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par Tanaëth Ithil » jeu. 25 juil. 2019 19:36
Sylënn conserve un inquiétant mutisme tandis que nous nous rendons dans nos luxueux appartements où elle m'aide impatiemment à me défaire de mon équipement. Ce n'est qu'en avisant mon épaule salement lacérée et le sommaire bandage rougi qui entoure le haut de mon bras percé d'un carreau d'arbalète qu'elle s'exclame:
"Par Sithi! Qui t'a fait ça?!"
"Une espèce de goule, toute une meute nous est tombée dessus dans les souterrains. Et l'un des sbires d'Averenn pour le bras..."
Mon épouse secoue la tête à ces mots, avec, dans le regard, une lueur étrangement...désemparée? Étonnant, jamais je n'ai aperçu la moindre faille dans son assurance jusqu'à ce jour. Quoique, en y repensant, j'ai déjà remarqué un trouble inhabituel dans ses prunelles quelques instants plus tôt, que lui arrive-t-il? Un peu perplexe, je lui demande doucement:
"Eh bien, cela a l'air de te surprendre... que se passe-t-il, Sylënn?"
"Je...je ne sais pas...c'est comme si...comme si quelqu'un m'avait droguée..."
"Que veux-tu dire par là?" lui demandé-je encore en fronçant les sourcils d'incompréhension.
"Je...je me souviens d'être allée chez Averren après qu'Elzekiël m'ait informée que tu allais t'y rendre, mais après... tout est... flou. Il me semble que tu étais là, mais je n'arrive pas à me souvenir de ce qui s'est passé, c'est comme un de ces cauchemars dont on ne se souvient qu'à moitié au réveil. Je crois...je crois que je l'ai tué, Tanaëth...et maintenant...maintenant tu amènes ici ces deux misérables créatures sorties de nulle part, dans ma propre demeure! Et ta prétentieuse de cousine qui se comporte comme si c'était elle qui dirigeait ici! C'en est trop, tu comprends ça?!"
Si la première partie de sa réponse était hésitante et pleine de doutes, c'est avec une profonde colère qu'elle l'achève, ses vertes prunelles brûlant d'un éclat accusateur rivées aux miennes. Si de prime abord je ne saisis absolument pas ce qui lui arrive, une lueur de compréhension ne tarde pas à s'immiscer en mon esprit : j'ai tenté d'utiliser le pouvoir supposé de la cape de Revan pour que nul ne sache vraiment ce qui s'est passé chez mon ennemi, à ce qu'il semblerait il a parfaitement fonctionné... un peu trop bien, même, à mon goût.
(Merde, je fais quoi maintenant? Je lui explique tout? Je la laisse dans le doute en lui disant qu'elle a effectivement dû être droguée?)
(Tu en as d'autres des idées comme ça? Averenn est mort, tu lui expliqueras ça comment? En lui laissant croire qu'elle est la seule responsable? Sois honnête avec elle, si tu veux qu'elle te fasse confiance un jour!)
Après un profond soupir, j'entreprends de relater à ma compagne les événements qui se sont déroulés depuis notre séparation au temple de Sithi, sans rien omettre cette fois, tout en m'efforçant de me décrasser un peu en attendant Eshrin. A ma surprise, Sylënn prend l'initiative de m'aider dans cette dernière tâche, attentive à mes paroles mais se gardant bien de m'interrompre. Quant à la présence d'Yliria et de Nyllyn, je me borne à lui faire lire la lettre remise par Tyrdann et lui promets de plus amples explications lors de la réunion qui aura lieu le lendemain. Reste à la persuader que personne n'usurpera sa place de maîtresse des lieux et que ma cousine n'a agi que pour apaiser les esprits échauffés...
Lorsque Eshrin arrive enfin, une bonne heure plus tard, ma chère et tendre n'est pas vraiment convaincue, mais elle n'a apparemment aucune envie de se donner en spectacle et, l'armurière royale insistant lourdement sur la nécessité de me reposer, admet du bout des lèvres que le reste peut attendre le lendemain. Il me faut aussi persuader Eshrin d'aller s'occuper ensuite d'Yliria ce qui, par chance, ne s'avère pas trop ardu, la mère de Llyann ayant passablement voyagé sur Yuimen et m'accordant une solide confiance. J'apprends par ailleurs d'elle que Llyann récupère de ses blessures en sa demeure après avoir faussé compagnie à son père qui, en réalité, n'a fait que tenter de stabiliser son état après qu'elle ait pris des coups lors de l'attaque sur le chemin du temple et lui ait été amenée par certains de ses serviteurs! Si cela me laisse perplexe, mon soulagement est tel que je me contente de la remercier de cette information sans creuser davantage la question. Une fois mes blessures miraculeusement guéries par la lumineuse magie d'Eshrin - étonnamment je ne la hais pas, celle-ci - et la guérisseuse partie, j'adresse un sourire ouvertement ironique à mon épouse et lâche d'un ton qui ne l'est pas moins:
"Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'elle se passe bien, mais tout de même, je n'imaginais pas notre nuit de noces ainsi..."
Cette plaisanterie me vaut un regard aussi noir que les souterrains de Sanssitr mais, après un instant d'hésitation, Sylënn finit contre toute attente par se fendre d'un léger sourire en coin:
"Après ta calamiteuse demande en mariage et nos pitoyables fiançailles, je commence à croire que tu le fais exprès!"
"J'avoue que les apparences ne plaident pas en ma faveur", lui rétorqué-je en riant avant d'ajouter avec malice : "mais fais-moi quand même une faveur: ôte ton armure avant de venir te coucher."
Ma réplique fait visiblement grincer des dents ma tumultueuse épouse, me faisant craindre d'avoir été trop loin, mais elle se borne à hausser les épaules en soupirant:
"Ne commence pas avec ça, tu veux? Tu sais très bien que..."
"Que tu as une peur bleue? Oui, je sais ma douce. Mais..."
"Je ne suis pas ta douce, par Sithi! Et je n'ai pas peur, c'est juste que... bon sang, tu me saoules! Arrête ça", gronde-t-elle rageusement!
Je pourrais lui répondre que je sais reconnaître la peur dans les yeux de quelqu'un lorsque elle s'y manifeste, mais tout ce que j'y gagnerais serait de la braquer davantage. Néanmoins je ne suis pas décidé à abandonner ainsi la partie, aussi je m'approche d'elle sans hâte afin de frôler sa joue d'une légère caresse, geste qu'elle accueille avec un brusque mouvement de recul en crachant entre ses dents serrées:
"Ça suffit! Laisse-moi tranquille!"
C'est à mon tour de hausser les épaules, non sans adopter une expression profondément blessée. Pure comédie de ma part, en réalité sa rebuffade ne m'atteint pas plus que ça car je sais qu'elle n'est pas vraiment dirigée contre moi, mais Sylënn ne paraît pas le réaliser car elle s'empourpre de honte et murmure d'un ton un peu penaud:
"Je...je suis désolée Tanaëth...je n'arrive pas à oublier..."
Lui souriant avec une certaine tristesse, non feinte celle-ci, je lui réponds doucement:
"Je peux aisément le comprendre, Sylënn. Ce n'est pas grave, ne t'en fais pas. Sur ce je vais aller m'allonger un peu, j'ai vraiment besoin de récupérer."
C'est sous le poids de son regard pensif que je m'exécute et ferme les yeux afin de me plonger dans l'état méditatif qui me permettra de me ressourcer. Mais, avant que je ne l'aie véritablement atteint, apaiser mes pensées en ébullition après tous les événements de ces dernières heures n'a rien d'aisé, j'ai la totale surprise de sentir soudain quelqu'un venir s'allonger auprès de moi! Ouvrant les yeux, je découvre avec effarement qu'il s'agit de mon épouse, et sans armure encore!
"Sylënn? Que..."
Un air gêné sur le visage, elle pose doucement un doigt en travers de mes lèvres et me murmure de me taire avant de se blottir contre moi, chastement certes, mais je n'en reviens tout de même pas! Me gardant bien de tout geste malencontreux, je passe tendrement un bras autour de ses épaules, savourant cette victoire imprévue plus amplement encore que celle que je viens de remporter contre mon ennemi.
Bien des heures plus tard, nous rejoignons la salle de réunion où se trouvent déjà plusieurs de mes compagnons: Elzekiël bien sûr, mais aussi Lydiël, l'archère Hinïonne, et Tylëas l'ancien Vagabond. Nyllyn et Yliria ne tardent pas à nous rejoindre, leur présence engendrant aussitôt une tension palpable que Lydiël s'empresse de rompre:
"Bien, puisque tout le monde est là, nous pouvons commencer j’imagine. Cher cousin, nous feras-tu cet honneur en nous expliquant tout ceci ?"
Je réprime durement une grimace lorsqu'elle prend la parole, l'intention est louable mais elle usurpe une fois de plus la place de mon épouse et cela finira par coincer sérieusement. Toutefois le moment est mal choisi pour l'inciter à la prudence. D'autre part il y a dans cette situation quelque chose qui me dérange fortement à titre personnel, aussi est-ce après avoir fixé sévèrement chacune des personnes présentes, exception faite des deux jeunes Elfes, que je prends la parole d'un ton dur:
"Je n'ai guère l'habitude de justifier mes actes, cousine, ceux qui ne sont pas prêts à me faire confiance sont libres d'aller voir ailleurs si j'y suis. Toutefois j'admets que la situation est particulière, aussi vais-je le faire cette fois."
Je marque une courte pause pour donner du poids à mes paroles, puis reprends:
"Sithi m'a demandé de protéger et de guider notre peuple, c'est exactement ce que je suis en train de faire. Dites-moi, combien de fois devrons-nous encore perdre notre patrie, combien de défaites devrons-nous encore subir avant de comprendre que la voie que prônent les Ithilausters ne mène nulle part? Ils nous incitent au racisme le plus primaire et nous isolent pour conserver leur main-mise sur le peuple, sur nous. Ils prônent notre supériorité sur tous les autres peuples dans ce même but, mais réfléchissez : avons-nous connu tant de succès et de bonheur que nous puissions nous flatter d'avoir fait mieux que les autres races? Croyez-vous vraiment que nos armées sont assez puissantes pour que nous soyons en mesure d'affronter seuls Oaxaca et ses hordes innombrables alors même que nous venons de perdre plusieurs de nos colonies? Alors qu'elle a réussi à menacer jusqu'à notre capitale et à trucider nos souverains?"
Nouveau silence, aussi pesant qu'une montagne, puis je poursuis:
"J'ai combattu les forces de cette maudite sur ses propres terres, j'ai affronté ses troupes et ses créatures parmi les plus puissantes et je vous l'affirme: sans alliés nous nous ferons écraser. Continuons à mépriser tout ce qui n'est pas Sindel, ou Hinïon, exactement comme vous êtes en train de le faire, et bientôt il nous faudra chercher une nouvelle terre, si tant est qu'il reste des Sindeldi pour fuir."
Je scrute chaque personne présente avec gravité, au cas où quelqu'un souhaiterait contester mes dires, mais comme cela ne semble pas être le cas j'enchaîne:
"Venons-en maintenant à la présence d'Yliria et Nyllyn. Elles font partie de l'Opale, comme d'autres membres de races étrangères, précisément parce que l'Ordre a conscience de ce que je viens de vous dire. Nous sommes présents sur Nirtim et en Imfitil, nous avons tissé là-bas des liens avec d'autres peuples: Hinïons, Thorkins, Humains et j'en passe, tout comme nous avons commencé à tisser ici des liens avec les Eruïons. Nos seuls ennemis sur ce monde sont ceux qui servent Oaxaca, pas une semi-Shaakte qu'aucun des deux peuples dont elle est issue n'accueillera jamais et certainement pas une Taurionne dont le peuple combat chaque jour les alliés d'Omyre en Imfitil. Ces deux jeunes femmes ont choisi de soutenir notre cause en rejoignant l'Opale, et vous les traitez comme des ennemies? J'ai honte d'être Sindel lorsque je vois pareilles réactions, et pas davantage je ne me glorifierais si j'étais un Hinïon, d'autant plus que vous vous êtes alliés aux Shaakts de Caix Imoros il n'y a pas si longtemps. Où est passée la prétendue sagesse légendaire de nos peuples, mes amis? Ne réalisez-vous pas que vous vous comportez exactement comme ceux que vous méprisez? Que vous, Sindeldi, cautionnez par cette réaction les agissements et dogmes de ce clergé qui a causé la destruction de notre monde d'origine? Ouvrez les yeux avant qu'il ne soit trop tard, je vous en conjure!"
Des paroles dures, certes, mais comment espérer ébranler des certitudes aussi solidement ancrées autrement qu'en les malmenant? Je ne suis et ne serai probablement jamais un diplomate, jamais je ne mâche mes mots, mais j'espère tout de même que mon discours enflammé saura faire réfléchir les personnes présentes. Après un bref silence qui me semble pourtant interminable, c'est Sylënn qui demande soudain abruptement:
"Qu'est-ce que c'est que cette histoire de liens avec les Eruïons? Ce sont nos ennemis depuis toujours, ils massacrent notre peuple et pillent nos villages, nos fermes! L'aurais-tu oublié?"
"A qui la faute? Nous les avons presque totalement exterminés, avons pris leurs terres et les avons cloîtrés dans un désert où ils ne subsistent que par miracle! As-tu seulement idée des conditions dans lesquelles ils survivent? Du nombre de leurs enfants qui crèvent parce qu'ils sont incapables de les nourrir? Ils n'ont d'autre choix que d'essayer de s'emparer de cette nourriture qui leur fait tant défaut, Sylënn, sans elle ils ne survivraient pas. Mais là encore, continuons sur la voie actuelle et nous serons sûrs d'une chose: ils rejoindront Oaxaca sans hésiter s'ils en ont l'occasion. Maintenant, tu as lu la lettre que m'a remise Nyllyn: le commandeur Tyrdann nous y informe avoir appris que les Eruïons s'agitent, ce qui corrobore ce que j'ai moi-même constaté lors de mon retour de Raynna. Or c'était un Sindel qui était la cause des troubles qui se préparaient, et d'après ses derniers mots il est clair qu'il n'agissait pas pour son propre compte. En cela Yliria pourrait nous être d'une aide cruciale, ne l'avez-vous pas presque tous prise pour une Eruïonne? Mais d'ailleurs, si j'ai bien compris les mots de Tyrdann, n'est-ce pas précisément pour cette raison que tu es venue, Yliria?"
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Tanaëth Ithil le jeu. 1 août 2019 03:44, modifié 1 fois.