Petite ambiance
Maintenant qu’il était à bord, Ulric n’avait plus qu’à trouver là où logeaient les mages s’il voulait repartir avec un butin intéressant plutôt que le stock de biscuits de mer des marins. Seulement, où chercher ? Le navire était assez grand mais, cependant, cela aurait grandement surpris Ulric que les mystérieux mages en rouge partagent les quartiers des marins. Le mieux était d’aller fouiner du côté de la cabine du capitaine.
Ainsi, le jeune homme remonta vers la poupe du bateau, toujours caché derrière le bastingage. Il ne s’en décolla que lorsqu’il approcha de la lourde porte en bois qui donnait probablement sur la cabine. Il tendit la main vers la poignée, espérant ne pas faire trop de bruit, mais celle-ci était fermée à clef.
(C’était prévisible…)
N’ayant aucun talent de crochetage, Ulric tenta de trouver un autre accès. Il y avait une grande grille coulissante par où étaient acheminées les caisses de marchandises au milieu du pont supérieur. Elle était fermée, mais peut-être pas cadenassée ?
Pestant contre le contre-temps, Ulric revint sur ses pas pour se diriger vers le centre du navire. Arrivé devant la grille, il fut rassuré de ne voir aucun cadenas ou serrure dessus. Il tenta de l’ouvrir à la main, mais sans succès. Cette saloperie semblait peser une tonne ! Il calla alors ses talons dans la grille et, espérant qu’il aurait plus de force dans les jambes, poussa à nouveau de toutes ses forces.
La grille glissa d’un coup sec sous l’effort et l’apprenti mage, qui se retrouva soudain sans appuis, tomba en avant et atterrit lourdement et sans grâce sur le plancher du pont inférieur. Il parvint tout juste à réprimer un cri, mi de surprise, mi de douleur.
(Merde, pour la discrétion, on repassera !)
Toujours au sol, l’apprenti mage se tût et tendit l’oreille, espérant qu’il n’avait pas alerter le garde toujours sur le quais ou qui que ce soit qui serait à bord. Il n’entendit rien d’inquiétant, cependant. Peut-être que la coque du navire avait étouffé le son de sa chute. Peu importe, ça ne servait à rien de rester là, de toute façon.
Ulric se redressa pour observer son nouvel environnement. Les entrailles du navire étaient sombres et de nombreuses caisses et tonneaux occupaient l’espace, le rendant bien plus exigu. Là où ils étaient posés sans ordre apparent sur les quais, ici tout semblait parfaitement ordonné. Les caisses s’empilaient les unes sur les autres en rangées et solidement amarrées par des cordages épais comme un bras pour leur interdire tout mouvement. Quelques lanternes éteintes étaient fixées au plafond à intervalle régulier et les bruits de craquement du bois et de la houle s’abattant contre la coque formait un fond sonore que l’apprenti mage trouvait étrangement relaxant.
Ulric se remit en route vers la poupe prudemment. Il y voyait assez pour se repérer mais il faisait tout de même assez sombre, même pour lui. Ainsi, il continua de se baser sur son ouïe pour repérer tout potentiel danger en approche, s’arrêtant mainte fois lorsque le craquement d’une planche ressemblait trop à un pas.
Honnêtement, cette petite expédition était assez excitante. Outre l’adrénaline qu’il recevait à braver l’interdit, c’était bien la première fois qu’il mettait les pieds dans ce genre de navire, lui qui avait grandit à la montagne. C’était comme découvrir un nouveau microcosme, tout de bois, de cordages et de sons étranges. Sans parler des potentielles trouvailles qui l’attendaient à la clef.
Soudain, alors qu’il continuait de remonter le navire, il vit soudain une lueur devant lui. Il mit immédiatement un genou en terre et se dissimula derrière une rangée de tonneaux. Cependant, la lueur disparut aussi vite qu’elle était apparue.
(Etrange.), pensa-t-il.
Il se rapprocha davantage de la source de lumière discrètement, curieux d’en découvrir la source. Elle réapparut soudain et éclaira brièvement une forme humanoïde. L’apprenti mage s’approcha encore de quelques pas, passant d’un couvert à un autre, pour pouvoir en voir davantage. La lueur réapparut à nouveau, semblant venir directement de la main de l’individu, et révéla une ample robe rouge et un masque métallique qui renvoyait des éclats d’airain. Encore une fois, et il aperçut des fioles rouges et bleues à sa ceinture.
Il correspondait mot pour mot à la description des mages que lui avait donné le marin alcoolique lorsqu’il lui en avait révélé l’existence, mais que faisait-il ? A la lumière orangée qu’il produisait, il semblait qu’il essayait de produire des flammes dans ses mains, mais dans quel but ? Et pourquoi faire ça dans le noir complet comme un troglodyte ?
Ulric l’observa pendant un moment, comme fasciné par cet inconnu au comportement étrange. Soudain, le caractère répétitif de son activité lui rappela quelque chose qu’il avait lui-même fait. Le mage en face de lui était-il simplement en train de s’exercer à un nouveau sort ? C’était assez comique à observer. Peut-être même s’agissait-il d’un autre apprenti commençant seulement à arpenter les sentiers de la magie ? Cela expliquerait au moins pourquoi ses compères l’auraient laissé derrière eux pendant qu’ils allaient s’acquitter de leur mystérieuse mission.
Cependant, quelque chose le chiffonnait. Le marin qu’il avait interrogé lui avait dit que ces mages venaient de Henehar, mais celui-ci maniait de toute évidence des fluides de feu. Ne se spécialisaient-ils pas plutôt dans la cryomancie, là-bas ? A moins qu’il ne confonde avec Pohélis ? Il s’inquiétait sans doute pour rien, mais il avait soudain la certitude que les informations qu’on lui avait données étaient inexactes au mieux, mensongères au pire. Mais c’est le genre de choses auxquelles il faut s’attendre lorsqu’on s’informe auprès de déchets humains avec plus d’alcool que de sang dans les veines.
Quoiqu’il en soit, il y avait une porte derrière le mage, et Ulric avait la prémonition que s’il trouverait quelque chose d’intéressant dans ce navire, ce serait là-dedans. Mais, à nouveau, il lui fallait trouver un moyen de contourner cet obstacle probablement bien plus dangereux que le garde dehors.
Cependant, avant de réfléchir à un moyen de faire cela, il farfouilla dans sa sacoche et en sortit une fiole noire, presque invisible dans la pénombre ambiante. Il préférait passer discrètement comme tout à l’heure mais, si les choses tournaient mal, il voulait pouvoir se défendre contre cet adversaire qui maniait la magie, et couvrir sa retraite si nécessaire. Et, pour cela, renforcer ses fluides ne ferait pas de mal.
Il déboucha alors la fiole et avala son contenu d’une seule traite. La dernière fois qu’il avait absorbé des fluides, l’expérience avait été intense, accablante, extatique et agonisante. Cependant, cette fois-ci, il ne sentit rien de particulier. Son corps s’était-il déjà habitué ? Il eu peur un instant de s’être fait arnaquer en achetant la fiole mais, en se concentrant, il sentait déjà ces nouveaux fluides en lui. Etrange.
Déçu ne pas avoir ressenti les sensations intenses de la dernière fois, Ulric se reconcentra sur la tâche devant lui. Il pourrait réutiliser la même tactique que tout à l’heure, créer une distraction au loin et se faufiler dans le dos du mage. Cependant, il se rendit compte qu’il ne voulait plus seulement se faufiler discrètement… Une soif de sang s’était infiltrée dans son esprit sans qu’il n’y prenne gare. Un besoin maladif de détruire, de dominer, d’écraser. Il voulait se mesurer à ce mage, le surpasser, le terrasser, ou être anéanti pour sa propre faiblesse. Peu importe qui mourrait, le Scorpion et le Corbeau auraient leur dû.
Les pensées démentes s’enchainaient dans son esprit et l’emplissaient d’une rage froide et vicieuse. Il sentit ses fluides se condenser dans sa main gauche presque contre son grès pour les relâcher dans un souffle de pure malveillance. Le trait ténébreux fila dans l’air en un instant et vint s’abattre sur le mage vêtu de rouge. Pris par surprise, celui-ci hurla de douleur.
Sortant de sa cachette, Ulric préparait déjà le second souffle dans sa main droite, mais sa cible, réagissant rapidement à l'attaque surprise qu'il venait de subir et sans être gêné par l'obscurité ambiante, lui fit rapidement face et tendit trois doigts en avant. Un bouclier ardent se matérialisa immédiatement devant lui, pas plus d’une seconde avant que le souffle de Thimoros ne vienne s’écraser dessus. Le bouclier magique absorba une partie de l’impact, et il était ardu de savoir à quel point le mage derrière en avait été affecté, puisque sa robe ample et son masque dissimulaient la plus grande partie de son corps.
« Voyez ça : un rat a quitté sa ville puante pour sauter à bord. »
Le mage tendit une main en avant et claqua des doigts tout en conjurant une flamme qui éclaira brièvement le pont d’une lueur orangée, comme un avertissement de ce qui était à venir. La flamme se refléta brièvement dans son masque couleur de bronze seulement percé de deux trous pour les yeux.
« Ça tombe bien, j’avais justement besoin d’un cobaye ! »
Affronter un pyromancien dans les entrailles d’un navire en bois semblait juste être de la folie furieuse mais, complétement intoxiqué par les fluides qu’il venait d’absorber, Ulric se réjouissait de la destruction à venir. Qu’ils finissent tous deux au fond de la mer au milieu de débris calciné, et tout le port avec eux s’il le faut !
Son adversaire, plus sain d’esprit, opta pour une autre approche. Levant une main au-dessus de sa tête, il conjura de fines pellicules semblables à des braises qui vinrent se coller à sa robe et son masque. Maintenant enveloppé de deux sorts défensifs, il sortit une dague à la lame ondulée et à la garde de bronze et fonça sur Ulric.
« Je vais te remettre à ta place, saleté d’humain ! »
Ulric tira sa propre dague et s’apprêta à accueillir son adversaire. Dominant ce dernier de plus d’une tête, il eut suffisamment d’allonge pour frapper en premier, offrant une longue estafilade à l’avant-bras du mage. Cependant, Ulric sentit une résistance étrange, surement due à son sort de protection, et la blessure qui aurait dû pisser le sang ne fut pas grand-chose de plus qu’une éraflure.
Le mage, lui, visait Ulric en plein cœur mais le coup qu’il venait de recevoir fit dévier son geste, et il finit par trancher sur son flanc.
Ulric tenta d’ignorer la douleur pour contre attaquer, profitant de sa taille supérieure pour garder son adversaire à distance. Le mage recula et, levant une nouvelle fois la main, il fit un geste étrange et la dague d’Ulric devint soudainement brulante. Il eut la sensation de tenir un charbon ardent dans sa main nue et ne pue s’empêcher de lâcher son arme.
Le mage masqué jeta lui aussi sa dague avec dérision, comme s’il n’en avait plus besoin.
« C’est toujours pitoyable de voir un humain lancer quelques sorts, pour ensuite se battre à coup de cure-dent, tu ne trouves pas ? Et si je te montrais un peu plus de vraie magie ? »
Là-dessus, alors que son dernier sort de protection se dissipait, ses mains devinrent rouges, comme embrasées. Le mage s'avançât à nouveau, les mains droit devant lui comme les serres d'un rapace. Ulric, toujours en proie à une soif de destruction étrangère à son esprit, ne tenta même pas d'esquiver. A la place, il serra le poing qui venait de lâcher son arme et tenta de l'abattre dans le masque d'airain, écrasant le visage qui se cachait derrière. Cependant, une poigne de fer chauffé à blanc vint intercepter son coup, alors qu'une autre main vint se serrer comme un étau autour de son poignet. L'apprenti mage eut l'impression d'être d'avoir plongé le bras dans un brasier et se débattit de toutes ses forces pour échapper à la poigne de son adversaire, pendant qu'un petit rire vicieux s'échappait de sous son masque. Le chien aimait faire souffrir, de toute évidence et, surtout, il aimait être aux premières loges pour en profiter.
Finalement, Ulric se libéra d'un coup de pieds qui fit reculer le pyromancien de quelques pas. Son avant-bras brulé le lançait terriblement mais, bien pire que cela, on y distinguait les marques de la main du mage comme marquée au fer rouge dans sa peau. Qui était ce fils de pute pour oser le marquer de la sorte ? La colère se mêla à la rage démente dans son esprit, et il n’avait plus qu’une envie : étrangler ce chien masqué ! Cependant, le mage n’en avait pas fini avec les humiliations, et conjura un mur tout autour d’Ulric, qui se retrouva comme en cage.
« Si tu me permets un instant. », railla-t-il.
Là-dessus, le mage se saisit de la petite fiole bleue à sa ceinture et retira son masque de l’autre main, révélant le visage d’un shaakt. Il était en sueur et semblait en souffrance sous son air suffisant, mais c’était dur à dire si c’était à cause de l’embuscade d’Ulric, de sa propre magie ou parce qu’il avait épuisé ses fluides…
(Ses fluides !)
Ulric lutta pour pleinement regagner le contrôle de son esprit et penser de façon tactique. Ce crétin avait épuisé tous ses fluides à lancer des sorts à tout va et s’apprêtait à boire une potion de mana ! Il devait absolument l'empêcher de reconstituer ses réserves. L'elfe ne semblait pas être meilleur bretteur qu'Ulric et, une fois privé de sa panoplie de sorts, l'apprenti mage pourrait utiliser son allonge supérieure pour prévaloir.
Le shaakt approcha la fiole de son visage et, ne perdant pas plus de temps, Ulric s’élança au travers du mur magique qui le tenait prisonnier, en dépit de la sensation de brûlure qu’il lui infligea, pour se jeter sur son adversaire. Plus grand et plus lourd, l’humain envoya le shaakt à la renverse et tous deux s’effondrèrent au sol. La fiole, qui avait quitté la main de son propriétaire, tomba dans un bruit de verre brisé pour déverser inutilement son contenu sur le plancher. Le bois but avidement la potion sous les yeux enragés du shaakt.
« Tu vas regretter ça, sale rat ! »
Il frappa Ulric d’un coup de genoux pour se dégager de sous lui, avant de rouler vers son arme. Le jeune homme fit de même et se jeta sur son arme qui avait eu le temps de refroidir. Chacun leur lame en main, ils en étaient revenus au point de départ, mais Ulric avait encore d’autres cartes dans sa manche, lui.
Alors que les deux combattants se relevaient, Ulric invoqua un voile de ténèbres les enveloppant tous deux, en espérant que l’obscurité magique affecterait le shaakt davantage que celle naturelle. L’espace exigu du navire passa de sombre à un noir d’encre, ne laissant que le son pour se repérer.
« Tu crois vraiment qu’un enfant de Valshabarath a peur du noir ? », fulmina l'elfe noir alors que sa dague sifflait dans l’air, frappant à l’aveuglette.
« Je te crèverais un œil pour cet affront, un autre pour avoir osé m’attaquer, et ensuite, je t’écorcherais jusqu’à ce que tu me révèles ce que tu fais ici ! »
Le shaakt continua de lancer des menaces, frappant au hasard, pendant qu’Ulric se déplaçait sur le côté. Le flot d’injures et de provocations trahissant la position de leur source. Ulric se ramassa sur lui même et tendit ses muscles avant de bondir en avant, en tendant sa dague vers le moulin à paroles. Le fer mordit la chaire alors qu’un hurlement de douleur prit la place du flot de menaces, bien qu’Ulric ignorait où il avait frappé sa cible. Il tordit la lame dans la plaie, avant de frapper à nouveau, encore et encore. Le corps du shaakt s’effondra dans un bruit sourd et le voile de ténèbres se dissipa, révélant le carnage.
Le mage écarlate baignait dans une flaque aussi rouge que sa robe, alors que son corps était secoué de ses derniers soubresauts de vie. Il tendit une main tremblotante vers la seconde fiole à sa ceinture, d’un rouge pâle. Devinant sa nature, Ulric la lui arracha des mains avant d’en verser le contenu sur les brûlures détestables sur son avant-bras, alors que le shaakt rendait son dernier souffle. La potion coula sur sa peau comme un soulagement, amoindrissant la douleur. Sa chaire était toujours rouge et brulée, mais le liquide la régénéra suffisamment pour que les marques que le pyromancien y avait laissée disparaissent.
Aussitôt que son adversaire mourut, la soif de destruction qui s’était emparée de lui se dissipa aussi rapidement qu’elle était apparue.
(Nom d’un chien !), fut la seule chose qu’il parvint à penser devant cette boucherie inutile.
Les fluides d’ombres étaient-ils si chaotiques qu’ils donnaient des effets secondaires différents à chaque fois ? Si son corps l’avait à peine supporté la dernière fois, il semblerait que c’était son esprit qui avait déraillé cette fois-ci. Il fallait espérer que cette fois-ci n'était qu'une réaction exceptionnelle ou qu'il s'endurcirait face à ces effets, car il ne pouvait certainement pas se permettre de perdre le contrôle de lui même dans de pareille occasions.
Après, d’un autre côté… Il avait à présent le champ libre, donc l’objectif était atteint… Il avait maintenant tout le loisir de piller ce que les mages avaient bien pu laisser derrière eux et de s’emparer de leurs grimoires, potions, orbes ou quoique ce soit d’autre. Mais, tout d’abord, il faudrait d’abord qu’il s’occupe de ce cadavre…