprimeront leurs mères, celles qui auraient pu être leur mère. Plus d'injustice dans ce hameau que d'eau à boire... Pas de libre arbitre sur l'Île du Serpent. Je regrette d'être venu.

Mouréna suggéra qu'il n'était guère sage de se promener à découvert, étant donné qu'il était facilement reconnaissable et qu'elle était une femme à la peau bleue.

- Ne t'inquiète pas, on ira trouver tes camarades, si ils sont encore en vie. Mais d'abord, on doit la trouver, elle.

[Leyna]

Alors qu'ils s'éloignaient du temple par une route détournée, Leyna regardait la ville, en bas, qui étendait sa misère sous forme de légions de femmes et d'enfants vêtus de haillons. Autant de victimes des rapts des sang-pourpres. Mouréna expliquait comment le Sans-pitié embrigadait les enfants dès leur plus jeune âge pour en faire de loyaux soldats, prêts à toutes les cruautés en son nom. Le résultat était là : jamais ces taudis n'avaient été aussi miséreux, et jamais les sang-pourpres n'avaient été aussi éloignés de Moura tout en restant proche de la mer.

« La liberté totale est une illusion, assura la jeune femme. Pour autant, la dictature du Sans-pitié ne saurait être tolérée. Mais j'ai vu une flotte qui encerclait l'île, avant de nous laisser passer. S'agit-il de celle de ce monstre, ou y aurait-il des navires qui se dresseraient contre lui ? »

Puis, comme le prêtre assurait qu'ils devaient rendre visite à quelqu'un, elle ajouta :

« Et qui est cette femme ? »

Elle apprit ainsi que toutes les flottes ici présentes étaient au service du seigneur maléfique, il n'y avait donc rien à attendre de ce côté. En revanche, la femme qu'ils cherchaient pourrait les aider, quoiqu'elle puisse fort bien être morte car elle n'avait pas peur de s'opposer ouvertement à ce qui lui déplaisait. Voilà qui attisait la curiosité de Leyna. Sur cette île d'homme, quelle femme pouvait bien oser cela ? Elle suivit le prêtre sans mot dire. De toute façon, elle avait surtout hâte de se reposer après tout ce sang perdu...

[Mythanorië]

*<---*

*29*

Le groupe s'enfonça dans les terres, quittant la partie active et bruyante des quais pour atteindre le village. Les pierres du port laissaient place à des bâtiments plus modestes et non destinés à tenir sur la durée, des huttes modestes aux pieds bordés par des chemins de terre. Plus nous progressions, plus il devenait évident que nous changions de facette de cette île. Les individus masculins avaient réduit en nombre, au point qu'une fois les premières maisons dépassées, seuls des femmes et des enfants avaient une présence perceptible. Toutes les races étaient présentes, sauf une. Mes pensées allèrent à la Prêtresse, tout comme celles de Nahö' si j'en jugeais à sa façon de pincer fortement sa boucle d'oreille tout en regardant vers le lointain.

Je fronçai légèrement les sourcils. Nous étions censés trouver l'Anguille dans les parages. Je savais que la meilleure cachette était généralement la dissimulation à la vue de tous, mais jamais un individu masculin ne pourrait longtemps passer inaperçu dans les environs. À moins d'être l'un des gardes ou... Une sensation étrange m'envahit. Et si, connaissant son identité, les marins qui nous avaient proposé leur aide avaient délibérément masqué ce détail ? Se pouvait-il que notre future appui fusse un allié au féminin ?

Makkar fit entendre sa voix, nous apprenant qu'à partir d'un certain âge, les enfants de l'île étaient conduits chez Sans-Pitié, sans doute éduqués sans relâche pour en devenir les parfaits pions bien obéissants. Et en mentionnant cela, notre chemin croisa celui de gardes qui, semblables à des pâtres, contrôlaient les déplacements de la population sans leur accorder plus d'intérêt qu'à des brebis. Sauf que d'après notre guide, ils semblaient sur le qui-vive, sans doute alerte à cause de notre possible camarade. L'un d'eux, assez isolé, se tenait au-dessus d'une femme à terre, la frappant du manche de son arme. La raison ? Elle demandait qu'on lui rendît son fils. Makkar se fendit d'une réplique qui fit froncer plus d'un sourcil, comparant les femmes à de simples... Fours à mioches, pour les gens du cru.

J'attrapai le bord de mon tricorne, pensant le pour et le contre. Intervenir risquait fort de nous compromettre. D'un autre côté, pour peu que l'Anguille eusse des informateurs dans les environs, rester neutre face à pareil spectacle nous attirerait probablement son mépris. Je poussai un souffle lent et finis par rencontrer le regard urgent de mon demi-elfe d'ami, puis celui que j'estimai désapprobateur d'Eliwin. Mercurio demeurait étrangement silencieux et Samrik croisait les bras, mais ses yeux étaient légèrement plissés. Lentement, je haussai les épaules et esquissai un sourire blasé avant de me tourner vers mon ami. À demi-mot, je lui fis part de mes intentions.

"Soit. Juste une distraction."

À Nahöriel d'en tirer parti. Après avoir fait signe à mon groupe de stopper et à mon vif ami de prendre une tangente, j'interpellai le garde alors que ce dernier levait une nouvelle fois son arme.

"Eh bien, eh bien. En voilà des manières de sauvage. Est-ce une coutume locale ?"

J'attendis un instant d'attirer l'attention du garde sur moi, évitant délibérément de trahir le semi-elfe qui comptait le contourner, dague fine à la main. Le jeune brun n'avait sans doute pas envie de le tuer. Lui faire peur peut-être ? L'immobiliser ou le neutraliser, certainement. Notre intervention risquant de rendre le garde suspicieux, je pris le parti de le provoquer un peu pour offrir davantage de temps à notre compagnon.

"Quel mauvais garçon vous faites, l'ami. Que penserait votre chère mère si elle vous voyait maintenant ?"

J'avais promis à Nahöriel de lui offrir une distraction, la chose était faite. À lui de saisir l'opportunité. Je me contentai de fixer le garde de mes yeux clairs, sans trahir la moindre émotion sur mon visage d'écorce.


*--->*

[Capitaine Hart]

Mythanorië :

Distrait par les paroles de la capitaine, le garde ne se douta pas une seconde que Nahöriel s'approchait par derrière, lame en main. Quand il s'en est rendu compte, il était déjà forcé de s'agenouiller, une dague sous la glotte. Nahöriel adressa un regard plein de confiance à Mythanorië. Sous la menace d'une lame effilée, le Sang-Pourpre ne dit mot. La villageoise battue restait à terre, bouche bée, craignant sans doute les curieux étrangers. Makkar se crispa :

- Ah, c'est pas bon ça. Faudrait pas ramener la cavalerie. On a déjà des témoins.


Leyna :

Mouréna emprunta un chemin escarpé pour descendre jusqu'au village. Il arracha un long bout de tissu qui pendait d'une corde à linge et le tendit à Leyna pendant qu'il en choisissait un autre pour lui-même.

- Cachons du visage du mieux que nous le pouvons. Il n'arrivera rien de bon si nous nous promenons à visage découvert. Et surtout, reste près de moi.

Il jeta un regard furtif du côté de l'allée la plus proche et il fit signe à Leyna de le joindre. Ils pouvaient en effet voir la scène entre le groupe de Mythanorië et le garde Sang-Pourpre. Mais de là où ils étaient, ils pouvaient aussi voir au loin une patrouille de quatre hommes lourdement armés se diriger vers l'événement, intrigués par les murmures inquiets des témoins.

[Leyna]

Alors qu'ils arrivaient près de la ville, Mouréna récupéra du tissu qui pendait sur une corde à linge. Il en fit rapidement des coiffes peu élégantes destinées à cacher leur visage. En effet, il valait mieux éviter de se montrer, surtout pour Leyna elle-même, qui restait une hérésie aux yeux de la plupart des sang-pourpres ! Elle ajouta donc se masque en plus de son propre voile, par trop léger pour la dissimuler vraiment.

Alors qu'ils s'enfonçaient dans la ville, la rumeur d'une altercation se fit entendre. Là, ils virent la capitaine Mythanorïe ! Avec quelques autres membres d'équipage, dont Nahöriel, ils semblait défendre une femme contre un garde. Le semi-elfe profita d'une distraction de l'oudio pour attaquer l'homme par surprise et le réduire à l'impuissance. Hélas, d'autres gardes approchaient déjà depuis une autre ruelle.

« C'est mon équipage ! » souffla Leyna.

Elle commença à concentrer ses fluides et invoqua un brouillard au maximum de sa puissance pour cacher la vue de la patrouille. Se plaçant de son mieux dans le champ de vision de la capitaine, elle leur fit signe de les rejoindre au plus vite.

« Au nom de Moura, venez ! »

Épuisée comme elle était, rien ne disait que son brouillard tiendrait longtemps.

[Mythanorië]

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*30*

Vif, Nahöriel profita amplement de la chance offerte et plaça sa dague contre la gorge du sang-pourpre, l'obligeant à s'agenouiller non loin de sa victime. Si la femme tremblait, visiblement aussi surprise que son agresseur, elle ne manifesta ni gratitude ni désapprobation quant à la situation. Ce ne fut pas le cas de notre guide, l'acte risquant selon lui de rameuter d'autres forces de contrôle, d'autant plus que des murmures tout autour de nous laissaient entendre la présence de témoins de la scène. J'avisai mon semi-elfe d'ami, répondant à son expression emplie de confiance à mon endroit par un léger signe de tête. Je tournai ensuite mes yeux clairs vers la femme encore au sol, ramenant mon expression à une certaine neutralité.

"Si vous avez les tripes de réclamer votre progéniture à la vue de tous, vous aurez le courage de vous redresser seule. Debout."

J'observai brièvement le garde à son tour, me demandant d'abord s'il était à ce point confiant pour se permettre de punir de son propre chef, puis s'il existait un lien entre lui et sa victime. Sauf que je n'avais guère le temps de m'en préoccuper.

"Quant à vous, l'ami, vous avez encore beaucoup à apprendre. Un conseil, entre gens civilisés... Si vous avez tant d'énergie à revendre, allez vous trouver un adversaire digne de ce nom."

Un mouvement rapide me fit détourner les yeux vers deux silhouettes, dont l'une vêtue d'une tenue familière qui me fit signe avec vigueur et urgence. Toutefois, ce fut la voix projetée avec conviction de Leyna' qui fit réagir le groupe. Nahöriel, dos à l'arrivante, redressa vivement la tête, les yeux écarquillés et les oreilles se tendant légèrement. J'échangeai un bref regard avec mes compagnons et acquiesçai avec brutalité. Mon semi-elfe d'ami, avec son agilité habituelle, retira sa dague de la gorge menacée sans laisser la moindre trace de sa présence sur la peau bleue. C'était une menace, pas un acte meurtrier malgré le mépris que la scène avait causé chez lui. En revanche, il donna une tape violente entre les omoplates de l'homme, décidé sans doute à lui faire embrasser le sol aux pieds de sa victime et s'en servant comme appui pour bondir sur ses pieds. Il avait déjà franchi une bonne distance en direction de la jeune femme avant que le reste de la troupe ne bougeât.

Entourée par mon équipage, je me hâtai en direction de la Prêtresse, curieuse des gestes de ses mains. C'était généralement ce qu'elle faisait avant de lancer un sort, mais je n'y attardai pas davantage mon attention. Nous l'avions retrouvée en un seul morceau, elle allait avoir des choses à nous dire après son rapt par cette charogne de Sans-Pitié.


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[Capitaine Hart]

Leyna : Réussite (79)

La femme battue ne disait mot devant Mythanorië. La peur dans son regard disparaissait peu à peu, mais elle était remplacée par quelque chose de plus sinistre. Une sorte d'abandon, de résignation, comme si elle savait qu'elle ne pouvait échapper aux répercussions de ce qui venait de se passer. Elle restait assise par terre, la tête baissée, sans dire mot.

Quand au Sang-Pourpre, lui, il n'osait pas parler simplement parce qu'il avait une lame en travers de la gorge, mais il fixait l'équipage avec haine et mépris. Après avoir été relâché par Nahoriël et contrait de se mettre à quatre pattes, il se fendit d'un simple "Vous êtes morts.". Cette déclaration pouvait attribuée à la colère, mais le calme et l'assurance dont ses mots étaient imprégnées témoignaient d'une froide certitude.

Mais cette punition ne proviendrait pas de la patrouille qui se dirigeait dans leur direction, car la faible brume levée par Leyna voilait naturellement leur déplacement. Mouréna, devinant le plan de Leyna, fit signe à Mythanorië et à son équipage de le rejoindre tandis qu'il arrachait les planches qui condamnaient un trou près d'une maison délabrée. Makkar s'approcha de lui, peu enclin à le laisser faire plus de bruit.

- Arrête ça, triple buse, si on se fait encore remarquer, toute la ville va nous tomber dessus !
- Tais-toi, blanchet, si on reste ici, c'est tout comme !

Le trou semblait mener vers une sorte de grenier, Makkar,, quelque peu intimidé par le vieil homme, dont les traits ressemblaient davantage à ceux d'un poisson qu'à un earion, s'était tourné vers Leyna, agacé.

- Dites-moi, ma grande, il est pas commode, votre grand-père. Vous pouvez pas le calmer ?
- Et vous autres, vous allez m'aider ou vous préférez regarder ? lança Mouréna d'un ton sévère à l'adresse du reste de l'équipage.

Eliwin et les autres attendaient la décision de Mythanorië, qui avait fait maintes fois preuve de discernement par le passé. Quant à Leyna, maintenir le brouillard ne lui servait plus, car les soldats, pour le moment aveugles à leur présence, commençaient à s'approcher l'endroit où ils se trouvaient, et le Sang-Pourpre solitaire qui avait été intimidé par Nahoriël se relevait à la recherche de renforts.

[Leyna]

Nahöriel rejeta l'homme qui tenait et vint vers eux avec tout l'équipage. Ils étaient tous là ! Le semi-elfe se jeta sur la jeune femme pour la serrer contre lui, ce qui lui tira une crispation de douleur. Réalisant ce qu'il faisait, il recula, un peu honteux. Elle lui adressa un sourire rassurant, mais ils n'avaient guère le temps pour plus d'effusions. L'ennemi approchait, et le garde prisonnier se relevait déjà en les menaçant de mort.

Mouréna commençait déjà à dégager des planches pour leur ouvrir une cachette. Un grand homme habillé de vert, lui lança un regard en coin, l'exhortant à ne pas attirer toute la ville sur eux. Comme Mouréna lui renvoyait la balle, il se tourna vers Leyna, lui enjoignant à « calmer son grand-père ». La prêtresse lui dédia son regard le plus intense, puis, fit signe au reste de l'équipage :

« Suivre la voie de Moura ou mourir, tel est notre choix. Soyez confiants, la déesse nous a donné un espoir de vaincre le monstre qui dirige cette île. »

Et elle vint aider le vieil homme, malgré le peu de force qu'il lui restait.

[Mythanorië]

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*31*

J'avais à peine fait quelques pas lorsque la voix du garde mis à terre s'éleva sinistrement, annonçant que nous étions morts. Une menace des plus communes, si sa façon de le dire n'avait pas semblé si détachée. Sauf qu'à moins d'être un mystique apte à voir les morts qui s'ignoraient, ses propos ne firent guère qu'ajouter un niveau de plus sur le poids reposant sur mes épaules. De toute manière, connaissant le caractère des membres de mon équipage, ils ne risquaient pas de s'accommoder aisément des coutumes locales. Courber l'échine face à qui n'a jamais partagé leur sort ni n'approchait de l'ombre d'une poussière de respect était contre leur nature. Même Nahöriel, qui s'était jeté contre sa chère et tendre pour la prendre un peu rudement dans ses bras, n'aurait à la longue baissé les yeux que pour mieux prendre son élan et mieux poignarder son oppresseur. Dans le même instant, je compris la manœuvre de la Prêtresse, un voile de brume dissimulant les environs mais ne masquant pas le bruit de lourds pas dans notre direction. Une escouade sans doute mieux préparée que le peau-bleu remis brièvement à sa place.

L'être accompagnant la demie-elfe se lança à l'assaut de planches barrant l'entrée d'un passage, le long d'une bâtisse. Notre guide se plaignit immédiatement, arguant que le bruit allait inévitablement ameuter les environs et nous les plaquer en pleine figure. Je sentis se braquer des regards dans ma direction lorsque l'individu inconnu requit de l'aide. Leyna' ajouta une tirade qui me fit légèrement rouler des yeux, typique d'elle en somme, indiquant de suivre la voie de Moura ou périr. Elle atténua cependant cela d'un soupçon d'espoir. Elle semblait avoir trouvé quelque moyen de défaire le maître de l'île. Enfin une nouvelle moins désagréable.

Quand je la vis presque chanceler en direction des planches barrant le reste de l'accès, décidée à les bouger elle-même, je me hâtai à ses côtés et l'écartai doucement mais fermement. Je me justifiai d'un seul mot, accompagnant un sourire en coin.

"Échardes."

Je glissai mon bras sous les planches restantes, le plus près possible de leur point d'ancrage le plus fort, et bandai mes fibres. Si mon corps était capable de soulever mon demi-elfe d'ami quand je l'y contraignais pendant un moment tranquille, ce n'était pas une poignée de planches qui allait constituer un gros obstacle en situation d'urgence.

Sans regarder mes hommes, je précisai quelque chose.

"Diversion avant toute confrontation. Si ces vagues cousines persistent à nous refuser l'entrée, il faudra improviser."

Ma propre magie pouvait suffire, celle du guérisseur aussi et il restait au pire la possibilité de se disperser. L'idée ne me plaisait toutefois absolument pas, ce qui ne me laissait pas d'autre alternative que de forcer le passage. Cet enjeu en tête, je me mis en devoir d'employer la force cachée de mes fibres pour déloger assez de planches en une seule fois.


*--->*

[Capitaine Hart]

Mythanorië n'eut pas à compter sur sa morphologie particulière pour déplacer les planches, car elle était aidée par Mouréna entre autres, duquel Leyna avait déjà constaté la force physique prodigieuse lors de la mêlée du temple de Moura. Les planches de bois furent vite délogées de l'entrée, que Mouréna enfonça d'un coup de pied bien senti. Le groupe se dépêcha d'y passer, tout en prenant soin de refermer les volets en bois derrière eux pour que leurs poursuivants ne se doutent de rien.

Ils pouvaient alors souffler, du moins aussi longtemps que les bruits de pas des soldats du Sans-Pitié ne se faisaient pas entendre de trop près. Ils s'étaient retrouvés dans une cave poussiéreuse, manifestement abandonnée depuis des lustres à en juger par le nombre de toiles d'araignées. A l'intérieur, rien que des caisses vides et de vieilles étoffes froissées. Après avoir décollé son oreille du mur, Makkar s'assied, toujours un peu nerveux.

- Costaud le pépé, y vient d'où ? demanda-t-il en parlant à toute évidence de Mouréna.

Mouréna souffla comme pour garder son calme.

- Mes origines n'ont pas d'importance, appelez moi Mouréna.

Makkar fixa Mouréna un instant, le regard inquisiteur. L'Earion interpella Leyna sans le quitter des yeux.

- C'est donc ça, ton équipage ?

Sa voix était emprunte d'une certaine gentillesse lorsqu'il s'adressait à la prêtresse de sang-mêlé, mais les plus susceptibles auraient détecté une once de dédain dans ses paroles. Il tourna son regard vers la capitaine.

- Je n'avais jamais vu un capitaine de bois, avant. Jamais vu un arbuste se tenir sur ses deux jambes, en vérité.
- On cherche l'Anguille. La personne qui conspire contre Sans-Pitié. fit Eliwin, l'homme normalement muet à la surprise générale.

Même depuis que son parler avait été rendu plus "organique" par les soins de Mercurio, le second de la Rascasse n'utilisait sa langue que lorsque c'était nécessaire.

- L'Anguille, bien sûr... Vous ne vous seriez pas arrêtés dans ce trou à rats si ce n'était pas pour elle.
- Minute, interrompit Makkar, vouvoyant soudain son interlocuteur, "elle" ? Vous connaissez l'Anguille ?
- Je ne connais qu'une seule personne dans ce village qui ait le cran de tenir tête à un tel tyran. Cela ne peut-être qu'elle. Hélas, je ne sais pas où elle peut bien être. Une chose est sûre, elle n'abandonnerait jamais ce village.

Il marqua un bref silence puis reprit, en sondant du regard l'équipage de la Rascasse. L'observation qu'il fit prenait des airs de provocation, malgré l'impassibilité constante de son visage :

- Quoiqu'il en soit, je m'attendais à une aide plus "consistante". Vous m'avez l'air désespérément frais, inexpérimentés, perdus. J'ai peine à croire que vous soyez venus ici par vos seuls moyens. Vous pensez pouvoir contrer Sans-Pitié avec vos petits bras et vos petits esprits ?

[Mythanorië]

*<---*

*32*

Les planches firent rapidement place à une entrée que l'être accompagnant la Prêtresse enfonça sans perdre une seconde. Vivement, le groupe se faufila à l'intérieur, les derniers entrés refermant les battants de bois pour nous masquer à la vue de nos possibles poursuivants. Tout comme Makkar, je restai accolée à la paroi proche, guettant les bruits de pas aux alentours. Ce n'était pas parce que nous nous étions cachés en hâte que la piétaille allait cesser les recherches, surtout si le sang-pourpre humilié par mon semi-elfe d'ami laissait sa langue s'agiter de trop. Debout, immobile, je jetai un bref regard à la pièce, y découvrant des débris de caisses oubliées et quelques étoffes couvertes de poussières et de toiles d'araignée. J'avisai brièvement les gens s'y trouvant, découvrant sans surprise des mâchoires ou des poings serrés, des regards nerveux ou une certaine tension. Même Nahöriel ne souriait pas, se tenant auprès de la Prêtresse sans l'envahir. Il la regardait comme s'il pouvait lire ce qu'elle avait vécu sur ses traits. Soulagement et inquiétude transpiraient de sa posture.

Notre guide et l'homme ou plutôt l'elfe bleu, que je découvris doté d'un faciès étrange et presque animal marin sur les bords, furent les premiers à parler. Makkar pour questionner rudement son interlocuteur sur ses origines, le second pour répondre de façon évasive avant de vouloir confirmer auprès de Leyna' que nous étions bien son équipage. Je relevai légèrement mon tricorne en sentant son regard sur moi, rivant mon attention sur lui en réponse. Sans détour, il me dit n'avoir jamais vu un capitaine de bois ni d'arbuste bipède auparavant. Je plissai légèrement les yeux. Ce n'était pas la première fois que j'étais confrontée à l'ignorance concernant mon peuple et le mépris quant à la légitimité de ma place à la tête d'un équipage. Thunderhead m'avait fait part avec une désagréable insistance sur mon avant-bras de son avis sur la question.

Avant d'avoir pu ouvrir la bouche pour offrir une réplique bien sentie à l'impoli, ce fut Elivan qui prit la parole. Peut-être cherchait-il à prendre ma défense en détournant la conversation ou peut-être en avait-il assez de se faire balader comme nous tous. Je laissai fuir un souffle amusé et n'intervins pas quand il annonça que nous cherchions l'Anguille, auteur de la conspiration contre Sans-Pitié. L'être âgé confirma alors une intuition que j'avais eu plus tôt en parlant de l'Anguille au féminin. Makkar retrouva d'un coup ses bonnes manières en se mettant à vouvoyer l'elfe Mouréna avant que ce dernier ne tempère les espoirs des uns et des autres. Il n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait. Si certains semblaient surpris d'apprendre la nature de notre estimée potentielle camarade, ce ne fut pas mon cas. Je m'étais doutée que seule une femme pouvait aisément être sous-estimée et conspirer dans l'ombre, masquée par toutes les autres. Aussi cruel qu'il fût, le maître de l'île ne pouvait pas se permettre de purger l'ensemble des femelles des lieux. D'une, parce que toutes les remplacer prendrait du temps ou exigerait des raids ne passant pas inaperçus, de deux parce que les êtres à sang rouge incapables de soulager leurs pulsions animales, et surtout ceux possédant des armes et un goût pour la violence, pouvaient rapidement devenir incontrôlables.

Après avoir tendu l'oreille vers l'extérieur pour m'assurer de notre relative sécurité, j'entendis Mouréna parler sur un ton masquant à peine ses impressions. Si Leyna lui avait vanté nos mérites, alors il affirma sa déception, ne trouvant en mes hommes et moi que de jeunes pousses sans expérience et doutant même de notre capacité à avoir trouvé les lieux par nous-mêmes. Jouant sur les mots, il lança une sorte de provocation, nous demandant si nous pensions notre faible force aussi bien physique que mentale suffisante pour contrer Sans-Pitié. Je lançai un regard blasé vers la Prêtresse, m'attendant presque à entendre un "prouvez-moi votre force" de la part de l'elfe bleu dès qu'une réplique allait lui être donnée.

"Laissez-moi deviner... Et sans offense, Prêtresse... Vous l'avez trouvé parmi un groupe d'adeptes de Moura mettant aussi la force des uns et des autres à l'épreuve ?"

Je manquai de peu rouler des yeux à cette simple idée puis adressai un sourire en coin à notre interlocuteur.

"Non."

Je laissai filer un bref instant de silence avant de poursuivre.

"Voyez-vous, nous ne sommes pas venus sur cette île pour jouer les sauveurs ou prendre part aux jeux de pouvoir du coin, mais en tant que simples négociants. Ou plutôt des messagers, pour faire dans la précision."

J'inclinai légèrement la tête sur le côté, fronçant légèrement les sourcils.

"Sauf qu'au lieu d'accorder une chance à notre proposition voire de simplement la refuser puis de nous dédommager pour l'affront subi à notre arrivée, le tyran local s'est permis de tout nous dérober et de chercher à nous humilier au passage. Nous n'avons techniquement rien demandé, Mouréna. C'est à lui qu'il faut se plaindre de notre participation, pas à nous. C'est quand même lui qui nous a provoqué et contraint à endosser ce nouveau rôle. "

Je haussai légèrement les épaules et les mains, comme par dépit, puis laissai un sourire sans chaleur peindre mes traits.

"Penser contrer Sans-Pitié ne m'intéresse pas. Le faire, oui. Et si cela bénéficie à la population du coin au passage, tant mieux, non ? D'autant que... Nos petits bras et petites cervelles ne sont peut-être pas les seules à envisager sérieusement la chose."

S'il voulait faire dans la provocation voire le sarcasme, il allait trouver à qui parler. Et s'il comptait tester notre détermination, là encore, il risquait d'être surpris. Je dardai mon attention sur Leyna' qui, bien que visiblement épuisée et plus ou moins consciemment épaulée par son semi-elfe de cher et tendre, devait sans doute avoir son mot à dire concernant tout ceci. Après tout, n'avait-elle pas elle-même annoncé un espoir de vaincre le monstre de cette île, conféré par la Déesse ?


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[Leyna]

Il n'avait cependant guère besoin d'elle, en vérité, et il arracha les planches sans grandes difficultés, leur offrant un passage vers l'intérieur. Ils étaient maintenant entassés comme des rats dans une vieille maison poussiéreuse. Leyna se glissa vers une vieille chaise à bascule, la testa, puis s'installa dessus pour se reposer. Les discussions allaient bon train. La prêtresse ignora les commentaires de l'inconnu au chapeau pour suivre le reste : le prêtre était étonné par l'équipage, et manifestement peu impressionné. Apparemment, eux aussi étaient à la recherche de l'Anguille, et Mouréna confirma qu'elle devait bien être dans ce village, quoiqu'il ne sache pas exactement où. Il en profita pour signaler qu'il s'attendait à plus d'aide que ce pauvre équipage, assez peu impressionnant à ses yeux, mettant en doute leurs bras et leurs esprits.

La capitaine, toujours aussi factuelle, expliqua la raison de leur venue, et comment les choses avaient bien vite mal tourné. Elle était manifestement décidée à agir contre le Sans-pitié, ce qui tira un sourire à la prêtresse. La capitaine tardait souvent à montrer la volonté qui était la sienne, mais quand elle se décidait, c'était l'annonce de rudes désagréments pour ses ennemis !

De son côté, la jeune femme se contenta de répondre à l'earion par un regard dur :

« Il me semble, d'après un passé récent, que vous n'avez pas brillé par la force de votre esprit, vous non plus... Je vous ai sauvé par la grâce de Moura, et sachez que moi-même, j'ai été vaincu par cet équipage, par le passé. Cessez donc de tergiverser et veuillez nous indiquer comment vous comptiez trouver cette alliée. Le temps joue contre nous. »

[Capitaine Hart]

Mouréna avait écouté le discours de la capitaine avec attention, la remarque acide de Leyna parachevant la défense de l'équipage. Embarrassé, il se gratta l'arrière du crâne.

- Mhh, d'accord, d'accord... Son nom est Iulve. C'est une elfe qui connait cette île depuis presque aussi longtemps que moi. Une femme qui a accepté le mode de vie brutal des Sangs-Pourpres, jusqu'à ce que Sans-Pitié ne les transforme en parodie obéissante d'eux-mêmes. Jamais elle ne pourrait supporter le spectacle dégoûtant qui se déroule là dehors, mais elle est bien trop attachée à cet endroit pour le quitter. Vu que les rumeurs persistent, elle doit forcément être en vie, quelque part sur cette île, à résister à ce nouvel ordre d'une manière ou d'une autre. Quitte à savoir où elle se trouve...

Il se leva, faisant la moue.

- Pas la moindre idée. Je ne me mêle pas aux bouseux du coin et ça fait des années que je ne l'ai pas vue.

Makkar ricana cyniquement à ce qui aurait tout aussi bien pu être une sombre plaisanterie. Il arrivait parfois au vieil éarion de parler avec une vulgarité peu caractéristique des prêtres.

- C'qui faut pas entendre. Et on fait quoi avec ça, papi, on pose des avis de recherche ?

Mouréna réfléchit un instant, ne prenant pas la peine de regarder Makkar.

- Eh bien, on pourrait faire quelque chose de semblable. Elle a toujours été plus maline que moi. Si nous arrivons, avec nos maigres ressources, à faire quelque coup d'éclat contre le tyran, elle pourrait bien nous trouver d'elle-même.

Makkar leva les yeux aux ciel.

- Sans-Pitié nous trouvera avant elle, soyez-en certain. Je préfère encore briser les phalanges des habitants de ce village une par une pour leur sortir les vers du nez. Si elle monte une résistance, elle doit bien avoir des partisans dans ce village. Y'a pas une taverne ou un coin paumé où on pourrait glaner des infos ?
- Ah, j'oubliais. Vous les humains, vous trouvez toujours les manières les plus cruelles et stupides de résoudre vos problèmes.
- T'as raison va, elle te trouvera plus facilement si t'es empalé par ton fondement sur une pique.

Les deux hommes commençaient à se prendre la tête. Par quel moyen pouvaient-ils approcher l'Anguille élusive ?

[Leyna]

Quelque peu pris de cours par les réponses, Mouréna se décida à répondre : ils cherchaient une elfe du nom de Iulve. Un nom aux consonances fort marines... Il ignorait où elle était, mais il comptait bien la contacter malgré cela. Elle était suffisamment maligne pour les retrouver s'ils faisaient quelques coups d'éclat.

Makkar, l'étranger, était plutôt d'avis de violenter des civiles, ce qui tira une remarque acerbe du vieux prêtre, et un haussement d'épaules de Leyna :

« Punir des faibles qui ont cédé ne me dérangerait pas en soit. Mais il n'y a aucun honneur à s'attaquer à des faibles. Si nous sommes ici pour combattre le Sans-pitié, autant commencer dès maintenant. C'est mon avis, mais je m'en remets avant tout à celui de la capitaine. »

Elle se tourna vers Mythanorië. Elle savait qu'elle souhaitait faire, mais la suivrait quel que soit son choix.

[Mythanorië]

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*33*

Après mes explications, et une remarque assez embarrassante concernant ses propres maladresses à l'éarion par Leyna', celui-ci eut le bon goût de paraitre embarrassé. C'était peu, mais cela allait devoir suffire. Il nous expliqua alors que notre chère Anguille répondait au nom de Iulve. Une elfe avoisinant apparemment sa propre longévité, ayant accepté le mode de vie brutal typique des Sang-pourpres, jusqu'à ce que le tyran actuel de l'île ne les change en petits soldats soumis à son bon vouloir. Pas difficile à accomplir s'ils étaient bel et bien pris presque au berceau. J'avais beau trouver ce peuple un peu trop parfait pour le rôle de pirates, je préférais de loin l'idée d'un groupe de Snori au sang chaud et vivant qu'une autre forme de marine royale sans identité. À mes yeux, un pirate se devait d'être libre, fier et un brin sauvage, pas membre contraint d'une troupe à l'échine courbée et massacrée au plus petit signe d'échec.

Je tendis l'oreille, prête à accueillir enfin les informations sur cette meneuse de rébellion quand le vieil être noya une fois de plus tous nos espoirs. Monseigneur le bleuté, ne se mêlant évidemment pas aux bouseux du coin, n'ayant pas vu ladite personne depuis des années. Lentement, j'amenai le plat de deux serpentins au coin de mes yeux, m'empêchant de les rouler avec dépit. Makkar ricana, proposant sans y croire de placarder des avis de recherche pour elle, ce que Mouréna attrapa au vol. Sauf qu'il proposa, de façon plus réaliste, de concevoir et accomplir quelque coup d'éclat contre Sans-Pitié, histoire d'attirer l'attention de notre future meilleure amie. Makkar et Mouréna se mirent alors à se quereller. L'un arguant que c'était risquer de recevoir l'ire du maître de l'île en premier sur la figure et préférant user de cassage de phalanges des gens du crû pour dégoter quelque information, l'autre repartant dans des répliques rabaissant la race humaine quant à ses méthodes habituelles.

La voix de Leyna' s'éleva quelque peu, m'amenant à retrouver une pointe d'espoir. La Prêtresse était intelligente et inventive. Elle devait bien avoir quelque idée plus concrète et terre à terre, non ? Je rabaissai lentement mon tricorne sur mon regard, masquant effectivement un roulement d'yeux cette fois-ci. La jeune femme ne voyait pas d'inconvénient à punir les faibles s'étant soumis mais n'y trouvant cependant aucun honneur et incitant à combattre le Sans-Pitié, sans préciser si elle sous-entendait le faire de front ou pas. Elle se tourna vers moi, attendant mon avis. Et vu le poids de plusieurs regard sur mes épaules, elle n'était guère la seule. Je poussai un lent souffle et fis lentement craquer mon écorce au niveau de mes épaules. Capitaine un jour...

"Cessez de vous chamailler. Vous irritez plus susceptible et à fleur de peau que moi."

Je croisai les bras et avisai Makkar et Mouréna, ignorant plus ou moins les poings se serrant à différents rythmes sur les gardes de certaines lames proches.

"Un coup d'éclat, hein ? J'imagine que ce serait le plus rapide à mettre en place. Oubliez vos différents un instant et dites-moi..."

Ma pose changea, un poing s'accolant contre mon bassin, l'autre s'étendant légèrement sur le côté.

"En-dehors de sa villa et de sa carriole de mauvais goût, qu'est-ce qui crie Sans-Pitié à la face des locaux ? Une réserve de biens précieux ou de vivres ? Un camp de travaux ? Un bâtiment remarquable ? Peut-être une prison ou quelque endroit où l'imbécile aurait le culot d'exposer des adversaires ou des trophées ? Un navire en particulier ? Ou..."

Quand elle germa, l'idée ne me plut pas du tout. Mais en revoyant les formes de mes hommes ayant perdus la vie pour venir ici, mes scrupules furent balayés en un souffle. Œil pour œil...

"Une personne, aussi protégée qu'un détenteur de sang bleu et aussi précieuse à ses yeux, et dont la perte serait... Douloureuse ?"

J'entendis l'inspiration vive de Nahöriel non loin, devinant un soupçon de désapprobation. Toutefois, il ne prononça pas un mot pour me détourner de cette idée. Était-ce à cause de la proximité de sa belle ou d'un geste de cette dernière ? Je n'en savais rien et ne comptais pas me renseigner. Tout ce que je savais c'était que pour faire un coup d'éclat, il nous fallait une cible bien définie et surtout marquante. Le but après tout, à part d'attirer l'attention de l'Anguille sur nous, était de montrer qu'aussi impitoyable qu'il fusse, Sans-Pitié n'était pas intouchable ni immortel.


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