<< Auparavant
L’affrontement avec le Sindel refroidit quelque peu les ardeurs de Nyllyn. Durant les quatre jours qui suivirent, elle fut particulièrement calme, se contentant de m’accompagner lors de mes recherches. Même si elle s’ennuyait, pas une seule fois elle ne se plaignit. La rencontre l’avait profondément troublée et elle semblait surveiller sans cesse les environs, où que nous soyons. Je faisais de même, mais rien d’autre ne survint pendant ces quelques jours où je m’évertuai à trouver des informations sur cette fameuse île. Et, par Meno, c’était absolument aberrant de constater qu’il n’y avait pour ainsi dire rien à se mettre sous la dent. Personne ne semblait aller sur cette île, ou bien les rares qui y soient allés n’en étaient pas revenus ou n’avaient pas souhaité raconter ce qu’ils y avaient vu. La seule source d’information résidait dans le petit journal que le bibliothécaire avait déniché, et c’était bien maigre. Le narrateur ne connaissait rien des espèces qui y vivait, parlant de créature, de plantes, de … trucs qu’il ne connaissait pas et qui l’effrayait. Autant dire que je n’étais guère avancée.
Le bibliothécaire, visiblement ennuyé que la lecture du journal ne m’ait pas totalement fait oublier mes recherches, fut cependant curieux lorsque j’apportai quelques nouveaux éléments. Et bien qu’il semblait très intéressé à son tour pour trouver un ouvrage sur cette fameuse île, après quatre jours de recherches, il fallut se rendre à l’évidence, il n’y avait rien de tel dans cette bibliothèque. Il semblait fort ennuyé par cette situation, encore plus que moi. Il promit de se renseigner auprès de ses collègues, visiblement vexé à l’idée que de telles informations ne soient pas répertoriées dans l’établissement qu’il gérait. Faire chou blanc à ce stade était frustrant et il nous fallait désormais trouver une nouvelle source d’informations. Ce qui était facile à dire, mais autrement plus complexe à trouver.
Installées dans un jardin non loin d’un point d’eau, à l’ombre d’un grand arbre qui nous protégeait de l’écrasante chaleur qu’offrait le soleil, Nyllyn et moi explorions quelques pistes. Ses propositions étaient toujours farfelues et nous auraient immanquablement menées à fricoter avec des hors-la-loi, ou au moins des gens louches et probablement peu regardant de la loi en vigueur ici. Je m’efforçai de la remettre sur le droit chemin. Nous avions eu déjà suffisamment d’ennui, autant éviter de réitérer ce genre de choses.
- On pourrait toujours contacter le passeur, non ? Je n’ai pas eu le temps, mais il doit avoir des informations s’il emmène des gens sur l’île.
- C’est une idée. Encore faut-il qu’il emmène vraiment quelqu’un sur cette île. Je commence à comprendre pourquoi on l’appelle ainsi.
- C’est sûr que c’est moins long que « l’Île sur Laquelle Personne ne Veut Aller Parce que C’est Dangereux et Que Tu Peux y Mourir dans d’Atroces Souffrances».
Je levai les yeux au ciel, esquissant tout de même un sourire, trouvant d’autres noms farfelus pour nommer l’île en allant chez le passeur. Sentant un frisson le long de mon échine, je me retournai soudainement pour scruter la foule, mais sans rien voir, attirant l’attention inquiète de Nyllyn. J’eus beau me retourner de manière irrégulière, j’avais l’étrange impression d’être suivie sans pour autant réussir à repérer le ou les responsables. Nyllyn proposa de retourner à l’auberge, mais je refusai. Mieux valait rester au milieu de la foule et non pas seules dans notre chambre, c’était moins dangereux. Alyah proposa de voleter pour voir de quoi il en retournait mais ne parvint pas plus que moi à repérer quoi que ce soit, la foule étant trop importante.
Il nous fallut une petite demi-heure pour arriver chez le passeur. Le même homme nonchalant m’ouvrit et soupira en nous voyant, nous autorisant tout de même à entrer cette fois. L’intérieur était à l’image de la ville, propre et coloré. L’ameublement était simple mais l’ambiance était chaleureuse. L’homme nous amena dans une pièce servant de pièce à vivre ou un autre semblait occupé à compter des petits tas de pièces. Il leva son nez de son magot et fronça les sourcils lorsqu’il nous vit. Celui qui nous avait ouvert nous laissa avec lui et le passeur nous fit signe de nous asseoir sur les chaises disposées autour de la table. Il prit quelques instants pour sortir de quoi écrire et décala son butin avant de se présenter. C’était un Hafiz du nom de Jonas et il précisa que l’autre était son jeune frère. Après les présentations, la conversation alla directement à l’essentiel et, s’il ne fut pas surpris par notre demande, il prit un air dubitatif.
- Vous êtes un peu jeunes pour vouloir mourir à ce point… enfin c’est votre problème, tant que vous avez de quoi payer.
- Avant cela, vous pouvez nous en dire plus sur l’île ?
- Pas vraiment, je ne fais qu’emmener les inconscients qui veulent y pénétrer. Aucun n’est jamais revenu pour raconter. Je sais simplement qu’il y a des tribus de Woran, des bestioles dangereuses et un lieu de magie obscur, comme tout le monde.
La discussion porta surtout sur les modalités en cas d’une éventuelle expédition pour y être amené, le prix, le temps de transport, ce genre de choses. Le moins que l’on pouvait dire, c’est qu’il ne laissait rien au hasard. Il nous mit de nombreuses fois en garde, nous conseillant vivement de ne pas tenter l’aventure. Lorsque Nyllyn lui demanda s’il était aussi réticent avec tous ses clients, il indiqua simplement que conduire des aventuriers inconscients ou chevronnés ne l’ennuyait pas, mais deux jeunes filles, cela lui posait un cas de conscience. Je notai néanmoins tous les conseils et les informations qu’il pouvait donner avant de prendre congé. Il nous souhaita de ne jamais revenir le voir, ajoutant qu’il préférerait que nous ne renoncions à notre idée. Nyllyn roula des yeux, mais s’abstint de tout commentaire et, après l’avoir remercié, nous reprîmes le chemin de l’auberge, pas beaucoup plus avancées.
L’esprit obnubilé par les mises en garde du passeur et les informations éparses que j’avais pu obtenir, je mis quelques instants à remarquer que Nyllyn me donnait des coups de coude discrets pour attirer mon attention.
- Je crois qu’on est encore suivi.
Je dus faire un violent effort pour ne pas me retourner aussitôt, demandant à la place comment elle le savait.
- Un type appuyé contre un mur, il s’est mis en marche dès qu’on a commencé à s’éloigner. Un Hafiz. Pas très discret.
Je jurai intérieurement. Mon pressentiment se révélait exact, ce qui ne me plaisait pas du tout. D’un commun accord, Nyllyn et moi décidâmes de semer celui qui nous suivait, prenant des ruelles adjacentes de manière aléatoire, détalant dès que nous passions l’angle de la rue. Notre petite combine fonctionna car Nyllyn pu se rendre compte que nous n’étions plus suivies. Ou qu’il était bien plus discret à présent.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- On retourne à l’auberge. De toute façon, on ne va pas rester dans les rues pendant la nuit, ce serait bien trop dangereux vu notre situation. J’aurais préféré qu’il ne sache pas où nous logeons… mais on n’a pas le choix.
- Tu as l’air de savoir comment gérer ça… ça t’arrives souvent ce genre de choses ?
- Non, d’habitude ça ne prend pas aussi longtemps pour que les ennuis commencent, ils me tombent dessus sous trois jours en général.
- Comment tu peux être aussi calme ?
Je la regardai dans les yeux, y lisant une angoisse qui aurait également dû me comprimer la poitrine. Ce n’était cependant pas le cas, et cela me perturba. Pendant la mission à Tulorim, chaque pas dans les rues pouvait signifier ma mort, ou au moins une attaque. Mais ici, tout semblait plus sûre, plus tranquille. Etais-je trop détendue ? Ou bien, ayant vécu pire, cela ne me faisait pas autant d’effet ? Il allait rapidement falloir revoir notre façon de faire, nous ne pouvions pas continuer à attirer l’attention ainsi. Plus vite nous atteindrions l’île, plus vite nous pourrions repartir… Il fallait nous dépêcher.
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