Comté et Château de Mordansac

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Yuimen
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Comté et Château de Mordansac

Message par Yuimen » ven. 29 déc. 2017 12:54

Comté et château de Mordansac

Il s'agit de l'un des comtés les plus au sud de Valorian. Si autrefois le domaine a été très influent et riche, l'avènement de Tristan a mis un frein titanesque à l'économie du comté. En effet, le comte de Mordansac, Alankert, était l’adversaire le plus virulent de Tristan et a jusqu'à la fin été vu comme l'un des successeurs les plus logiques.

La disparition de ses enfants l'a cependant fait réfléchir et il a retiré sa candidature à la succession. Quelques ragots prétendent que le jour de l'intronisation de Tristan, un messager lui a rapporté la tête de sa fille et de son fils. Depuis, il vit reclus dans sa demeure, retiré de la vie politique.

Ses terres en ont pâti, la plupart de des troupes ayant été réquisitionnés par le duc tandis que les impôts accablent le comté comme nul autre. Beaucoup ont considéré Mordansac comme l'exemple de ce qui pouvait arriver aux ennemis du duc mais, maintenant que celui-ci n'est plus, la suspicion est grande quant à l'implication du comte dans la mort de son ennemi. Aujourd'hui, il reste à voir si oui ou non le comte reprendra la voie de la politique et tentera de saisir les rênes du duché.

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Corvus Salverac
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Re: Comté et Château de Mordansac

Message par Corvus Salverac » mar. 9 déc. 2025 20:40

De nos jours

Cela faisait maintenant quelques mois que Corvus cavalait avec ces maraudeurs qui l’avaient, sans le vouloir, arraché à sa destinée de taulard. En ayant aperçu sa marque au fer rouge à son épaule, signe distinctif des traîtres à la Couronne, le chef de la bande avait décidé de le garder captif. Toutefois, il n’était nullement dans ses intentions d’en faire un esclave ou un laquais. Un criminel de cet acabit pouvait être un atout ! Le prisonnier se vit offrir une seconde chance : celle d’être un homme libre, mais au service d’Igor Skarnulf, l’homme dirigeant la modeste troupe de maraudeurs. Ces brigands avaient pris pour habitude de ne jamais rester au même endroit très longtemps et, de ce fait, voyageaient beaucoup.

Si Corvus avait été repêché en Ynorie, leur route avait finalement dévié vers l’est, en direction d’un de leurs fiefs – si l’on pouvait l’appeler ainsi – situé au comté de Mordensac. Durant leur périple, le nouveau maraudeur avait pu lentement récupérer des forces, bien qu’il fût loin de sa forme d’antan. Si ce n’avait été qu’une question de force physique, il n’en aurait pas été aussi meurtri. Hélas, ce qu’il avait senti au fil de son incarcération s’était avéré… Il ne maniait plus aussi bien la lame, le combat à mains nues ni toute forme de pugilat. Son corps l’avait trahi, et il avait compris que sa rééducation prendrait plus de temps que prévu. Pour autant, il se révéla rusé et sut se rendre utile aux brigands libérateurs autrement qu’en tant que simple bagarreur. Ses connaissances de la milice, de ses usages, de ses méthodes permirent à la petite bande de toujours réussir à se faufiler à travers les points de passage et les villes.

Les mois passèrent, et Corvus avait retrouvé suffisamment de force et d’habileté pour être capable de tenir correctement une épée en main. Il avait su retrouver quelques couleurs au visage et, bien qu’il retrouvât également quelques couches de chair par-dessus ses os, la route était encore longue avant de redevenir le soldat qu’il fut autrefois. Le voyage prit fin alors que la troupe de malandrins établissait un camp de fortune dans une ruine à l’abandon, à environ trois lieues de la commune de Mordensac.
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La petite fumée du feu de camp improvisé s’élevait lentement dans le ciel sombre et bleuté de la nuit. Un plafond scintillant de mille feux, dont celui de l’astre lunaire formant un mince croissant. Igor Skarnulf, dit le Brise-Os, avait mené une partie de sa troupe jusqu’à Mordensac afin d’y intercepter un convoi de vivres et d’équipements. La logique du Brise-Os était implacable : le comté était en train de s’effondrer sur lui-même, en raison de l’absence de force politique. Le comte de Mordensac demeurait reclus entre ses murs, et nul ne parvenait à l’en faire sortir. Ainsi, même si la machine continuait de tourner, elle le faisait au ralenti et non sans peine.

Des malandrins comme Igor – et Corvus – s’en réjouissaient. L’ancien garde royal estimait que son chef avait raison : piller les convois censés collecter le labeur des paysans locaux serait une aubaine, car la sécurité était moindre. En vérité, Igor n’en était pas à son coup d’essai : deux à trois fois dans l’année, il revenait à Mordensac pour y mener la même opération. À force, lui et certains de ses hommes avaient fini par acquérir une certaine expérience. L’ancien garde parlait peu ce soir-là, préférant observer les étoiles tout en tentant de trouver le sommeil, plutôt que de bavarder. Ce plafond étincelant, dont il ne pouvait admirer qu’une infime partie il n’y avait même pas un an, était un spectacle qui lui apaisait autant l’âme que l’esprit.

Toutefois, il fut tiré de ses rêveries par Igor. Celui-ci le secoua légèrement, juste de quoi le réveiller, du bout de sa botte. « Salverac, j’ai à te parler. Suis-moi. » lança Igor, profitant que les quatre autres hommes dormaient à poings fermés pour s’isoler avec Corvus. L’homme se redressa, grinçant des dents : son dos le faisait souffrir depuis qu’il avait attrapé des rhumatismes dans sa cellule miteuse. La douleur s’était calmée depuis sa sortie, mais elle demeurait en arrière-fond. Il enfila l’épais manteau sur ses épaules robustes et suivit Igor, qui l’emmena un peu plus loin, en contrebas des ruines, afin de ne point se faire entendre.
— Igor ? On a un problème ? demanda Corvus, perplexe devant cette entrevue à huis clos.
— Pas un problème, mais une affaire en cours. rétorqua Igor, qui peinait à masquer une pointe de tension dans son attitude. Tu ne nous accompagneras pas demain pour le raid, j’ai besoin de toi ailleurs. Trousser des manants, ça on sait faire. Igor marqua une pause, avant de poser fermement une main sur l’épaule de sa nouvelle recrue, la tapotant d’une poigne solide. Faire les poches à Alankert de Mordensac, dans sa demeure, avec les quelques miliciens qui rôdent… Seul un gars qui leur ressemblait autrefois peut le faire, tu me suis ?

Un larcin, donc. Corvus acquiesça. Il se serait menti à lui-même s’il n’avait pas trouvé l’idée exaltante : partir en mission secrète, s’infiltrer dans la demeure d’un noble, braver le danger et, peut-être, garnir quelque peu ses propres poches. C’était assurément plus divertissant que de tomber sur une caravane pour la piller. Tout un flot de questions naquit dans son esprit : quels étaient les dangers ? Quels étaient les mouvements des gardes ? À quelle heure agir, et comment ? Mais il se doutait bien qu’Igor n’était pas stratège, ni du genre à préparer ses coups avec minutie. Il se contentait de donner un ordre, et les autres devaient se débrouiller. Corvus, en fin de compte, n’avait qu’une seule chose à lui demander.

— Et que dois-je lui prendre à ce cher Alankert ? Un tableau ? lança Corvus, avec une pointe de sarcasme dans la voix. Dans son esprit, il ne voyait pas ce qu’un vieux noble dont le domaine déclinait pouvait bien garder qui valût tant aux yeux d’Igor. Ce dernier rétorqua brièvement qu’on lui avait appris que le comte gardait dans sa demeure une cassette scellée, renfermant des objets de grande valeur, dont certains avaient appartenu à sa défunte épouse. La sécurité serait moindre, car une partie des gardes serait réaffectée à d’autres convois destinés à la collecte des vivres auprès des sujets. C’était donc un moment idéal pour passer à l’acte.
— Demain, nous franchirons les derniers lieux nous séparant des ateliers et des cultures au nord du château. Au crépuscule, pendant que nous attaquerons le convoi, toi, tu prendras la route du château. La nuit couvrira ton passage dans la demeure de Mordensac. Tu nous rejoindras ici, dans ces ruines : ce sera notre point de chute avant que nous ne mettions les voiles vers Haenian pour y écouler notre butin. Le plan était bien ficelé ; il ne restait plus qu’à l’exécuter. Corvus hocha la tête, acquiesçant, sentant que la journée du lendemain serait périlleuse, mais avec son lot de divertissements.


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Igor Skarnulf (à droite) confiant la mission d’aller voler le comte de Mordansac à Corvus (à gauche)

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Corvus Salverac
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Re: Comté et Château de Mordansac

Message par Corvus Salverac » mer. 10 déc. 2025 21:11

Le lendemain

La troupe de bandits avait passé la journée à faire du repérage. Il leur fallait d’une part localiser l’endroit où ils pouvaient intercepter la charrette d’équipements, et d’autre part recueillir des informations sur les accès menant à la demeure du comte. Chacune de ces deux missions avait ses particularités, ses forces et ses faiblesses. Corvus savait bien que s’introduire dans le foyer d’un seigneur n’aurait rien d’une sinécure ; il redoubla donc d’efforts pour examiner les environs. L’ancien milicien usait de ses vieilles compétences pour déterminer l’itinéraire des patrouilles, les voies d’entrée et de sortie, ainsi que les possibles goulets d’étranglement.
Il nota alors un premier problème, et non des moindres. Les murs étaient hauts, et les gardes - bien que peu nombreux par manque de moyens - lui interdisaient tout passage par l’accès principal. Il devrait donc emprunter une voie détournée pour pénétrer dans l’enceinte. Plusieurs options s’offraient à lui, mais aucune n’était parfaite. La plus viable consistait à escalader le mur à l’endroit où il était légèrement moins élevé. Heureusement, la paroi était constituée de lourdes briques dont les aspérités proéminentes facilitaient l’ascension. En d’autres termes, il pourrait grimper sans équipement. Il se refusait à employer une corde, de peur de laisser une trace compromettante, et craignait qu’elle ne le ralentisse dans sa retraite.

— J’escaladerai le mur sur la façade sud, en prenant appui sur les pierres. Le soleil en journée aura - je l’espère - asséché leur surface, ce qui les rendra moins glissantes, confia-t-il à Igor en lui exposant le fruit de son repérage et le plan envisagé pour dérober la cassette du comte de Mordansac. Une fois le mur franchi, il gagnerait l’écurie, puis la résidence où devait se trouver le butin. Par manque de temps et de renseignements, Corvus ne put déterminer à l’avance dans quelle pièce l’objet serait conservé. Toutefois, il devinait qu’un tel bibelot devait reposer dans un lieu où l’on gardait les effets personnels : les appartements privés du comte, ou son cabinet.
Le soir venu, Corvus mit son plan à exécution. Comme annoncé au Brise-Os, il s’enveloppa de la pénombre nocturne pour échapper aux maigres patrouilles autour de la demeure. Il longeait les murs, avançant à pas feutrés pour ne produire aucun bruit. Pourtant, à plusieurs reprises, il faillit être trahi : son corps, encore meurtri par les années de geôle, manquait de souplesse. Une branche sèche qui craquait, un genou qui flanchait… mais il parvint malgré tout à demeurer assez discret pour ne pas éveiller l'attention les gardes.
L’ascension du mur ne fut guère plus clémente. Si Corvus conservait l’habileté d’évaluer une surface, d’en sentir les reliefs et les rugosités, son corps n’obéissait plus aussi promptement qu’autrefois. Il inspira profondément, jaugea la hauteur, puis s’élança. Sa botte trouva appui sur une brique érodée, tandis que ses doigts, serrés au maximum, cherchaient leur prise. Il accrocha la pierre du bout des phalanges, créa la tension nécessaire dans ses bras, puis se hissa. Sa mémoire musculaire - affaiblie mais tenace - refit surface. Les exercices de caserne revenaient à son esprit : grimper, franchir, surmonter. Des gestes autrefois répétés sans y penser.

Il grinçait des dents, sentant ses muscles se tendre, son dos protester. L’effort ne pesait pas tant sur ses mains ou ses pieds, mais sur l’ensemble de son corps, encore fragile. Tel un animal tout juste tiré d’hibernation, il soufflait, râlait, luttant contre la pesanteur et la douleur.
Un instant faillit le perdre : la pierre se déroba sous sa main tremblante, la sueur faisant glisser sa peau contre la doublure de ses gants. Son souffle se coupa net ; le vide sembla l’aspirer. Par réflexe, il s’agrippa de toutes ses forces de l’autre main, ses doigts crispés jusqu’à la brûlure. Il resta immobile quelques secondes, haletant, avant de reprendre son ascension. Par chance, il n’était plus qu’à un demi-mètre du sommet. Il persévéra, le front trempé, la respiration brisée par l’effort. Enfin, il passa un bras par-dessus le rebord, se hissa, puis se laissa tomber de l’autre côté dans un tas de paille. Il n’avait pas choisi la façade sud au hasard : les écuries se trouvaient là, et il avait parié - avec justesse - sur la présence d’une litière pour amortir sa chute et lui offrir une voie de repli.
— Une bonne chose de faite… pensa-t-il.
Il était désormais intrus en territoire ennemi. Ses pas prudents - encore tremblants - le menèrent vers la demeure. Il profita d’un court instant où le garde de l’entrée s’éloignait pour satisfaire un besoin naturel, puis se glissa dans la bâtisse. Courbé, ses yeux allant de droite à gauche comme un pendule, il avançait sans bruit. Il savait que sa mission ne tenait qu’à un fil : s’il était repéré, il retournerait en geôle… ce qu’il refusait avec une rage froide. Autrefois, un tel exploit eût été simple. Aujourd’hui, chaque geste lui rappelait la ruine de son propre corps. Il fallait se reconstruire, ou périr.
Il ne sut combien de temps il lui fallut, mais il atteignit finalement le cabinet du comte. Une pièce austère, où des étagères chargées de livres et de parchemins encombraient les murs. Une unique chandelle éclairait faiblement la table ronde au centre. L’air sentait le renfermé, chargé d’effluves rances. Des registres étaient abandonnés en piles irrégulières, certains ouverts comme si le comte les avait consultés avant de renoncer. Une tasse métallique portait les traces séchées d’une décoction oubliée. Ici, aucune fenêtre ni lucarne : la pièce semblait coupée du monde. Corvus plissa les yeux. La pénombre drapait chaque recoin, avalant les détails. Par précaution, il referma l’épaisse porte derrière lui pour étouffer tout bruit. Ses yeux balayèrent la pièce, où ne régnaient que bois, papier et bibelots poussiéreux.

La recherche s’annonçait longue…

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Corvus Salverac
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Re: Comté et Château de Mordansac

Message par Corvus Salverac » dim. 14 déc. 2025 01:40

La fouille se devait d’être rapide et discrète. L’ancien soldat ne pouvait guère s’offrir le luxe du temps : il devait agir vite. Mais comment retrouver l’objet convoité au milieu d’un tel désordre ? On aurait dit que cette pièce avait été abandonnée par le maître des lieux. La poussière y était si dense qu’elle avait rongé certains ouvrages, les rendant presque illisibles. Corvus ne disposait que d’une description superficielle de l’objet recherché. Igor lui avait expliqué que le bibelot en question était une relique ayant appartenu à la défunte épouse du comte de Mordansac. Il avait rapidement deviné qu’il devait s’agir d’un bijou ou d’un autre objet de grande valeur. Celui-ci était, selon toute vraisemblance, enfermé dans une cassette.

C’était donc cela qu’il cherchait. Son instinct l’avait poussé à commencer par le cabinet du comte, là où le notable devait rédiger ses ordres et ses documents administratifs. Mais plus les minutes s’égrenaient, plus l’inquiétude grandissait. Si l’objet ne se trouvait pas ici, il y avait de fortes chances pour qu’il fût conservé dans les appartements privés du comte, ce qui rendrait la mission bien plus périlleuse. Corvus n’était guère désireux de se retrouver de nouveau aux mains de la milice. Il déglutit, fouillant la pièce du regard, cherchant le moindre indice susceptible de le guider. La faible lumière de la chandelle n’aidait que très partiellement, les ombres mouvantes compliquant davantage sa concentration.

Après un moment, l’intrus posa son regard sur le bureau, au fond de la pièce. Il n’y avait ni tiroirs ni cache dissimulée, seulement un amas de papiers et d’enveloppes, accompagné d’une plume et d’un encrier fermé. Corvus entreprit d’examiner les lettres, en déplaçant certaines afin de vérifier ce qui se trouvait dessous, au cas où la cassette s’y serait trouvée par quelque hasard providentiel. L’idée pouvait sembler vaine, mais il s’en serait voulu de négliger le moindre recoin avant de repartir bredouille.
C’est alors que son attention fut captée par un détail. Son expression se figea, ses yeux trahirent une brève stupéfaction avant que ses sourcils ne se froncent. Une lettre au cachet singulier reposait là, bien en vue. Un pictogramme issu d’un passé qu’il aurait préféré oublier. Le sceau royal était devant lui, imprimé dans la cire d’une enveloppe ouverte. Corvus en oublia un instant sa mission première et, presque machinalement, en parcourut le contenu. Il s’agissait d’un ordre de réquisition militaire émanant de Kendra Kâr, destiné à renforcer un campement situé à l’ouest du royaume, près de Breen. La perplexité s’empara aussitôt de l’ancien garde royal. Si le document pouvait paraître légitime aux yeux du profane, il éveillait bien des soupçons chez un homme rompu aux usages de l’administration royale. Certaines tournures de phrases lui semblaient peu conventionnelles — le ton était trop direct, presque déplacé pour une ordonnance militaire — et plusieurs demandes manquaient de cohérence.

Son premier réflexe fut de reposer la lettre et de reprendre ses recherches afin de remplir la mission confiée par Igor. Pourtant, il demeura immobile. La vue du sceau avait réveillé en lui des souvenirs enfouis, ceux d’une autre existence, d’un homme qu’il avait été autrefois. Il acheva la lecture de la missive, puis la retourna afin d’examiner de nouveau le cachet qui avait attiré son attention. Corvus se gratta le menton, pensif, puis s’approcha à pas feutrés de la chandelle pour mieux éclairer la cire. Il observa le sceau sous différents angles, effleurant sa surface du bout de l’index afin d’en sentir les reliefs. Il inclina légèrement l’enveloppe, cherchant à capter la lumière sous un autre jour. Quelque chose clochait. Il ne saurait dire quoi précisément, mais sa mémoire visuelle — et même gestuelle — lui hurlait qu’il ne s’agissait pas du véritable sceau qu’il avait côtoyé durant ses années de service. Un détail infime le troublait, renforçant peu à peu sa certitude. Ce cachet n’était pas authentique. Plus il l’examinait, plus le doute s’effaçait : il s’agissait d’une imitation, remarquable certes, mais d’une imitation malgré tout.
— Par les dieux… c’est un faux, pensa-t-il, désormais convaincu de la supercherie et, par extension, de la fausseté du document. Une ou plusieurs personnes se faisaient passer pour des représentants légitimes de la Couronne afin d’obtenir des ravitaillements — militaires, à en juger par le contenu de l’ordre. Breen semblait être un point de livraison pour les individus impliqués. L’idée de s’y rendre traversa l’esprit de Corvus. Il se ressaisit aussitôt. Pourquoi irait-il là-bas ? Pour enquêter, encore ? Cette manie de s’immiscer là où il ne le devait pas avait déjà précipité sa chute. Que gagnerait-il à agir ainsi ?
Soudain, un craquement sec résonna derrière l’épaisse porte de bois. Corvus tourna vivement la tête, sa main se posant instinctivement sur le pommeau de son épée. Son cœur se mit à battre furieusement, une chaleur sourde lui nouant les entrailles. Avait-il été repéré ? Une lueur filtrait sous le seuil de la porte, indiquant la présence d’une source lumineuse à l’extérieur — sans doute une torche portée par un garde.
— Je ne peux pas rester ici, songea-t-il, en alerte. Il n’eut toutefois guère le temps de se mouvoir davantage : la porte s’ouvrait déjà. Le garde entrait.
Corvus n’eut que quelques secondes pour réagir. Il se déporta d’un pas rapide sur le côté et se glissa avec agilité derrière une lourde armoire de bois, située à gauche du seuil. De cette position, il se retrouverait dans le dos du garde si celui-ci pénétrait entièrement dans la pièce. Le cœur battant à tout rompre, il retint son souffle, prêt à fondre sur l’homme au moindre faux pas.

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Corvus Salverac
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Re: Comté et Château de Mordansac

Message par Corvus Salverac » dim. 14 déc. 2025 16:53

La tension grandissait. L’épaisse porte en bois grinça à mesure que le garde, prudent, pénétrait dans la pièce. Il avait entendu du bruit venant d’ici et, tout naturellement, avait décidé de venir y jeter un œil. Sans doute pensait-il avoir ouï une souris, ou quelque autre rongeur ayant élu domicile dans la demeure à la faveur de sa dégradation et du manque d’entretien. Les nuisibles n’étaient pas rares dans ce genre d’endroit, à l’inverse du reste de la bâtisse, qui se voulait plus propre et mieux tenue. Ce cabinet, après tout, n’était utilisé qu’à de rares occasions.

Cela n’empêcha nullement le garde de s’avancer pleinement dans la pièce. Corvus serra la mâchoire, ne voyant désormais que deux options s’offrir à lui : tenter la fuite en passant derrière l’homme armé pour refermer la porte dans son dos, ou chercher à le neutraliser. Chacune présentait ses avantages et ses risques. La première comportait un danger évident : Corvus n’était plus aussi agile ni furtif qu’autrefois, et une erreur suffirait à le faire rattraper. Le garde donnerait alors l’alerte, compromettant toute la mission. Cette option fut rapidement écartée.

Dans son esprit, la solution s’imposa avec une clarté glaçante : il lui faudrait mettre cet homme hors d’état de nuire, et vite, avant qu’il ne puisse porter la corne à ses lèvres. Corvus savait précisément quoi frapper — et où. Il observa sa cible, de dos. Le garde scrutait les lieux de droite à gauche, à la recherche d’un rongeur ou de toute autre présence indésirable pouvant expliquer le bruit. Son équipement était sommaire : une épée de facture moyenne pendait à sa ceinture, accompagnée d’un pourpoint et de gants usés. À en juger par son accoutrement, le comte n’avait manifestement plus les moyens d’assurer une garde digne de ce nom. Jadis, Mordansac était connu pour sa rigueur et sa fierté ; le contraste était frappant. Corvus n’en éprouva aucune compassion. Cette misère jouait en sa faveur : le garde semblait pouvoir être neutralisé sans trop de peine. Du moins l’espérait-il. Il déglutit, puis s’approcha lentement, mesurant chacun de ses pas, posant le pied avec précaution pour ne produire aucun bruit. Mais la malchance s’en mêla. À l’instant même où il s’apprêtait à poser les mains sur sa cible pour l’étouffer, le garde se retourna afin de quitter la pièce… et se retrouva face à un intrus.
— Qu’est-ce que… ?! s’écria le veilleur, pris de court.
Corvus n’eut qu’une poignée de secondes pour réagir. L’essentiel était d’empêcher toute alerte. Un ancien réflexe, hérité de sa formation passée, prit le dessus. Sa paume droite jaillit et frappa violemment la glotte du garde. Le coup, bref mais précis, lui coupa net la respiration. L’homme toussa brutalement, laissant échapper la corne qu’il s’apprêtait à porter à sa bouche. Corvus réagit aussitôt, décochant un coup de pied sec qui envoya l’instrument rouler à l’autre bout de la pièce.
— C’est entre toi et moi, murmura-t-il d’une voix basse et dure.
Peut-être se montrait-il trop confiant face à un homme encore jeune et entraîné. Car au lieu de répondre par un coup de poing, le garde saisit un lourd ouvrage posé à portée de main et le projeta de toutes ses forces. Corvus eut à peine le temps de lever les bras pour protéger son visage. Le livre le frappa de plein fouet, soulevant un nuage de poussière qui l’aveugla.
— Scélérat ! cria le garde de Mordansac.
Profitant de la confusion, il se rua sur Corvus pour le faire basculer à la renverse. Il parvint à poser ses mains sur lui, mais ne réussit pas à le faire chuter. Les dents serrées, Corvus lutta contre la prise qui tentait de le verrouiller. Il se pencha brusquement et asséna un violent coup de tête, qui fit reculer son adversaire.

Saisissant l’ouverture, Corvus arma son bras et frappa de toutes ses forces, engageant le poids de son corps dans le mouvement. Son poing heurta la mâchoire du veilleur avec un bruit sourd. Une gerbe de sang jaillit, accompagnée d’un râle de douleur. Mais loin de l’abattre, ce coup ne fit qu’attiser la fureur du garde. Celui-ci se ressaisit aussitôt et riposta avec habileté, envoyant un poing fermé dans le ventre de Corvus. L’air lui quitta les poumons dans un râle guttural. Le pugilat s’installa, brutal et désordonné. La pièce, trop étroite et encombrée, rendait l’usage des épées impossible. Les deux hommes durent se contenter de leurs poings et de ce que le cabinet offrait à portée de main. Corvus songea un instant à saisir le chandelier pour frapper, mais renonça aussitôt : le risque d’incendie, au milieu de tant de livres et de parchemins, était trop grand. Mettre le feu à la demeure signerait sa perte. Les coups pleuvaient sans grâce ni calcul. Rien d’un duel maîtrisé : seulement deux corps s’affrontant avec une violence animale, cherchant à mettre l’autre à terre par tous les moyens. Autrefois, Corvus aurait maîtrisé cet homme en quelques secondes à peine. Les gardes royaux recevaient un enseignement poussé du combat à mains nues, destiné à neutraliser toute menace approchant la famille royale.

Mais près d’une décennie passée à croupir en cellule, sans entraînement ni discipline, avait émoussé ce savoir. Pour l’heure, Corvus devait se battre comme il le pouvait — avec rage, instinct et douleur.

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