(((Attention, scènes choquantes !)))
Attente. Longue. Trop longue. La patience n'a jamais été le fort d'Ahrroë. Mais mieux vaut un ennui passager que se retrouver morte après avoir fait le tour d'un camp de braconniers esclavagistes, même elle en a conscience. Alors elle attend. Mais si pour elle le temps passe lentement, il ne faut finalement pas longtemps aux bandits pour se terminer au rhum et à la bière. Certains vident leur estomac dans les buissons avant d'aller se coucher. D'autres s'endorment sur place, la bave au coin des lèvres, avant d'être réveillés par les quelques humains encore debout. Un à un, alors que les tours de garde s'organisent en fonction de la sobriété de chacun, ils rentrent presque tous dans les quatre tentes-dortoirs, le chef accaparant la cinquième seul.
Puis finalement vient le temps de passer à l'action. Sur les quinze poivrots, Ahrroë en a compté neuf ivres morts, les autres ayant fini dans un état un peu plus enviable, quoique second. Le froid a failli engourdir ses muscles, l'obligeant à remuer les membres de manière régulière ; heureusement l'été approche à grands pas et ils sont à basse altitude. Ses blessures sont handicapantes, ralentissant ses mouvements et impactant sa souplesse et sa force comme sa précision, mais la douleur ne devrait pas être un problème.
(
Pff, t'façon même avec une jambe en moins j'vais pas claquer contre ces fils de putains, ) balaye-t-elle immédiatement après ces pensées.
D'aucun l'appelleraient téméraires. Et en fait ils auraient raison.
(
Mais jamais à tort, ) songe-t-elle en se levant, un sourire au coin des lèvres.
Le garde pique du nez. S'étire. Secoue la tête. Il est dos au feu, maintenant pratiquement éteint, et le froid l'engourdit. Et il ne s'attend visiblement à rien. Ils connaissent vraisemblablement l'endroit suffisamment pour se croire hors de danger. Après tout la plaine est à moins d'une journée de marche à l'ouest, le pire qu'ils pourraient croiser est une petite patrouille de Phalanges. Pensent-ils.
Ahrroë fait un grand tour. Lentement. Discrètement. Et lorsqu'une tente se dresse entre elle et le garde, se glisse en tapinois jusque la première des grosses charrettes. Des cordes retiennent le tissu qui la recouvre mais il ne lui faut que quelques secondes pour retirer quelques attaches et soulever le drap. Une énorme créature aux canines supérieures de la taille de ses avant-bras est allongée dans une cage en métal et ouvre un œil épuisé dans sa direction. En une seconde il se redresse, poussant un grondement sourd. Malgré la pénombre, elle peut discerner ses yeux se teinter de rouge en la voyant.
(
Que la fête commence ! )
Elle est
ravie. Ne voyant pas l'ouverture et entendant le garde bouger derrière le chapiteau, elle s'empresse de sortir sa hachette et de passer sous la cage. Bruits de pas. Un seul homme. Il n'a prévenu personne. Elle sourit.
(
Z'êtes trop sûrs de vous, ) pense-t-elle en apercevant des bottes de cuir se rapprocher.
«
Putain de gobelins, savent même pas faire un nœud, » l'entend-elle râler.
Il se penche en avant, tirant de nouveau le tissu malgré le grognement de l'animal captif, pendant que la vagabonde roule de l'autre côté. Il est temps de semer le chaos. Elle raffermit sa prise sur sa hache, l'attrapant à deux mains pour compenser son manque de précision, et contourne prestement la cage, prête à viser sa nuque d'un coup horizontal tant qu'il est occupé.
CRACK. POOOOOOW. Le bruit n'est pas très fort mais est sourd et vibre quelques instants dans les airs. Elle a failli se déboîter une épaule et a frappé à quelques centimètres de sa cible, le tranchant de sa hache s'encastrant entre ses mâchoires et faisant rebondir sa tête sur les barreaux. Oups. Il était même pas positionné comme prévu. Ses yeux la fixent avec incompréhension alors que des sons gutturaux s'échappent de sa bouche obstruée, du sang s'échappant de manière chaotique d'un peu tous les côtés. Reprenant des forces, la créature pousse un petit rugissement, signant le sursis d'Ahrroë. Les quelques alcooliques du camp ne se lèveront pas pour si peu mais il reste un elfe et quatre hommes au sommeil probablement plus léger. N'hésitant pas plus, elle ressort d'un coup sec son arme de la tête du braconnier... pour l'y replonger plus ''proprement'', cette fois dans le front. Son corps chute au sol. Le plus dur commence.
«
T'as intérêt à m'aider, » chuchote-t-elle à l'attention du prédateur.
Elle dresse de nouveau son arme et frappe dans le support, en bois, de la cage, visant près de la roue. Une voix s'élève faiblement depuis la tente. Elle frappe à nouveau. Le bruit est ténu mais pas suffisamment. Encore un coup. Au même endroit. Enfin, à peu près. La créature gronde de plus en plus fort, commençant à faire des tours dans sa prison. Son cri commence à réveiller le contenu des autres cages, d'où s'élèvent des rugissements menaçants.
PAF. Les voix se multiplient derrière elle. Le temps presse. Elle a déjà mal au bras droit, handicapé. Mais serre les dents et abat encore sa hachette, inlassablement.
«
Oh tu fous quoi ?! Fais-les taire ! » hurle une voix depuis l'un des chapiteaux alors que les cris des animaux captifs commencent à occuper l'espace.
(
Au moins ça couvre le bruit que j'fais, ) se console-t-elle en donnant un énième coup près de l'axe de la roue.
Mais cette fois c'est la bonne. Le support lâche. La cage s'affaisse sur elle-même. Entre le métal et la bestiole, le bois finit par éclater sous son propre poids et l'engrenage se casse net. Le coin du chariot chute. La bête pousse un hurlement quand elle se sent tomber, mais le sol n'est pas très loin. Le choc avec celui-ci fait voler des morceaux en éclats, la faisant paniquer. Mais décrochant la cage de son socle.
«
ROOOOOOOOAAAAAAAAAAAAAAAAR ! »
Ahrroë s'écarte d'un bond.
(
Ha ! ) se félicite-t-elle intérieurement en observant la créature s'extirper tant bien que mal, apeurée, de la cage branlant à moitié en l'air.
Sans demander son reste, elle court aussi vite qu'elle peut en direction du feu, contournant la tente qui la sépare de celui-ci. Deux hommes émergent de sous les tentures mais elle les ignore royalement, utilisant sa hache à deux mains pour taper en plein dans les braises, se brûlant superficiellement au passage sous leurs yeux ahuris. Mais ils n'ont pas vraiment le temps de comprendre ce qu'il se passe.
«
Le barioth ! » crie l'un d'eux, paniqué.
«
NIQUEZ VOS MEEEEEEEEEEERES ! » hurle la vagabonde en continuant de taper dans le feu comme une démente.
Portés par le vent, des tisons finissent par atterrir sur l'un des chapiteaux alors que d'autres braconniers émergent de leurs dortoirs pour identifier l'origine du vacarme. Des ordres et des insultes fusent mais il est trop tard, le feu prend à une vitesse impressionnante, attisé par la brise ambiante. Son travail accompli, la sauvageonne reprend sa course en direction de la forêt, des bandits sur les talons. Mais le chaos a raison de leur lucidité : trois la suivent, d'autres cherchent désespérément l'eau, certains encerclent la créature enragée... Mais presque tous sont nus et désarmés.
Arrivée dans les bois, Ahrroë se tourne subitement et agite sa hachette pratiquement à l'aveuglette, touchant un humain à l'épaule. La lame se plante nette, envoyant voler une gerbe de sang et lui tirant un cri de douleur. Réalisant qu'ils n'ont pas d'arme, les deux autres s'arrêtent aussitôt, marquant une hésitation. Une hésitation fatale pour leur compagnon. Rattachés par l'arme qu'elle a planté dans son bras, elle ne peut pas louper son attaque, même handicapée : elle donne un coup de talon magistral dans sa rotule gauche, qui explose sous l'impact, le faisant tomber sur son genou droit dans un craquement atroce. Hurlement. Elle sourit. L'un des deux autres poursuivants se jette sur elle, réussissant à dévier l'attaque qu'elle cherchait à asséner au visage du blessé, mais manque de chance l'arme est envoyée dans sa nuque à la place, coupant court à son supplice. Le plaquage de l'humain lui fait perdre la prise sur la hache, qui reste figée là. Ils tombent tous deux sur des branchages.
«
Va m'chercher une corde ! » crie son assaillant au troisième en étreignant la vagabonde pour l'empêcher de bouger.
Mais alors qu'il s'éloigne en courant, docile, le sourire de la jeune femme s'élargit et fait hésiter le bandit massif qui la retient, surpris. Il ne lui en faut pas plus : elle se redresse juste assez pour atteindre sa jugulaire et mord de toutes ses forces. Nouveau cri, au plus grand plaisir de la sauvageonne qui se laisse tomber en arrière sans lâcher sa prise. Il détend l'un de ses bras pour tenter de glisser ses doigts entre les dents d'Ahrroë, mais, son bras gauche libre, elle lève sa main et tâtonne sur son visage de ses doigts. Paupière trouvée. Paupière touchée. Elle enfonce son pouce dans son œil, appuyant de toute la force dont elle est capable ; rapidement son hurlement s'intensifie alors qu'elle sent son globe oculaire se transformer en pâte visqueuse sous la pression.
«
Salope ! » gémit-il avec douleur en relâchant complètement sa prise pour tenter de se défaire de celle de celle qu'il croyait à sa merci deux secondes plus tôt.
Ses dents toujours figées dans le cou du braconnier, elle se propulse du bras droit : essayant de s'extirper en arrière, il ne faut qu'une petite impulsion pour qu'il se retrouve sur le dos et elle sur lui. Tirant d'autant plus sur sa mâchoire, elle arrache un morceau de chair à l'homme, gravement blessée, puis attrape la première pierre qu'elle aperçoit. Et frappe. Et frappe. Et frappe. Le second œil vole rapidement hors de son orbite mais elle continue quelques fois pour la forme avant de se redresser. Elle se retourne prestement pour voir le troisième assaillant arriver avec une corde et du renfort... Un nain et un garzok, les yeux injectés de sang, ayant du mal à aligner deux pas. Derrière eux le fameux barioth s'occupe de bouffer la tête d'une petite merde verte pendant que le feu prend des proportions démesurées. Il y a au moins quatre morts. Elle recrache le morceau de chair, la bouche pleine du sang d'un autre, attrape sa hachette encore plantée dans le premier des poursuivants et éclate d'un rire dément à l'attention des nouveaux arrivants. Ils sont à quelques mètres d'elles, mais même le garzok semble hésiter.
«
Comme tous les fils de pute vous connaissez que la force brute, » s'amuse-t-elle.
Elle a mal. Elle est fatiguée. Elle est blessée. Mais elle a une putain de créature d'une tonne de ''son côté'', des vêtements et une arme. Et toute la nuit pour s'amuser.
Profitant de leur seconde d'hésitation, elle se retourne et décampe dans les ombres.