Message
par Asterie » sam. 9 nov. 2019 10:57
Une fois encore, la Matriarche Mahal attend patiemment que nous ayons fini de parler pour prendre la parole à son tour. Et elle me surprend en acceptant la proposition d’Yliria de contacter celle qui fut jusqu’alors une ennemie. Elle lui accorde une lune pour ce faire, un ultimatum malvenu qui se finit en menace directe me crispant la mâchoire. La crispation ne lâche pas lorsqu’elle s’adresse ensuite à moi, précisant n’avoir rien à me prouver, arguant également que je serai parmi eux en femme libre si je souhaite les accompagner, le départ se faisant dans trois jours. Je ne peux qu’acquiescer à son propos, accord tacite passé entre nous. Je serai prête dans trois jours, sans l’ombre d’un doute. Et avec eux, je découvrirai tôt ou tard ce fichu secret qu’elle tend à dissimuler. Mahal conclut la discussion par une note plus… humaine. Elle précise n’avoir d’autorité que sur sa tribu. Admet-elle être embarquée dans quelque chose la dépassant un peu ? Ce n’est qu’une faible ouverture, mais que je compte exploiter, plus tard. Elle nous licencie ensuite, appelant à ses devoirs pour rompre la conversation. Après un bref regard échangé avec Yliria, je la laisse rejoindre une elfe de sa connaissance tout en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire de mon côté pendant trois jours. Me reposer, sans nul doute, mais avant tout, aller me baigner, car Daelyrn me rappelle à lui en paillant à mon côté.
Je me dirige donc vers le vieux Jabahl, non loin, pour lui demander d’un ton nonchalant :
« Vous n'aviez pas parlé d'endroit où nous baigner ? »
Le vieil Eruïon opine du chef silencieusement en me demandant de le suivre, m’emmenant à sa suite dans un couloir nous faisant quitter la grotte où nous nous trouvons. Une fois à l’écart, il me vient l’idée de le cuisiner un peu sur tout ça, en sa qualité d’aîné de la tribu.
« Vous, qu'est-ce que vous pensez de tout ça ? »
Le regard qu’il me lance alors est curieux. J’y lis de la lassitude, mêlée peut-être à une touche accusatrice. Haussant les épaules, il répond néanmoins, blasé, que rien ne change : ils obéissent à Mahal et lui font confiance. Une réponse laconique qui m’arrache à mon tour un regard un peu vide.
« Vous ne savez donc rien de ce qui se passe, n'est-ce pas ? »
Il m’en donne l’impression, en tout cas. Un sourire apparait sur son visage parcheminé lorsqu’il rétorque qu’il sait ce qu’il doit savoir, lui qui entend parler de guerre depuis ses jeunes années, sans qu’aucun changement ait eu lieu. Prophétise-t-il un maintien du statu quo de cette guerre froide, ou accorde-t-il un crédit aveugle à Mahal ? Je réponds un peu précipitamment, souriante :
« Et ici, la paix a l’air plaisante. »
Et aussitôt, l’impression d’avoir commis une gaffe en disant ça me prend, et je rougis, gênée de l’embarras que j’ai pu causer. Comme pour me rattraper, je poursuis rapidement :
« J'aimerais pouvoir lui prêter la confiance que vous lui faites. C'est merveilleux. Mais... d'un point de vue extérieur, ses décisions semblent extrêmes et tellement risquées pour vous... Le changement, à tout prix, est-ce vraiment ce que vous souhaitez, tous ? »
Après une précision sur la sacralité de l’endroit que j’ignore comment prendre, il répond avec assurance que tous veulent ici le changement, au vu de leurs conditions de vie précaires. Une réponse un peu facile, qu’il enrichit cependant de deux autres commentaires : Mahal le voudrait plus que les autres. Un début d’indice qu’il efface cependant directement en précisant qu’il la connait bien, depuis sa naissance, et qu’elle n’a jamais pris de décisions irréfléchies. Je fais la moue : irréfléchie, peut-être pas, mais judicieuses ? Je pince les lèvres comme pour m’empêcher de le lui rétorquer, concevant l’impertinence de la question. Puis, je le questionne à nouveau :
« Pourquoi est-elle à la tête de votre clan ? Ne voyez pas de jugement dans ma question : j’ignore tout de vos usages. »
Et voilà que je me sens forcée d’user de pincettes pour lui parler, justifiant d’excuses mes questions. Il y répond cependant sans prendre ombrage, précisant les vertus guerrières de Mahal et narrant une ancienne offense de leur précédente matriarche envers celle-ci, qu’elle aurait tuée pour prendre sa place afin de se faire justice elle-même. Des pratiques… un peu barbares s’il en est. Je reste un instant stupéfaite de cette inattendue réponse, laissant ensuite parler ma curiosité :
« Et nul ne l'a jamais défiée, elle, malgré des décisions si dures ? »
Il rétorque, laconique, que la tribu est plus forte depuis son accession à sa tête. Plus de nourriture, plus d’enfants, grâce à la dureté de sa politique interne. Je hoche la tête en réponse.
« Alors je défendrai avec vous cet idéal. En espérant que ça vous amène la vie, et pas la mort. »
Et là où je ne pensais pas faire d’impair en disant cela, il me prouve mon tort en précisant qu’il ne s’agit guère d’un idéal, pour eux qui étaient autrefois un peuple glorieux nanti de grandes cités productives, avant l’arrivée des sindeldi. Il me parle de la mort comme d’une délivrance, qu’ils ne craignent pas, sans la chercher pour autant. Il conclut par une phrase un peu plus prophétique, arguant que de toute façon tout est écrit. Je souris, puis hausse les épaules, voyant un curieux rapprochement poindre.
« Vous êtes... un peu plus humains que les autres elfes. Plus... mortels. Mais non, je ne suis pas capable de vous comprendre. Pas totalement. Je n'ai pas votre vécu, et je ne pourrai jamais l'avoir totalement. Mais chez nous, les humains, les idéaux ne sont jamais des buts à très long terme. Ce sont des objectifs visant au mieux. Donc oui, c'est comme ça que je vois un idéal, pour un peuple : aller vers un mieux. Retrouver ce qui existait il y a plusieurs générations... c'est du rêve. On peut rêver, mais on sait qu'on ne le vivra pas. »
Mais la solennité de mes mots me rattrape, et je trébuche sur un petit caillou, manquant de m’étaler au sol ridiculement. Je parviens à me rattraper in extremis, lui arrachant l’espace d’une seconde une mine inquiète, alors qu’il répond qu’il n’est qu’un vieux guerriers et que les mâles ne décident pas, chez eux. Ni ne sont même au courant des projets de la matriarche. Ce faisant, il répond finalement à ma première question concernant son savoir de la situation. C’est bien ce qu’il me semblait. Je tente de reprendre moi-même contenance en lui décochant un sourire.
« Je vous le souhaite de tout mon cœur. Je vous y aiderai, même, à la hauteur de mes moyens. »
Il s’incline légèrement, comme pour me remercier, et nous reprenons notre route vers un long escalier qui descend dans les profondeurs de l’abri jusqu’à une rivière souterraine marquée de plusieurs bains vastes, plus ou moins cernés de tentures visant à protéger la pudeur des baigneurs. Plusieurs des membres du clans sont ici, se baignant joyeusement ou puisant de l’eau. Le vieillard m’indique une vasuqe, précisant que je peux m’y baigner. Je le remercie d’un signe de tête et le laisse partir à ses occupations pendant que je m’approche de la vasque, jetant un coup d’œil autour de moi afin d’assurer n’être pas épiée. Je me débarrasse de toutes mes possessions, ne laissant qu’une chainse de lin écru sur ma peau, descendant jusqu’à mi-cuisse. Ainsi vêtue, je me dirige vers la vasque pour m’y immerger avec délice, alors que de son côté, Daelyrn est déjà en train d’y patauger joyeusement, remuant l’eau dans tous les sens sans faire attention au fait de copieusement m’éclabousser.
Je réagis aussitôt, me jetant sur lui pour le pousser dans l’eau, et nous jouons ainsi plusieurs minutes, mon âme d’enfant retrouvée à coups d’éclaboussures et de rires joyeux. Décompresser, profiter de cet instant de complicité… C’est à cet instant qu’Yliria choisit d’intervenir, elle aussi venue se baigner, sans doute. Sans un mot, elle approche du bassin et s’assied en bordure de celui-ci, trempant ses pieds dans l’eau. Ni d’une, ni de deux, restant dans mon esprit jouasse, je l’éclabousse généreusement, détrempant ses habits. Trempée, elle s’enfuit derrière un rocher, comme pour se cacher. Je la hèle :
« Allez, ramène-toi ! Comment peux-tu résister à tant d’eau après une telle traversée ?! »
Elle revient vite, changée, enroulée dans un tissu violet, et à peine arrivée, se charge de m’éclabousser en retour. Surprise par ce revirement, je cligne un instant des yeux, battant de la bouche comme un poisson, avant de m’immerger complètement dans le bassin, tête comprise, pour en ressortir aussitôt, usant de mon épaisse chevelure détrempée pour envoyer une nouvelle gerbe d’eau en compagnie de la petite, qui s’exclame en me demandant si je suis rafraichie, alors que Daelyrn se fait jouette avec la demi-elfe à son tour.
« Alors, tu vas partir ? »
Le sourire d’Yliria se fane un peu, la question est sensible, et je retrouve moi aussi aussitôt un brin de sérieux, alors qu’elle rétorque, peu sûre d’elle, que c’est dans ses projet. Elle s’excuse de n’avoir pas parlé de ce plan avant de le proposer à Mahal. Je hausse les épaules.
« Oh, c’est normal. On ne pouvait pas s'attendre à... ça. C'est un peu la galère hein ? Comment penses-tu que Sylënn va réagir ? Et d'ailleurs, est-elle l'ennemie coriace que cette Eruïonne décrivait ? »
Je balade la paume de mes mains sur l’eau ayant retrouvé son calme, comme une caresse sur la surface. La pyromancienne me rétorque qu’elle va sans doute passer un sale moment en allant la voir. Puis, s’immergeant jusqu’à la nuque, elle avoue savoir qu’elle a combattu longuement les eruïons par le passé, mais guère plus, ne la connaissant finalement que depuis peu. Je grimace un peu.
« C’est ton ami, l’elfe gris, qui l’a fait changer d’avis ? »
J’oublie son nom, tant et si bien que je parviens à me demander si elle me l’a déjà donné. Elle avoue n’en savoir pas trop sur ça non plus, imaginant seulement que ça puisse être le cas. Elle me rappelle son nom, Tanaëth, avec qui la rencontre aurait été houleuse, avant d’avoir été surprise de sa bienveillance par rapport aux autres sindeldi. Imitant la petite, je m’immerge jusqu’aux épaules et la questionne plus avant sur cet ami surprenant.
« Et lui, il les a combattus, aussi ? Ou il a toujours été... plus ouvert ? »
Là encore, elle avoue n’en rien savoir. Ne rien savoir sur leurs passés. Elle l’imagine toutefois plus ouvert, et depuis plus longtemps, qu’elle.
« Mais tu le connais mieux lui qu'elle, n'est-ce pas ? Qui est-ce ? Tu as l'air d'avoir pour lui un respect immense. Pourquoi ? »
Elle m’informe alors que le dénommé Tanaëth Ithil est le chef de l’Opale, ce groupe dont elle fait partie. L’un des trois chefs, en tout cas. Et son respect vient apparemment de son ouverture d’esprit, de ses actions concrètes pour faire changer les mœurs de son peuple dans le sens d’une ouverture. Par ce qu’il lui a sauvé la vie, et l’a accueillie chez lui en risquant tout. Ma mine se fait subitement un peu plus triste. Affligée par une pensée qui me transperce l’esprit avec la précision d’une incision douloureuse.
« Deux êtres se connaissant si peu, et qui se sauvent, là où je n'ai pas pu sauver celui qui m'étaient cher. Le monde revêt parfois un voile d'injustice que je ne parviens pas à comprendre. »
Je me hisse sur le bord du bassin, un peu éteinte tout à coup.
« Nous reverrons-nous, Yliria, après ton départ ? Et quand nous nous reverrons, serons-nous dans le même camp ? »
Après un sourire triste, elle m’avoue comprendre mon ressenti, puis précise qu’elle ne pourrait choisir de camp, sinon celui de ses propres idéaux, ce qui peut être contraire aux deux adversaires en présence.
« Alors nous créerons le nôtre : celui de la paix. »
Elle agrée, puis me questionne sur mes propres projets.
« Je vais rester avec eux. Leur sort me touche, ils me font un peu penser à ces silnogures en voie de disparition. Si je peux encore une fois participer à la sauvegarde d'une espèce, alors je le ferai. Mais oui. Je compte bien trouver ce secret si bien gardé. Et quand je saurai, aviser en fonction. Après tout... C'est pour ça que nous sommes là, non ? »
Elle avoue s’être un peu emballée avec toute cette histoire de guerre, oubliant la mission confiée par Sylënn. Je n’ai en rien voulu insinuer cela. Elle me demande de lui promettre de faire attention. J’opine du chef et rétorque :
« Et toi ? Promis ? »
Elle me renvoie ma promesse tacite. Je m’immerge une dernière fois intégralement avant de sortir du bassin, éprouvée par le trajet dans le désert. Je n’y ai que trop peu dormi, et il est temps pour moi de récupérer un peu d’énergie. Je me rends rapidement vers la zone que les Eruïons nous ont apprêtée pour nous reposer, et m’endors presque aussitôt, fourbue mais contente d’être arrivée.
Le lendemain, je vais vers Yliria à l’aube alors qu’elle somnole encore dans son couchage, sur lequel je pose mes fesses pour lui demander :
« Alors, quand pars-tu ? Tu ne croyais quand même pas que j'allais te laisser aller sans te dire au revoir, hein ? »
Elle a l’air encore plus crevée que la veille, et me rétorque après avoir secoué la tête qu’elle a réfléchi au lieu de dormir, et qu’elle va finalement rester avec moi, avec les eruïons. J’écarquille les yeux, surprise. Elle annonce avoir parlé avec Seraya, une de ses connaissances du cru, et avoir pris conscience du danger de traverser seule le désert.
« Ah ? Ah bon ? Que vous êtes-vous donc dit avec Seraya pour que tu reviennes sur ta décision ? »
Elle lui aurait fait comprendre que Mahal n’avait aucunement l’intention de lui laisser la moindre chance, ne lui communiquant pas leur destination. Dans un sens, c’est prudent de la part de la matriarche : une réunion qui a l’air importante ne peut pas arriver aux oreilles de leur puissant ennemi. Yliria s’inquiète désormais de pouvoir rester après ce qu’elle a dit. Je fais la moue en répondant :
« Si vraiment elle ne souhaitait pas que tu t'en ailles, il n'y a pas de raison pour t'empêcher de rester. Si ? »
Elle précise qu’elle verra bien lorsqu’elle ira la trouver, plus tard, et avoue que ça l’ennuyait de me laisser en plan ici.
« Oui, moi aussi je suis contente que tu restes. ça sera plus... simple de créer notre propre camp, si nous sommes ensembles. »
Souriante, elle plaisante en affirmant qu’ils n’auront aucune chance contre nous deux. Ce commentaire m’arrache un petit ricanement, alors qu’elle avoue espérer un combat immédiat.
« Pas de suite. Ils doivent d'abord rejoindre les autres clans. Repose-toi, maintenant que ta décision est prise. On va toutes les deux avoir besoin d'énergie pour accomplir ce qui nous attend. »
Je la laisse se reposer, non sans lui promettre une autre partie de jeux aquatiques, plus tard. Nous n’avons pas grand-chose à faire en attendant le départ de la tribu, de toute façon. Les heures qui suivent sont lentes, nous laissant tout le loisir de nous reposer au mieux pour les épreuves à venir. Détente, repos et préparation pour le futur voyage dans l’enfer du désert naorien. Réserves d’eau et d’énergie, de nourriture sèche, la rare qu’ils aient pu nous fournir. Le jour du départ arrivé, je rejoins Yliria, et nous attendons que soit donné l’ordre de partir. Toute la tribu s’en ira-t-elle, ou juste les guerriers et combattants ? Sont-ils prêts à tous se sacrifier pour cet espoir fou de remporter une victoire contre les gris ?