Partie II - Chapitre I – Course pour le dûché - Suite [Précédent post ici ]
Lorsque j’arrive, le marché est en pleine effervescence. Une foule de passants se masse sur des étalages de toutes sortes. Ici, un armurier détaille son panel d’outils mortels, là un tisserand présente ses plus belles créations, vantant la qualité de ses étoffes. Là-bas, un marchand d’épices annonce de nouveaux arrivages en provenance de lointaines contrées et promet de fantastiques voyages culinaires pour ceux qui auront l’audace de tester ses produits. A cela s’ajoutent des fleuristes, maraîchers, bouchers, fromagers, le tout se mêlant en un brouhaha sonore et débordant de vie.
Ayant grandi dans un petit village, je ne suis pas habitué à une telle variété de commerces. Je résiste à l’envie de tous les visiter pour me concentrer d’abord sur les stands où je dois récupérer une commande. Je commence par l’étalage du boucher et y récupère une dizaine de paquets de viandes séchées et fumées. J’enchaîne par un marchand de fruits et légumes qui me livre des pochons de fruits secs, un kilogramme de riz par soldat ainsi que des légumineuses. Cette course me mène juste à côté du marchand d’épices qui, ayant lorgné la commande livrée par son voisin, me conseille vivement de rehausser mes lentilles avec un mélange dont lui seul connaît les exactes proportions.
L’épicier touche un point sensible : mon amour pour la cuisine. Je me laisse facilement convaincre et acquiers un petit sac contenant un mélange de cumin, de curcuma et de coriandre en poudre. Alors que je règle la commande, je perçois un mouvement furtif à côté du chariot. Concentré sur le décompte de mes pièces, je n’y fait pas immédiatement attention. C’est le marchand du stand de fruits et légumes qui m’alerte du danger.
« Hé toi, là, repose ça tout de suite ! »
Je me retourne pour découvrir un jeune garçon d’une douzaine d’année, les mains fourrées dans mon chariot et son précieux contenu. Nos regards se croisent tandis qu’il agrippe un sac de viande séchée. Puis il détale à toute vitesse.
(Oh là là, non ça c’est pas possible !)
« Messieurs – dis-je aux marchands - gardez mon chariot s’il vous plaît, je reviens tout de suite ! ».
Je m’élance à la poursuite du jeune brigand. Il est court sur pattes mais bien plus agile que moi. Il se faufile aisément entre les passants. J’ai à peine enchaîné une dizaine de pas que mon estomac refait des siennes. La poursuite n’a pas intérêt à s’éterniser sinon je vais rendre à mère nature (incarnée par les rats qui ratisseront la place à la nuit tombée) le quignon de pain que j’ai ingéré quelques minutes auparavant. Je pense déjà aux conséquences tragiques qui pourraient survenir si je perdais la trace du Larron. Moi, retournant bredouille à l’académie avec une commande manquante, contraint d’avouer au sergent que je n’ai pas été capable de surveiller mon chargement.
Impossible. Je redouble d’effort et compense mon agilité moindre en faisant usage de la force. Je joue des bras et des coudes pour repousser les badauds et trace un chemin dans cette sylve humaine. Je récolte une flopée de jurons, l’occasion pour moi d’enrichir mon lexique, mais mes efforts payent. Je talonne le jeune larron et parviens à tenir le rythme qu’il m’impose. Nous atteignons la limite du marché et le gredin tente sa chance dans les ruelles. Il jette un regard par-dessus son épaule pour évaluer ma progression puis plonge dans une petite venelle. Il m’emmène sur son terrain de jeu. Si je le laisse faire, il va réussir à me perdre et à me semer.
Plus un seul passant dans la petite rue dans laquelle nous sommes engagés ; j'ai à présent plus d’espace pour progresser. C’est le moment de valoriser l’entraînement physique que j’ai subi à l’académie. J’accélère brutalement ma course et rattrape ma proie en quelques foulées. Faisant abstraction des potentiels dégâts collatéraux, je me jette de tout mon poids sur l’enfant pour le plaquer au sol. Dans un bruit fracassant, nous nous écrasons tous deux sur un amas de paniers en osier. Le voleur se relève aussitôt et envoie son pied vers mon visage tandis que, genoux au sol, je tente de me redresser. Dressés dans un geste réflexe, mes bras encaissent le coup (Aïe). Je repousse sa jambe et me relève pour lui faire face.
Le gamin à l’intention de vendre chèrement sa peau. Il enchaîne aussi sec sur une série de coups de poings désordonnés mais puissants. J’en dévie la plupart mais en reçois tout de même deux au ventre. Je tente une approche diplomatique :
« Arrête ça tu veux ? Je te ferais aucun mal ! »
Encore deux bourre-pif. Cette fois, j’ai le temps de parer le premier et de lui saisir le poignet lorsque j’accueille le second. Le petit est essoufflé, ça tombe bien car moi aussi. Il se débat, essayant de se libérer de mon emprise. Je prends un coup de genoux dans la jambe puis je lui tire brusquement sur le bras. Déséquilibré, il se rapproche irrésistiblement de moi. Je tords et rabats son bras dans son dos. Je profite d’un coup de coude généreusement servi à mon attention pour saisir le second bras de mon adversaire et l’immobiliser.
« Arrête maintenant ! »
Le môme se fend d’une ultime ruade puis rend les armes, réalisant qu’il ne s’extirpera pas de mon emprise. Son corps tout entier se décrispe. Je relâche mon étreinte et le laisse choir lourdement sur le sol.
(Hé hé, Tobias Arthès le soldat vient de procéder à sa première interpellation !)
Mon corps réagit lui aussi à la fin de cet effort. Tout d’un coup, mon estomac semble littéralement se retourner. Pris d’une violente contraction au ventre, j’expédie son contenu au sol. Mon cœur bat à une vitesse effrénée, je suis en sueur et pris de tremblements. Le voleur ne bouge pas d’un pouce, aussi je prends quelques secondes pour reprendre mes esprits, ma contenance et épousseter mes vêtements. Je fouille ensuite les paniers en osier, dans lesquels je déniche l’objet du larcin.
« Relève-toi. »
Il s’exécute sans broncher prenant bien soin de garder les yeux vissés dans le sol. Le vol, la poursuite, les coups encaissés m’ont passablement irrité. Je me décharge en l’assaillant de questions.
« Tu t’appelles comment ? Tu as quel âge ?»
« Mali, j’ai 13 ans. »
« Depuis quand tu voles dans les rues ? »
« C’était ma première fois, j’avais faim. »
« Tu viens d’où ? Quand es-tu arrivé ici ? »
« Il y a deux jours. J’habitais dans les massifs jumeaux. »
« Qu’est-ce que tu fais ici ? Où sont tes parents ? C’est eux qui t’ont appris à voler ? »
Le petit fond en larmes. Jusqu’ici immobile, il s’agite soudain de sanglots incontrôlables. Il fait peine à voir : il est couvert de poussière suite à notre altercation, son visage est larmoyant et il renifle bruyamment.
« Ils… ils sont plus là ».
Mal à l’aise, je comprends que j’ai été un peu rude avec le petit. Pris de remords, j’hésite entre le prendre dans mes bras ou m’enfuir pour échapper à l’insupportable vision de son mal être. J’opte finalement pour une solution intermédiaire : l’inaction. J’attends patiemment que le pauvre enfant se calme, réfléchissant au meilleur moyen de lui venir en aide.
« Ecoute, si tu commences à voler à ton âge tu n’en sortiras jamais. Pourquoi tu ne cherches pas du travail ? Je suis sûr qu’il y a de quoi faire dans cette ville. Moi par exemple, j’ai des courses à faire au marché et je viens de prendre du retard. J’ai besoin d’un assistant pour surveiller la cargaison et m’aider à l’acheminer jusqu’à l’académie… ça te dis pour 5 yus ? »
Son regard s’illumine. Je dois être la première personne à lui tendre la main depuis la tragédie qu’il a vécue. Il acquiesce.
« Très bien. Moi c’est Tobias, remets un peu d’ordre dans ta tenue et suis moi. On a du travail. »
L’enfant s’exécute puis vient se camper à côté de moi sans mot dire. Nous retournons au marché et je retrouve mon chariot, rangé soigneusement entre les deux stands où je l’avais abandonné. Je remercie mille fois les deux marchands pour leur bienveillance et Mali m’aide à manœuvrer le chariot sous leur regard lourd et désapprobateur. Je reprends ma tournée assisté par l’enfant qui prend son nouveau rôle très sérieusement. Arrivés au niveau du stand de l’armurier, il insiste pour charger seul les dix carquois remplis de flèches qu’on me remet. L’armurier possède un stock de pièces d’occasion et j’en profite pour acquérir une paire de bottes de protection en cuir de qualité probablement médiocre mais pour un prix défiant toute concurrence.
Nous visitons ensuite la boutique d’un tisserand. Nous y récupérons des sacs de transport et des couvertures de survie. Là encore je déniche un stock de vêtements d’occasion. Mali surveille consciencieusement le chariot tandis que je cherche mon bonheur dans un lot de manteaux. C’est finalement une cape verte sombre qui retient mon attention. Je règle ce nouvel achat puis nous terminons la tournée par un stand de tout venant. Nous récupérons des peaux étanches, de petits fagots de bois fin et très sec, ainsi que deux briquets amadou et une petite marmite. Quelle que soit la nature de notre mission, je comprends que notre escouade va prochainement passer plusieurs jours hors de Luminion et plusieurs nuits à la belle étoile.
[La suite dans les
rues et habitations]
[Achats à valider :
- Petit sac d’épices = 3 yus (n'ayant pas trouvé explicitement de prix il s'agit d'une estimation)
- Bottes en cuir (basse qualité - pièce d’armure légère pour jambes) = 50 yus
- Cape verte sombre (basse qualité) = 30 yus ]
Total : 83 yus