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Dépaysement
Ce fut donc deux jours plus tard que Nyllyn et moi nous présentâmes à la zone d’embarquement, située légèrement à l’écart de la ville. C’était une grande plaine lisse sur laquelle se trouvait un immense bâtiment qui nous fut désigné comme le fameux Aynore. Ancré au sol par de grandes armatures, il était impressionnant, couvert de vitres, et brillait dans le soleil matinal. En apercevoir de loin était une chose, le contempler depuis la piste où il était ancré en était une autre. Si le dessous ressemblait à la coque d’un bateau, la ressemblance s’arrêtait là et je n’étais même pas capable d’identifier vraiment de quelle matière il était fait. Mon amie jubilait à mes côtés, encore plus surexcitée qu’à l’accoutumée.
Plusieurs Sindel semblaient vérifier les réservations et nous virent approcher, nous saluant aimablement, me lançant tout de même un regard curieux. J’avais convenu avec Nyllyn que le masque que je gardais dans mon sac ne quitterait pas mon visage tant que nous ne serions pas arrivés à Kers. Mes vêtements et mon armure masquaient aisément ma peau sombre, seul mon visage était vraiment trop visible. Elle trouvait ça ridicule, mais j’avais entendu suffisamment de mise en garde concernant la haine des Sindeldi envers les Shaakts, je préférais ne pas ajouter une difficulté supplémentaire à ce voyage déjà fort complexe et dangereux. Ce que Nyllyn n’avait toujours pas l’air de comprendre d’ailleurs.
- Je ne vois pas en quoi ce serait si dangereux. On va seulement faire des recherches, probablement dans des bibliothèques poussiéreuses en plus.
Nous étions en train d’attendre la permission de monter à bord, entourées d’autres voyageurs, dans un brouhaha quelque peu bruyant, couvrant un peu nos conversations.
- Nyllyn… avant ça, il faut déjà arriver à Kers, ce qui n’est pas encore fait. Et ensuite, je ne pense pas qu’un objet de cette puissance nous attendra sagement avec une pancarte « servez-vous ». Il y aura des protections, peut-être même que d’autres seront à sa recherche. Ou qu’elle est défendue. Et ça, c’est seulement si on trouve un indice. Et je ne te parle même pas de déambuler dans une ville inconnue, on ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus.
- Tu es très négative.
- Réaliste, pas négative. Crois-moi, débarquez dans une ville que tu ne connais pas, ce n’est pas toujours agréable. Et je préfère envisager le pire, ça permet de l’éviter justement.
- A t’entendre, tu as l’habitude de t’attirer les ennuis.
- T’as pas idée…
Le sourire affiché en lui disant cela lui fit tout de même hausser un sourcil mais je n’eus pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, l’un des Sindeldi annonçant que nous pouvions monter à bord et que l’appareil décollerait dans peu de temps. Flanquée de mon amie, sac sur le dos et esprit préparé, j’entrai donc au cœur de l’Aynore, surprise par l’intérieur qui, loin d’être austère, était richement décoré. Chaque passager ou famille avait sa cabine réservée. Je partageais la mienne avec Nyllyn, bien évidemment, et nous nous installâmes immédiatement, profitant d’un confort inattendu. Comme deux enfants en quête d’aventures, nous avions alors décidé d’explorer un peu le bâtiment avant son départ, traversant couloirs et coursives pour finalement arriver dans une immense salle servant de passerelle d’observation. D’immenses vitres permettaient d’admirer le paysage de tous côtés et je sus tout de suite que nous passerions la majorité du trajet ici, à observer le paysage. On nous annonça que le départ était imminent et ce fut dans un état de surexcitation que nous nous approchâmes de l’avant de l’appareil qui pointait vers l’étendue océanique que nous devions traverser.
Une secousse secoua l’appareil qui commença doucement à s’élever du sol. Plus le sol s’éloignait et plus Nyllyn semblait au bord de l’explosion à cause de son excitation. Et lorsque l’Aynore se mit à avancer, le paysage défilant sous nos yeux, je fus moi aussi prise d’une certaine excitation à la vue de l’étendue nuageuse que l’Aynore dépassa. Le sentiment de naviguer sur une mer de nuage était incroyable. Dommage qu’il soit impossible de sortir, j’aurai sans doute tenté de toucher l’un des nuages pour connaître la sensation.
Le voyage durant une quinzaine d’heures, il fallut s’occuper et, après avoir déambulé dans tout le vaisseau et avoir passé un moment dans la salle d’observation, apercevant une créature ailée au loin sans pour autant parvenir à l’identifier, quatre heures seulement étaient passées et nous étions déjà à court d’idées pour passer le temps.
- Quand même, on aurait dû y penser… Tu penses qu’on peut s’entraîner ?
Je la regardai comme si elle était devenue folle.
- Mais ça va pas ? On est censées rester discrètes Nyllyn, discrètes !
- Je demande juste ! On s’ennuie ferme !
Je levai les yeux au ciel. Bientôt, elle demanderait à retrouver un moment de calme après une suite d’événements s’enchaînant sans cesse pour nous tenir occupées, mais en attendant, son air boudeur me fit soupirer et je lui proposai donc de trouver de quoi s’occuper en se joignant à d’autres passagers. Certains jouant aux cartes ou autres jeux plus atypiques. Nyllyn semblait attendre cela puisqu’elle se leva aussitôt et se dirigea vers un groupe hétéroclite qui semblait en pleine partie d’un jeu de cartes. Ils acceptèrent de l’intégrer à la partie, mais je restai à l’écart, préférant observer ce genre de jeu. Il y avait un Sindel, deux humains et un Taurion qui salua chaleureusement Nyllyn, ravi de voir une compatriote. Il y avait également une jeune Hironne qui les accompagnait, mais qui, comme moi, ne participait pas à la partie et qui s’approcha de moi avec un sourire engageant.
- Joli masque. On cache quelque chose ?
Elle n’y allait pas par quatre-chemins, c’était clair.
- On peut dire ça.
- Dommage, sh… semi-Shaakt, c’est ça ?
J’eus un léger mouvement de recul qui lui tira un sourire.
- Ne t’en fais pas, tout le monde n’est pas foncièrement contre les Shaakts, encore moins contre ceux qui n’en sont pas totalement. Sans indiscrétion, pourquoi aller au Naora si tu crains tant qu’on sache qui tu es ?
- Et bien… Affaire personnelle et demande de quelqu’un. Comment vous avez su ?
- Tes oreilles, elles dépassent un peu. Autant dire qu’un Sindel le verra tout de suite.
Je vérifiai en murmurant un juron. Soupirant, je laissai tomber l‘idée de rester discrète, relevant le masque sur le sommet de mon crâne puisqu’il était inutile face à la vision d’un elfe. Nyllyn aurait tout de même pu me le dire… le petit groupe me dévisage un instant avant de reprendre la partie de cartes. L’Hirionne sembla ravie, m’offrant un large sourire.
- Il aurait été dommage de cacher un si joli visage.
- Je n’ai simplement pas envie d’être ennuyée.
Ce n’était pas arrivé si souvent en soi. Mais les regards haineux et les chuchotements étaient parfois bien plus inquiétants qu’un type qui vous faisait du rentre-dedans.
- Si tu n’as rien à te reprocher tout ira bien. Oh, je m’appelle Julia et toi ?
- Yliria. Pourquoi vous allez au Naora ?
- Joli prénom, bien que la signification m’échappe. Oh, nous sommes des mercenaires, on nous a proposé un travail, et nous voilà à traverser l’océan. Ton amie semble s’amuser avec mes compagnons.
Effectivement, Nyllyn riait aux éclats, me tirant un sourire. Nous passâmes ainsi une partie du voyage avec la petite troupe, nous retirant quelques heures dans notre cabine pour profiter de quelques heures de sommeil avant d’arriver à destination où un autre vol nous attendrait. Au final, la première partie du voyage fut globalement calme et amusante.
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