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par Vohl Del'Yant » dim. 7 avr. 2019 13:06
Une sorte de détachement envahit Vohl. Comme s’il flottait sur un océan de coton : ses membres semblent ne plus lui appartenir, son esprit se vide en un instant. On lui annonce qu’il va mourir. Bah. Quel est le problème, finalement. Tout le monde meurt. Au moins, sa mort assure que sa mission réussisse. Ou pas. Mais qui se souviendra de lui, de toute façon. Même parmi ceux qui le chérissent, le souvenir finira par s’effacer, lentement mais inéluctablement. C’est le sort promis à tout un chacun. Alors maintenant ou plus tard...
Et puis, il a la satisfaction d’avoir fait de son mieux pour Oranan. Une vie dévouée, dédiée au service du seul bien commun. Il a de quoi partir heureux. Alors pourquoi au fond de lui, une bête féroce s’attache à nouer ses intestins, à presser le cœur et l’estomac ? Pourquoi une part de lui refuse-t-elle l’idée même de se satisfaire de son sort ? Un sentiment d’inachèvement. Une colère contre le destin qui s’acharne. La vie lui est précieuse. La vie est précisément ce pour quoi il a lutté : la vie des autres, mais la sienne aussi ! Toutes ces années de services l’ont fait se sentir vivant. Et il renoncerait maintenant ? Aberration. Renoncer maintenant, ce serait tourner le dos à tous ses idéaux et à ce qu’il peut encore faire. Pour défendre la vie, défendre la liberté. Dédier sa vie, encore et toujours, à ce monde dont il a été exclu et qu’il aime au-delà des mots : Oranan. La République d’Ynorie.
D’un revers, l’idée de se laisser mourir passe à la débâcle. Qu’est-ce sinon une lâcheté, de finir ainsi pour lui. Bien sûr, la vie ne sera pas plus rose s’il la poursuit. Comme il serait confortable de se noyer dans la satisfaction du ‘je me suis bien battu, il est temps de sonner la retraite’. Sonner la retraite ? Allons bon ! Cet ordre militaire ne fait sens que dans une stratégie, parce que l’on décide de revenir plus tard ! Si un général donne cet ordre, c’est qu’il reste l’espoir de vaincre. Les pensées se bousculent dans la tête de Vohl. A-t-il encore cet espoir ? Oui. Il se battra jusqu’au bout. Jusqu’au bout, il fera tomber le plus d’ennemis de la nation. Et il n’en a pas encore fini.
Le ninja se rend compte que Hïo lui parle avec compassion, une main sur son épaule. Il n’avait pas souvenir de s’être assis. Il rencontre les yeux du forgeron qu’il protège aux coins des yeux perlent quelques larmes de sang. Son dos se redresse, ses épaules se carrent. Hïo semble se rendre compte du changement : un air interrogateur vient remplacer celui de la commisération. Le regard de Vohl dévie sur le mage, qui s’affaire entre les fioles, les alambics, et toute une panoplie de verrerie dont le protecteur ignore le nom et l’usage. Une mixture bouillonne dans laquelle un morceau de mousse se noie.
« Aknaer, votre potion se base-t-elle sur des ingrédients particuliers ? »
« Hmm ? Oui bien sûr, quelle recette n’a pas son ingrédient central : ici, il s’agit d’une mousse. La sphaigne des marais. Cette mousse pousse dans les plans d’eau acides et légèrement stagnants. Ce qui explique la difficulté d’en trouver ici. »
Le magicien poursuit ses explications en manipulant divers outils, vérifiant leur propreté avant de les faire prendre place dans un complexe circuit de verre.
« En fait, l’acide utilisé par cette mousse lui donne des propriétés neutralisantes sur certains poisons lorsqu’on la mélange à des extraits d’autres plantes. En Ynorie, vous l’auriez sans doute mélangé avec du thé vert ou des algues marines. Ici, nous le faisons davantage avec du fenouil ou des cucurbitacés. »
« La sphaigne mise à part, vous n’avez besoin que de fenouil ? »
« Eh bien, personnellement je préfère cela : ça donne un goût moins terreux au mélange qu’en utilisant des courges. Par ailleurs, cet ingrédient est aussi plus facile à trouver ici ! »
« N’y a-t-il aucun marais à proximité ? »
« Si, mais je refuse de marcher cinq cents mètres pour t’aider... Pour qui me prends tu, blanc bec ? Les marais les plus proches ne sont en réalité pas loin ; mais je dois rester ici pour préparer le mélange. Et d’ici à ce que j’ai fini, tu présenteras des symptômes équivalents à ton camarade. Le temps d’aller chercher cette mousse et de la préparer à nouveau ensuite, tu seras mort : tes reins auront lâché. »
« Mais si je pouvais vous ramener la mousse... »
Le tenant de la boutique réfléchit un bref instant. Il saisit une poignée de mousse dans un bocal avant de la tendre à Vohl.
« La mousse ressemble à cela : tu ne devrais pas pouvoir te tromper. Et voici un bocal vide, afin que tu puisses y mettre ta récolte. »
Il fait une petite pause, jaugeant le protecteur du regard avant de reprendre la parole. Vohl inspecte la mousse à la lueur d’une lampe. La mousse semble en effet particulière : une tige, des feuilles assez éparses le long de cette tige, surmontée d’une touffe brutalement dense à l’extrémité de cette tige. L’ensemble ne fait pas plus de cinq centimètres. Le protecteur tache de garder en tête ces informations : il espère que cela suffira à l’identifier.
« Ne ne tarde pas. Mais je doute que tu sois capable de mener cela à bien. Même en allant rapidement, tu serais dans un état déplorable à la fin de ton périple...il te faudra aller dans les niveaux inférieurs, au plus profond de l’ancienne Mertar. »
Harmir, qui s’était fait oublier pendant la discussion, sursaute.
« Ce n’est vraiment pas si loin ! Si je l’aide, nous pourrions récolter suffisamment de votre mousse. »
Le mage fronce les sourcils dans une moue sceptique.
« Vous n’avez jamais mis les pieds dans l’ancienne Mertar, n’est-ce pas ? »
« Non, mais je connais l’entrée ! »
Le mage se retourne, grommelant entre ses dents sur l'imbécillité de certains nains.
« Cela ne suffira pas, mais tant que vous êtes en forme, je suppose que vous devriez pouvoir vous en sortir à deux : vous avez des armes ? »
« Bien sûr. »
« Oui. »
Harmir tapote d’un air satisfait le solide marteau qu’il a à la hanche.
« Ce sera peut-être nécessaire. De toute façon, vu la situation...Alors dépêchez-vous : vous avez environ une heure et demi pour me faire parvenir la mousse. Cherchez un terrain humide peu profond. Normalement, vous sentirez que le sol devient spongieux à ces endroits. Il faut un peu de lumière également, alors pas la peine de s’enfoncer au cœur de la ville : restez près des parois. Et n’oubliez pas de prendre une torche. Les niveaux bas ne sont pas aussi éclairés qu’ici ! »
« Allons-y maintenant, Harmir. Pouvons-nous vous emprunter une torche ? »
« En voici une. Hâtez-vous. Ah ! Attendez. Voici de quoi stocker la mousse sans qu’elle ne se déshydrate : cela nous fera gagner de précieuses minutes à votre retour. »
En saisissant la torche et ce qui ressemble à un linge sale et humide, Vohl échange un regard avec Hïo. Le sablier va s’égrener rapidement. Le protecteur tourne les talons alors qu’un nouveau spasme agite le forgeron. Il sort de la boutique, avant de laisser le nain le guider en direction des entrailles de la terre. En sortant de la boutique, il interroge le nain.