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La pluie ne cessait de tomber sans que cela trouble les piètres spectacles sur la place publique. Sharon, elle, rêvait de trouver un refuge et de changer d’habits, ceux-ci sentaient presque aussi mauvais que la nourriture poisseuse que deux chiens se disputaient au pied d’une étale. Elle devait être dans un piteux état vu comment elle se fondait parfaitement parmi la plèbe. Elle tint fermement sa bourse accrochée à sa ceinture, comme le lui avait appris sa mère, et s’intéressa de plus près aux contenues des différents présentoirs. Les marchands n’étaient pas aussi affables que ceux de Tulorim, ils mâchaient la moitié de leurs mots et coupaient leur phrase pour grogner sur un mendiant affamé ou un visage suspect.
(J’ai assez de nourriture pour tenir encore deux ou trois jours, mais si je veux retrouver ma tante il me faut faire des provisions.)
Les différentes viandes n’étaient pas aussi alléchantes qu’elle l’espérait, elle était habituée à manger des mets fraîchement chassés et cuisinés par leurs domestiques. Un mode de vie bien différent de ces pauvres gens qui se disputaient pour une part de porc à moitié brûlé. Elle s’immisça jusqu’au vendeur de légumes, un homme âgé dont la bedaine s’échappait de sa ceinture, et saisie un oignon qu’elle inspecta pour vérifier la qualité. Le vieil homme saisit soudainement sa main et lui hurla dessus dans un patois qui lui était inconnu avant de la jeter sur le côté.
-Et n’essaye pas de revenir, p’tite voleuse !
Sharon se rattrapa de justesse et évita de se retrouver étalée par terre, recouverte de boue.
(Mais…Je ne suis pas une voleuse…)
Les larmes lui montèrent aux joues. Les difficultés de ces derniers jours avaient bien minées sa patience, à présent elle voulait juste se reposer.
(Je suis peut-être sale mais…est-ce parce que j’ai touché ce légume ?)
Elle ne retint pas ses larmes et éclata en sanglot.
(Je suis désolé père, tout ça c’est ma faute…Je n’aurais jamais dû insister pour venir ici, je suis désolé…Je ne sais pas comment faire sans vous à mes côtés…)
La jeune fille se redressa mollement, la tête basse quand un homme lui tapota délicatement l’épaule.
-T’veux un peu de pain ma p’tite ?
Un jeune wiehl au visage émacié lui tendit un morceau de pain qui semblait frais. Ses cheveux gras plaqués sur son front et ses dents jaunâtres laissaient deviner qu’il vivait probablement dans la rue. Sharon hésita un instant et ne pût s’empêcher de noter la propreté de ses habits sur son corps frêle et malingre.
-N’t’en fais pas, s’normal de s’aider entre pauvre gars. Tiens, prends-le.
L’homme insista tellement que la jeune fille se sentit obligée d’accepter. Elle marmonna un mot de remerciement et sortit sa bourse.
-Je peux vous payez, monsieur. Je ne suis pas une mendiante.
L’homme fronça des sourcils, surprit, puis repris d’une voix mielleuse.
-Ah ? Tu dois être perdue tiens, laisse-moi t’aider.
A cet instant, son instinct l’avertit de la dangerosité de cet homme. La lueur dans ces yeux montrait tout, sauf de la bienveillance.
(Je suis mal, qu’est-ce que…qu’est-ce que je fais ?!)
L’homme l’incita à le suivre dans une ruelle adjacente, son sourire malsain s’agrandissait à chaque pas.
-Je…Je ne voudrais pas…
Elle peinait à trouver une excuse pour qu’il la laisse en paix mais l’homme squelettique serra plus fort son poignet et la tira plus violemment. Elle essaya d’extirper sa main sans succès, on l’emmenait dans une allée sombre d’où plusieurs paires d’yeux brillaient. Leurs traits trahissaient une faim vorace qu’ils semblaient sur le point d’assouvir. Sharon ne comprenait pas pourquoi l’homme l’emmenait vers ces silhouettes bossues au regard diabolique.
(Père ! Père, faites quelques chose !)
-Hé ! Mademoiselle, vous avez fait tomber quelque chose !
Un garçon la héla depuis le marché. Il accourut vers elle tandis que son agresseur tenta de la cacher derrière lui.
-Vous avez fait tomber ce collier mademoiselle, il faudrait être plus prudent.
Le garçon, plus âgés que Sharon, tendit un collier argenté décoré de pierres précieuses.
-C’est à vous n’est-ce pas ?
Il plongea son regard dans celui de la jeune fille en posant cette question. Un mouvement de tête presque imperceptible à son intention.
-Tiens, mais oui ! C’est à ma fille. Merci mon p’tit.
L’homme se saisit de l’objet d’une main habile et desserra son étreinte sur Sharon pour mieux examiner l’objet. Alors que l’homme faisait tourner le collier entre ses doigts abîmés, le garçons saisit rapidement la main de la jeune fille et la tira brutalement vers lui.
-Par les dieux !
Avant même qu’il ne termine sa phrase, les deux enfants avaient parcouru la moitié du marché et se fondait dans la masse. Sans s’arrêter, le jeune garçon décèlera le pas, jetant de fréquents coups d’œil aux alentours. Il se retourna à la vue d’une patrouille et plongea dans la première ruelle à sa droite.
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