L’Ombre sous la Lune
Après avoir rampé dans un tunnel étroit, puant et plus sombre que le cul d’un garzok, Marcy parvient finalement à une grille. Une toute petite grille, dernier obstacle entre elle et le dehors. Une grille rouillée, pas entretenue depuis probablement avant sa naissance et qui, d’un simple coup de poing, tombe presque en miettes, laissant la jeune fille s’extirper de son tunnel avec un soupir de soulagement. L’air frais du dehors et la clarté lunaire un peu faible à cause des nuages lui font un bien fou et elle reste allongée un instant sur le sol, malgré tout ravie de s’être sortie indemne de cet endroit puant. Reste que le boulot n’est pas fini et qu’elle n’a aucune idée du temps qui est passé. Elle se relève donc, observant les alentours avec curiosité. L’endroit est immense et constitué d’une grande cour de sable entouré d’imposants gradins de pierre, le tout formant un cercle presque parfait. Deux seuls couloirs en rompent la symétrie, un pour les gradins, l’autre pour la cour de sable. Cela lui rappelle un peu l’arène qu’elle n’a visitée qu’une fois. Sans doute une version antérieure que personne n’a osé démolir.
« Où es-tu, jolie boîte ? »
Après la courte observation des lieux, Marcy se met à explorer les ruines et elle se rend bien vite à l’évidence : le lieu est immense. Pour ne rien arranger, les décombres rendent l’exploration aussi difficile qu’hasardeuse, l’obligeant souvent à enjamber des pierres écroulées ou à ramper sous des piliers effondrés. Elle observe rapidement des fresques ou des sortes de listes qu’elle ne sait pas lire, inscrites en or directement dans le marbre d’une colonne. A force, elle commence à douter de sa capacité à trouver la boîte avant le lever du soleil. Même sans les éboulements divers, il y a pas mal de recoins à fouiller et elle n’a même pas encore visité la zone qui doit normalement exister sous la cour de combat, si tout a été fait comme dans la nouvelle itération du bâtiment. Pas question pour la jeune fille de retourner voir Jean sans la boîte, mais à ce rythme, elle est certaine de ne pas rapporter le colis à temps pour empocher le double de la prime. Une moue contrite sur le visage, elle tente d’accélérer les recherches, mais la fatigue commence également à se faire sentir. Elle baille longuement, puis se fige. Un bruit. Léger. Sec. Un cliquetis. Comme si quelque chose sautait sur la pierre. La rouquine se fige, le souffle court, l’inquiétude s’emparant d’elle.
« Il y a quelqu’un ? »
Elle regarde autour d’elle, sans rien voir. La pénombre ne facilitait guère sa recherche jusque-là, mais elle devient soudainement bien plus oppressante avec ce grattement soudain. Elle tend l’oreille, mais le silence est revenu aussi brusquement qu’il a été rompu et plus rien ne lui parvient alors. Pas sereine pour autant, elle tire sa petite dague de son sac, maigre protection face à l’inconnu qui semble guetter dans l’obscurité. L’idée de quitter les lieux se faufile dans son esprit, insidieuse, pressante, mais elle la chasse. Elle a besoin de cet argent, elle va trouver cette satanée boîte et prouver à Jean qu’elle est douée, qu’il peut lui confier des boulots qui rapportent. Elle inspire un grand coup et se remet à chercher, fouillant le moindre recoin avec assiduité, jusqu’à ce que, enfin, elle l’aperçoive. Une boîte, ornée de deux clés croisées. Un cri de victoire lui échappe et elle se précipite vers son trésor, la boîte, indemne, symbole de sa fortune à venir.
Toute occupée à se féliciter et à réfléchir intensément à quoi acheter avec tout l’argent que Jean va lui donner, elle ne perçoit pas tout de suite le son qui se répercute de nouveau dans l’arène. Un cliquetis. Lorsqu’elle s’en aperçoit, elle se fige une seconde, puis se hâte de ranger la boîte dans son sac, soudainement sur le qui-vive. Cette fois, le cliquetis continue avant de s’arrêter. Un filet de sueur commence à couler le long de la tempe de la rouquine qui, sans trop savoir pourquoi, se sent immédiatement en grand danger. Elle cherche la menace invisible des yeux, regardant partout autour d’elle, mais sans succès. Le silence est devenu absolu, terrifiant, et la jeune fille sent son cœur battre à tout rompre alors qu’elle décide finalement de bouger. D’un bond, elle s’élance. Dévale les gradins. Son cœur cogne. Son souffle se brise dans sa gorge. Elle va droit vers le centre de l’arène, là où la clarté lunaire est la plus forte. Là où la grille qu’elle a ouverte se trouve.
Elle craint à tout instant qu’une ombre ne se jette sur elle, mais rien de tout ça ne se passe et elle atteint rapidement le bord de l’arène, s’apprêtant à enjamber le parapet en ruine pour filer la tête la première dans le tunnel l’ayant mené ici. Mais elle se fige, ses yeux s’écarquillant de stupeur et de peur en découvrant finalement la raison de ce cliquetis étrange. Là, descendant depuis le ciel, une créature au pelage aussi sombre que la nuit, au crâne de corbeau et aux yeux d’un blanc laiteux, la fixe, ses ailes le laissant doucement choir au centre de l’arène, de grandes serres perforant la surface du sable. Immense corbeau humanoïde, il toise la frêle adolescente figée par son apparition. Sa tête, malgré les mouvements typiquement saccadés des oiseaux, ne quitte pas Marcy du regard, concentré sur elle. Face à lui, la petite voleuse tremble, sa main serrant sa dague à s’en faire blanchir les phalanges. Jamais elle n’a croisé pareille créature, ni même entendu parler d’une telle chose. Et cette chose se tient exactement entre elle et sa voie de sortie, barrière qu’elle n’imagine pas franchir aisément.
« Une souris se jette sous les serres du rapace… »
Marcy se tend face à la voix rauque et caquetante qui émerge de la créature, autant terrifiée par les mots que par le son en lui-même. Et si, pendant un court et fol instant, elle se voit forcer le passage avec l’aide de sa dague mal affutée, l’apparition lente et contrôlée d’un bec de corbin dans les serres du volatile humanoïde lui ôte rapidement toute idée de foncer tête baissée. Négocier ? Il peut parler, il doit y avoir un moyen de se sortir de cette situation sans combattre…
« Je… »
Le premier mot a à peine le temps de franchir les lèvres de la rouquine que la créature se jette en avant, si rapide et imprévisible que Marcy n’a que le temps de reculer précipitamment. Elle bute contre les gradins derrière elle, la faisant basculer en arrière, lui sauvant la vie car l’arme menaçante la frôle sans lui faire de mal. Mais elle choit, rebondit sur la pierre, tombe et s’écrase dans le sable de l’arène avec un bruit sourd, soulevant un petit nuage de sable au passage. Au moins celui-ci a amorti sa chute, mais, groggy, la jeune fille peine à reprendre ses esprits alors que le volatile géant se pose au-dessus d’elle, à l’endroit où elle se trouvait juste avant. Un caquètement sort de sa gorge, comme un rire. Se moquerait-il d’elle ? Serrant les dents de rage, Marcy se redresse péniblement, tenant maladroitement sur ses jambes flageolantes, et pointe sa dague en direction de l’oiseau dont la tête se penche, curieux. Puis le rire reprend, plus court, plus fort, suivi de cette voix caquetante.
« Une souris qui pense être un loup… Charmant. »