Couché sur le dos, l'avant-bras gauche coincé dans la gueule abjecte d'une goule, je tente de me dégager d'un soubresaut frénétique et de rouler au sol pour éviter les griffes du monstre qui m'assaille; mais l'affamée accrochée à moi refuse obstinément de lâcher prise et son poids contrecarre mon geste qui, j'en prends conscience une fraction de seconde plus tard, ne suffira pas à m'épargner l'attaque féroce de la bête. Cette dernière me tombe littéralement dessus de tout son poids, les griffes de son bras valide cherchant à m'éventrer alors que sa gueule béante et putride s'approche dangereusement de ma gorge! Souffle coupé par l'impact, je ne m'en débats pas moins désespérément pour essayer de me dégager, mais la maudite pèse un foutu poids et tient bon; ses crocs se rapprochent inéluctablement de ma chair tandis que ses griffes dérapent sur les épaulières de mon armure en produisant un atroce grincement, cherchant une faille qu'elles ne tarderont sans doute pas à trouver.
La peur ne trouve pas aisément son chemin dans mon esprit, mais là je commence doucement à craindre que ce soit la fin de la route. Dévoré vivant par des goules, une fin effroyable qui me glace les sangs... et réveille en moi une rage mortelle déjà à fleur de peau depuis la vision que j'ai eue de mon ennemi en train de torturer Llyann. Lâchant mon Ardente quasiment inutile dans ce corps à corps, j'assène un violent coup de poing dans la trogne immonde de la bête, mais je pourrais aussi bien cogner contre les murailles de Nessima pour l'effet que cela a : c'est à peine si la tête de l'horreur pivote légèrement sous l'impact... Si cela suffit à me donner un infime répit du côté de sa gueule, les griffes de l'abjecte parviennent à s'insinuer au défaut de mon armure et me lacèrent si douloureusement l'épaule gauche que je ne peux retenir un hurlement de souffrance. Ni ma Vorpale, d'ailleurs, qui m'échappe de la main et tombe au sol dans un lugubre fracas métallique.
"Rhâaaa, saloperie" grondé-je sourdement, atterré de m'être ainsi laissé désarmer. Ne pas céder à la panique, ne surtout pas céder... la gueule de l'immonde se rapprochant à nouveau, je relève brutalement la tête de façon à ce que mon front heurte durement la face de la bête. Je suis récompensé de ma peine par un atroce craquement d'os brisés mais, bien que mon crâne soit protégé par le diadème de la mère d'Oaxaca, le violent choc me sonne si bien que je crains m'évanouir dans la foulée. Seul un colossal effort de volonté et la rage qui m'habite me permettent de rester conscient, mais pour combien de temps? Les griffes de l'horreur fouaillent toujours mon épaule, engendrant des vagues de souffrance que je peine de plus en plus à juguler et m'affaiblissant de seconde en seconde. A deux doigts de cette panique que je tente de repousser de toutes mes forces, je cogne frénétiquement de mon poing libre dans la tronche de la bête, encore et encore, faisant éclater ses chairs putréfiées et la peau de mes phalanges dans le même temps. Mais cela ne suffit pas, l'insensible créature n'a cure de la douleur, des os brisés ou des plaies infligées par mes reliques. A contrario mes forces déclinent aussi inexorablement que les crocs jaunis qui se rapprochent toujours un peu plus de ma gorge, avides de sang et de vie.
Mû par l'énergie du désespoir, je me cabre follement pour désarçonner l'ignoble, mais elle s'accroche férocement à mes chairs de ses griffes plantées dans mon épaule et rien n'y fait. En revanche, mes ruades finissent par dégager mon bras gauche de la mâchoire qui l'enserre depuis ce qui me semble être des heures, bien que seules quelques brèves secondes se soient écoulées.
(Ton arme! Récupère ton arme et massacre-là) hurle mentalement une Sindalywë plus inquiète que jamais!
Le conseil est bon, mais encore faut-il être en mesure de le suivre. Mes doigts fébriles tâtonnent un instant, ne trouvant que le sol et d'autres matières beaucoup moins recommandables. Ce simple geste engendre une souffrance terrible dans mon épaule déjà salement malmenée, mais j'arrive de justesse à la surmonter et, une seconde plus tard, mes doigts se referment enfin sur la poignée de ma Vorpale. Impossible de porter le moindre coup vraiment efficace bien sûr, coincé que je suis sous l'immonde, mais qu'à cela ne tienne: c'est avec le pommeau que je défonce brutalement la tempe de la créature, un coup si rude que, cette fois, la maudite est projetée sur le côté! Haletant, du sang et de la sueur plein les yeux, je roule hâtivement au sol pour m'éloigner un peu et parviens à me relever péniblement malgré mes jambes flageolantes. Je transfère aussitôt ma Vorpale dans ma main intacte, non sans frémir en réalisant que la bête est déjà sur le point de revenir à la charge, un constat qui me fait jurer intérieurement:
(Bordel, il faut quoi pour buter cette saloperie?!)
(Tranche-lui la tête!)
(J'aimerais bien, Sindalywë, j'aimerais bien...)
Je plisse les yeux afin d'y voir un peu plus clair, attendant l'assaut de la bête tout en lui préparant un chien de ma chienne: je dois achever ce combat dans les plus brefs délais, sans quoi... A l'instant où le monstre semble sur le point de m'atteindre de ses tranchoirs de corne, je pivote sèchement sur moi-même et dévie violemment le coup du plat de ma lame, ce qui écarte largement le bras menaçant et m'offre une ouverture béante. Je m'y engouffre en poursuivant férocement mon tournoiement, mettant toute la force qui me reste dans cette frappe certes un peu imprécise mais ô combien dévastatrice lorsqu'elle touche. Ma terrible relique Shaakte percute la tête de l'horreur avec une violence telle que la monstrueuse goule est projetée à terre, son crâne massivement défoncé laissant échapper quelques abjects morceaux de cervelle pourrie; Mais je réalise presque aussitôt avec une totale incrédulité qu'elle "vit" encore, même si cette fois le coup semble l'avoir bien ralentie car elle peine sérieusement à se redresser. Ecoeuré et rageur, je lui fonce dessus en hurlant, lève mon arme haut au-dessus de ma tête et l'abats sauvagement sur l'affreuse trogne qui se fend quasiment en deux sous l'impact. Elle doit être morte cette fois, mais je n'en ai cure et, sans cesser de hurler, frappe encore, encore et encore, totalement aveugle à toute raison. Je la réduirais en un tas de pulpe sanglante si la voix d'Elzëkiel ne finissait par me parvenir, comme étouffée par une longue distance bien qu'elle soit à moins de deux mètres de moi:
"C'est terminé Tanaëth, arrête! Arrête par Sithi! Elle est morte!"
Hébété, tremblant de tous mes membres, je finis par laisser retomber ma Vorpale ruisselante de matières peu ragoûtantes pour regarder ma cousine d'un air si absent qu'elle s'empresse de répéter ses paroles. Lentement, reprenant peu à peu mes esprits, je contemple l'ensemble de la scène aux allures de charnier, peinant à croire que c'est vraiment fini.
"Il... il s'est passé quoi? Les autres... Setaya et Aïlann...il faut s'occuper d'eux, ils..."
"Du calme! Tu n'es pas en état, avale une potion de soin, assieds-toi et reste tranquille! "
"Mais non, ça va aller, je t'assure..."
"Mais bien sûr! Une pichenette et tu t'écroules! Obéis par Sithi, je m'occupe des autres avec Lydiël et Illays."
Je suis bien obligé d'admettre qu'elle a raison, aussi acquiescé-je d'un hochement de tête avant de me saisir de ma gourde et d'avaler une grande potion de soin. Le breuvage me soulage notablement et fait cesser l’hémorragie de mon épaule lacérée, mais je sais fort bien qu'il me faudra des soins plus sérieux que ça avant longtemps si je ne veux pas risquer de perdre mon bras. Quoi qu'il en soit nous avons plus urgent à faire pour l'instant, Setaya est salement blessée au ventre et a subi plusieurs morsures, Aïlann a probablement la mâchoire brisée; Cërethil se vide de son sang par plusieurs plaies apparemment profondes et Tylëas est couvert de griffures et de morsures plus légères mais dangereuses de par leur nombre. Les autres semblent en meilleur état pour autant que je puisse en juger, pas indemnes mais encore capables d'agir et de stabiliser rapidement l'état des blessés les plus graves. Ce n'est qu'alors que je réalise ce que la situation implique: nous ne sommes plus en mesure de poursuivre notre mission, pas si nous voulons que nos compagnons survivent. Il faut d'urgence les emmener chez un guérisseur. Seulement, Llyann est toujours aux mains de son damné père pour ce que j'en sais et la seule idée de la laisser tomber me donne la nausée. Bien sûr il est envisageable qu'elle soit déjà morte, des heures se sont écoulées depuis ma vision, mais je n'aurai de cesse avant d'avoir une certitude, dans un sens ou dans l'autre.
"Vous pouvez vous débrouiller pour regagner la surface sans moi", demandé-je sombrement?
Ma parente me regarde comme si j'étais cinglé et gronde sourdement:
"Toi tu vas tout droit chez un guérisseur, cousin. Ce n'est pas en crevant que tu aideras Llyann!"
"Plutôt perdre la vie que la trahir. Je ne la laisserai pas, pas sans tenter l'impossible. Il doit y avoir des soldats dans le coin, maintenant, trouvez-les pour qu'ils vous aident à porter nos blessés et informez-les de la situation. Dès que possible, prévenez aussi Sylënn que je me rends chez Averenn pour lui faire payer sa trahison."
"Par Sithi, tu es plus têtu qu'une mule! Plusieurs goules ont réussi à détaler, et elles n'étaient pas seules. Que feras-tu si elles te retombent dessus?"
"Je les tuerai. Mais qu'entends-tu par "pas seules"?"
"J'ai aperçu une violente lueur au bas de l'escalier. Je suis convaincue qu'elles ont été dirigées vers nous par un mage possédant des fluides de lumière."
Je m'assombris plus encore à cette surprenante révélation. Un mage de Lumière, vraiment? Quid de la chape de ténèbres s'étant abattue sur mes compatriotes un peu plus tôt? Ce mage aurait-il pu "supprimer" toute lumière et ainsi engendrer cette obscurité? Je n'en sais rien, mais autant je me sens encore en mesure d'étriper quelques goules "normales", autant l'idée d'affronter un puissant mage, voire possiblement deux, m'inquiète: je ne suis pas armé contre la magie, même en temps normal, alors là... mais peu importe, je dois essayer. Vivre quand il est juste de vivre, mourir quand il est juste de mourir. Sithi en décidera, comme toujours. Elzekiël finit par rendre les armes devant mon obstination, mais je n'ai d'autre choix que de la laisser d'abord désinfecter et panser mes plaies, non sans trépigner d'impatience. Aussitôt qu'elle en a terminé je souhaite bonne chance à mes compagnons, du moins ceux en état de m'entendre, récupère mon Ardente traînant au sol et m'engouffre vivement dans les ténèbres en direction de la demeure de mon ennemi.
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Note GM:
-utilisation d'une grande potion de soin
-précision: la goule surpuissante est en réalité un Né du sang, ce que Tana et ses acolytes ignorent totalement, n'ayant jamais entendu parler de telles créatures.