C'est en suivant les indications du conseiller Gale que je suis parvenue à rejoindre la boutique de ce fameux "artificier", terme qui m'échappe toujours. Si j'ai préféré ne pas demander à en savoir plus au sujet de cette étrange profession, c'est à cause d'une fierté mal placée m'empêchant de paraître ignare en face d'un commanditaire.
(L'assurance, c'est ce qu'il faut. J'espère juste qu'il ne s'agit pas d'un patois qui désigne les propriétaires de maisons de joies...)
La charrette de Ghunt, le vieux Thorkin qui m'a amené jusqu'à Oranan, est installée à l'arrière du bâtiment, déjà vide de son chargement. Il semblerait qu'il n'ai pas eu à attendre aussi longtemps que prévu, c'est donc pour moi l'occasion de me présenter auprès de Frappedur sans perdre mon temps à vider le chariot. A l'écoute des discussions étouffées que j'entends à travers la porte, la boutique semble ouverte et il ne m'en faut pas plus pour me décider, appuyant sur la poignée qui m'arrive à hauteur de visage. A l'intérieur, je suis accueillie par une petite voix que je reconnais comme étant celle d'un enfant.
"Vous êtes qui, petite madame ?"
En face de moi se tient un jeune garçon aux cheveux noirs et parfaitement lisses, haut d'une dizaine d'années et visiblement intrigué par la nouvelle visiteuse qu'il dévisage. Ses vêtements sont des nippes unis d'un blanc pâle et de froissures qu'il entretient en s'essuyant les mains dessus, peu concerné par leur entretien. Je ferme la porte sans le quitter des yeux et remarque du monde derrière, dont Ghunt qui me remarque et indique ma présence à un
autre Thorkin, le visage buriné par des années de forge et à la barbe brune nouée d'une petite attache. Je devine l'intéressé comme étant Bragarr Frappedur, surtout comme étant celui aillant la gueule de l'emploi. Un homme, Ynorien à première vue, s'approche de moi alors que je réponds au jeune garçon qui attend toujours de savoir qui je suis.
"Je suis Alfryda. Ravie de te rencontrer... ?"
L'humain se place derrière le petit et pose ses mains sur ses épaules, le visage accueillant et pourvu d'un sourire bienveillant malgré les cernes dessinée sous ses yeux fins. Spécimen plutôt grand en comparaison de tous ceux que j'ai pu voir aujourd'hui, il cache sous des frusques noircies ici et là un corps que je devine comme musclé sec à la vue des bras qu'il possède. Ses cheveux forment un dégradé de noir et de gris qui démontre un certain âge chez l'individu, indiquant un passé de soldat en découvrant les cicatrices marquées sur son cou et ses mains.
"Voici Ishi, mon fils. Et je suis Uzuki, enchanté. Je n'ai pas eu l'occasion d'accueillir autant de Thorkins dans ma boutique depuis bien longtemps. Vous venez pour une demande particulière ?"
"Alfryda ! J'me doutais que t'allais pas t'en sortir, 'de dieu ! Où est-ce que t'étais ?"
La voix de Ghunt attire l’œil de toutes les personnes présentes, à l'exception de son voisin trop occupé à me reluquer d'un regard lubrique. Je l'honore d'un soufflement de nez qui mime de le snober avant de répondre au vieux nain qui s'approche, les yeux surpris de me voir si "tard".
"Je suis passée voir le commanditaire, un certain Sirius Gale, au sujet de la compétition. Il m'a envoyé ici pour retrouver le forgeron de Mertar, Brag..."
"Bragarr Frappedur, c'est moi, haha ! J'm'attendais pas à trouver une Thorkine qui s'intéresse à c'concours, tiens."
Sa voix grave résonne entre les murs de la petite boutique à mesure qu'il s'avance à la même hauteur que Ghunt, son cocher et transporteur. Je reste muette, jugeant le personnage qui ne me fait pas bonne impression pour une première rencontre.
"C'est une donzelle qui va m'accompagner pendant l'voyage ? J'ai rien contre un peu d'compagnie dans ma couchette, mais va m'falloir des bras pour taper quand y'aura du Peau-Verte qui va s'pointer, hein ! Et tu viens d'où, toi ? D'la maison ?"
Mal à l'aise, l'humain écarte son fils de la discussion et pointe un regard noir vers la grande gueule, le toisant dans l'espoir qu'il la ferme. Le petit nous observe avec curiosité à mesure que son père l'éloigne, me saluant de la main en mettant les doigts de l'autre dans sa bouche. Je lui renvoie son adorable signe avec un large sourire jusqu'à le voir disparaître dans une autre pièce, affichant un visage plus ferme lorsque Uzuki revient vers nous, passablement énervé.
"Dites, je ne sais pas à quoi vous jouer, mais je vous saurais gré de ne pas vous comporter comme un butor en la présence de mon fils, Messire Thorkin. Par ailleurs, si vous avez des affaires avec ces personnes et qu'elles ne me concernent pas, je vous demanderais de vous en occuper hors de mon commerce."
Le forgeron lève les yeux au ciel en signe d'une compréhension forcée, avant de prendre congé en nous invitant à faire de même.
"C'est bon, c'est bon. J'm'en vais boire un coup à l'Auberge des Hommes Libres, si vous voulez m'y r'trouver plus tard. Comme ça, tu pourras m'expliquer c'que me veut la bonne dame, Ghunt. Allez, j'me casse."
La porte se ferme et l'ambiance redescend d'un cran, fière d'avoir su me contrôler face à ce genre de comportement. J'ai pourtant l'habitude de punir les enfoirés de ce genre d'un couteau sous les couilles jusqu'à ce qu'ils se mettent à chialer, mais je vais tâcher de retenir mes pulsions face à celui qui est censé me rapporter un bon pactole. Le cocher se gratte la tête, gêné d'avoir été une nouvelle fois témoin des mauvaises manières de son patron, surtout envers celle qu'il comptait lui présenter dans les formes.
"Arf... J'suis désolé, Alfryda, j'aurais du m'y attendre. Surtout qu'il est parti s'enfiler des mousses, ça va pas arranger son état, si tu veux mon avis..."
"C'est rien, Ghunt, j'ai l'habitude. On va le rejoindre avant qu'il ne soit dans un état irrécupérable, histoire de lui faire comprendre que c'est bien moi qui vais l'accompagner dans son voyage."
Au milieu de notre départ vers l'auberge, il me semble entendre le vieil homme répondre que ce n'est pas gagné d'avance, mais mon attention est accaparée par un Uzuki qui guette notre départ avant de rejoindre son fils, me laissant avec la déception de l'avoir rencontré dans ce contexte et de ne pas avoir pu m'intéresser davantage à sa boutique.