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par Sibelle » mar. 17 mars 2020 21:08
Les montagnes et la forêt survolées, le reste de la journée fut paisible. Le cavalier demeura silencieux et Sibelle profita pleinement de son vol, savourant la vue, l’air frais, la liberté, elle en oublia même la présence de Jorus dont le poids l’importunait guère. Le soir venu, Sibelle diminua son altitude afin de trouver un endroit pour passer la nuit. Lorsqu’elle vit une clairière, elle s’y rendit aussitôt. Une fois atterrie, elle laissa son compagnon sauter au sol. Ce dernier ne perdit pas de temps et lui proposa de monter le camp et de faire le premier tour de garde. Sibelle fit un signe de tête affirmatif, puis reprit sa forme elfique.
« Oui, j'ai besoin d'un peu de repos… »
Cela dit, elle s’empressa d’aider Jorus à monter le camp pour la nuit. Sibelle ramassa du petit bois et plaça deux pierres assez grosses pour s’asseoir autour du feu préparé par le jeune homme. Après avoir pris place sur son siège improvisé, elle imita Jorus et mangea une part de sa ration de champignon séché. Le début du repas se passa en silence, ce qui ne déplaisait pas à Sibelle qui n’était pas très bavarde et appréciait le silence. D’autant plus que sa relation avec Jorus n’était pas des meilleures.
Après quelques minutes, Jorus s’arrêta de manger et questionna directement Sibelle, sans préambule, il voulait savoir pourquoi, elle avait protégé Naral. Il ne comprenait pas son comportement envers le dragon mauve. Il savait qu’elle appréciait Xël, mais ce dernier considérait que Naral était responsable du chaos sur Aliaénon. Sibelle n’avait pas quitté Jorus des yeux, elle était soulagée de voir qu’il lui parlait calmement et qu’il lui demandait des explications au lieu de la juger sans savoir.
« J’avais comme mission de le ramener en vie au conseil d’Or. Il revenait à eux de le juger et de le punir comme il se doit… Et puis, il s’est rendu sans résistance. »
Elle s’arrêta quelques secondes, elle s’était exprimée calmement, d’un ton autre, dénuée de sentiments. Elle se doutait qu’il ne partagerait pas nécessairement son opinion par la suite.
« Lorsque le chaos a été créé dans la salle du conseil, il a été l’un des premiers à agir pour sauver le plus de gens possible. »
Elle prit une grande respiration et reprit avec un peu d’émotions dans la voix :
« Xël est tout en bonté. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un de si généreux. C’est pour cette raison que je suis allée le recueillir en vol, lorsqu’il tombait de la tour. Il s’est sacrifié pour les autres… et il le fera sûrement encore. »
Elle prit une autre respiration avant de poursuivre :
« J’ai agi de la façon que je croyais le plus juste en respectant ma mission qui m’avait été confiée… Peut-être que l’avenir me dira que je me suis trompée… ou que j’ai eu raison… »
Comme il fallait s’y attendre, il ne partageait pas l’opinion de Sibelle pour ce qui était du dragon mauve. Selon lui, seule Simaya avait tenté de les sauver, pour ce qui était de Naral, il était logique qu’il répare ses fautes selon lui. Sibelle l'écouta attentivement. Elle serra les poings à quelques reprises, sans pour autant exprimer son désaccord, par des paroles ou des mimiques.
Lorsqu'il eut terminé, elle rajouta tout simplement, sur le ton de la confidence, un peu comme si elle se faisait la réflexion à elle-même.
«Ce serait si simple, si c'était tout blanc, ou tout noir, mais il y a de nombreuses zones grises. Rares sont ceux entièrement bons, ou entièrement mauvais. Ils nous restent à choisir ce que l'on tolère chez les autres et ce qu'on ne tolère pas. Pour ma part, je ne tolère pas la traîtrise... »
Elle n'allait pas plus loin, elle ne voulait pas engager la discussion sur Yurlungur, il n'était plus un gamin, il découvrirait tôt ou tard la nature tordue de la gamine, elle bifurqua plutôt la conversation sur un côté autre.
« Les excuses n'étaient pas nécessaires, mais je les accepte... Mais demeure prudent lorsque tu insultes, ou provoques. Dans un autre contexte, j'aurais pu vouloir terminer ça par un combat. »
Jorus affirma tenter de suivre les conseils prodigués par la guerrière. Il lui raconta une expérience vécue avec Yurlungur dans les grottes, son attitude violente l’avait déstabilisée. Sibelle se détendit. Il avait enfin compris la nature torve de la gamine. Elle répondit par contre
« Ma méfiance envers Yurlungur n'était pas gratuite, je l'avais vu à l'oeuvre et à plusieurs reprises... mais tu devais te faire une idée par toi-même. »
Elle s'arrêta quelques instants le temps de mettre ses mots en place.
« Si j'ai demandé le délai pour le combat, c'est parce que je crois en la justice. Peu importe, qui elle est, elle avait droit à un combat où elle était en possession de tous ses moyens. »
Tout en attendant la réponse possible de Jorus, Sibelle retira son armure et ses armes, se défit de sa cape et la plaça comme une couverture.
Le visage crispé, Jorus avoua qu’il gardait toujours espoir que Yurlungur regagne le droit chemin. Sibelle croyait au contraire que la gamine s’enfonçait toujours un peu plus dans le côté obscur, mais garda ses réflexions pour elle. Alors que Sibelle allait s’étendre, Jorus avoua qu’il l’avait mal jugée. Pour toute réponse, elle dit:
« Je sais. »
Puis elle renchérit:
« Nous devons former une équipe et nous entraider mutuellement. Mais je te préviens, si tu agis en traître, je ne t'épargnerai pas. Je n'épargnerai pas un ami qui agirait ainsi... J'ai très peu d'amis, et tu n'en fais pas partie. ... enfin, pas... »
Elle arrêta sa phrase sans la terminer, il était facile de deviner qu'elle allait dire : « pas encore », laissant sous-entendre la possibilité d'en arriver là. Mais elle ne prononça pas ces mots. Sur ces dernières paroles, elle s'étendit, remarqua le visage serein et confiant de Jorus et ferma ses yeux. Elle allait méditer quelques heures pendant que Jorus prendrait le premier tour de garde.
Après quelques heures, Sibelle prit le relais afin de permettre à son compagnon de se reposer à son tour. La nuit fut calme, sans incident. Le matin, après avoir bu et mangé, comme elle allait reprendre sa forme d’hippogriffe, elle s’excusa auprès de Jorus.
« Ne m’en veux pas pour les acrobaties aériennes d’hier, après ce confinement dans ces souterrains, j’avais envie de me dégourdir. » Puis prenant un air plus solennel, elle rajouta :
« Je serai plus prudente aujourd’hui. »
Sibelle fut soulagée d’apprendre que Jorus n’était pas déstabilisé de son expérience aérienne de la veille. Timidement par curiosité, il demanda quel effet ça faisait de prendre la forme de cet oiseau.
Nul besoin de réfléchir pour la guerrière avant de répondre:
« Sous ma forme d'hippogriffe, je me sens libre, encore plus forte, déterminée et audacieuse, mais moins indulgente. »
Ils terminèrent de ranger leurs affaires. Et Jorus profita de la forme elfique de la guerrière pour la questionner plus à fond sur les propos qu’elle avait tenus en présence du Roi, notamment en ce qui avait trait aux danseurs d’Opale, de l’harmonie.
Sibelle poussa un long soupir, elle n'était pas friande des longues discussions. Mais ce fut de bon cœur qu'elle livra sa pensée.
« Aucune supériorité d'un peuple sur l'autre, chacun vivant selon ses coutumes et respectant celles des autres. Entraides, relations amicales entre les peuples. »
Sibelle fronça les sourcils lorsque Jorus semble tordre les faits dans une logique douteuse. Prenant un air fier elle nuança.
« Tout d’abord, l’ordre ne m’impose rien : C’est par propre volonté que mes armes se meuvent… Ensuite, les sindeldi sont divisés. Ceux appartenant à l’ordre des Opales renient cette supériorité des gris et ne cherchent à éliminer aucun peuple. »
Jorus sembla enfin comprendre la mission de l’ordre et surtout la division des sindeldi, et puis finalement, il fit le lien entre ceux-ci et les gens qui apportaient leur soutien aux elfes bruns. À la remarque de Sibelle a savoir : éliminer aucun peuple, il questionna au sujet des garzok. Sibelle n’eut le temps que de lever un sourcil perplexe qu’il renonça à sa question. Avec l’intention évidente de détendre l’atmosphère, il encouragea l’hinionne à lui poser des questions personnelles, faisant humoristiquement allusion à son charme et à sa musculation.
Sibelle éprouva quelques difficultés à garder son sérieux, mais elle y parvint. Pour toute réponse, elle termina la discussion :
« Nul besoin de vous questionner, par vos actions et gestes, vous avez déjà tout dévoilé. »
Mettant fin une fois pour toutes à la discussion, elle recula d’un pas et se transforma en hippogriffe. Une fois son cavalier en place, elle décolla.
Voir le soleil se lever tout en parcourant le ciel était un spectacle à couper le souffle que Sibelle ne manqua pas d’admirer. Il était alors plein jour lorsque Sibelle vit de la fumée à l’Ouest. Se plissant davantage ses yeux d’aigle, elle perçut du mouvement. Une troupe plutôt lente, mais importante en nombre se dirigeait, tout comme eux vers Nessima. De l’autre sens, et beaucoup plus rapidement une plus petite troupe avançait. Si Sibelle n’avait aucune idée de la composition du premier groupe, elle avait de forts doutes pour la seconde. Ces déplacements l’intriguaient et elle souhaitait satisfaire sa curiosité. Jorus qui avait vu la même chose qu’elle lui demanda si elle avait vu à l’ouest. Elle répondit par un cri bref. Mais avant que son cavalier n’ait le temps de faire une suggestion, Sibelle modifia sa trajectoire pour se rapprocher du plus petit regroupement, celui se déplaçant à bonne vitesse. Jorus approuva aussitôt ce changement de cap, pour une fois, les deux compagnons partageaient le même point de vue.
Lorsque l’hippogriffe sentit son cavalier raffermir sa prise, elle accéléra sans crainte de le perdre en cours de vol.
Pour éviter d’être harponné en plein vol, l’hippogriffe vola en haute altitude jusqu’à ce qu’elle ait dépassé le groupe de Sindeldi à cheval. Une fois à bonne distance devant eux, elle atterrit en douceur. Les ailes encore déployées afin d’être bien vues par les elfes gris et les inciter à arrêter, elle conserva sa forme d’hippogriffe, laissant Jorus intervenir seul pour le moment.