Message
par Ezak » lun. 1 nov. 2021 05:48
Ma lame et mon avant-bras se recouvrirent de glace alors que ma main alla traverser le flot de fantômes qui dansaient la farandole autour de la Déesse Noire. Peut-être était-ce la sensation glacée, ou la peur, mais je pus sentir mes poils s’hérisser de mon bras à ma nuque, telle une vague courant sur mon épiderme. J’hurlai pour tenter de me donner un peu de courage. Un hurlement qui avait plus affaire avec l’effroi qu’à une quelconque hargne.
Une nouvelle fois, un déchaînement de violence s’abattît sur Oaxaca. Poing, lasso, fers, et même bouclier vinrent la frapper. Assaillie de toute part, elle ne pouvait faire grand-chose, se contentant de subir l ’étrange coalition qui s’était formée contre elle. Devant tant de mouvement, je ne pus que tomber à la renverse, échouant sur mon séant, spectateur de ce qui se passait. Mon regard retomba à nouveau sur l’image de Brytha. Oui, l’image. Car elle se dissipa peu à peu, pour laisser apparaître dans une clarté éblouissante, un aynore.
De tel, je n’en avais jamais vu. Et pourtant, le prototype de la Compagnie Air Gris qui avait été mis en place lors de la croisière qui avait mal tournée était déjà de belle facture. Mais ce que mes yeux voyaient à cet instant n’avait pas son pareil. L’engin, qui avait l’air d’être fait d’un alliage à base d’or, était d’une telle facture qu’il reluisait les rayons du soleil qui vinrent baigner la sanglante plaine de Kôchii.
Je crus d’abord à une quelconque hallucination, un vilain tour que me jouait mon cerveau, comme celui qui, quelques instants plus tôt, m’avait fait voir la Grande Brytha. Figé, je ne pus qu’être absorbé par la descente de l’appareil, et je ne fus pas le seul à être sous le joug de cet étrange charme puisque il semblait que tous, sans exception aucune, furent absorbés par cette image. On entendit plus un tintement de fer, plus un cri, alors que l’appareil se posa, gracile, sur la terre ferme. Il ne tarda pas à vomir son étrange équipage. Six soldats amurés d’or descendirent, escortant trois êtres dont la seule vision était…rassurantes. Il y avait là deux elfes, un homme et une femme, comme jamais je n’en avais vu, si ce n’était dans ma jeunesse, durant mon éducation, dans quelques illustrations de codex évoquant mythes et légendes. Tout chez eux semblait fait d’or. De la teinte de leur peau à ceux de leurs accoutrements. Le mâle, aux longs cheveux blonds, portait de riches habits, tandis que son alter ego, affichait fièrement une armure dorée. Un troisième homme, impressionnant en carrure, à la peau sombre, s’avançait avec eux. Je notai la beauté de son armure blanche et or. À sa simple vue, je me sentis bercé d’une douce aura apaisante qui m’enveloppa avec douceur. Je n’eus plus aucune envie de me battre. Je profitai de tout cet hébétement général pour me relever. Le temps pour l’elfe doré de prendre la parole.
Ainsi, il nous révéla être l’envoyé de Zewen le dieu des dieux. J’en fus surpris. En son nom, il prononça sa sentence divine : l’emprisonnement d’Oaxaca, qui allait être arrachée à notre monde sous la garde de Koushouu. Car c’était lui, le colosse en armure blanche, le fameux héros des contes kendrans. Je jetai sur lui un regard, mélange d’admiration, et de reconnaissance. Ce n’était pas tous les jours que nous faisions face à telle légende. Il s’avança sans ciller vers Oaxaca et demanda d’un geste le lasso qui la maintenait au cou par la Semi-Shaakt qui le lui donna sans broncher. Sans un mot, le légendaire fit demi-tour, amenant la Déesse Noire qui n’eut d’autres choix que de suivre son nouveau geôlier. J’observai le fléau de ce monde s’éloigner, disparaître de nos vues avec soulagement. Je sentis mes muscles se déraidir. Je ne pus que m’accroupir pour laisser ressortir toute la tension accumulée ces dernières heures. J’avais du mal à réaliser que le cauchemar dans lequel j’avais été plongé il y avait de cela de nombreuses années désormais, en m’éveillant dans le bagne, prenait fin, alors que quelques minutes plus tôt je pensais me diriger vers ma mort certaine.
L’autre elfe doré prit la parole. Celle-ci, se présenta comme l’émissaire des dieux élémentaires. De leur part, elle nous fit remettre des bourses, des récompenses pour ce que nous avions accompli. La main tendue, je récupérerai le bien distribué par les soldats en armure, hébété, pendant que le représentant de Brytha prenait ceci comme une offense. Ses mots montrèrent tout ce qu’il pensa des dieux qui, selon lui, nous traitaient comme des mercenaires, alors que sa déesse s’était sacrifiée pour nous. Il nous exhorta à la prier, et à le suivre si nous voulions lui dédier notre vie. Je le regardai partir, ne le quittant pas des yeux, lui et son armée. Je ne savais que penser. Je lui étais infiniment reconnaissant, à lui, à ses forces, à sa déesse. Elle avait réanimé ma flamme qui s’était éteinte, elle m’avait donné le courage, elle m’avait montré la voie. Certes, mais était-ce assez pour lui dédier toute une vie ? De l’autre côté, il y avait les dieux de ce monde qui, effectivement s’étaient montrés infiniment absents, l’une des raisons pour laquelle je les haïssais tant, mais pourtant, n’était-ce pas par eux et leur volonté que nous étions enfin débarrassés d’Oaxaca ? Je n’étais pas très à l’aise avec toutes ces choses divines, c’était un sujet que j’avais longtemps rejeté dans ma vie. Pourtant, à cette heure, j’étais plongé dans un tel trouble que je ne savais plus où j’en étais sur ce point. Une chose était sûre. Je devais rendre grâce à Brytha qui nous avait débarrassée du Dragon Noir, je devais rendre grâce à Koushouu qui serait notre rempart face à un éventuel retour d’Oaxaca. Le reste pouvait attendre. C’est pourquoi j’opposai une fin de non-recevoir lorsque l’émissaire de Zewen nous invita à la rencontre des dieux. Je n’avais rien à leur dire. Ni message d’amour, ni message de haine. Je me sentais effroyablement étranger à leurs affaires.
Les uns et les autres se mirent à bouger, peaux vertes, aventuriers, mercenaires, amis, ennemis. Chacun semblait se mouvoir dans ce moment étrange qui sonnait la fin d’une époque. Il semblait que nous étions à la croisée des chemins, là où il allait falloir faire des choix. Je me retrouvais pour la deuxième fois de ma vie, après m’être fait jeter hors de chez moi, désemparé, ne sachant que faire, ne sachant où aller. Tout ceci s’était fini si soudainement que j’avais encore l’impression d’être suspendu dans un univers onirique. Les yeux perdus, je tournai la tête pour apercevoir la Princesse cernée de son Etat-Major qui arrivait dans notre direction. À sa vue, me revint ce pourquoi je m’étais battu : les miens. Ces dernières années, c’était pour le salut de l’Ynorie et de Kendra-Kâr que j’avais œuvré. Des affaires Aliaénonienne à cette guerre, ce n’était pas de moi dont je m’étais préoccupé, mais des autres. Même à Omyre lorsque j’avais investi avec mes hommes le quartier communautaire humain que Gart et les siens tentaient de construire, c’était pour les protéger. Si les affaires divines me passaient par-dessus, celles des peuples humains me paraissaient beaucoup plus importantes. Il était là sous mes yeux, le monde dans lequel je vivais. Ce n’était pas un monde opaque caché derrière une brume épaisse, ou éloigné, caché dans les confins des nuages célestes. Il était étonnamment clair, brutal, sans filtre. Au pied de ma cité natale gisait un charnier, autour de la souveraine que j’avais choisi, il n’y avait plus qu’une poignée d’âmes. C’était ça, le monde dans lequel je vivais, cruel et impitoyable.
Je me dirigeai vers le corps physique d’Oaxaca duquel il ne restait pas grand-chose. Noirci et éclaté, son casque, affreusement défoncé trônait sur son corps en bouillie. J’avais déjà le regard tourné vers l’après, et il était hors de question que ses partisans aient quoi que ce soit d’elle pour symboliser ce jour et en faire une martyre. Mon acte était politique. De même, je ramassai deux dents du Feu-Dragon Noir, glissant dans ma besace l’une d’entre elle avant d’aller à l’encontre de la Princesse où Solennellement, je posai un genou à terre face à elle, tendant les objets.
« Votre Altesse, tenez. Les derniers reliquats de ce que furent Oaxaca et le dragon noir. Prenez les et exposez les à notre peuple, qu’il sache que tous ces sacrifices n’ont pas été fait en vain. »
Aucune satisfaction n’émanait de ma voix morne et triste. Ce n’était en rien une victoire, pas même une consolation. C’était juste de la politique, un grossier maquillage au mieux pour ramener au peuple autre chose que des morts, une sorte de victoire, avec la disparition d’Oaxaca et du Dragon Noir. Je baissai ensuite la tête, peu fière de ce que j'allais annoncer :
« Cependant, je regrette, mais j’ai été empêché de venger votre frère et Roi. »
Satina opina du chef, alors que du Val s’avança pour récupérer les précieuses reliques alors qu’elle commentait :
"Mon peuple sera témoin des horreurs de ce jour grâce à ces objets. L'espoir renaîtra en eux, suite au désespoir de la perte des leurs. N'ayez crainte, ser d'Arkasse : l'assassine n'était qu'un outil d'Oaxaca. C'est elle la véritable meurtrière de mon frère, et elle paiera chaque instant de sa vie cette ignominie."
C’est alors que le dénommé Faëlis, avec qui j’avais déjà eu des mots s’approcha également.
« Votre altesse, il se trouve que... la Régicide m'a demandé de vous transmettre ceci. »
À l’entente de ces mots, je levai un regard surpris alors que la Princesse s’empara de l’objet vivement, le visage emplit d’émotions. Le General Bogast alla de son petit commentaire.
"Vous avez de bien curieux choix de relations, elfe."
Je me relevai moi-même, me tournant légèrement vers Faelis, lui jetant un regard dédaigneux, me rappelant à quel point il voulait défendre la blanche au nom d’un soi-disant honneur.
« Je comprends mieux votre désir ardent de défendre des ennemis de notre peuple, elfe. »
Mais je me désintéressai déjà de lui, tournant déjà mon regard vers la Princesse. Je montrais ainsi à l’Hinnïon le peu de respect que j’avais pour sa personne. Peut-être avions nous été des alliés objectifs, mais cela s’arrêtait là. Je n’avais aucune espèce de sympathie pour ce qu’il représentait.
« Qu’importe alors ce second couteau insignifiant qu’est l’assassine. Je tourne maintenant mon regard vers l’avenir et le renouveau du Royaume. Je désir ardemment participer à son éclat. Un jour notre peuple, et notre armée brilleront à nouveau de milles feux. Il faudra des hommes et des femmes, de ceux qui, comme nous, ont vu de leurs yeux l’horreur, pour transmettre aux générations suivantes notre flamme. Permettez-moi de vous accompagner dans cette tâche. Ma place est ici, pas auprès des dieux, mais auprès des miens.»
L’Elfe se défendit en affirmant qu’elle ne lui avait pas laissé le choix. Il glissa également une petite phrase à mon égard, me jugeant mal poli mais me donna raison sur le fait que nous devions rendre espoir au peuple. Il parla aussi, de bannir la haine et de songer à la réconciliation pour les générations futures. En entendant ces mots j’eus du mal à garder contenance. Le petit idéaliste était de retour, faisant démonstration de son angélisme benêt, refusant de voir la réalité en face. Aucune espèce de paix n’était possible avec l’engeance d’Omyre. Leur culture était vouée à entrer en conflit avec la nôtre dans un choc des civilisations. Cela montrait bien sa méconnaissance de l’ennemi. Si je n’avais pas devant moi la Princesse, je jurais que je l’aurais secoué tel un prunier. De plus, cela faisait maintenant deux fois qu’il me manquait de respect. Je gageais qu’à la troisième je lui éclaterai toutes ses dents comme il le méritait.
"J'aurai besoin de tout le soutien possible, et vous suis reconnaissante du vôtre. J'ignore cependant la voie à prendre, les actions à mener. Notre retour à Kendra Kâr m'en apprendra plus, mais je dois d'abord rencontrer les responsables d'Oranan et leur présenter mes condoléances et mes regrets de notre aide trop peu puissante pour les avoir correctement protégés."
J’opinai du chef aux propos de la Princesse.
« Vous faites bien de vous enquérir de l’état de l’Ynorie. Il faudra fortifier notre alliance et j’ai moi-même, beaucoup d’inquiétude pour l’avenir ce pays qui coule aussi dans mes veines. Les d’Arkasse lui sont redevables. »
Évoquer mon patronyme et les conditions dans lesquelles il s’était retrouvé en ces présentes terres me rappela les allégations que Sirat avait lâchées contre mon père.Je me détournai donc vers Bogast, un regard inquiet.
« Justement, à ce propos. Vous êtes le General Bogast n’est-ce pas ? Nous n’avons pas eus l’occasion d’être présentés. Je suis Ezak, fils de Vandrak d’Arkasse. » disai-je en inclinant légèrement la tête en signe de respect pour son rang.
« Je… J’ai entendu des rumeurs concernant mon père et d’après son Altesse, vous seriez le mieux placé pour me renseigner. Certains racontent que mon paternelle aurait…. Ça m’arrache la langue de le dire… pactisé avec l’ennemi. Je vous en conjure, dites moi que ce ne sont là que des allégations qui visaient à me perturber. »
Ma voix se faisait basse, presque honteuse. Les mots que je venais de sortir m’avaient effectivement été très durs à formuler.
Le Général me répondit : "Certains sont partis dans la demeure de votre père, soi-disant prisonnier de l'ennemi. Mais je n'ai guère eu de nouvelles d'eux depuis, je ne sais rien de ce qui s'y est passé. Il me semble en avoir aperçu sur le champ de bataille, cependant : Une elfe blanche maniant deux armes, Sibelle ; un pirate borgne se faisant appeler Heartless ; l'humoran SIrat Ybelinor, honte de son père et fanatique zéwénien. Vous trouverez sans doute plus d'informations auprès d'eux. Et... Si vous les dénichez, dites leur donc de venir me voir, que je détienne enfin le fin mot de l'histoire."
Alors qu’il énumérait les identités de ces personnes, je jetai un regard aux alentours, pour les identifier. Je connaissais, bien entendu Sirat, bien que je fus étranger à son fanatisme religieux. Je ne lui connaissais pas un amour de la religion. Il m’avait plutôt semblé, à l’époque où je l’avais connu, que son intérêt se dirigeait plus vers les filles de joies et la boisson. Sans doute, cela lui était venu après les événements de l’Île volante. Quant à l’elfe blanche, si c’était bien celle que je pensais, elle maniait plutôt une énorme hache que je la voyais justement rendre à Karsinar... Intéressant… Je remarquai le pirate borgne également, on ne pouvait le rater. Il était dans une grande discussion avec Perhaillon. Encore deux vermines qui s’accoquinaient avec les Treize… C’était donc à ce genre d’individu peu recommandable qu’on avait confié la vie de mon paternel. Si j’avais été présent, je ne l’aurais pas permis.
Il poursuivit : "À propos... Je vous remercie personnellement de l'aide que vous avez apportée aux troupes de Bouhen que je dirigeais, à vous et à vos hommes, paix à leur âme."
Un voile d’ombre passa dans mon regard alors que je retournai sur le Général mon attention.
« Paix à leur âme. »
Puis je repris :
« Les propos que je vous rapporte sont, justement ceux de Sirat, mais je n’ai aucune confiance en cette… chose. Un type qui se disait mon ami et qui pourtant a foulé de manière belliqueuse la terre de mes ancêtres avant d’attenter à la vie de son Altesse. C’est impardonnable ! Et…Attendez ! Vous avez dit Ybelinor ? Comme le Comte ? Eh bah ça… Traitre à son sang en plus de ça ! »
Échauffé par les dernières nouvelles, je jetai un regard mauvais à Sirat qui semblait justement discuter avec Sibelle.
« Vous aurez bientôt vos réponses General. De ces mercenaires qui manquent à leurs devoirs ou de moi-même, j’en réponds.»
Et je m’éloignai, le pas déterminé. En me dirigeant vers mes cibles, marchant sur le corps de nombreux morts, je sentis la colère monter en moi. Je voyais les Treize, du moins, ce qui restait d’eux, çi et là discuter avec des aventuriers comme si de rien n’était. Ce qui se passait-là n’avait aucun sens. En effet, voir autour de moi, des personnes qui quelques minutes avant furent mes ennemis, gambader sans obtenir ce qu’ils méritaient me montait le nerfs. Pour moi, le constat était simple. C’était tous une bande d’hypocrites ! La seule chose qui les avaient fait se retourner contre Oaxaca était qu’elle menaçait leur vie mais je n’étais pas dupe. Enfin, quand ils s’étaient retournés contre elles… La moitié de ses effectifs avait suivi ses ordres, au risque de mourir eux même, tels des fanatiques. Et Lorener dans tout ça ? Il avait brillé par son absence. Il n’y avait pas de pire aveugles que celui qui ne voulait pas voir. La guerre était finit, mais les gens ne changeaient pas pour autant en un claquement de doigt, et les crimes avaient encore leurs victimes pour témoigner de ce qu’était leur essence. Combien de temps avant qu’Omyre se décide de poursuivre plus en avant sa conquête ? Ses représentants avaient suivi Oaxaca parce qu’elle les avait obligés ou parce qu’elle exaltait tous ce qu’ils représentait. J’en étais persuadé, pour la plupart, les ennemis d’aujourd’hui resteraient ceux de demain. Je jurai de ne pas oublier qui était qui.
Très remonté alors que je me dirigeai vers Sirat et Sibelle, mon attention fut détournée par Xël. Il venait d’amener Simaya à la délégation Ynorienne, probablement les membres du conseils. Il n’avait pas l’air heureux, le visage fermé. Je le croisai sur le chemin de son retour alors qu’il se dirigeait vers l’aynore des dieux. Lorsque j’arrivai à son niveau je jetai un coup de tête vers Simaya demandant d’une voix ferme :
« Comment elle va ? »
Lorsque je l’aborda, sans doute plus fermement que je ne le pensais, il fronça les sourcils. Affirmant qu’elle irait mieux après quelques heures avant de me demander si j’allais frapper quelqu’un. J’imaginai que je devais avoir le ton sec, et une attitude corporelle agressive.
« Faelis, Sirat Ybelinor, la Régicide une de ces pourritures de Treize… La question c’est plutôt à qui je n’ai pas envie de refaire le portrait. »
Dis-je sèchement avant de souffler longuement, comme pour expirer ma colère. Je me laissais emporté par mes ressentiments, et cela se déversait sur mes alliés. Ce n'était pas bien.
« Désolé. Je suis assez remonté. Certains s’en sortent beaucoup trop bien à mon goût. »
Xel était du même avis que moi. Il m’avoua même avoir dit à Xenaïr qu’il n’aurait aucun répit avant qu’il se mettre à le traquer lui et les autres Treize, ainsi que Sirat et Silmeria. J’étais d’accord avec lui, à peu de choses prêt. Herle s’était repenti officiellement et avait un début d’accord avec la couronne. Quant aux autres, leurs crimes étaient avérés, leur danger était réel pour l’avenir de Kendra-Kâr.
Je regardai autour de moi, il nous fallait rester discret sur le sujet. Les effets de surprise accordaient toujours de bons avantages à ceux que les mettaient en place. Une fois que je fus assuré qu’aucun ne nous épiait, je me rapprochai de Xël reprenant d’une voix basse.
« C’est très bien qu’ils le sachent. Ils n’auront pas de répits et je serais ravi de faire partie de votre petite entreprise. Seuls les morts connaissent la fin des guerres, mais certains idéalistes, comme votre ami Faelis, parlent déjà d’étouffer les rancœurs.»
Ceci dit, je repris ma position et me remis à parler à voix haute.
« Quand vous reviendrez à Kendra-Kâr, venez m’y trouver. J’y accompagne Son Altesse pour l’aider à y asseoir son pouvoir et à participer au renouveau de notre peuple. Nous parlerons plus librement de ce que nous pourrons mettre en place pour le succès de notre « projet ».
« Je ne reviendrais pas à Kendra Kâr tant que je n’aurais pas neutralisé les menaces qui rôdent autour de la cité. C’est une promesse que je me suis faite. Mais vous pouvez partager le message que ceux qui chercheront à nuire à la Reine Satina pour lui usurper son trône auront à faire à moi. Pour eux. Je reviendrais. »
Je restai interdit, fixant l’homme un long moment, dubitatif. Était-il seulement devenu fou ? Se rendait-il seulement compte de l’énormité qui venait de sortir de sa bouche ? Voulait-il vraiment se lancer dans une vengeance solitaire ? Tout de même, se rendait-il compte de ce qu’étaient les ennemis du Royaume, du pouvoir qu’ils avaient aujourd’hui, de ceux qu’ils risqueraient d’obtenir avec la chute de leur cheffe ? Du nombre d’effectifs qu’ils possédaient encore alors que nous n’avions plus rien. Prendre notre revanche pourrait prendre des années, voire des décennies, avant qu’une opportunité ne se dévoile. Et étant des hommes, à la faible longévité, peut-être même seraient-ce les générations suivantes qui goûteraient ce plaisir. Et surtout, avant de penser à l’attaque, nous devions songer à notre défense, et à notre reconstruction. Nous devions comprendre le monde de demain qui ne serait probablement plus celui de la veille. Nous devions installer les bases du renouveau, se battre d’abord pour que notre peuple ne sombre pas sur lui-même et après, nous pourrions parler de vengeance.
Un instant, je me mis à douter du bien-fondé d’un rapprochement avec le mage. Peut-être qu’il n’avait pas la tête sur les épaules et qu’il serait plus un problème qu’autre chose. Il me semblait qu’il n’était pas très rationnel. Mais alors que je sondais ce visage, je finis par le comprendre. Tel un miroir, il me renvoyait une image de moi pas si lointaine, lorsque je m’étais jeté sur Silmeria pour la punir de ses crimes odieux. À ce moment-là, je pensais ne plus rien avoir à perdre, ni à gagner. Je voulais juste apporter une certaine forme de justice dans ce monde envers ceux qui l’en avaient dépourvu. Entre temps, les choses avaient changées.. Nous étions débarrassés de la Reine Noire alors, il nous restait possiblement un avenir à construire.
J’ouvris la bouche pour formaliser mes pensées. Je voulais lui rappeler les mots qu’il avait eu à mon encontre lorsque j’avais perdu tout espoir. « Il reste encore quelqu’un à protéger ». À cet instant c’était de la princesse Satina qu’il parlait. Mais même là, il avait tort. C’est tout un peuple que nous avions à protéger, des milliers d’âmes. Voilà ce que je voulais lui dire, mais je me ravisai, car je devais me rendre à l’évidence, rien ne pourrait l’aider en cet instant, pas dans son état d’esprit. Ce n’était pas le moment d’avoir une conversation sensée avec un homme blessé et en colère. Comment lui en vouloir ? Je ne le comprenais que trop, j’avais le même désir de justice et de vengeance même si je gérais la chose différemment. Des années à jouer le larbin de la Reine Noire m’avaient appris la patience, le choix de l’instant. Compatissant, je posai une main amicale sur son épaule, avec un sourire compréhensif sur le visage.
« Prenez soin de vous. »
Et je m’éloignai, continuant ma route, avant qu’il ne m’interpelle.
« Attendez. Quand je me lancerais dans ma tâche, je vous ferais passer un message par l’orphelinat de Kendra Kâr. Je connais bien la gérante, n’hésitez pas à y faire un tour. »
J’hochai la tête. Nous verrions à ce moment-là, les tensions retombées.
« Entendu ! Je prendrais contact avec elle. »
Et je repris mon avancée vers mon objectif. Des réponses m’attendaient. Je ne mis guère plus que quelques secondes pour arriver sur l’elfe blanche et l’humoran. En arrivant à leur niveau, mon attitude se referma tout à coup. J’étais là pour une raison précise et officielle, pas pour tailler le bout de gras avec des mercenaires. Les bras croisés, visage fermé, je me mis à quelques pas de distance d’eux.
« Ce n’est pas que j’aimerais interrompre votre conversation, mais je suis missionné par le General Bogast pour tirer au clair une affaire. »
Je me tournai vers la dénommée Sibelle :
« Tenez madame, voici le fait : Le General Bogast vous a, semble-t-il, envoyé réaliser une mission. À savoir, sauver Vandrak d’Arkasse qui se trouve être mon père. Or, il attend toujours un rapport du résultat de votre mission. J’aimerais entendre de votre bouche le fin mot de cette histoire, sachant qu’elle me concerne directement et que je ne peux manifestement plus faire confiance aux propos de celui qui vous accompagne. »
Dit-il en jetant regard plein de reproche à Sirat.
L’elfe consentit à me répondre se justifiant tout à bord sur le fait qu’ils n’avaient pas encore fait leur rapport à cause des aléas de la guerre. C’était un fait, mais les propos qu’elle eut ensuite m’atteignirent comme un coup de poignard. Mon paternel n’avait jamais été en danger, pire encore, il s’était porté volontaire pour simuler une prise d’otage et ainsi attirer les forces envoyées par le General dans un guet-apens. Elle affirma comprendre ses actions, étant un marchand qui défendait ses intérêts. Et elle entreprit de dire deux noms, qui me finirent de m’achever : Karsinar et Sarl. D’après elle, ils n’avaient aucunement molesté mon père. J’en déduisis donc, que c’était avec eux que mon père s’était associé. De tous, il fallait que ce soient ces deux-là.
Sirat pris ensuite la parole avec un rictus, me demandant quel intérêt il y avait pour lui de mentir.
Je fus si abasourdi, que je m’en retrouvai décontenancé. Les informations avaient du mal à parvenir à mon cerveau, comme si je venais de subir un énorme coup sur la tête.
« Ses intérêts financiers…. »
Elle venait de confirmer les affirmations de Sirat. Pour moi, ce ne pouvait être possible, ils avaient mal compris, ou quelque chose leur avait échappé. Cela ne pouvait être que cette solution. Il y avait méprise, comme ce fut le cas sur ma personne à Fan-Ming, ou bien dans le camp du Val. Ils jugeaient sans avoir toutes les informations.
Je les regardai tour à tour.
« Attendez non ! Je connais les méthodes d’Omyre. Ils m’ont enrôlé en me mettant une lame sous la gorge, peut-être que c’était le cas de mon père… Serait-il possible qu’il fût menacé et que cela vous ai échappé ? Mon père n’est pas qu’un marchand, il ne peut pas…il vient de… d’une… c’est un d’Arkasse bon sang !»
Mes derniers mots étaient hésitants, tremblants, bas. Il y avait clairement un conflit entre l’image que je me faisais de lui et ce que l’on venait de m’annoncer. Entre ce que j’avais appris étant jeune de l’histoire de ma famille, et le portrait que l’on dépeignait là de mon patriarche. Je n’arrivais pas à surpasser cette frontière opaque que se dressait devant moi.
J’entendis la voix lointaine de Sirat affirmer que ce n’était pas grave et que je devais cesser de me tourmenter et lui demander moi-même ses raisons. Celle de Sibelle qui m’exhorta de l’écouter avant de le juger. Une troisième voix, me tira un peu de ma rêverie, c’était le pirate borgne qui approchait de nous.
"Vandrak était pris entre deux camps. Il s'est juste plié aux exigences du plus dangereux. C'est pas glorieux, mais j'comprends sa situation. Y'a que l'temps pour nous dire s'il sera vu en traître ou en héros."
Il s’approcha de moi avec un grand sourire.
"En c'qui me concerne, c'est qu'une question de perspective. Sacrée moustache, par contre."
Puis il continua à s’adresser aux deux autres sur une histoire de fâcherie qui ne me concernait point. Je mis du temps à assimiler toutes les informations, tant j’étais encore troublé par les mots qui étaient servis. Mais petit à petit, le sens me percutait. Il ne répondirent pas directement à ma question et il y avait dans leurs voix à tous les trois une sorte de compassion pour ma situation, une sorte de compréhension pour les actes de mon père. Sans doute essayaient-ils de me ménager. Toute cette pitié, dans leurs mots et leur attitude ne faisait que confirmer ce qui avait été dit. J’en fus profondément touché, je me sentis humilié devant le regard de ces personnes. Pris par une bouffée d’émotions, je dus réprimer les sensations qui m’assaillirent, par pudeur. Je ne supportais pas ces regards compatissants. Je me sentis blessé par ces paroles réconfortantes, alors que j’étais mis à nu face à mon nom et à sa honte évidente. Je n’en voulais pas de leurs compassions ! Après tout qu’est-ce que ces individus de basses-naissances pouvaient savoir de ce que ça représentait de porter sur ses épaules toute une lignée, toute une tradition. Un criminel des mers qui échangeait amicalement avec Perhaillon, une mercenaire qui copinait avec Karsinar et Sarl, un bâtard qui avait baissé son froc pour Oaxaca. Voilà devant quel genre d’individus était exposée ma honte. Quelle humiliation ! Me sentant ainsi, désarmé, mis à nu, avili, je ne pus que répliquer pour ne pas perdre la face, et garder un peu d’aplomb.
Je fronçai les sourcils et je leur jetai mon regard le plus dédaigneux.
« Je vous ai demandé des faits et vous me servez des banalités. Comme si j’en avais quelque chose à cirer de vos misérables avis, surtout venant du bétail d’Oaxaca..» Disai-je en terminant un regard particulièrement haineux envers Sirat.
Je tournai les talons m’éloignant vers l’Etat-major Kendran. Il sembla que mes oreilles perçurent un mouvement, comme si un de ces trois-là avait voulu s’en prendre à moi et se faisait arrêter brusquement par un autre. Tout en continuant ma route, sans me retourner je leur hélai :
« Ayez au moins la décence d’achever votre œuvre et de faire votre rapport au Général Bogast. »
En retour le pirate Hearthless me héla qu’on n'avait pas toujours le choix d’être honorable. Je ne lui répondis pas, terriblement secoué. Je marchais vers le General Bogast poussé par je ne savais quelle force, lutant contre la tempête qui avait lieu en moi. Le dos tourné au trio j’avais quitté mes traits d’orgueil tout à fait kendrans. Je n’étais plus qu’un homme abattu, aux traits tirés et à la mine grave lorsque je me présentai devant le Général.
« J’ai vos réponses Général Bogast. Tout ceci n’était qu’un guet-apens. Vandrak d’Arkasse a vendu son âme à Omyre pour pouvoir continuer ses activités marchandes. Il n’a jamais été en danger, ni Karsinar, ni Sarl, ne l’ont maltraité. Il les a aidés de son plein gré. Peut-être que les mercenaires auront la décence de venir vous le dire eux-mêmes. »
La fin de ma phrase était emplie d’émotions alors que je serrais les poings baissant un instant la tête. Ce que je m’apprêtais à dire me déchirait l’âme. Après un moment je relevai un regard presque implorant envers le General.
« Je dois avouer que je suis déchiré entre mes devoirs familiaux et ceux que j’ai envers mon peuple, mais, je vous en conjure, cela me tue de vous dire cela mais… il ne doit pas s’en sortir à si bon compte ! Vous avez pourtant voulu l’aider et par sa faute, tous les efforts que je fais pour laver le nom de ma famille de toute l’infamie qui lui incombe sont réduits à néant. C’est une honte et au nom des d’Arkasse je vous demande pardon ! Je ne veux plus être associé ni de près ni de loin à cet homme et si il le fallait je coulerais moi-même le sang qui coule dans mes veines pour m’en purifier. Ne cachez rien à nos alliés ynoriens ! Faites qu’il ne s’en sorte pas ! Ce serait trop facile. Il doit payer sa dette envers la République. »
Mes jambes manquèrent de me lâcher avant que je ne me reprenne. Ce n’était pas rien, je demandais tout bonnement le tête de mon père. Mais même à cet instant, malgré toute la déception que je ressentais, je sentais tout cet amour que lui avais toujours porté, présent au fond de moi. Mon âme ne cessait de se scinder.
Bogast prit une mine compatissante.
"On ne choisit hélas pas sa famille. Nous parlions plus tôt des Ybelinor, en voici un nouveau triste exemple. N'ayez crainte : nous ne jugeons pas un individu sur son ascendance. Pas Satina de Kendra Kâr, en tout cas, si je peux me permettre de parler en son nom. Désolé que vous l'ayez appris de cette manière, pour votre père..."
Il resta silencieux quelques secondes, avant de poursuivre : "J'espère également qu'ils me feront leur compte rendu complet au plus tôt, que nous puissions communiquer aux ynoriens les détails de ce qu'ils ont appris."
Je me contentai d’opiner du chef aux propos du General, trop sous le coup de l’émotion pour répondre quoi que ce soit. Sans doute poussé par ce violent torrent de sentiment, je ressentais ce besoin irrépressible de me démarquer de Vandrak. Si être le fils du déchu avait toujours été dur, être celui du traître me paraissait insupportable. Il fallait que je me démarque de lui. C’est sans doute poussé par cette idée que je me permis de transgresser la bienséance pour m’adresser à la Princesse, faisant deux pas dans sa direction.
« Votre Altesse, je vais sans doute vous sembler impétueux, mais avant que vous ne disiez quoi que ce soit, j’aimerais avoir l’occasion de parler librement. »
Je réfléchis un instant, avant de continuer.
« Sachez que je n’ai fait aucun calcul durant cette guerre. Certes, lorsque j’étais sur l’Azurion entouré d’assassins, j’ai agi avant tout pour que les frères royaux ne disparaissent pas tous deux et éviter ainsi une instabilité politique qu’’aurait causé votre absence de descendants. »
J’inspirai.
« Cela fait des années que je dois me battre pour faire entendre ma voix. J’ai été rejeté par mon père, taxé de fils indigne, rejeté par les ynoriens d’Aliaénon me taxant de traîtres et si d’autres m’ont aidés, c’était en mettant ma parole en doute, toujours ! Mais pas vous. Vous êtes la seule à m’avoir fait confiance directement, sans poser de questions, quand tant d’autres ont refusé de le faire. Vous me l’avez accordé encore durant la bataille, au point de donner à ma parole de l’importance, me demandant conseil au même titre que n’importe lequel de vos conseillers. Et loin de dédaigner mes mots, vous m’avez toujours écouté, même lorsque cela bousculait vos convictions. Vous m’avez plus été fidèle que je ne l’aurais dû l’ être envers vous et c’est un comble. »
J’émis une nouvelle pause, cherchant mes mots.
« Sachez que si j’ai traversé avec mes hommes une armée pour venir vous protéger, ce n’est pas seulement parce que vous meniez les nôtres au nom du pouvoir royale, mais c’était aussi parce que c’était votre personne et que je vous estime comme aujourd’hui, j’ai rarement estimé quiconque. Votre Altesse, je fais le serment que tant que je vivrais, je ne laisserai quiconque attenter à votre honneur, ni à votre vie. Je vous suivrai quels que soient les obstacles. Je vous serai fidèle et c’est à vous que je dédie ma vie et cela d’aujourd’hui jusqu’au seuil de ma mort."
J’inspirai de nouveau avant d’en arriver à la conclusion de mes propos.
« Et c’est pour cela que je vous demande de bien vouloir me rendre mes lettres de noblesses, comme vous me l’avez promis et de me permettre de faire partie de vos conseillers, comme j’ai pu l’être occasionnellement ce jour. Je jure que si vous en consentissiez, rien ne pourrait jamais me détourner de votre service. J’essaierai chaque jour de devenir meilleur pour être assez digne de vous et ne point ressembler à ce qu’est mon père aujourd’hui. »
La Princesse écouta mon long discours patiemment avant d’incliner la tête et de répondre posément, avec un maigre sourire.
"Ezak d'Arkasse, vous avez plus que quiconque mérité que je vous fasse confiance. Vous avez risqué votre vie et celle de vos hommes pour moi, et je serais bien ingrate que de n'en tenir pas compte. Dans mon cœur, vous êtes déjà Chevalier de la Cour kendrane. Nous officialiserons cela à notre retour à Kendra-Kâr, au vu et au su de tous. Votre nom sera lavé, chevalier. Soyez en assuré."
…
…
Chevalier...
Je fus quelques secondes interdit. Mon cœur manqua un battement, ou il en eut un supplémentaire, je n’aurais su le dire. La chose que j’avais tant cherché était là, à quelques encablures de moi. J’étais ému, bien que je le cachai avec habileté. La symbolique était importante pour moi. Enfin, les d’Arkasse retrouvaient leur place dans l’échiquier de la noblesse kendranne. La rupture avec mon père était consommée. Il l’avait plongé dans la déchéance et moi j’allais bientôt l’élever à nouveau. Pour moi aussi s’annonçait une nouvelle ère, pleine de responsabilités. J’inclinai la tête, profondément reconnaissant.
« Vous ne le regretterez pas. »
Ma joie fut tout de même tempérée. J’aurais cru que j’aurais exulté, fanfaronné comme cela m’arrivais bien souvent, même intérieurement. Mais trop de choses m’empêchaient de savourer le moment. Par eux même, mes yeux se détournèrent de la Princesse pour balayer le champ des morts de notre armée écroulée, sur les plaines de l’Ynorie. Il m’était difficile de ressentir une quelconque joie en ce jour. Qu’est-ce que cela voulait encore dire être kendran ? Qu’est-ce que cela serait au lendemain de cette bataille ? Mes yeux se dirigèrent où mes hommes étaient tombés, approximativement alors que mes pensées naviguaient toujours, comme obsédées par ma filiation. J’avais tant gagné, mais n’avais-je pas tant perdu également ?
« Si vous le permettez, je vais une dernière fois passer un peu de temps avec mes hommes pour les remercier et leur dire adieu.»
"Faites. Remerciez-les au nom de Kendra Kâr."
Me demanda la princesse. J’acquiesçai. J’étais au moins heureux d’une chose : Le Général Bogast et elle-même étaient conscients de ce qu’ils avaient fait. Je jurai de faire en sorte que leur mémoire soit honorée.
Sur ma route je croisai Azra, en position de prière, debout solennellement. En passant derrière lui, je posai une main sur son épaule.
« Prie aussi pour mes hommes disparus. J’allais justement leur dire adieu. » Dis-je calmement.
Il hocha la tête : « Que le corbeau collectes vos âmes à tous. Que vous soyez vaillant héros ou simple soldat. Que vous soyez grands généraux ou dernier des archers. Que vous soyez venu pour la richesse, l'honneur ou pour défendre un proche. Que vous soyez ennemis ou alliés. Que vous soyez parti dans la paix ou la souffrance... Phaïtos a une place pour vous tous. Les peines, les angoisses, les craintes de la vie... Laissez tout cela derrière vous. Partez en paix, sans plus vous soucier du passé. Le Grand Corbeau accueil tous, sans discriminations. Marchez mains dans la main, car désormais, vous êtes tous égaux. Puisse les portes du repos vous être ouvertes. »
Durant toute sa prière, je me posai à ses côtés, dans une position de recueillement, respectueux de ses mots. Un geste dont je n’avais pas l’habitude. C’était une première pour moi mais je savais que chez certains de mes hommes, beaucoup priaient le dieu de la mort alors je leur rendis hommage. Ils le méritaient. Après un temps de silence, je me confiai au Lord.
« C’est bien la première fois de ma vie que je consens à respecter une prière. Avant ce jour, je haïssais les dieux. Aujourd’hui, je ne sais que penser d’eux. Dois-je les haïr pour nous avoir tant laissé subir ? Les remercier pour être intervenus finalement ? Louer plutôt Brytha pour le sacrifice qu’elle a su faire pour nous. Tant d’incertitudes se bousculent parmi les convictions que j’avais… »
Il me répondit que j’étais libre de penser ce que je voulais d’eux, et que cela n’avait pas d’importance car ils étaient les forces de la nature qui composent le monde. Il me recommandait néanmoins de ne pas trop me tourmenter et qu’un jour je trouverais une réponse qui serait mienne, quelle qu’elle pouvait être.
J’hochai la tête. Les discussions théologiques que je partageais avec Azra n’étaient jamais désagréable, bien que nos manières de penser divergeaient. J’appréciais celà. Sa dévotion me paraissait beaucoup plus ouverte que celle de certains religieux zélés.
« Sans doute as tu raison. Un jour je trouverais mes réponses. » Je quittai mon air grave pour tourner un léger sourire vers lui.
« Je suis néanmoins heureux de te voir entier Lord. J’espère que tu as pu faire valoir les droits de ta famille auprès des Duchés. »
Il haussa les épaules. Sa situation n’était pas encore bien définit. Puis il me demande si je resterais aux côtés de la Princesse.
J’agitai la tête l’air entendu.
« J’espère que les choses finiront par aller dans ton sens. Quant à moi, he bien… Je devrais être fait Chevalier de la cour kendranne dès notre retour. Alors oui, je lui resterai fidèle comme l’exigera mon rang. »
« Je suis heureux pour toi. Mon chemin me mène à la rencontre des dieux. Le tiens à la rencontre des humains. Puissions-nous nous croiser de nouveaux, sous de meilleurs auspices. En attendant... » Il sortit un petit os et grava quelque chose dessus avant de me le tendre, en affirmant que je serais toujours bienvenue chez les Messagers du Corbeau.
Je pris l’objet et le lu. Dessus était marqué : « Ezak d'Arkasse, ami du Corbeau, par la voix du Premier messager. » Cela eut le don de me tirer un sourire, une deuxième fois. Décidément, la présence du Lord m’était bien agréable. Il était loin le temps de notre rencontre suspicieuse dans les Bois Sombres. Nous agissions officiellement pour Oaxaca, et nous avions combattu des forces de Brytha. Aujourd’hui aucune d’elles ne foulaient plus la terre de ce monde. La boucle était bouclée.
« Merci. De même pour toi, Lord. Tu devrais aller te rappeler au bon souvenir de la couronne, elle n’est pas ingrate, je peux le confirmer. Dis que tu viens de ma part. Et tu salueras Daemon de ma part.»
Je posai une main affectueuse sur son épaule.
« Adieu, mon ami. »
Et je m’éloignai, continuant mon cheminement. Après quelques pas m’éloignant toujours plus de la foule réunit, ils croisèrent ceux de Cromax. Lui et moi avions quelques petits détails à régler.
« Messire Cromax, vous avez évoqué des propos qui me paraissent bien floues tout à l’heure. Alors vous êtes aussi un ami de Puliin ? Comment se porte t’elle ? Cela fait bien des années que je n’ai pas eus l’occasion de lui rendre visite à Kendra-Kâr. »
"Vous êtes un Amant, n'est-ce pas ? Sachez alors que j'étais l'égal de Pulinn dans notre hiérarchie. Il y a eu un... gros changement. Nous avons été trahis de l'intérieur par deux membres éminents de l'ordre, Zarnam de Tulorim et celle que l'on surnommait la Rose Sombre. Cette dernière manipulait mentalement les gardes de la Rose pour les dresser contre nous. Ces deux-là sont morts, mais ils ont presque emporté Pulinn avec eux. Nous ne devons sa survie qu'à un don d'un objet magique puissant l'ayant ramenée à elle. Elle garde des séquelles, cependant : elle ne parlera plus jamais. Elle a donc décidé de s'en retourner en Anorfain, loin des machinations de la capitale kendrane... Quant à l'ordre, il est... dissous. Dissous tel qu'il était en tout cas. Je compte rassembler les anciens membres pour mener un nouveau combat... Et de manière plus transparente que ce qui se faisait jusqu'ici."
Je fus surpris de toutes ces infos. Il y avait tant de choses que j’ignorais. Je répondis l’air un peu hagard.
« Ciel…La pauvre. Cette nouvelle m’attriste. C’était bien l’une des rares alliées sur qui j’ai pu compter depuis que je fus livré à moi même. »
Je restai silencieux un moment réfléchissant à ce que Cromax venait de dire.
« Quel est ce combat qui vous tient tant à cœur ? »
Il rétorqua avec un sourire : "Défendre la liberté, me battre contre les régimes oppresseurs et libérer les opprimés. Et ce avec mes pouvoirs, des alliés puissants et de la conviction. Si cette cause vous parle, vous pourrez trouver les miens sur une île au large de Tulorim : Tol'Lhein."
J’opinais du chef. Ses volontés étaient nobles. La cause me parlait. C’était ce que j’avais essayé de faire aux côtés de Gart à Omyre, en m’installant dans le quartier communautaire d’humains.
« Je crains malheureusement d'avoir trop à faire pour me permettre de voyager dans l’immédiat. J’ai juré à la Princesse Satina que je serai à ses côtés lors des lourdes épreuves que devra traverser notre peuple dans cette nouvelle ère qui s’annonce. Mais lorsque vous serez prêt à reformer l’ordre faites appel à moi et je viendrai. Je ne devrais pas être très loin de la Cour désormais. J’essaierai de faire de mon mieux pour rendre grâce au travail commencé par Puliin dans la Cité Blanche. »
Il baissa la tête poliment. "Alors puissiez-vous passer au-delà de mes méfaits dans Kendra Kâr. Vous pouvez consulter le Lys, dans le Temple des Plaisirs. Un noble elfe blanc admis à la cour qui a repris les affaires de Pulinn. Il saura vous indiquer où me trouver, si vous le souhaitez."
Je plissais un instant les yeux tentant de saisir le sens des premières paroles de Cromax avant de reprendre.
« Rien que l’idée de me diriger dans ce lieu, sans y retrouver la gracieuse présence de Pulinn m’attriste. Mais j’irai Sir sindel, j’irai… Pour elle.»
Je tournai la tête vers la direction que j’empruntais avant d’être détourné par cette conversation.
« Je n’abuse pas plus longtemps de votre présence. À notre prochaine rencontre, et que cette fois là, elle se fasse en alliés. »
Conclus-je en tendant le bras au Sindel.
"Il n'en a jamais été autrement, pour ma part, ser Ezak. Que l'avenir puisse vous faire croiser à nouveau la délicieuse Pulinn. Qui sait... Bonne chance à Kendra Kâr."
J’inclinai la tête avant de reprendre ma route, une nouvelle fois. Cette fois il n’y avait plus d’obstacle sur mon chemin. Les voix des aventuriers ne parvinrent bientôt plus. Je goûtai avec plaisir cette solitude. J’avais besoin de cet instant de calme pour faire le point. J'étais passé par tant d'émotions contraires ces dernières minutes. Les pensées négatives avaient du mal à me quitter malgré le reste. Mon père, mes hommes, mes patries...
Chacun de mes pas furent trébuchant. Il était impossible de garder une démarche fière dans un champs de mort. Il y avait toujours ce membre malin et lâche qui venait aggriper la botte au moment où l’on relevait le pas. Ou cette armure trop glissante qui faisait déraper un pas qui pourtant s’était voulu assuré. Après quelques minutes de marche silencieuse je m’arrêtai, à peu près là où mes hommes s’étaient écroulés. Je regardai autour de moi cherchant de mes yeux si je pouvais reconnaître l’un d’entre eux, avant de me rendre compte de la stupidité de mon geste. Je pouffai d’un rire nerveux en posant une main sur mon visage dépité.
« Sombre crétin… »
Qu’est-ce que je m’étais imaginé ? Retrouver du monde dans ce charnier à ciel ouvert était illusoire. C’était ça, la définition de l’horreur. Les yeux rivés sur les masses écroulées, je songeai à mes hommes, qui avaient rejoint l’anonymat de cette foule de macchabées. Je leur jurai intérieurement que leur sacrifice ne serait pas vain. Sur leur cendre je jurai de dresser une nouvelle génération d’élites faites de jeunes kendrans. Oui, j’irai conter à cette jeunesse de mon pays, celle qui était encore trop jeune pour se battre ici, au nom de quelle horreur leurs pères, leurs mères, leurs frères et leurs soeurs avaient été sacrifiés. J'exalterai leur colère, leur fierté, leur orgeuil. Les ennemis de Kendra-Kâr pouvaient bien trembler, car un jour, ils auraient des comptes à rendre...
HRP :
- Fait don du casque d’Oaxaca défoncé et une dent de Dragon
à l’Etat-Major kendran
[XP : 3,5 (discussions)]
Modifié en dernier par
Ezak le jeu. 3 févr. 2022 05:30, modifié 4 fois.