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Une journée était passée, puis une autre. La nuit tombait doucement sur Tulorim lorsque Morrigane, Vallen, Ardur, et Rodryk se mirent en route vers le manoir d’Alvaric Belos. Ils avaient passé l’après-midi à affiner leur couverture, vérifiant chaque détail de leurs faux rôles, se rappelant les points clés de leurs identités. Leurs déguisements étaient subtils mais soignés : des vêtements de tissus élégants, mais sans ostentation. Vallen, en chef de groupe, portait une tunique bleu nuit brodée de fil d’argent, sa ceinture ornée d’une boucle en bronze gravée de motifs complexes. Morrigane, dans son rôle d’Astrée Rehart, avait revêtu une robe gris perle rehaussée de fines broderies, ses cheveux relevés en un chignon élégant et sévère. Ardur et Rodryk, en gardes du corps, portaient des vêtements sombres et pratiques, sans accessoires superflus, leurs regards durs pour seuls accessoires.
Dans la pénombre de la ruelle où ils attendaient une calèche affrétée par Vallen, ils révisèrent une dernière fois leurs rôles. L’éclairage tamisé des lanternes accentuait les visages tendus de chacun.
« N’oublie pas, on joue ici la discrétion. Nous sommes des Rehart, marchands d’objets rares. Pas de gestes brusques, ni de questions inutiles. Ardur et Rodryk, restez silencieux et laissez l’impression que vous surveillez la moindre menace. »
« Il faudra que je capte l’attention de Belos pour appuyer notre couverture. Il devra sentir que ce collier est pour moi plus qu’un simple achat. »
« Justement. Garde cet air détaché, un peu mystérieux. Je me suis renseigné. Alvaric est connu pour aimer les énigmes, et il teste vite ceux qui l’intéressent. »
La calèche arriva enfin et les conduisit à travers les rues pavées de Tulorim jusqu’au quartier des villas. Bientôt, ils approchèrent du manoir de Belos, une bâtisse imposante entourée de murs de pierres grises et de hautes grilles de fer ouvragées. Des torches disposées le long de l’entrée diffusaient une lumière chaude, jetant des ombres tremblantes sur la façade de pierre claire. Des fenêtres aux encadrements ornés révélaient des éclats de lumière et les silhouettes des convives déjà présents, des invités tout aussi mystérieux et discrets que le maître des lieux.
En descendant de la calèche, ils furent accueillis par deux gardes au regard scrutateur.
« Bonsoir. Identités ? »
« Famille Réhart. »
Le deuxième garde lorgna une petite liste sur un parchemin avant de poser un long regard sur chaque personne, puis il hocha de la tête.
« Bienvenue ! Donnez-vous la peine. »
Et ils les conduisirent jusqu’à l’entrée principale. Dans le grand hall, une ambiance feutrée régnait. Les murs étaient couverts de tapisseries sombres représentant des scènes de batailles et de chasses exotiques. De grands lustres en cristal éclairaient la pièce de manière tamisée, projetant des reflets mouvants sur les visages des convives. Les invités circulaient en petits groupes, des nobles, des marchands aux airs austères, chacun murmurant des échanges discrets, des regards furtifs échangés avec des sourires entendus.
Morrigane et Vallen avancèrent avec assurance, leurs pas lents et mesurés, tandis que Rodryk et Ardur se positionnaient légèrement en retrait, la posture rigide et attentive.
À peine avaient-ils pris place dans le hall qu’un homme, d’une cinquantaine d’années, apparut.
« Je crois que c’est notre homme. »
Il portait une tenue d’un luxe sobre mais impeccable : une veste sombre, finement brodée, et une ceinture ornementée d’un pendentif en pierre précieuse. Son regard perçant passait d’un invité à l’autre comme s’il évaluait chaque personnalité, ses yeux aussi glacés que calculateurs.
Son regard se posa finalement sur Vallen et Morrigane, et il s’avança vers eux avec une lenteur calculée. Vallen prit l’initiative de saluer le maître des lieux avec une légère révérence, Morrigane à ses côtés, l’air détaché mais intéressée.
« Lord Belos, » commença Vallen d’une voix calme et posée.
« Lucien Rehart, marchand d’objets rares de Yarthiss. Et voici ma sœur, Astrée. »
Belos les fixa un moment, ses yeux scrutateurs passant de Vallen à Morrigane, un soupçon de méfiance perçant son masque de politesse.
« Yarthiss… Voilà un nom peu entendu dans ces cercles d’expertise. Vous devez donc être des… explorateurs discrets de notre marché. »
Un sourire léger et froid effleura les lèvres de Morrigane. Elle s’avança légèrement, sa posture élégante et décontractée.
« Notre famille privilégie la discrétion, Sir Belos. Les expositions publiques ne sont pas notre domaine, mais plutôt les acquisitions… particulières. »
Belos la dévisagea, ses yeux se plissant légèrement comme s’il évaluait chaque mot.
« Je vois. Il est vrai que ce collier attire les collectionneurs de raretés. Mais il est d’une puissance telle que seuls les acheteurs les plus… respectables peuvent espérer y accéder. »
Morrigane retint un sourire et ajouta, son ton teinté de fascination feinte :
« C’est précisément pour cela que nous avons fait ce long voyage, Lord Belos. Ce collier me fascine depuis des années. Pouvoir l’acquérir serait pour nous un honneur, et pour moi une opportunité de me démarquer dans ma propre collection. »
Morrigane sembla capter quelque chose dans son regard, un mélange de fascination et de détermination calculée, mais il ne laissa rien paraître, et répondit d’un ton plus mesuré :
« C’est un honneur de recevoir une famille aussi… investie. Voyez-vous, cet objet a attiré de nombreux regards, et nous avons dû prendre des mesures pour le protéger. Il est gardé dans une chambre forte, sous la surveillance constante de mes meilleurs hommes. »
Vallen, qui écoutait attentivement, s’avança légèrement, l’air intéressé.
« Vous avez raison. Un tel trésor demande un soin particulier. Nous avons déjà entendu parler de votre expertise en matière de sécurité. »
Belos parut se détendre légèrement, flatté mais toujours méfiant.
« Mon devoir est de protéger ce que j’estime le plus. Mais ce soir, laissez-nous célébrer avant que la vente ne commence. Prenez vos aises et profitez de la soirée. »
Il inclina la tête avec une froide politesse et les quitta, glissant à travers la foule pour rejoindre d’autres invités. Morrigane et Vallen échangèrent un regard entendu. Ils avaient réussi à s’infiltrer et, surtout, à obtenir une information cruciale : le collier était protégé dans une chambre forte et sous haute surveillance. Leurs regards étaient maintenant tournés vers leur prochain objectif, l’esprit alerte face à l’ambiance tendue et raffinée du manoir d’Alvaric Belos.
Dans la grande salle tamisée du manoir, l'ambiance était feutrée, mais l’arrivée d’un invité inattendu fit palpiter l’air d’une tension nouvelle. Une silhouette fluide glissant dans la foule, un sourire narquois étirant ses lèvres. Vallen et Ardur échangèrent un regard en silence : Ça se voyait qu’ils connaissaient cette démarche, cette manière de jauger la pièce d’un seul coup d’œil.
« Putain… Qu’est-ce qu’elle fout là ? » lâcha Ardur dans sa barbe.
« C’est qui ? » demanda Rodryk.
« Yngrid la Sournoise, une voleuse de renom, l’un des esprits les plus rusés et les plus insaisissables de Tulorim. Elle n’était pas du genre à passer inaperçue, même lorsqu’elle tente de se faire discrète… »
En effet, son allure élégante et ses mouvements félins attiraient les regards, tandis qu’elle affichait une assurance nonchalante et séductrice, presque théâtrale. Le groupe, sans perdre de temps, se fraya un chemin jusqu'à elle sous l’impulsion de Vallen. En les voyant approcher, Yngrid posa sur eux un regard brillant d’amusement, ses yeux s’attardant plus longtemps sur Vallen, luisant d'une lueur d’intérêt provocant.
« Tiens, tiens, Lucien Rehart et sa charmante petite sœur, n’est-ce pas ? » lança-t-elle, un sourire espiègle aux lèvres. Son ton mielleux cachait à peine une ironie moqueuse.
« Yngrid… Cela fait longtemps. »
« Oh, vraiment ? Si longtemps que ça ? Je me souviens d’un homme qui ne comptait pas les jours, mais peut-être as-tu changé de méthode, Lucien. » Elle accentua ce nom factice avec une étincelle de malice.
« Alors, toi aussi tu es sur ce coup ? Le collier d’Alvaric Belos attire bien du monde, on dirait. »
« Les rumeurs circulent vite à Tulorim. J’étais curieuse de voir si ce collier avait vraiment la valeur qu’on lui prête. » Puis, sans quitter Vallen du regard, elle glissa, un sourire charmeur au coin des lèvres :
« Et je ne m’attendais pas à trouver... de si vieilles connaissances. »
Morrigane observa l’échange avec une froide distance, notant l’étincelle de tension entre Yngrid et Vallen, comme un secret palpable suspendu entre eux. Yngrid, semblant remarquer sa présence silencieuse, se tourna vers elle, l'air faussement jaloux.
« Et toi, ma jolie ? On dirait que tu fais partie de leur nouvelle équipe. Serais-tu là pour remplacer... certaines relations passées ? » murmura-t-elle avec une moue piquante.
« Yngrid, nous n’avons pas de temps pour tes petits jeux. Tu sais très bien ce que nous cherchons. Le collier est ici, et toi aussi. »
« Eh bien, si vous comptez vraiment jouer dans la cour des grands, il va falloir être rapides. La patience n’est pas mon fort, et je déteste partager. »
Elle tourna les talons, disparaissant dans la foule avec un dernier sourire espiègle, laissant le groupe sur leurs gardes. Morrigane, malgré son silence, ressentait déjà la précarité de leur situation.
« Il va falloir agir vite. Yngrid est douée, et elle a souvent un coup d’avance. Il va falloir repérer cette chambre forte. »
Alors ils déambulèrent, cherchant les accès dénués de convives. Au bout de quelques minutes, ils atteignirent une aile du manoir curieusement, non gardée.
"Étrange...Pourquoi il n'y a aucun garde sur notre chemin."
Ardur répondit.
"Je l'ai remarqué aussi... Pourtant Belos n'a pas l'air d'un homme négligeant avec la sécurité. Et bien vîte ils comprirent. L’odeur âcre du poison leur monta aux narines. Des gardes étaient éparpillés sur le sol, leurs visages pâles et leurs corps rigides comme figés dans l’instant de leur dernier souffle.
Une ombre dansante, indistincte, se reflétait sur le mur au bout du couloir. La silhouette d’Yngrid apparaissait brièvement. Elle venait de passer par là.
« Putain… » cracha Ardur.
Vallen et les Désembrumes partirent à sa poursuite. Au bout du virage que formait le couloir, ils virent Yngrid posant sa main sur une porte ornée d’un symbole magique. Un souffle chargé et lourd se répandit dans l’air et une onde noire émana de la porte, comme un souffle venu des profondeurs. La silhouette d’Yngrid recula brusquement, son visage perçant la panique, alors que la magie contenue jusque-là dans la poignée s’éveillait avec une violence inouïe. De la pénombre surgit une créature spectrale, un corps squelettique drapé de vêtements rapiécés, flottant au-dessus du sol. Son visage émacié, desséché par le temps, luisait d’une lueur malsaine, et deux yeux de braise semblaient s’enfoncer dans les âmes de ceux qui le fixaient. Une liche, une créature maudite aux pouvoirs sombres, invoquée pour protéger le précieux artefact. La fameuse protection de Belos.
Yngrid, son visage marqué de stupeur, recula précipitamment vers Vallen et les autres qui venaient d’arriver en renfort.
« Bon, je crois que je pourrais avoir besoin d’un peu d’aide, finalement, » glissa-t-elle, son sourire de façade peinant à dissimuler son inquiétude.
La liche, fixant le groupe de ses yeux sans vie, leva une main osseuse, une énergie noire pulsant dans sa paume. Elle projeta un jet de volutes sombres qui s’écrasa contre le mur, le faisant éclater dans un fracas assourdissant. Morrigane et les autres se jetèrent au sol, esquivant de justesse l’attaque.
« Restez en mouvement ! » hurla Vallen, ses yeux braqués sur la créature. Il savait que, malgré leur nombre, la liche représentait un danger mortel.
Ardur dégaina son épée, tentant de distraire la créature par des assauts rapides mais prudents. Yngrid, elle, se déplaça avec une agilité féline, tentant de repérer les failles dans les mouvements de la liche, même si elle semblait hésiter à l’approcher. Morrigane, profitant de l'ouverture créée par Ardur, concentra ses forces pour incanter un feu follet, espérant distraire la créature. La petite flamme dansante tournoya autour de la liche, mais celle-ci, avec un mouvement lent et calculé, projeta une nouvelle vague de magie noire, qui éteignit la flamme.
Morrigane, le corps encore douloureux, tenta une nouvelle attaque, lançant une boule de feu qui frappa la liche en plein torse. La créature recula sous l’impact, mais sembla se renforcer, son corps spectral vibrant d’une énergie malsaine.
« On va y passer si on continue comme ça ! » cria Yngrid en esquivant un nouveau jet de volutes noires.
Rassemblant leurs forces, Morrigane et Vallen lancèrent un ultime assaut. Morrigane, avec un dernier effort, projeta son sort Cuisson sur la liche, cherchant à créer une faille. La créature sembla vaciller sous l’effet de la chaleur intense, son énergie se dispersant brièvement. Saisissant cette ouverture, Vallen bondit en avant, frappant au centre de la poitrine de la liche. La liche poussa un cri déchirant, son corps se disloquant en une pluie de cendres et de ténèbres, se dissipant peu à peu dans l’air. Le silence retomba, lourd. Essoufflés, ils échangèrent un regard, puis Yngrid, le sourire épuisé mais triomphant, se tourna vers eux.
« Pas mal cette soirée. Peut-être que travailler en équipe a du bon, après tout, » murmura-t-elle, sans rien perdre de son espièglerie.
Vallen esquissa un sourire malgré lui, tandis que Morrigane et le reste du groupe réalisaient que ça allait peut-être devenir plus compliqué qu’ils n’auraient pu l’imaginer.
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