Avec la grâce d’un éléphant dodu, ficelé dans des vêtements en dessous de ses besoins, Sally nous dépose un plant fumant, où baignent dans une sorte de soupe grasse des morceaux de chairs blanches, vraisemblablement du poisson. Le tout est un aspect franchement peu ragoûtant du plat et j’en aurais invité Vissélion à examiner mon problème dans l’instant, si les effluves du plat n’avaient pas aguiché mon nez. Car oui, il est bien question d’odeurs alléchantes qui invitent mon palais dans ce balai de senteur. Le poisson est frais, bien plus que celle qui l’a cuisiné. Les nombreux légumes qui composent la soupe ont gardé la couleur et la saveur qu’on attend d’un plat succulent. Carottes, navets, pomme de terre et poireaux ont un goût succulent mangés individuellement, mais la prouesse culinaire se révèle lorsque l’on mange tous les mets d’une seule bouchée. Une cascade de saveur emporte les papilles, faisant frétiller la langue de plaisir. Les arômes sont dosés avec précision et tout dans ce plat, absolument tout, s’oppose à l’aspect visuel et désastreux de l’auberge. Il en est de même pour la boisson. Une bière assez forte, mais à l’amertume qui se marie plutôt bien avec le plat. Finalement, à défaut de l’accueil, il faut avouer que le plat est à la hauteur du troc, plus élevé que le maigre médaillon que Mathis avait proposé pour l’ensemble du groupe.
Je mange avec appétit, me délectant de ce met, quand la porte s’ouvre. Jusqu’ici, nous avons été les seuls à franchir le seuil et forcément, ça attire l’attention de tout le monde. C’est Alériia qui revient. Apparemment, les négociations se passent à merveille. Yliria a envoyé la harpie pour que nous partions en quête d’individus pouvant faire la différence. Je suppose qu’elle fait référence au Dragon Noir en disant cela. Notre guide propose de nouveau ses services dans cette tâche tandis qu’Yliria finalise l’alliance : la protection de la cité et de son Titan, contre toutes les ressources possibles dans notre chasse au dragon. Précisant que nous reverrons nos ambassadrices bientôt, elle termine en disant que Guigne prend soin d’elles.
(Prendre soin, c’est-à-dire ?)
Je ne suis pas le seul à me poser la question, Akihito semble penser comme moi, mais visiblement il n’y a rien à craindre. D’après Aleriia, elles ont trouvé la façon d’aborder la reine en place, s’acclimatant rapidement à l’entourage de sa majesté. Elle précise en se mordant les lèvres, être jalouse d’elles et reviendront décontractée. Si l’entretient se déroule bien, une solide alliée sera à nos côtés.
(Décontractée ? Parlementer avec la reine est si stressant que cela ?)
(La dernière fois que tu as vu la royauté, tu as passé une partie de ton temps la main à tâter ton entrejambe. Tu n’as pas vraiment mis la barre très haute !)
(Merci pour ce rappel, j’avais oblitéré ces souvenirs de ma mémoire !)
"Je savais qu’on pouvait compter sur Yliria ! Bien, il était question de personne pouvant faire la différence, tu peux nous en dire plus ? Serre-toi si tu en veux !" Dis-je en désignant le plat et pensant que son mordillage vient d’un soudain appétit à cause du plat de Sally.
Si l’odeur est alléchante, cela ne satisfait pas à la harpie qui semble avoir une alimentation différente. Concernant ces fameux individus, elle précise à Mathis que c’est Guigne qui les a évoqués et pensant savoir de qui il s’agit, elle se propose d’aller voir avec nous des gueules cassées, plutôt énervés niveaux force, avant de finalement soumettre l’idée d’attendre les filles. Une déclaration qu’Akihito approuve, lui voulant au préalable trouver une nouvelle besace pour remplacer l’ancienne.
"Les attendre serait plus sage, surtout s'ils sont plutôt énervés. Reste à savoir quand la reine aura fini avec nos ambassadrices. Mais il y en a peut-être d'autres que nous pourrions contacter, d'autres plus...pacifiques. Néanmoins, je dois toujours m'entretenir avec Visselion." Fais-je en me tournant vers l'intéressé.
"On peut le faire après le repas si cela vous va toujours."
Vissélion est prêt pour l’examen. Est-ce la promesse d’une énigme dont il aimerait percer le mystère qui l’a fait manger rapidement ? Toujours est-il que mes craintes concernant mes fouets refont surface. Sont-ils issus de la magie de la Lande Noire ? Ai-je été transformé par le rayon du sceau principal ? Ai-je subi une forme de corruption qui pourrait se répercuter sur mon esprit, un peu comme cette étrange impression lorsque nous avons foulé le sol de la Lande Noire après notre départ d’Esseroth ? J’ai des peurs quant à ce que je vais apprendre, mais ces fouets sont là et savoir le risque que j’encoure ne les fera pas disparaître ni tomber. J’ai besoin de réponse, si réponse il y a. Je termine de manger et croise son regard.
"Soit ! Battons le fer tant qu’il est chaud !" Puis m’enquière des autres.
"J’ignore combien de temps cela va nous prendre, vous comptez faire quoi ? Rester ici ou chercher ces fameuses personnes ?"
Visiblement, ils comptent faire le tour des magasins pour s’équiper, avant de rencontrer les moins énervés du lot. Ils quittent l’auberge et ce n’est que lorsqu’ils sont hors de portée de voix que Vissélion lui, s’enquiert du sujet que je voulais aborder. Cependant, bien que les autres soient partis, je ne compte pas me dévoiler devant Sally. J'invite donc Visselion à me suivre et m'en vais quérir notre hôtesse.
"Sally le repas était délicieux ! Pouvez-vous nous dire où se trouvent nos chambres ?"
"A PEINE SEPARES, ET VOUS ALLEZ DEJA BAISER ?" Balance-t-elle avec un sourire carnassier.
(…)
(Pfff hahaha ! Toi et Vissélion, quelle blague ! Hahaha !)
(…)
Je suis sur le cul. Incapable de répliquer, je vois Sally et son sourire, tendant une clef et précisant que c’est la chambre trois en haut, pointant l’escalier pour s’y rendre. A mes côtés, Vissélion ne pipe mot. Focalisé sur la grosse Sally, je ne peux qu’imaginer sa stupéfaction devant la pensée de notre interlocutrice. Elle me tend d’ailleurs une clef grasse que je prends par deux doigts, même s’il me faut un peu de temps avant de baisser le bras et encore plus pour digérer cette absurdité. Je finis par me rendre dans la chambre en question, suivi de près par Vissélion. Je m’attendais à voir ressurgir mes craintes concernant mes fouets et l’origine dont ils sont issus. Les choses sont déjà faites, les fouets sont déjà présents en moi, mais surtout, l'allusion de Sally chasse toutes formes de craintes. Je me tourne vers Visselion, paumes orientées vers le plafond dévoilant une cicatrice en forme de croix au creux de chaque main.
"Je...voyez vous-même !" Je laisse sortir deux fouets d'un mètre de long. Cette fois-ci, ils ne gigotent pas autant que lors de la présentation pour Yliria, mais ils laissent l'impression d'être ballottés par un vent inexistant.
La vue de mes fouets sortant de mes mains surprend le sorcier de la Lande. En même temps, le contraire aurait été surprenant. On ne s’attend pas à voir pousser un aussi grand poil dans la paume de la main. Une fois la surprise passée, Vissélion s’approche pour étudier à distance, me demandant si j’ai toujours été pourvu de ceci. Il les scrute attentivement avant de finalement me demander s’il peut les toucher. C’est pour avoir des réponses que j’ai voulu m’entretenir et m’isoler avec lui. Je lui laisse donc la possibilité d’y toucher, précisant un peu plus ce qui m’est arrivé.
"C'est apparu au lendemain de notre résurrection. J'ai fait un étrange rêve dans lequel j'ai vu le rayon de la Lande, mais Zacara pense qu'il n'y a pas de lien. La toute première fois que je les ai vus, c'était mon double dans le cristal qui les possédait !"
Me demandant si j’en ai le contrôle, il évoque la puissance de la Lande, capable de provoquer des mutations. Puis c’est mon double du cristal qui l’intrigue, laissant entendre que la magie du juge serait responsable de mon état. Enfin, la dernière possibilité qu’il émet, étrange, folle, curieuse, serait que ces fouets étaient déjà là, présent en moi, éveillés par les derniers événements.
"Les maîtriser ? Oui je m'y attelle, j'apprends encore. Zacara m'a encouragé à les contrôler avant que eux ne me contrôlent ! J'y arrive dans une certaine mesure et si... j'arrive à dompter mes émotions !" Ce faisant, je les déploie davantage, les poussant jusqu'à atteindre la limite de trois mètres chacun et le contrôle s'en fait plus compliqué.
"J'ignore tout de leur origine. Une mutation de la Lande ? Un effet provenant de ma première venue dans la Lande Noire il y a de cela un petit moment ? Je n'en sais rien. Vous...vous avez évoqué avec Yliria une forme de corruption du rayon, vous...vous pensez que j'en suis atteint ?"
La question est posée et parmi toutes mes craintes, c’est celle qui prend le plus d’ampleur en moi. La possibilité qu’une forme de corruption puisse m’avoir atteint, change mon être et pouvant même influencer mon esprit m’effraie. Je commence à prendre l’habitude de changer de corps ou de le voir se modifier à force d’user de notre magie : dragon, essérothéen, homme-bête et j’en passe. Cependant être changé en profondeur est une tout autre histoire. Est-ce que je risque de changer de mentalité, de façon de penser ou d’agir, devenant une version plus sombre, plus froide, plus cruelle, comme mon double de cristal ? Cependant, si Vissélion ignore où se situe l'origine de mes fouets, il exclue assez rapidement toute forme de corruption. Je n’y ai pas été exposé de manière directe et si tel était le cas, je ressemblerais davantage aux pauvres hères des profondeurs d’Elscar’Olth et non à un être humain doté de tentacules.
"Un humain tentaculaire hein !" Dis-je en esquissant un sourire amère.
(S’il m’avait vu à Messaliah !)
(Ha ça, il est pas loin de la vérité avec ta transformation dans le désert !)
(Oui et d’ailleurs, c’est une chose à laquelle je voulais aussi lui parler.)
"Cela me fait penser, j'ai usé d'un sort pour accroître les capacités de mon propre corps. J'y ai obtenu une vigueur stupéfiante et une maîtrise absolue de mon corps. Quand j'y pense, je me dis que nous devrions user d'un tel sort sur nous tous et vous en particulier. Vos capacités à canaliser nos débordements magiques et à les endurer seraient de loin supérieures à ce que vous êtes capable actuellement !"
Il réfléchit, mais plus encore, un voile d’hésitation apparaît sur son visage. Vissélion, hésiter ? Voilà bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas sur le sujet de la magie et le concernant directement. Il est effectivement intrigué par la possibilité de canaliser avec une meilleure efficacité nos débordements magiques, il craint de ne pouvoir contrôler les effets d’un sort qui le ciblerait directement. Une réponse qui me déçoit beaucoup car j’avais des espoirs à ce sujet. Nos usages répétés de la magie ont montré que nous ne pouvons trop en demander au sorcier. Lui-même finira par être éprouvé par ces débordements et ce sort nous aurait permis d’avoir une plus grande aisance dans nos usages à venir. Néanmoins, les arguments ont du sens et sont particulièrement imparables. Mes fouets n’étant plus le sujet actuel, je préfère les rentrer dans mes bras. S’il peut être normal de les montrer à la vue de tous, j’ai cette étrange sensation de me dévoiler presque intimement, comme une mise à nu. Jusque-là, seule Yliria en a été une observatrice privilégiée. Je n’avais pour Zacara et Vissélion qu’un besoin d’analyse et de compréhension de leur part.
"Je vois ce que vous voulez dire. Il faudrait dans ce cas trouver quelqu'un disposant de capacités similaires aux vôtres... à moins qu'on le puisse nous ! Vous pensez que c'est possible ? Un groupe qui lance le sort et un autre qui tâche d'en contenir les débordements ?"
Si l’idée peut paraître étrange, elle est à tester selon lui et réitérant ce qu’il avait déjà mentionné, tout sorciers de la Lande serait en mesure d’agir comme lui et il y a certainement quelqu’un à Elscar’Olth avec le cran d’assumer le risque encouru.
(Le risque ? Quel risque ?)
"De quel risque parlez-vous exactement ? Une sorte de contrecoups similaire aux pouvoirs de Zacara ?" Fais-je poussé par la curiosité.
"Le risque de se retrouver au milieu de l'une de vos catastrophes magiques."
"Ha oui...ce risque-là ! Mais si effectivement vous ne pouvez canaliser un sort qui vous cible, dans la mesure où l'on souhaite accroître vos capacités, il faudra qu'un autre sorcier de la Lande nous rejoigne comme vous l'avez fait pour éviter les débordements qui vous ciblent !" Je me mets à soupirer avant de poursuivre.
"Pas la peine de se lancer dans des suppositions, il faudrait rejoindre la Lande Noire et pour l'heure, je me demande encore pourquoi, parmi tous les endroits d'Aliaénon, le Sans-Visage nous a fait venir ici ! Pas vous ?"
"Les voies du Marcheurs sont impénétrables." Commence-t-il, avant de supposer qu’il s’agit-là d’une démonstration à ceux qui l’insulte.
(L’insulter ? C’est vrai qu’il y a eu une grosse dissension dans sa propre demeure et qu’il n’a pas eu l’occasion de révéler ce qu’il souhaitait, mais de là à évoquer une insulte et une conséquence grave…)
"Une sorte de punition ? J'en doute. Il est neutre et agir ainsi irait à l'encontre de cette neutralité. Je suis plus de l'avis de Zaria." Je m'approche d'une fenêtre pour regarder la cité au-dehors. Celle-ci souillée par la suie, provenant d’une notion de ménage qui n’a pas la chance de simplement passer furtivement dans l’esprit de Sally. Je regarde la ville qui paraît encore plus sombre et glauque au travers de ce filtre.
"Quelque chose va se dérouler en ce lieu et il a besoin que nous soyons présents. Il voudrait agir, mais ne le peut pour conserver sa neutralité. Nous envoyer ici, sans rien savoir, nous force à nous faire nos propres opinions et à agir en conséquence loin de son influence. Reste à savoir quoi."
Plus qu’une punition, Vissélion évoque un avertissement. Le Sans-Visage, ou le Marcheur pour lui, est un être vivant comme les autres. Il est certes puissant, mais sa patience n’est pas infinie. Les Hommes Pâles sont connus pour leurs parjures envers lui. Est-ce une promesse muette si nous continuons à agir sans le prendre en considération, comme il a été question dans sa propre demeure ? Il reste encore la présence du Titan, isolé et donc une proie de choix pour le Dragon Noir.
"Dans le cas du Titan, nous devrions demander à Zaria si elle peut repérer l'emplacement du Dragon...quoique...avec sa capacité à apparaître et disparaître à volonté dans un nuage cela n'aurait pas de sens." Dis-je en regardant au travers de la fenêtre, avant de tourner la tête vers Visselion.
"Leurs parjures envers le Marcheur ? C'est-à-dire ? Que s'est-il passé ?"
"Elle pourrait servir à cela, oui. Au moins pour savoir ce qu'il trafique." Commence-t-il tandis que je tique à sa réplique, laissant croire que Zaria est un simple outil à notre service. Poursuivant que cela nous donnerais cependant un coup d’avance sur ses attaques à venir, il soupire et enchaîne au sujet des Hommes Pâles. Ces derniers ont vénéré l’esprit du lac depuis toujours et rejette toute forme de magie. Pour eux, le Sans-Visage en est le symbole, mais comble de l’ironie, c’est lui-même qui leur a fait don de cette cité. Il aurait pu mal percevoir un tel mépris de leur part. Pourtant, je le sens mal agir ainsi. Qu’il puisse être déçu est concevable, mais les châtier pour cela ? J’en doute.
"Du coup, vous êtes à votre aise dans cette cité !" Fais-je avec ironie concernant le rejet de la magie.
"Ils la rejettent, mais savez-vous s'il y a un traitement particulier pour ceux qui la manipulent ?"
Il est vrai que si Sally n’a clairement pas aimé le métal brillant d’Akihito, comment réagirait-elle en voyant des êtres doués de magie ou usant de la magie devant elle et comment réagirait toute la cité ? Vissélion pourtant un esprit curieux pour ce qui concerne la magie et ce qui l’entoure, ne paraît pas intéressé par cela et pour cause, on y passera tous ! De toute façon, on ne gagnera rien de bon s’ils apprennent pour nous, alors autant faire profil bas. Cependant je perçois les choses différemment. On en apprendrait plus en creusant le sujet. Le Sans-Visage a créé cette cité pour eux, il est le symbole de la magie alors pourquoi un tel rejet ?
"Si nous en avons fini ici, je serai curieux de savoir ce que l'on peut apprendre de Sally ! Déjà, d'où vient ce rejet de la magie en premier lieu !"
Le sorcier clame qu’il n’est pas un expert de la région ou de son histoire. Il ne fait que des suppositions en se basant sur un fait connu de tous : à savoir le rejet de la magie.
"
Raison de plus pour demander à une créature autochtone, sauf si vous-même avez des questions ou des sujets que voudriez aborder !" Lui dis-je. Nous avons tous été le voir, cherchant conseils ou réponses, mais il n’a pas exprimé de curiosité nous concernant ou posé des questions auxquelles nous, yuiméniens, aurions des réponses.
"Aucunement, je suis... un peu las de cette ville, je vous avoue."
Vissélion, las ? Est-ce la première fois que je le vois exprimer son ressenti ? Moi qui voulais percer le mystère derrière le rejet de la magie des Hommes Pâles, j’ai un autre mystère à creuser.
"Las ? Qu'entendez-vous par là ? L'ambiance assez morbide de la cité, leurs refus de la magie, ou est-ce d'être loin de chez vous ?"
Avec une expression triste, il explique que c’est un peu tout à la fois, du moins, c’est ce qu’il présume. Visiblement, il paraît incapable de définir correctement ce qui l’étreint actuellement.
"C'est la première fois que vous quittez votre cité aussi longtemps n'est-ce pas ? Vous souhaitez m'en parler ?" Dis-je avec empathie.
En réalité, ce n’est pas le mal du pays dont il souffre, mais que la cité aurait grandement à gagner de la magie des sorciers de la Lande. Cependant, cela est resté impossible par l’isolation dont Vissélion et les siens ont fait preuve.
"Vous n'êtes pas à blâmer ! Il est difficile pour les cités d'échanger les unes avec les autres. Vous avez toujours vécu isolé en effet, votre réputation n'aidant pas, cependant je l'ai vu à maintes reprises, arpenter vos territoires n'est pas non plus une chose aisée. Elscar'Olth a beaucoup à apprendre aux peuples d'Aliaénon et peut-être même qu'elle a à apprendre de son propre monde ! Je ne peux qu'encourager vos sentiments dans tous les cas." Dis-je en inclinant légèrement la tête en avant en signe de respect.
"A quoi songez-vous ?" Dis-je en voyant Vissélion se murer dans un mutisme troublé par ses seules pensées.
Il est très évasif, désignant tout mais rien de réellement définit, avant de me demander de le laisser seul. Ce dont je m’exécute.
"
Aucun problème ! Je redescends, mais je ne pars pas sans vous et si vous ressentez le besoin de parler, je suis à votre disposition !"
Je quitte la chambre avec une inquiétude concernant Vissélion, mêlée au regret de ne pas être capable de l’aider. Descendant les marches de l’escalier, je vois Sally se goinfrer d’une bonne pièce de viande et ma curiosité concernant l’attitude vis-à-vis de la magie refait surface. A ma venue vers elle, celle-ci lève la tête, sans pour autant pointer son regard vers moi. Sauf si de sa position en biais, elle aurait déjà un œil sur deux, pointé vers moi.
"Puis-je vous déranger un instant Sally ?"
Prétextant ne pas aimer être dérangée durant son repas, si on peut appeler se bâfrer d’un morceau de viande un repas, morceau qui paraît avarié vu de plus près. Je tente tout de même l’approche, après m’être fait appeler mon canard.
"Mon can...?" Dis-je à moi-même dans un murmure, avant de parler plus fort et distinctement.
"Je suis curieux de votre refus de la magie. Je voulais comprendre pourquoi un tel rejet, mais je peux repasser plus tard si je dérange !"
"SI C'EST POUR ME PARLER DE SALE MAGIE, REVIENS PAS, SURTOUT. POUR TOUT LE RESTE, IL Y A MASTERCA... SALLY !"
(C’est bizarre, j’ai cru qu’elle avait dit quelque chose !)
(Oui j’ai eu aussi cette impression. Etrange !)
"Entendu !" Fais-je, voyant que c’est un sujet trop sensible, repas ou pas.
"Pouvez-vous m'en dire plus au sujet de sa majesté ? J'ai eu la chance de la croiser et la dernière fois que nous nous sommes vus, c'était lors de la destruction de la Tour d'Or. La reine avait emprunté un passage, mais sans guide, tous la pensaient perdue. Je suis heureux d'apprendre qu'elle en soit ressortie indemne. Je m'interrogeais juste sur ce qu'il lui était arrivé et ce qui était advenu de la seconde harpie à ses côtés...heu...Jess si je ne me trompe."
Ma curiosité court à vive allure et se paye le luxe d’un bon mur en pleine poire. Sally n’en sait rien et visiblement le fait qu’elle soit déjà revenue est suffisant. Je commence à perdre espoir d’apprendre quoi que ce soit avec notre si charmante hôtesse, que toutes nos diplomates reviennent de l’entrevue avec Guigne. Toutes non, car notre irréductible diplomate au charme fou et au caractère bien trempé, résiste encore et toujours à l’envie de se reposer dans l’auberge. Autant je suis content de croiser quelqu’un qui me tire de l’échange si agréable avec Sally, autant je tique face à l’absence de l’enchanteresse de mon cœur.
"Yliria n'est pas avec vous, il y a eu un problème avec g... la reine ?"
(C’est pas passé loin…mon canard !)
(Hahaha !)
Glanaë explique qu’elles ont passé un accord avec la reine et que justement celle qui manque nous l’expliquera. Mais elle s’étonne de me voir présent, alors que justement, il avait été demandé de chercher des renforts en ville. Bien qu’elle soit la seule à répondre, je regarde en grande partie Zaria qui affiche une mine sombre.
"Ils sont partis rencontrer les artisans du coin pour Akihito, quant à moi, devais m'entretenir avec Vissélion sur un sujet... important. Je ne doute pas qu'Yliria comprenne. Cependant...vous êtes sûr que tout va bien ? Zaria ?"
Dans un soupir, elle explique être simplement fatiguée. Je me rapproche d’elle, pas plus rassuré pour autant, mais si se reposer lui fera du bien, peut-être que manger aussi.
"Je vais vous accompagner dans votre chambre, mais si vous avez faim, Sally réalise des plats merveilleux !" Dis-je en désignant la susnommée.
Malheureusement, si elle avait faim, voir Sally lui ôte tout appétit. C’est bien dommage en sachant ce dont elle est capable et préfère me suivre jusqu’à sa chambre.
"Sally, la chambre que nous avons est la même pour tout le monde, où il y en a une autre pour les femmes ?" Fais-je à l’intéressée.
"C'EST DES CHAMBRES DOUBLES, ANDOUILLE. ALORS SAUF SI VOUS VOULEZ DORMIR A SIX DANS LE MÊME LIT, Z'AVEZ ACCES A TOUTES LES CHAMBRES." Déclare-t-elle en déposant sur le comptoir les différentes clefs à notre disposition.
Préférant ne pas répondre à l’insulte, je me saisis d’une de la clef d’une chambre située proche de la mienne. Des fois que j’ai à me rendre vers elle au besoin.
"Désolé, je n'ai pas porté beaucoup d'attention lorsque nous sommes montés, j'avais...fort à faire !" Dis-je en souriant.
(Ho ho, petit filou ! Elle va se faire des idées sur ton compte !)
(Je me moque royalement de ce qu’elle pense à mon sujet ! Même si ça m'amuse de le lui faire croire. )
J’invite Zaria et Glanaë à me suivre et nous pénétrons dans une chambre aussi délabré que le reste de l’établissement. Visiblement, les repas restent le seul point fort de Sally. Ce n’est peut-être pas plus mal, aucun de nous ne se serait satisfait le ventre avec la poussière présente. Quoiqu’il n’y a pas tant de poussière que cela, les meubles sont rongés par le temps, donnant un charme particulièrement miteux à l’ensemble. Je ferme la porte pour parler sans crainte de représailles de Sally.
"Pas le meilleur endroit pour dormir, mais c'est toujours mieux qu'à Néo Messaliah ! Ne vous fiez pas à Sally, contrairement au reste, ses plats sont particulièrement bons. J'ai eu les mêmes craintes que vous, mais j'ai mangé avec plaisir !" Puis je m’intéresse à Zaria dont l’état m’inquiète assez.
"Vous êtes sûr que ce n'est que de la fatigue ? Vous n'étiez pas dans un tel état tout à l'heure ! Vous avez usé de..." Je jette un regard à la porte avant de reprendre.
"...de vos dons ?"
Si Glanaë ne comprend pas mes propos, expliquant qu’on peut se fier à Sally et ensuite pas, Zaria explique qu’elle n’a usé de magie, mal vue ici. Puis elle lance que je devrais apprendre à reconnaître lorsqu’une femme ne souhaite pas parler.
(Ouch, elle fait mal celle-là !)
Glanaë intervient, précisant qu’il s’est produit quelque chose, mais qu’elles ne souhaitent pas évoquer. Si vraiment j’y tiens, je devrai quérir Yliria à son retour, si elle consent à parler.
(Bordel, mais c’est quoi cette histoire ?)
Je commence par clarifier les choses avec Glanaë, avant de revenir sur le sujet inquiétant.
"Je disais de ne pas vous fier à l'apparence de Sally, ou encore à ce...cet endroit, pas qu'elle était quelqu'un dont il faut se méfier. Je pousserais même à dire qu'il ne faut pas non plus prendre ce qu'elle dit pour argent comptant. Nous sommes montés avec Vissélion et elle a braillé comme un âne qu'on allait baiser !" Dis-je en levant les yeux au ciel.
Enfin je me tourne vers Zaria. Elle qui a su tromper les Sans-Bannière, celle dont l’existence est une insulte pour les Cadi Yangins, flanche. Et ça, ce n’est pas normal.
"Bref ! Je possède beaucoup de qualités...bon d'accord beaucoup de défauts et quelques qualités, mais non rien qui ne me permette une telle compréhension des femmes. En revanche, si vous ne souhaitez pas évoquer un sujet je n'insisterai pas. Je n'aurais cependant qu'une question : ai-je une pour une raison ou une autre, un motif de m'inquiéter pour vous ? Vous avez une personnalité unique et forte. Vous voir ainsi est... préoccupant !"
"J'ai le sentiment d'avoir trahi des sœurs..." Lâche finalement Zaria, avant de se faire couper par Glanaë.
Celle-ci explique que nous avons tous nos limites et que le marché a été conclu. Rien qui ne réponde à ma question ou ne soulage mes craintes. Je regarde Glanaë et Zaria mais je comprends qu’il va falloir me contenter de cette maigre déclaration.
"Bon je vais vous laisser vous reposer. Cependant..." Je continue de parler à Zaria mais regarde Glanaë
"... essayez d'en parler !"
Zaria ne souhaite pas me parler, mais j’espère qu’elle le fera avec Glanaë lorsque je serais parti. Une fois la porte refermée, je me sens un peu seul. Avec nos ambassadrices qui évoquent quelque chose durant l’entretien avec la reine, mais ne souhaitent pas l’évoquer en ma présence et Vissélion qui désire méditer seul, ça fait chaud au cœur. Quoi qu’en y repensant, j’ai l’opportunité d’user de mes fouets en toute tranquillité. Alors en attendant les autres, reprenons là où je m’étais arrêté. Je redescends chercher une clef de chambre, à côté de Vissélion, croisant un des deux regards de Sally, avant de remonter.
Je pénètre dans la chambre, seul.
(Pardon ?)
Même si effectivement c’est un sentiment que je ne ressens plus depuis que Ysolde est à mes côtés. Disons plutôt que je compte sortir mes fouets et qu’hormis la présence de ma faéra, je préfère être seul dans ces moment-là.
(Je préfère oui !)
Reste à savoir ce que je peux faire avec mes fouets. Je les laisse sortir tous deux de mes mains, jusqu’à atteindre le maximum atteignable. Cette limite qui ne peut se dépasser que lorsque j’en n’en déploie qu’un sur une main.
(J’y pense, on n’a jamais essayé d’en faire sortir d’autres d’une seule main ! Tu pourrais frapper de tes deux dagues à la fois !)
L’idée est étrange, saugrenue, mais pas plus que d’apprendre qu’un type fait sortir des fouets du creux de ses mains, alors pourquoi pas. D’autant plus que dans ma version améliorée, c’est presque naturel. Je rentre donc mes fouets et assis sur le lit, pointe la paume de ma main droite vers le haut et tâche de faire sortir plus d’un fouet. Je focalise toute ma concentration sur ce qui loge dans mon avant-bras et cherche à visualiser non pas un, mais deux fouets à faire sortir. La sensation est similaire et je sens quelque chose bouger au creux de ma main. L’ouverture en croix qui y réside, palpite sous l’effort interne qui se joue dans mon membre. L’extrémité d’un fouet sort par à-coups, comme saccadée. Hélas, nul autre fouet ne réapparaît dans ma main. Je réitère l’opération plusieurs fois, mais le résultat reste identique.
Je tente une autre approche, celle de faire sortir un fouet de ma main et d’en faire émerger un second. Cette fois-ci, nulle sensation nouvelle n’apparaît, mon fouet déjà présent ne paraît pas être perturbé dans ses mouvements, du moins pas plus que d’habitude et bien entendu, aucune présence d’un autre fouet.
(Peut-être que tu es en mesure de faire sortir tes fouets ailleurs ?)
(Et à quoi tu penses ?)
(Je sais pas ! Tu as examiné ton corps, voir s’il y avait d’autres cicatrices ?)
La question me paraît tellement dingue et en même temps tellement inquiétante que j’enlève une partie de mes vêtements pour examiner mon corps. Je ne garde que mon pantalon pour me couvrir, bien que si je le baisse quelques instants pour m’assurer qu’aucun orifice similaire à la cicatrice de mes mains ne soit présente.
(Mais j’y penses, tu as essayé de…tu sais…faire sortir un fouet par le…derrière ?)
(… ! D’accord en fait tu te paies ma tête !)
(Hahaha ! Avoue que ça aurait été drôle !)
(Oui tout à fait ! J’imagine tellement un étron de six mètres me sortant du fondement que je pourrais manipuler à ma guise !)
(Pffffhahaha ! J’imagine tellement la scène : toi te balançant à une branche par un fouet, tenant son origine du plus profond de toi-même ! Hahaha !)
(Merveilleux ! Maintenant moi aussi j’ai l’image en tête !)
Laissant de côté les élucubrations de ma faéra, j’ai l’occasion de m’exercer à nouveau en toute tranquillité. La maîtrise de mes fouets n’est pas parfaite, il me faut encore du travail avant d’envisager de me battre avec, tout comme l’a fait mon double de cristal. Bien, que puis-je faire à présent ?
(Je pense que tu manques de précision selon moi !)
(De précision, c'est-à-dire ?)
(Sans vouloir que tu prennes le melon, tu es assez habile de ton corps, mais aussi de tes mains. Ta capacité à attraper un peu tout ce qui se trouve à portée de main, comme le jeu de corde sur le bateau, en est un bon exemple. Ton double avait une maîtrise parfaite de ses fouets. A toi de faire en sorte d’être aussi habile avec tes fouets qu’avec tes mains !)
(Oui pourquoi pas ! Tu proposes quoi du coup pour ça ?)
(Hé bien, pourquoi ne pas lancer des objets et essayer de les rattraper avant qu’ils ne retombent au sol. Dans la mesure où tu veux, à terme, te battre avec tes armes, autant lancer tes dagues et essayer de les rattraper. Imagine-toi les rattraper et pouvoir frapper juste après !)
(Très bien faisons cela !)
Je dégaine ma lame la plus ancienne que je possède, celle que je connais presque pas cœur, celle qui m’a guidé pratiquement depuis ma fuite d’Eniod, là où tout à commencé, à peine moins ancienne que ma faéra. Mon sourire pincé scintille toujours avec sa teinte de sang. Néanmoins, je préfère la garder au chaud dans son fourreau. Ironique pour une dague de glace. Je la lance en l’air et éjecte le fouet de ma main droite. Autant commencer par ma main directrice. Avec aisance, j’arrive à entourer mon fouet tout autour de mon arme. Heureusement que j’ai eu l’idée de la conserver dans son fourreau car ce n’est pas le manche qui est attrapé.
(Bon, hé bien on va monter la difficulté ! Il serait bien d’attraper l’arme par le manche et puis tant qu’à faire, essaye de le lancer l’arme plus loin que le bout de ton nez, hein !)
(Oui, bon ça va !)
Forcé par ma faéra, je monte effectivement la difficulté et lance ma dague hors de portée de ma main. Bien entendu, je tâche d’attraper mon arme par le manche. La tâche est soudain bien plus ardue et étrangement, je foire. Mon fouet frappe mon arme au lieu de l’attraper, provoquant un choc en retombant sur le sol.
(Ce serait peut-être une bonne idée d’envoyer l’arme au-dessus du lit !)
(Tu réfléchis, je suis si fière de toi ! Ha ! Ils grandissent si vite !)
(Je sais pas si je préfère ça ou d’entendre mettre la charrue avant la peau de l’ours ?)
(Je te flûte !)
Ainsi je recommence l’opération. L’arme tournoie dans les airs, faisant des tours sur elle-même rapidement. Mon fouet s’élance de ma main jusqu’à elle et incroyable, la dague ne fait plus de bruit en retombant sur le matelas.
(Plus de bruit, c’est dingue !)
Avoir des fouets sortant des mains est, outre le caractère saugrenu de la chose, est satisfaisant à avoir, car je n’ai pas à faire d’incessant aller et retour jusqu’au lit pour ramasser l’arme. Avec ma maîtrise actuelle, je peux le faire sans bouger de ma position. Je recommence encore et encore mes essais, mais rien n’y fait, je manque constamment ma cible. Au mieux, j’arrive à rattraper l’ensemble, mais force est de constater que la difficulté est au-dessus de mes capacités actuelles.
(Ca ou tu t’y prends mal !)
(Tu veux dire que je dois baisser mon froc pour essayer mon troisième fouet ?)
(Hahaha ! Pourquoi pas ! Mais non je me demandais juste comment tu y arrivais normalement, sans tes fouets. C’est pas comme si tu l’avais déjà réalisé.)
(Hé bien je…j’y arrive ! C’est tout.)
(Ha oui ? Tu en es capable ?)
(Tu vas voir !)
Je me saisis de mon arme et la faisant tournoyer rapidement, je prends un bref instant pour jauger la rotation et avant qu’elle n’atteigne le niveau de ma hanche, je l’attrape par le manche.
(Ha ! Tu vois, un jeu d’enfant !)
(Oui ou c’est juste un gros coup de chance !)
(Un coup de chance hein ?)
Je réitère l’opération plusieurs fois, réussissant systématiquement le défi et prouvant mes capacités.
(Alors ?)
(A toi de me dire comment tu fais ?)
(Je sais pas c’est…je vais pas dire naturel, mais c’est instinctif !)
(Et c’est avec l’instinct que tu essayais t’attraper en usant tes fouets ?)
(Heu…)
(Je pense que tu t’y prenais mal de base. Tu ne le faisais pas parce que tu n’as pas confiance en toi, pas confiance en ta capacité à manier tes fouets. Ils sont en toi, ils font partie de toi. Comprends-le, admets-le et lance-toi. Agis comme tu le fais avec ton propre corps et non comme un outil dans ta main !)
L’agaçante petite voix a raison, comme souvent d’ailleurs. Je n’use des fouets que comme un outil et non une extension de moi-même, ce qui est je dois le reconnaître, le cas. Que ce soit la façon dont je les manipule ou même là où ils résident, ils semblent vraiment ne faire qu’un avec mon corps. Je ne sais toujours pas d’où ils proviennent. J’ignore s’il s’agit d’une manifestation d’une des nombreuses formes de magies de ce monde, auxquelles j’aurais été exposées. S’il s’agit de l’une d’entre elle ou un tout cumulé. Mais le fait est qu’ils sont là, en moi. Il ne tient qu’à moi d’en faire un atout plutôt qu’un fardeau. Au moins, je sais qu’il n’y a pas de forme de corruption associée. L’apparition de justice était imprévisible, mais qui sait, je serais peut-être encore amené à devoir lutter face à un double doté des mêmes caractéristiques. Pire encore, s’il le faut, vais-je être en mesure de sortir mes fouets à la vue de tous ? Cette question, une simple question et pourtant, derrière se cache en réalité le véritable problème qui me retient. J’ai peur du regard des autres, face à cet événement qui m’a atteint, tout comme je sens une gêne en les dévoilant. Faire sortir mes fouets me donne toujours l’impression de me mettre à nu, de dévoiler mon moi profond. Zacara les a vus, Vissélion à présent et Yliria, surtout Yliria. De tous, c’est de son opinion que j’ai craint et au final, c’est celle qui m’a le plus surpris par l’acceptation. Elle les a vus. Elle les a acceptés et moi avec. Alors au final, qu’importe s’ils me voient autrement. Qu’importe si l’opinion de moi se dégrade et qu’ils aillent se faire foutre si tel est le cas.
Je suis désormais ainsi, avec des fouets sortant des mains et je compte bien m’accepter tel quel !
Fort de cette nouvelle conviction, le lance à nouveau mon arme sur le lit. J’observe le mouvement de la dague. Je le fais miens et l’imprime dans mon esprit avant de vouloir l’attraper. Guidé par le geste de la main, comme si j’essayais de l’attraper d’aussi loin, je ne lance pas un fouet. Dans mon esprit, c’est une extension de ma main, de mon bras, de mon corps. La dague s’immobilise à quelques centimètres du matelas, tenu fermement par le pommeau de ma lame. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de trouble dans le geste et la précision était proche de ce qu’aurait fait ma propre main. Ce n’était pas parfait loin de là, mais très clairement, un pas de géant a été franchi.
Ramenant la dague à moi, je recommence une nouvelle fois et encore la lame s’arrête, confirmant que ce n’était pas une simple chance. Je réitère les tentatives et chacune me confirme l’adresse de la maîtrise actuelle que j’ai de mes fouets. Finalement, ce qui retenait le plus, n’était autre que ma propre acceptation. Admettre que mes fouets n’étaient pas une malédiction, mais bien l’inverse comme le suggérait Zacara.
Jouant un peu avec mon fouet dont l’extrémité s’est enroulée autour du manche de ma lame, je fais de petits aller et retour de ma dague devant moi, avant de finalement la brandir face à un adversaire imaginaire, quelques mètres plus loin dans le vide. Mon fouet m’obéi et mon arme est pointée en avant, tenant en respect le fantôme né mon esprit.
(Jorus, je crois que tu es prêt pour te battre avec tes armes à présent !)
La déclaration me ramène à ma première tentative à Elscar’Olth. Après avoir découvert deux ou trois choses au sujet de mes fouets, je m’étais essayé à reproduire les mêmes coups que mon double de cristal. Pour tout résultat, j’ai perdu une petite touffe de cheveux et j’ai été blessé dans mon égo en manquant de me tuer moi-même. A présent, la maîtrise que j’ai de mes fouets n’est plus la même, elle n’est même pas comparable. Accepter mes fouets m’a fait réaliser une chose : mon véritable apprentissage ne fait que commencer. Dégainant ma Pourfen’dent à l’aide de mon second fouet, je brandis mes deux armes devant moi avec facilité. Je frappe avec mes lames, des adversaires loin de moi, plus loin que ce dont j’étais capable il y a peu. Mes coups ne sont pas aussi fluides que je le voudrais, mais je suis en mesure de me battre à présent et de défendre chèrement ma vie et celle des autres.
Je revois mon combat avec le Garzock lors de la bataille de Kochii. Il m’avait tenu en respect avec la longueur de son arme. Seul mon premier coup avait été ma véritable réussite dans ce duel. Une blessure qui s’accentuait grâce au pouvoir de ma dague de glace. A présent, ma portée d’action dépasse les limites humaines, pouvant frapper plus loin que n’importe quel guerrier. Seuls ceux en mesure de frapper à distance sont une menace qui ne faiblit pas. Mais contre ces adversaires, j’ai d’autres moyens de l’emporter. Il me faut encore apprendre, m’entraîner, m’acharner, suer sang et eau jusqu’à ce que je ne fasse plus qu’un avec mes fouets en plein cœur du combat.
Je revois également mon ascension des ruines de Fan-Ming. J’ai pu atteindre le sommet au prix d’un grand effort et je revois encore les nombreux lancers pour accrocher mon grappin et atteindre le palais. Les choses auraient été, non pas différentes, mais plus faciles si j’avais eu mes fouets à ce moment-là. Cependant, durant les quelques mètres qui me séparaient de mon but, j’avais la hantise que le grappin soit mal accroché et ne glisse, m’entraînant dans une chute mortelle. Etre capable d’accrocher mon grappin à plusieurs mètres de moi, en toute sécurité et ensuite gravir la corde offre une tranquillité d’esprit.
(Gravir la corde ? En aurais-tu eu besoin ?)
(Hé bien oui, je comprends pas la question !)
(C’est pas facile à expliquer alors…Prends ton grappin et accroche-le à une poutre au-dessus de toi avec un de tes fouets.)
Ayant confiance en ma faéra, je m’exécute et me voilà avec le grappin planté au-dessus de ma tête. Sauf que le plafond est assez bas et il ne me faut pas grand-chose pour l’atteindre. Puis les autres instructions viennent.
(Parfait ! Bon comme tu le vois, tu touches presque le plafond donc allonge-toi au sol. T’occupe pas du grappin pour le moment. Bien, maintenant attrape le grappin par un fouet et entoure tes jambes autour !)
La position est étrange. J’ai le bras droit en l’air, les jambes qui s’entourent autour et soulevant mes jambes, seules mes épaules touche le sol à présent.
(Très bien et maintenant que j’ai l’air bien ridicule je fais quoi ?)
(Maintient fermement le grappin et tire sur ton fouet comme si tu le rentrais dans ton bras, mais pour te faire remonter !)
Je m’arrête un instant face à l’ingéniosité de ma faéra. En agissant ainsi, je n’aurais même plus besoin de corde, tant que c’est à portée de…fouet. Passé cet effet, je fais rentrer mon fouet. Visiblement, il y a une différence entre faire rentrer ses fouets nus ou avec une charge liée. Je n’arrive à les rentrer que grâce à la poussée que j’exerce avec mes épaules et ensuite ma tête. Me voilà à balancer légèrement la tête en bas les jambes en l’air et cette désagréable impression d’avoir le…
(…fouet qui te sorts du…)
(Ne t’avise pas de finir ta phrase !)
(…)
(Merci !)
Je continue mes efforts et accentue ma capacité à tirer. Je monte progressivement, mais trop lentement à mon goût. Une fois en haut, je redescends et recommence à monter. Je m’arrête assez rapidement car rester la tête en bas est assez désagréable. Je me laisse donc quelques minutes assis sur le sol, avant de recommencer. Je focalise mon attention sur cette forme de tirage que j’ai sur le fouet. J’ai l’habitude de faire sortir mes fouets en imaginant une poussée invisible et fais l’inverse pour les faire rentrer. Cependant, la charge supplémentaire ajoute une difficulté notable. Néanmoins, plus je m’exerce et plus la progression se fait rapide.
(En général, tu as recours à une image pour te stimuler, tu veux tenter quelque chose ?)
(Je suis toute ouïe.)
(Très bien. Laisse ton esprit être porté par ma voix…)
(Oui parce que visuellement c’est compliqué !)
(Dès que je peux sortir du médaillon, rappelle-moi de te botter les fesses !)
(Oulà, j’ai peur !)
(Est-ce que mon p’tit cochon pendu veut bien me laisser l’aider ?)
(Gngngn !)
(Imagine-toi être sur un navire. La mer est déchaînée, la tempête fais rage et vous êtes ballotés par les flots.)
(Vous ? Qui ?)
(Tais-toi bon sang ! Yliria est là, dans son armure de combat ! Votre navire est percuté par quelque chose sous l’eau et de gros. Une nouvelle frappe vous déstabilise. Tu finis sur les fesses tandis qu’Yliria se retient de justesse à la rambarde. Mais une nouvelle charge aquatique surprend le navire par en dessous. Si rien ne t’arrive au milieu du navire, ce n’est pas le cas d’Yliria qui passe par-dessus bord. Seule sa main encore visible l’empêche de tomber. Avec son armure sur elle et dans une telle tempête, la mort l’attend si elle ne remonte pas rapidement. Tu le sais et tu te précipites jusqu’à elle, mais sa main glisse avant que tu n’arrives. D’instinct, tu lances tes fouets pour la rattraper et c’est de peu que tu la sauves de la noyade. Tu essayes de tirer en rentrant tes fouets, mais la tâche est rude. Alors tu cherches à tirer sur ton fouet avec ton autre main comme une corde, mais l’eau t’empêche d’avoir une prise ferme pour la hisser. Ton effroi te glace le sang lorsque tu vois quelque chose dans l’eau. Quelque chose qui approche et tu perçois même une gueule ouverte, s’apprêtant à dévorer Yliria. Tu le sais, ta seule chance pour la sauver est de faire rentrer ton fouet, quand-bien même c’est lourd, quand bien-même c’est dur, quand bien-même cela te paraît impossible. La bête s’approche et tu commences à discerner les dents. Il ne te reste plus qu’à tirer de toutes tes forces, de tout ton être. Tire. Tire ! TIRE !)
Soudain, la force qui me lie à mon fouet se fait plus grande, beaucoup plus grande. Je me fais littéralement soulever du sol, projeté jusqu’au grappin à vive allure. Trop soudain, trop rapide, je ne parviens pas à arrêter ma progression à temps et je percute le plafond dans un bruit qui ne jalouse en rien, celui de ma chute devenu possible après avoir lâché la prise sur le grappin. Je suis sonné et mon dos n’a pas apprécié ce choc. Reste que je ne souhaite pas qu’on vienne me voir ainsi.
"TOUT VA BIEN ! C’EST LES MEUBLES !" Fais-je à ceux qui m’auraient entendu tomber, espérant qu’ils mettent le bruit sur la vétusté du mobilier.
Bien que dans la chambre d’à côté, Vissélion souhaite être tranquille et j’espère que cette déclaration suffira à le pousser à rester. Les filles, plus loin quant à elles, semblent avoir d’autres chats à fouetter.
(N’empêche, tu y es arrivé et grâce à qui ?)
(Oui, mon dos te remercie Ysolde !)
(Pfff rabat-joie ! Et puis moi je n’y suis pour rien si tu contrôles pas tes fouets ou si tu lâches comme ça sans prévenir hein !)
(…)
(Un problème ?)
(Non je…j’étais en train de me demander si…en fait je visualisais une scène où j’étais accroché à mes fouets et que je tombais parce qu’ils avaient été tranchés. Alors oui je chute, mais…que se passe-t-il si je perds mes fouets en les coupant ?)
(Les perdre ? Outre le fait que tu parles de perdre et non de te débarrasser, comment tu veux réussir une chose pareille ? Je veux dire, ils sont encrés en toi, littéralement ! Tu ne peux pas les perdre.)
(Non je veux dire...Zacara a émis la possibilité de les couper. J’étais en train de me demander ce qu’il va se passer si l’un deux ou les deux se font couper !)
(Ha ! Oui effectivement. Si tu tiens tant à le savoir, il n’y a qu’un moyen ! Mais du coup, tu n’as pas peur de les perdre définitivement ? Tu as fait des efforts pour les accepter et tu veux prendre le risque que tout cela ne serve à rien ?)
(Tu n’as pas complètement tord mais…je…j’ignore ce qui va se passer si ça devait m’arriver en plein combat. Je ne peux me permettre de flancher si ma vie ou celle des autres sont en danger. Je n’ai qu’à essayer avec un seul fouet et si jamais je le perds définitivement, j’en aurais toujours un autre !)
(Mmm, je suis moyennement convaincu. Je pense que tu perdrais davantage si ton fouet n’est plus là, surtout après avoir fait tant d’effort pour les accepter, mais…c’est toi qui vois !)
Je regarde mes fouets s’agiter devant moi, mus par ma simple volonté. Les craintes de ma faéra sont fondées, mais si vraiment je les perds une fois qu’ils se font couper, est-ce vraiment utile d’insister à maîtriser mes fouets ? Au moins je serais fixé. Je ne laisse que le fouet de ma main gauche sorti et dégaine ma lame à dent de dragon. Un bon petit mètre environ sera suffisant. Je lève ma main et une sorte d’appréhension m’étreint avant que je n’abatte ma lame sectionnant le fouet.
Et ça fait un mal de chien.
La sensation est…singulière. Si je devais la décrire, cela commence par une décharge électrique. Une douleur puissante et violente sur tout le bras. Ensuite, il faut imaginer que l’os à l’intérieur s’est scindé en une multitude de petit os tranchant, doté d’une forme de vie propre, ainsi que la volonté de danser la lambada à l’intérieur même de mon bras, déchirant chaque parcelle de chair présente. Visuellement, mon bras n’est pas beau à regarder. De nombreux vaisseaux sanguins semblent avoir explosé et tout mon avant-bras est constellé de multiples lacérations. Ma main meurtrie, peut encore se mouvoir et si mon fouet coupé est immédiatement rentré dans sa niche comme un cabot apeuré, l’autre partie est inerte au sol. Seul le sang à section et celui dans le creux de ma main permet de faire le rapprochement.
Je suis habitué à présent à devoir agir tout en recevant des blessures de ce genre. Serrer les dents en se faisant trancher un bon bout de gras est une chose que je sais faire. Apprendre à tenir malgré la douleur est vital pour assurer sa survie. Cependant, la singularité de la blessure rend la chose plus difficile. Comme je reste un être humain parmi tant d’autre, le besoin d’exprimer mon ressenti me dépasse et mes cordes vocales me donnent la puissance d'exprimer ma douleur en hurlant à pleins poumons.
"HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !"
Utilisation d'un bon émotion et
lien du RP précédent.