Chapitre II – Déploiement – Suite - [Précédent post ici ]
Je me réveille noyé dans la brume, transis de froid, mais heureusement au sec. Je loue la bienveillance de mes camarades expérimentés qui, la veille, m’ont conseillé de tendre une toile au-dessus de mon couchage pour me protéger de la rosée. Après une rapide collation, nous rejoignons la forêt en contrebas, là où le brouillard est le plus intense. Nous progressons plusieurs heures, à la frontière entre la partie saine et la partie ravagée de la sylve. Privé de mes repères, je n’ai aucune certitude sur notre localisation, juste une estimation basée sur notre rythme de progression. Soudain, le capitaine nous fait signe de nous arrêter. J'observe passivement les alentours, tandis que les vétérans portent immédiatement leur main à leurs fourreaux.
Sans un bruit, Fred déboule alors d’un amas de végétation sur notre gauche.
« Sergent, quatre pisteurs garzoks en approche à cinq cents mètres sud-ouest ; détachés d’une escouade de quinze qui a repéré mes traces ; l’escouade descend des hauteurs, direction nord nord-ouest en marche forcée ; ils ont des prisonniers humains ».
Le sergent réagit au quart de tour et nous débite une série d’ordres.
« Compris. Fred, tu rejoins Bernas direction Ouest avant qu’il ne croise la route des garzoks. Vous pistez l’escouade à distance aussi longtemps que vous pouvez. On vous rattrape dès que possible.
Tessy, tu files direction nord et tu reviens avec Dan. On aura besoin de lui pour pister Bernas et Fred.
Les autres, avec moi. On remonte la piste de Fred sur quelques mètres et on se met en embuscade. Plus un bruit à partir de maintenant. Exécution ».
Tessy et Fred s’élancent à la poursuite de nos deux autres éclaireurs, tandis que l'escouade rompt sa formation. Nous furetons sur une dizaine de mètres avant de parvenir à une combe, idéale pour tendre notre embuscade. Debby, Braso et Lio prennent chacun place derrière d’immenses pins poussant en surplomb de la combe, pour cueillir les pisteurs de face. Jaret, Sabar et moi nous accroupissons au fond de la dénivellation, contre la butte de terre, pour les prendre à revers.
Mon épée à la main, j’attends sans esquisser le moindre geste, soucieux de n’émettre aucun son qui pourrait trahir notre présence. Une pulsation sourde et puissante monte lentement en moi. A quelques secondes de rencontrer pour la première fois « l’ennemi », je suis terrorisé. Et si je faisais défaut à mes équipiers, en étant inefficace au combat, ou pire, en m’escampant pleines voiles, à la vue de mes adversaires ? Ressassant intérieurement milles funestes scénarios, je me retrouve tout à coup haletant, le cœur battant à tout rompre, mon moi au bord de la panique. Relevant la tête, je tombe sur les visages de Sabar et Jaret leurs yeux chargés de compassion rivés vers moi, et esquissant un sourire narquois. L'attitude mi moqueuse, mi bienveillante de mes aînés m’apaise et je reprends progressivement contrôle de mes émotions.
Un craquement léger perturbe la quiétude du sous-bois. Quelques piafs offusqués s’envolent à tire d’aile, tandis que le bruit se rapproche. Les pisteurs orcs, que j’imaginais rustres et bruyants sont étonnamment silencieux. Je peine à percevoir les signes de leur approche et je réalise subitement qu’ils ne sont plus qu’à quelques mètres de nous. Des pas rapides soulèvent une gerbe de feuilles, quatre masses énormes nous survolent et atterrissent avec souplesse. Sans un regard en arrière, ils poursuivent leur chemin en direction de Debby, Braso et Lio. Alors que les orcs sortent de la combe au pas de course, nos trois camarades surgissent de leur cachette, leurs armes au clair. L’un des orcs invective ses compagnons, quelques grognements s’ensuivent et quatre haches massives font écho à cette apparition fortuite. Le paisible sous-bois se mue en une mêlée atroce.
Sabar, Jaret et moi courrons sur quelques mètres pour surprendre nos ennemis. A l’avant-garde, plusieurs passes d’épées et de haches se jouent déjà entre nos compagnons et deux garzoks qui sont à leur contact. Moins tonique que Sabar et Jaret, j’écope d’un court retard que je mets à profit pour essayer de canaliser l’étrange énergie lumineuse qui, il y a quelque temps, m’avait permis de renverser l’issue de mon duel contre la talentueuse Tessy. La tension montante des dernières secondes écoulées, le déchainement de violence qui se joue à quelques mètres ont esquinté les minces verrous qui contiennent cette énergie. En une fraction de seconde, une vague radiante s’active en moi. Reproduisant mon expérience passée, je la dirige immédiatement vers ma main libre. Je la contiens, non sans peine, pour pouvoir la libérer au moment opportun.
Sabar et Jaret sont déjà au contact des deux orcs les plus en retrait. L’un d’eux perçoit notre présence et accueille Jaret qui se jette sur lui sans une hésitation. L’autre fait encore face à nos compagnons, amorçant une manœuvre pour les encercler. Cette méprise lui est fatale. Son dernier souffle s’accompagne d’une suite confuse de sensations. Un grognement d’alerte perçu trop tard, le contact froid de la lame de Sabar, une douleur foudroyante, un liquide tiède jaillissant de toutes parts ; le néant.
L’orc témoin de cette froide exécution beugle à en crever nos oreilles. Il se redresse de toute sa stature, nous invective et bombe le torse. Il clame vengeance. Prenant l’initiative sur Jaret, il assène un puissant coup de hache qui, bien que paré par le guérisseur, le repousse d’un bon mètre. Je m’interpose, ouvre la paume de ma main et relâche mon énergie lumineuse. Un puissance flash illumine le sous-bois, suivis d’une explosion de jurons. Le premier m’est incompréhensible et émane de l’orc, qui cligne brièvement des yeux. Les autres viennent de mes trois alliés de l’avant-garde, qui ont aussi trinqué.
Visiblement peu décontenancé, mon adversaire amorce un puissant coup de hache qui balaye les alentours. Je ne tente même pas une parade, de peur d’y laisser un bout de ma précieuse carcasse et me jette en arrière pour esquiver. Sabar prend la relève en assénant deux coups de taille à l’épée. L’orc pare les attaques sans broncher. Jaret rejoint l’affrontement qui vire au harcèlement. L’orc recule sous les coups, puis se décale progressivement sur le côté pour garder du champs libre, indispensable à ses manœuvres de parade et d’esquive.
Plusieurs chocs et raclements métalliques retentissent en direction de Debby et Braso. Leurs cottes viennent probablement de récolter quelques éraflures. Je me glisse dans l’espace nouvellement libéré pour me poster derrière le garzok qui fait face à Lio. J’opte pour un coup d’estoc qui parvient à percer les épaisses couches de son armure de peau. De rage, l’orc fait volteface et me repousse d’un coup de pied. J’en perds mon épée et ma balance. En arrivant au sol, ma tête rencontre une vielle souche, occasion parfaite pour perdre connaissance…
Une secousse.
« Recrue, debout ! ».
La voix de Lio couvre le tintamarre de lames qui se heurtent sans ménagement. Je reprends mes esprits. Mon absence n’a pas duré, plus d’une minute. L’adversaire de Lio repose à mes côtés, esquissant une toile pourpre sur le tapis de feuilles. Un gargouillement sinistre surgit de derrière Lio, suivi d’injures approbatrices de Debby et Braso. Assisté par Lio, je me relève péniblement et assiste au supplice du derniergGarzok.
Toujours acculé par Sabar et Jaret, l’orc a perdu toute sa contenance. Son visage verdâtre est hagard, déformé par une moue dépitée. Ses yeux lancent des regards désespérés, à la recherche de la moindre faille chez ses adversaires. Mais leurs frappes précises et impitoyables sapent ses dernières forces. Une peur froide le submerge, la mort arrive, tout en lui est regret. A quelle vie aurait-il voulu aspirer ? Surement pas ce canevas grotesque écourté par l’ultime taillade que lui assène Sabar. Triste spectacle.
Le calme revient dans les sous-bois. Nous essuyons nos lames et déplaçons rapidement les défunts au fond de la combe. J’essuie quelques brimades de la part de mes camarades. Mon « petit tour de magie » n’a pas été apprécié.
(Question de temporisation – je pense – la prochaine fois, j’éviterai de le lancer quand mes compagnons me font face).
J’encaisse sans mot dire. La violence de l’affrontement m’a secouée. Seul face à l’un de ces orcs, j’aurais récolté bien plus qu’un simple bleu à la tête. Jaret me promets d’ailleurs de jeter un œil à l’ecchymose au prochain campement.
Rejoints par Tessy et Dan au bout de quelques minutes, nous filons au Nord-Ouest au pas de course, sur la piste de nos éclaireurs.
[La suite par
ici]