<< Précédemment
De tous les endroits possibles, il fallut qu'elle m'emmène dans une maison de passe ! Le Purgatoire était un bâtiment que rien ne différenciait des autres autour de lui. Mais il y avait des vitraux rouges et une enseigne étrange qu'Alyah me déconseilla de fixer. Je haussai un sourcil en approchant, mais la Vipère garda un sourire mutin sur les lèvres en me tenant diligemment la porte. Ce fut en entrant que je compris où je mettais les pieds. En dessous de l'épais nuage de fumée dégagé par le tabac, par dessus les rires gras, la musique et l'odeur d'alcool, des femmes en tenue trop légères pour être décentes et des hommes très intimes avec elles. Je jetai un regard outré à ma guide qui ne se départit pas de son satané sourire. Je fronçai les sourcils.
- Je refuse de...
- Ne te méprends pas, jeune fille, ce n'est pas CE genre de service que l'on veut te demander. On se rend à l'étage, il nous attend.
Pas vraiment rassurée pour autant, je la suivis néanmoins, jetant un regard noir à un type qui me reluquait d'un peu trop près. Je venais en moins de deux minutes d'en voir plus sur les rapports adultes qu'en plus de quarante ans, je n'avais pas spécialement envie de prolonger l'expérience. J'avais hâte de sortir de là et voir ailleurs si je pouvais oublier tout ça. Elle me conduisit à l'étage avant de désigner une porte. Elle toqua trois fois, puis deux et elle s'ouvrit. Un colosse se tenait dans l'embrasure et j'eus un réflexe en portant la main à ma rapière. Il y avait quelque chose de sinistre avec cet homme qui me toisait. Il s'écarta pourtant en voyant la Vipère qui entra en me faisant signe de la suivre. Lâchant mon arme, je la suivis, balayant la pièce du regard avant d'y poser le moindre orteil.
Bien moins austère que celles de l'auberge qu'on venait de quitter, elle était joliment décorée, même si le rouge omniprésent était un peu étouffant. Un grand lit se trouvait dans le coin gauche, une commode face à lui, non loin d'une des fameuses fenêtre aux vitraux rouges. Au centre, une table à laquelle la Vipère s'asseyait, face à un étrange
personnage. Fumant un cigare nauséabond, il me regardait de son œil unique, l'autre étant en verre, comme s'il cherchait à m'évaluer. Nonchalamment installé, il portait un habit sombre parsemé de touche colorée grâce à d’impressionnants bijoux, dont un piercing scintillant sur son oreille intacte, l'autre étant salement griffée. Il fit un signe et un autre homme s'approcha de moi en tendant la main.
- Tes armes.
Je tiquai. Je n'avais pas spécialement envie de me séparer de mon moyen de défense le plus efficace au beau milieu d'une réunion de la pègre locale, entourée par des gros bras. J'étais déjà dans les ennuis jusqu'au cou, je voulais éviter d'en plus me retrouver impuissante face à des types dont l'activité principale était d'enfreindre les lois pour leur propre profit. Il vit ma réticence et fit un pas en avant. En réponse, je tirai en partie ma lame et il se figea tandis que son comparse portait la main à sa ceinture. J'évaluai encore mes chances lorsque l'individu assis face à la Vipère souffla bruyamment une épaisse fumée avant de tapoter son cigare pour en enlever quelques cendres. De nouveau son œil valide se fixa sur moi alors qu'il parlait d'une voix grave.
- Tu n'es pas en position de négocier, shaakte. Donne tes armes et installe-toi, j'ai mieux à faire que gaspiller des hommes à combattre une mercenaire, crois-moi.
Je fis la moue, hésitai encore avant de rengainer et de déposer ma rapière dans la main tendue. Mon bouclier et ma dague la rejoignirent rapidement et je pus m'installer. Je détaillai mon interlocuteur d'un peu plus près. Il ressemblait à un Woran qui aurait perdu tout pelage, mais il était petit et bien plus maigre que les Worans que j'avais pu croiser. Mon examen ne lui échappa pas et il souffla à nouveau sa nauséabonde fumée, cette fois dans ma direction, me faisant froncer le nez et bloquer ma respiration pour ne pas tousser.
- J'ai entendu parler de toi... Un peu trop.
- Ce n'était pas mon intention. Si j'avais pu l'éviter je ne m'en serai pas privée.
- Toujours est-il que c'est chose faite et, dans le cas présent, cela m'arrange. Je vais te faire une offre, unique et limitée dans le temps. Un maudit voleur a dérobé un bien précieux et s'est réfugié dans un manoir, à l'écart de la ville, le Manoir des Brumes. Il n'en est toujours pas ressorti, pas plus que les douze hommes que j'avais envoyés à ses trousses. Douze, cela commence à faire beaucoup et je m'étais résigné à engager des mercenaires et, quelle chance, tu débarques juste à ce moment-là. Voilà mon offre. Tu vas dans ce fichu manoir, tu récupères mon bien et me le ramènes, et en échange, tu peux garder tout ce que tu trouves là-bas et tu auras un... sauf-conduit pour marcher en sécurité dans nos rues. Et ta présence en ville restera entre nous...
Il y avait anguille sous roche. Il avait envoyé douze hommes, aucun n'était revenu et il m'envoyait, seule, dans un manoir pour récupérer un simple objet. Soit cet objet avait énormément de valeur, soit il ne disait pas tout, soit il avait inventé l'histoire de toute pièce et j'allais droit dans un guet-apens.
- Et si je refuse ?
- Alors tu es particulièrement stupide. Mais nous savons tous deux que ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?
Je ne répondis pas, il avait bien fait comprendre que n'avais pas le choix et je n'étais pas stupide au point de croire que je pouvais m'en tirer avec un simple « pas grave » si je refusais.
- Bien, nous avons donc un accord.
- Dites-moi juste. Qu'est-ce que je dois récupérer et pourquoi est-ce limité dans le temps ?
Il leva une main et claqua des doigts. Un de ses hommes apporta un papier représentant un genre de vêtement.
- Voilà l'objet en question. Tu n'as pas besoin de savoir ce que c'est, mais c'est très précieux et je veux le récupérer. Tu as cinq jours à partir de demain. Passé ce délai, notre marché ne tient plus et... je te laisse imaginer la suite.
Je pris le papier et l'examinai en hochant la tête. Tout ça pour un vêtement ? Soit il était très précieux, soit il renfermait une quelconque magie. Je me gardai bien de la moindre réflexion et roulai le papier pour le mettre dans mes affaires. L'entrevue étant visiblement terminée, je me levai rapidement et récupérai mes affaires avant que le Woran ne m'apostrophe à nouveau.
- Une simple question. Pourquoi Kisp te cherche avec tant de pugnacité ?
- Vous avez vu la brûlure qu'il porte?
- Celle qui lui mange la moitié de son visage ? Difficile de la rater.
- C'est moi qui l'a lui ait infligée quand j'ai brûlé son bateau.
Pour la première fois depuis que j'avais rejoint la Vipère, l'étonnement pu se lire sur son visage et même le Woran haussa un sourcil surpris. Je sortis alors sans plus de cérémonie. J'avais hâte de boucler cette histoire et de ne plus jamais en entendre parler. Qu'on me rende mes quinze jours de paix...