<< Précédemment
Sans relâche, je m'efforçai de passer la garde de Sorinion pendant tout le reste de la journée. Chaque fois que je parvenais à me dérober à son attaque, il était plus rapide, plus fort et parvenait à voir venir mon assaut avec une telle facilité que cela en était rageant. Passer dans son dos se révélait plus complexe que je ne pensais. Je n'avais pas trente-six solutions. Droite ou gauche. Les choix étaient limités et il me contrait aisément avec ses deux lames, peu importe le chemin que je pouvais choisir. J'étais trop petite pour lui passer au-dessus et trop faible pour forcer le passage. J'avais beau me servir de tout ce que je savais, de tout ce que je maîtrisais, il n'y avait rien à faire et, pour la première fois depuis que je m'entraînais avec lui, je me sentis découragée.
C'était décevant et exaspérant, mais le sentiment enfla un peu plus à chaque échec et je finis par laisser tomber ma rapière, autant à bout de force que de patience. Je m'effondrai au sol, le front en sueur et la poitrine se soulevant avec force. Il n'ajouta rien et s'approcha après avoir rengainé ses lames, et me tendit une gourde. Je me redressai et la prit, buvant de longues gorgées avant de soupirer et de m'asperger le visage. Je n'espérai rien de plus de sa part, mais il s'éloigna, se remit en place en attendant patiemment. Il n'était pas avare de conseils, mais lorsqu'il s'agissait de maîtriser quelque chose, il pensait que l'important était de comprendre la solution par soi-même. C'était sa façon de faire : me pousser à bout pour me forcer à évoluer. Je mis du temps avant de me relever, encore plus avant de saisir ma rapière. Ma main me lançait à force de serrer la poignée de mon arme et l'agripper commençait à devenir douloureux.
- On peut s'arrêter, si tu préfères.
Son ton condescendant me fit tiquer et je lui jetai un regard noir. Un simple sourire me répondit avant qu'il ne se mette en garde et ne passe à l'attaque. Un coup de taille sur la gauche que j'évitai souplement en me décalant sur son flanc droit, me heurtant aussitôt à sa deuxième arme, m'empêchant de lui passer dans le dos. Chaque fois c'était la même chose, et je ne trouvais pas de parade à cela. Peut-être que contre un adversaire doté d'une unique arme cette technique fonctionnait, mais, contre lui, j'étais complètement démunie. Je ne comprenais d'ailleurs pas pourquoi il attaquait ainsi. D'habitude, ses assauts impliquaient ses deux armes, dans une parfaite coordination. Là, il les utilisait l'une après l'autre. Et cela me frappa.
(Je suis si stupide par Meno!)
C'était ça, la faille ! Il me le montrait depuis le début et moi je fonçai comme une idiote dans son piège à chaque fois depuis des heures. Comme s'il avait perçu que quelque chose avait changé, Sorinion se fit soudainement plus rapide, balayant l'air devant lui de son arme de droite. Je ne bougeai pas, puis, au dernier moment, me fendit en direction de la lame, pliant le buste et me servant de ma rapière et de mon bouclier pour faire glisser le métal sur la chitine sans qu'elle me touche. Une torsion du buste et un jeu de jambe plus tard et je me retrouvai dans son dos, fixant ses omoplates avant qu'il ne se retourne, un sourire aux lèvres.
- Bien ! Peux-tu me dire qu'elle a été ton erreur jusque là ?
- Je n'ai pas profité de l'ouverture de ton attaque. J'évitais l'assaut pour ensuite essayer de passer dans ton dos alors qu'en fait je devais utiliser l'attaque pour me dérober en un seul mouvement et te prendre par surprise.
- Exact ! C'est là tout l'intérêt de cette technique, utiliser l'attaque de ton adversaire à ton avantage. C'est pour cela que je voulais que tu la maîtrises. Tu es agile et rapide et ce genre de mouvements t'es parfaitement adapté. Pas besoin de force lorsque l'ennemi ne peut pas te toucher et ne riposter que difficilement. Comme toute technique, elle a bien sûr ses défauts, mais mieux vaut que tu les découvre toi-même pendant notre entraînement.
Je hochai la tête et reprit. Il répétait inlassablement le même genre d'attaque, accélérant peu à peu pour me donner une idée de comment faire en situation de combat réel. Je devais presque prédire d'où l'attaque viendrait en me fiant aux mouvements de ses épaules et de son bassin, ce qui ne facilitait pas la tâche et me valut quelques bleus et une belle frayeur en pensant m'être cassée l'épaule en recevant un coup un peu trop enthousiaste. Sorinion m'aida à me redresser et s'assura que j'allais bien avant d'arrêter l'apprentissage pour ce jour-ci. Je voulus continuer mais il fut très clair : je fatiguai et il ne voulait pas risquer une blessure à cause de cela.
Ce ne fut qu'une fois dans le confort de ma chambre que je compris qu'il avait raison et que j'étais vraiment épuisée. Combattre ou m'entraîner accaparait mon entière attention et je me fixais tant dessus que j'en oubliais le reste. Les pensées ou les sensations extérieures étaient comme reléguées dans un coin, en pause. Je grignotai rapidement le repas que Sorinion me fit monter et m'endormis très vite, avant même que le soleil ne soit totalement couché. Un sommeil de plomb, perturbé seulement par le lever matinal de l'astre solaire venu s'illuminer jusqu'à mes paupières. Je ne perdis pas de temps, mangeai un repas frugal et sortis aussitôt, trouvant Sorinion déjà prêt, un sourire aux lèvres.
- On reprend ?
- Et comment !
Cela me faisait oublier mon père, me faisait oublier le départ de Nyllyn ou l'angoisse de devoir partir sur les mers. Pendant des heures, je m'efforçais de maîtriser la technique de Sorinion. Il changea souvent d'attaque, à une ou deux armes, se servit de masses ou de lances pour m'obliger à trouver une faille pour chaque type d'arme. Puis il termina simplement. Il envoya un Danseur contre moi. Un Hinion à en juger par ses cheveux blonds, ses oreilles pointues et ses traits fins. Il portait une cotte de maille surmontant un gambison et maniait une hache et un bouclier rond qui lui couvrait le côté gauche. Il s'inclina sans approcher trop près.
- Un honneur de me battre conte vous. Mon nom est Falikië.
Je haussai un sourcil avant de m'incliner respectueusement à mon tour. Je n'étais pas très à l'aise avec la façon dont certains s'adressaient à moi, avec leur ton martial, mais je faisais de mon mieux pour leur rendre la pareille.
- L'honneur est pour moi, Falikië.
Il se mit en garde, son bouclier placé devant lui, bloquant mon champ de vision sur la majeure partie de son corps et son arme. Puis il chargea. Ne pouvant me permettre de recevoir sa charge de plein fouet, je l'évitai promptement en bondissant sur le côté. Je me ruai sur lui alors qu'il se retournai. Je frappai violemment son bouclier de ma semelle alors qu'il le mettait devant lui, projetant son bras en arrière, mais, bien entraîné, cela ne l'empêcha pas d'abattre sa hache que je déviai de justesse d'un coup de bouclier. Ce court instant lui permis de se reprendre et je dus bondir en arrière pour éviter de me prendre la tranche de son bouclier dans le visage. Il n'était pas plus rapide que moi, mais bien plus massif. Son équipement était simple mais il le maniait avec aisance et sans fioriture. Le problème, c'est que j'avais des heures d'entraînement dans les pattes et que je n'allais pas pouvoir le faire durer éternellement, ce combat.
Il me fallait forcer son attaque et utiliser efficacement la technique enseignée par Sorinion. J'avançai donc vers Falikië, lentement, en garde, parée à tout. Il me surpris en envoyant sa hache vers moi. Solarhyss la dévia de justesse, mais je reçu son coup de bouclier en plein torse, vidant l'air de mes poumons en me jetant au sol. Je roulai et me relevai d'un bond en me tenant la poitrine, essayant tant bien que mal de reprendre mon souffle alors qu'il me courait dessus après avoir ramassé sa hache. J'inspirai et une vive lumière imbiba mon arme alors que je m'élançai vers mon adversaire qui frappa. Je me glissai sous son attaque pour le dépasser et le frapper dans le dos. Je ne fus pas assez rapide car il se retourna assez vite pour parer l'assaut. Il détourna les yeux lorsque ma rapière rencontra sa hache, aveuglé et j'en profitai pour reculer à nouveau.
Je pris un peu de distance et inspirai lentement. Je devais être plus rapide, plus agile. Je devais attendre son attaque et l'utiliser à mon avantage. Falikië était visiblement un combattant porté sur l'attaque car il se remit aussitôt à me charger. Je déviai le premier coup de hache d'un revers de mon bouclier, puis évitai le second sans pour autant trouver une vraie ouverture. Je devais la forcer. Je reculai d'un bond et raffermis ma prise sur mon arme pointée vers lui, une jambe en retrait avant de fondre vers son torse. Son bouclier intercepta l'attaque qui transperça le bois sans atteindre la cuirasse derrière. Il fut surpris, mais, aguerri, il attaqua aussitôt et ce fut ma chance. J'évitai en me penchant en arrière, passant sous la lame de la hache et tournai sur son flanc pour me trouver derrière lui, me dérobant à sa vue. Avant qu'il ne puisse réagir, ma lame se posa sur sa nuque et il déposa ses armes en signe de reddition. Je haletai, mais un large sourire ornait mon visage alors qu'il se retournait.
- Je comprends pourquoi Sorinion voulait vous entraîner, vous êtes faites pour le combat.
Je grimaçai, pas vraiment à l'aise avec cette idée, mais le remerciai néanmoins. Ce combat avait été instructif et Sorinion me tapota l'épaule en signe d'assentiment avant de m'envoyer me reposer. Je levai les yeux au ciel, mais ne me fit pas prier et remontai dans ma chambre. Une fois de plus, les pensées s'étaient tenues loin de moi, comme si mon esprit s'était vidé. Peut-être que Falikië avait raison...
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Tentative d'apprentissage facilité de la cc mêlée« Dérobade » pour 150 yus.