<< Précédemment
Le dernier voyage
J'avais rapidement quitté le port après l'entrevue. Je ne voulais pas trop m'attarder dans la zone, elle n'avait rien d'engageante et l'attitude du Sang-Pourpre ne m'avait guère aidée à me sentir à l'aise. Loin de là. Sachant pertinemment qu'une énième discussion avec Sorinion m'attendait à la commanderie, je décidai de faire un long détour. Il y avait longtemps que je n'étais pas allée le voir. Je repoussai toujours le moment, sachant que cela ne m'apporterait rien de bon, seulement des regrets et des souvenirs à jamais révolus. Et pourtant, j'en ressentais le besoin. Quand était-ce la dernière fois que je lui avais parlé ? En passant par le centre, je pris quelques fleurs à un marchand qui semblait ravi de cette cliente de dernière minute. C'était toujours plus agréable de mettre un peu de couleur.
C'était loin d'être l'endroit rêvé. Des tombes sombres, un silence glaçant et des ombres qui s'étalaient dans la lumière mourante du jour. Un simple sol de terre, où poussaient çà et là quelques rares herbes. Je me souvenais encore du chemin. Difficile d'oublier une chose pareille, à dire vrai. Je l'aperçus enfin et m'agenouillai devant, retirant la terre et la saleté qui commençait à la maculer. Les fleurs colorées dénotaient avec l'aspect terne et sombre, mais qu'importe, au moins elles étaient là, vives, donnant une touche de couleur à un monde trop sombre. J'inspirai, caressant du bout des doigts l'épitaphe.
- Bonjour Papa, désolée d'avoir tardé.
J'avais finalement beaucoup de choses à lui dire, beaucoup de choses à faire sortir qui venaient du cœur. Je me rendais compte que c'était ridicule. Je parlais à une pierre froide et sans vie, à une personne qui n'était plus, mais ça me faisait du bien, finalement, de lâcher prise, de dire ce que je pensais sans me retenir. Mes peines, mes regrets, mes colères, tout y passa. Au point que j'eus la gorge sèche et que l'obscurité s'installait lentement sur les environs. Pourquoi est-ce que je faisais cela ? Il ne pouvait pas répondre, il ne pouvait pas me caresser la tête en me disant que tout irait bien, que j'avais bien agi, que tout allait bien se passer. Rien de tout ça, seul le silence et le léger bruissement du vent.
Un long soupir franchit mes lèvres alors que je me taisais finalement. Je me sentais vidée, dans le bon sens du terme, mais ce n'était pas comme si tout avait disparu. Tout était toujours là, enfoui quelque part et reviendrait peu à peu, jusqu'à ce que je finisse par en faire abstraction, un jour. Comme la dernière fois, venir ici m'avait rappelé trop de bonnes choses à jamais disparues, de mauvaises choses qui ne s'effaceront jamais. L'esprit comme le corps marqués à jamais. J'avais beau avoir appris à vivre avec, il était parfois difficile d'y faire face. Je secouai la tête. Je devenais déprimante pour moi-même en réfléchissant trop dans cet endroit. Je me relevai finalement, m'étirai et inspirai avant de faire demi-tour après un dernier au revoir. Encore une fois, j'allais mettre du temps avant de revenir ici.
En me retournant, je me figeai en voyant une silhouette, nonchalamment appuyée contre une stèle, à une dizaine de mètres. Quand elle me vit me retourner, elle s'écarta de son appui et s'approcha. Vêtue d'un long manteau et portant un sceptre, elle cachait son visage sous une capuche légèrement pointue. Je n'aimais pas ça, et j'avais raison. Lorsqu'elle retira sa capuche, ma main se posa aussitôt sur la poignée de ma rapière. Une shaakte. Des cheveux cendrés lui arrivant aux épaules, des yeux violets et une peau sombre, le doute n'était pas vraiment permis, mais ce fut son regard hautain qui me convainquit. Ses habits étaient si sombres qu'ils semblaient fait d'olath, mais ce fut son sourire qui me fit tiquer. Ça et ses paroles.
- Enfin je te trouve. Tu es difficile à suivre, toujours à disparaître on ne sait où et te cacher dans des forteresses ou parmi les vermines...
- Qui êtes-vous ?
- Allons.. tu ne reconnais pas l'air de famille ? Je te pensais plus futée pour avoir ainsi échappé à Odvala.
Évidemment... Une autre cousine sortie de je ne savais où. Il y en avait combien comme ça ? Ma lame est sortie cette fois, mon bouclier dans mon autre main, en position de garde. Elle ne fit pas mine de bouger, un sourire pincé sur les lèvres, comme si elle trouvait la situation particulièrement amusante. Alyah me souffla qu'elle possédait des fluides d'ombre. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il fallait bien une mage sombre pour compléter le magnifique tableau qui se peignait dans ce cimetière. Une jolie réunion de famille une fois de plus.
- Je sais ce que vous voulez, et je ne viendrai pas avec vous.
- Tu dis ça comme si tu avais le choix.
- Il se trouve que je l'ai, j'y ai veillé. Laissez-moi tranquille !
Elle laissa échapper un claquement de langue agacé et, aussitôt, un orbe de sombres volutes fusa vers moi. Elle s'évapora en m'atteignant, s'écrasant sur ma cape qui s'était de nouveau mise en travers du chemin de la magie sombre. Cela surpris la shaakte qui me fixa d'un air étonné avant de plisser les yeux.
- Je vois... tu as en effet pris des précautions.
- Je vous l'ai dit. Laissez-moi tranquille, retournez dans votre satanée cité et oubliez-moi. Sinon...
Ma lame s'embrasa alors que mon corps se mettait à scintiller. Ma cousine recula d'instinct, sa magie s'étalant autour d'elle avant de finalement se résorber alors qu'elle prenait une posture moins agressive. Je ne rengainai pas ma lame, mais l'abaissai. Elle était raisonnable ? C'était bien la première fois que quelqu'un rompait le combat à ma demande. Si seulement c'était vrai.. Sa magie pulsa et une nouvelle silhouette sortit de derrière un arbre. L'avait-elle cachée jusque là ? Je me préparais à voir Odvala, mais le visage de la personne qui se tenait devant moi me fit l'effet d'un coup de poignard.
-
Non... non, non, non, non... comment... tu as osé ? tu... Tu n'avais pas le droit !
Elle ricana. Elle ricana, cette ordure ! De quel droit bafouait-elle ainsi la vie d'autrui ? Elle n'avait pas le droit de faire ça. J'oubliais complètement tout le reste. Je voulais la tuer. J'avais juste envie de la tuer, de lui rendre au centuple ce qu'elle avait fait. Je tremblai de rage face à son sourire sardonique et à la vision de la personne qui marchait vers moi, tel un pantin. Ça n'aurait jamais dû arriver. Je reconnaissais ses traits, ses yeux d'un bleu profond, la cicatrice qui courait de sa tempe gauche à son cou où trônait une nouvelle, plus large, ouverte, traçant un sillon sur sa chair.
- Si tu me suis gentiment, je le libère.
- Vous...
(Calme-toi Yliria, ce n'est qu'un corps, ce n'est pas...)
- Yliria...
(Oh merde...)
Il venait de parler. Je pensais que c'était impossible, mais il l'avait fait. Je savais ce que cela voulait dire, et le sourire carnassier de la shaakte ne me détrompa pas. Elle avait piégé son âme dans son corps, l'empêchant d'être en paix, tout ça pour m'atteindre, moi. A chaque pas qu'il faisait vers moi, je reculai, refusant d'y croire, me disant que c'était le jeu des ombres qui me faisait voir des choses qui n'étaient pas là. Puis un rai de lumière éclaira son visage, et ma rapière tomba au sol.
- Papa...