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par Heartless » dim. 30 mai 2021 23:51
Même après avoir versé tout le contenu d'une fiole sur son bras endolori, Heartless ne parvenait toujours pas à en reprendre le contrôle. Il y avait donc bien une limite aux pouvoirs de ces potions, tout compte fait...
Karsinar ne semblait pas enclin à l'idée d'une discussion reposée, mais Sarl intervint en sa faveur. L'homme massif céda à sa requête et, quelques instants plus tard, le groupe s'était retrouvé autour d'une longue table. Quatre aventuriers d'un côté, Karsinar et Sarl de l'autre, et dans un coin, un homme mûr à la longue moustache noire, Vandrak. Les sbires de Sarl étaient postés à l'extérieur, mais un loup blanc gigantesque était resté, seul garde du maître du castel. Selon toute vraisemblance, il avait été l'otage des oaxiens, et avait écrit la missive sous menace de mort.
Sibelle avait été la première à prendre un siège à la suite de la meneuse de Blakalang. Guère habituée à tourner autour du pot, elle demanda de but en blanc les conditions de la libération de Vandrak.
"Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il est à vendre ?" répondit Karsinar. "Il me semblait qu'il ne vous intéressait pas."
"Elle aime juste pas trop l'idée de rentrer bredouille." intervint Heartless.
"Mieux vaut rentrer bredouille... que de ne pas rentrer du tout."
Le borgne détestait l'admettre, mais même avec deux flèches dans le dos, le Prédateur Ultime ne perdait pas grand-chose de sa menace. Le pirate avait passé les dernières minutes à jeter des coups d’œil discrets. Angles morts, issues, objets lourds, babioles pointues. Au cas où la situation venait à dégénérer.
"En ce qui me concerne, la question Vandrak peut attendre. Sans vouloir vous offenser."
Il avait adressé un signe dédaigneux de la main qui lui restait à l'otage silencieux, qui semblait bien peu terrifié par la situation. Au contraire, il avait presque l'air consterné par le comportement des nouveaux arrivants. Sirius demanda à Sarl la raison pour laquelle ses Blakalang n'avaient pas perdu de temps pour s'aligner du côté des omyriens. Du point de vue de ces liykors, Karsinar n'était pas un envahisseur venu prendre leurs terres, mais un libérateur qui les aura permis de se désolidariser de l'Ynorie et d'obtenir leur indépendance.
Agacé par les questions de ceux qui étaient prêts à lui mettre une flèche en travers de la tête quelques instants plus tôt, le général oaxien demanda pour quelle raison ceux qui s'étaient présentés comme des électrons libres s'affairaient malgré touts à remplir les basses besognes du côté kendran. Ce fut à Sinaëthin de prendre la parole.
"Je n’apprécie ni être un sujet d’expérimentation pour les Treize ni voir nos contrées saquées par leurs sbires. Je ne fais que tenter de protéger les nôtres. Le déséquilibre qu’Oaxaca amène dans ce monde doit être maîtrisé et interrompu ou elle causera notre perte à tous."
Elle était bien placée pour dire cela. Dans ce groupe de quatre, tous avaient été témoins des plans cruels d'Oaxaca. Indigné, Karsinar s'esclaffa :
"Un déséquilibre ? Ah ! Et qu'est ce monde équilibré que vous visez ? Un monde sans garzoks ? Un monde sans gobelins ? Un monde exterminé de sa richesse et sous l'emprise d'un seul roi conquérant ?"
Sirius se massa les tempes. Cet abruti s'entendait-il parler ? Qui, sinon ces empaffés d'oaxiens, avaient instigué la quasi-totalité des conflits violents de ces dernières années ? Sinaëthin évoqua la futilité des massacres, la possibilité d'un compromis. Sirat l'appuya en déclarant que les garzorks s'égaraient tant qu'ils ne réclamaient pas leur glorieux passé, celui d'une civilisation florissant dans la cité ancienne d'Asterok, aujourd'hui ensevelie. Le ton monta d'un cran.
"Asterok ? Pourquoi irions-nous vers des ruines alors qu'Omyre la grande est nôtre ?"
"La fière Ynorie ne se laissera pas départir de territoires sans rien en retour."
Sibelle, désintéressée par la politique, fit de nouveau ressentir sa présence.
"Je me suis engagée pour venir en aide au peuple d’Ynorie et ma mission est de ramener Vandrak... et non de vous tuer pour le faire... on peut donc épargner des vies en faisant un marché."
"On ne nous a pas dit de le ramener vivant, d’ailleurs." ajouta Sirat en adressant un regard lascif à sa camarade. "Pourquoi vous accrocher à lui ? Vous n’avez rien demandé, donc ce n’est pas une monnaie d’échange. Vous avez déjà son château, pourquoi le garder en vie ? Il n’est pas écrit qu’il doive survivre."
Il jetait des regards féroces au riche marchand. Il n'était pas dur d'imaginer que Sirat puisse ressentir du mépris pour un homme qui avait plié son échine à la vue des piques et des haches. Heartless, qui avait enfoncé tant bien que mal sa main morte dans une de ses poches, posa les deux pieds sur la table. Il prit une grande inspiration, et baîllonna la voix de la prudence dans son esprit. Cette discussion ne menait nulle part.
"Mon ami touffu, je crois que Karsinar a déjà apporté des éléments de réponse à cette question. Vandrak était l'appât qui nous a amenés jusqu'ici. Mais dans ce cas, pourquoi est-il toujours vivant ? J'ai une autre théorie. Tu as mentionné la présence d'un certain D'Arkasse dans le camp, un peu plus tôt. Notre comte est peut-être juste une garantie de sa loyauté, quelle autre raison pourrait avoir un nobliau de s'associer avec ceux qui font la conquête au nom de cette chère Oaxaca ? Parce que peindre l'austère Solennel en roi conquérant, venant de vous, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité, non ?"
Son talon frappa le bois oeuvré et il se leva pour déambuler autour de la discussion, se mettant à l'écart de ses compagnons. Il espérait tirer les vers du nez de ses hôtes, quitte à verser dans la provocation.
"Ce qui me turlupine dans tout ça, c'est... Quel intérêt de nous attirer dans un piège, pour ensuite organiser une rencontre à huis clos ? Quel intérêt du piège, en premier lieu ? Se pourrait-il que tout ce joyeux bordel soit juste... une diversion ? Ou alors, vous avez vraiment quelque chose à nous dire ? Me dites pas que vous aviez dans l'idée de nous recruter, quand-même ? Hahaha, ça serait vraiment cocasse, ça !"
Sirius pouvait sentir les poings du Prédateur Ultime se serrer. Encore un peu. Il lui adressa un sourire, ce sourire, celui qui avait fait perdre son calme à plus d'un homme, pour le meilleur et souvent pour le pire.
"Parce que si c'est le cas, Nanar, je peux t'appeler Nanar ? Mes services sont loin d'être gratuits."
D'un geste fulgurant, l'oaxien blessé fondit sur le pirate et, avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, Sirius quitta le sol, soulevé de tout son poids par la main seule de Karsinar qui enserrait sa gorge. Les deux hommes échangèrent un bref regard, mais ce n'était pas l'asphyxiation que le pirate risquait, c'était de perdre sa nuque ! La brutasse des Treize était à la hauteur de sa réputation, et ses yeux brûlaient d'une rage incroyable, le résultat d'une vie de barbarie et de siècles de haine. Il sembla à Heartless que les autres aventuriers étaient prêts à se lever pour lui venir en aide, mais fort heureusement, ce fut Sarl qui intervint une énième fois, poussant un grand cri pour que Karsinar cesse. Sirius, quant à lui, se démenait à la recherche d'une prise, de quelque chose à arracher au barbare, de quoi entacher quelque peu sa fierté, et remporter la victoire des petits truands vaniteux. Ce dernier ne lâcha pas tout de suite, tant sa rage était grande, et le rictus omniprésent de sa victime n'arrangeait rien. Mais il l'avait entendu la louve, et son étreinte finit par se déserrer.
Heartless tomba sur ses genoux et s'écroula contre la jambe de Karsinar. Il toussait bruyamment et de manière pathétique. Il ne simulait qu'à moitié, il s'était vraiment senti partir une seconde plus tôt. Mais dans sa faiblesse, il avait trouvé une excuse pour se rapprocher du berzerker, et ses doigts agiles tâtèrent prudemment les atours de la brute. Il crut sentir quelque chose, et ses vieux réflexes de vaurien perdu dans les ruelles d'Exech revinrent au galop. La brute le regardait de haut, dans son iris, on pouvait voir les dix milles morts atroces qu'il réservait à l'insolent dans son esprit.
"Tu me manques encore une fois de respect, mercenaire, et ton sang recolorera ce parquet."
D'un coup de pied paresseux, il fit choir le pirate qui se recroquevilla de douleur sur le sol. Il avait morflé, beaucoup morflé.
"Si vous n'avez à nous servir que de futiles provocation, vous pouvez tout aussi bien quitter cette salle. Concernant le piège, vous l'avez déjoué : les choses évoluent et nous nous adaptons. Ce n'est pas vous que nous attendions. Pas quatre mercenaires aventuriers sans lien avec le Royaume blanc et bleu. Nous n'avons aucun intérêt à vous détruire, à vous tuer. Alors oui, autant parler."
Vandrak, qui était resté immobile depuis le début, se décida enfin à parler.
"La note que nous avons envoyée était à destination d'Oranan. Qu'ils sortent de leur cité pour sauver un de leur riches et influents citoyens. J'ai accueilli ici ces gens de mon plein gré. Le commerce est ma seule loyauté, et leur armée est imbattable. Il est dans mon intérêt de les suivre, au dépend de mes anciens alliés. Et je ne compte en rien quitter ma demeure pour vous suivre, où que vous alliez."
Et avec cela, les cartes avaient été dévoilées. Vandrak était un pion volontaire. Il avait fait le même choix que Sarl, poussé par l'appât du gain et la crainte des répercussion.
"Cette petite fouine de mes deux..." avait soufflé le pirate alors qu'il se relevait avec peine.
Sibelle se releva. Impassible comme jamais, elle avait décidé que ces pourparlers avaient assez duré.
"Puisque Vandrak n'est pas un prisonnier... il n'y a plus de marché nécessaire, je n'ai plus rien à faire ici."
Sirat n'était pas parvenu à faire entendre raison à Karsinar sur la destinée des orques, mais il les mit toutefois en garde. Ce conflit incessant entre la Cité Blanche et la Reine Noire ne faisait que les affaiblir mutuellement. Que pourraient-ils faire si un troisième joueur s'était mis en tête d'en profiter ? Une chose était sûre cependant : porter atteinte à la vie du pirate provoquerait son ire. Même s'il était insupportable.
"Oh, va te faire foutre." fit Sirius à l'adresse du félin.
Sibelle avait l'air d'être sur le départ. Il était sage de s'en aller sans faire plus d'histoires. Il passa près de Sinaëthin et de Sirat.
"Je vais préparer le rafiot." leur dit-il à voix basse.
Il se retourna vers Vandrak, maître de ces lieux. Il lui adressa une révérence maladroite, davantage pensée pour se moquer de ses apparences de petit noble que pour témoigner un quelconque respect.
"Maître Vandrak, navrés de vous avoir importuné. En tant qu'homme d'affaires, je ne peux que respecter votre décision. Pertes et profits, offre, demande, tout ça, tout ça. J'espère que nous aurons l'occasion de conclure des marchés à l'avenir. Peu d'investisseurs peuvent se vanter d'être aussi flexible que vous. Quant à dame Sarl, j'espère que vous me laisserez prendre congé. À vous et à votre nouveau partenaire, je vous dis... bonne chance."
Il prit les devants et commença à marcher vers la porte. Il espérait constater le départ des serviteurs de Vandrak sur le chemin du retour, si Sarl les laissait partir sans plus d'histoires. Quant à son échauffée avec Karsinar, Sirius était le seul à savoir s'il en était ressorti gagnant, au final.
((( Tentative de faire les poches de Karsinar pendant son agression, ignorant la peur grâce à sa témérité. Dérobe ce qu'il peut en opérant à l'aveugle. Part retrouver son équipement auprès des serviteurs de Vandrak s'ils n'ont pas fui le château. )))