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par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 21:30
Le grand plateau, fracassé, offre de multiples anfractuosités. Ces terres déchiquetées sont un terrain idéal pour les embuscades, la guérilla… pour ceux qui en connaissent les recoins. La végétation se réduit à une pelouse clairsemée ; le regard de Vohl s’arrête sur une trace dans la boue. Une trace large, dont l’extrémité dénote la présence de griffes. Même l’œil le moins averti comprendrait qu’il s’agit d’un prédateur d’une taille improbable. Il n’en n’a jamais vu, seulement entendu de vagues rumeurs dans les rangs des soldats oraniens. Une sorte de loup géant, servant de monture aux garzoks les plus imposants. Sa présence ici n’est donc pas surprenante…ça n’en fait pas une bonne nouvelle pour autant.
Le soleil fait poindre ses premiers rayons sur l’horizon. Il ne leur reste que quelques dizaines de minutes pour franchir à revers la ligne de front. Vohl ralentit l’allure, pour finalement s’arrêter derrière un des petits pics qui parsèment le terrain. Il gravit rapidement la dune de terre. Il scrute l’horizon. Les montagnes s’ouvrent en un large col, devant lui. C’est ce col qu’ils visent : celui qui mène à la route des cols blancs. Et devant la promesse de ce chemin, un camp adverse trône, à la frontière des terres fracturées et du pied des géants blancs. C’est un camp temporaire, construit de façon étrange, comme un challenger face aux monts, un défi et une provocation envers leurs vis-à-vis, les forteresses kendranes.
La structure du camp cache quelque chose d’étrange. Vohl tente de distinguer la bizarrerie. La réponse vient avec les rayons suivants du soleil, qui dévoilent la structure du terrain en créant les ombres et la lumière. Le camp repose sur une partie surélevée, partagé en deux par une crevasse. Ainsi posé, le camp a une valeur de verrou sur l’accès du territoire oaxien : elle contrôle le passage en menaçant d’un redoutable tir croisé les inconscients qui tenteraient de passer par là. De son point de surplomb, elle maîtrise aussi les environs dégagés du côté omyrien. Le protecteur redescend de son point de vue, en glissant à moitié sur la boue. Arrivé à hauteur d’Hïo, il lui dépeint rapidement la situation.
« Si l’horizon est bloqué, nous allons devoir faire un détour. »
« Je n’ai pas dit ça. »
« Je sais ce que tu dis. Tu proposes ça pour me faire marcher, non ? »
« … »
« Je me suis excusé, pour le coup du ‘pleutre’. Ne compte pas sur moi pour ramper. »
« Je ne te demande rien. J’ai un devoir à accomplir, et je l’accomplirai. Je pense vraiment que c’est la meilleure solution. Tout le reste nous ferait flécher ou dévorer avant d’avoir parcouru la moitié du chemin.»
« Je n’y crois pas un seul instant ! »
« Chut ! »
Hïo baisse d’un ton, mais n’est pas décidé à se taire.
« Ça n’a aucun sens. Nous allons mourir. Tous les deux. »
« Espérons que non ! Fais-moi confiance… On peut y arriver. J’en suis certain. Mais il ne faut pas plus tarder. Tenons nous en à ce que j’ai dit. »
« Après cette nuit, j’ai envie de te faire confiance, Kage. Mais là, j’ai des doutes. »
« Je n’ai pas le temps de te rassurer aujourd’hui. Choisis ton destin, Hïo : le courage et la volonté » dit-il en montrant le chemin vers le campement, « ou l’attente et le renoncement. » poursuit-il en désignant le chemin par lequel ils sont arrivés.
Hïo soupire, puis acquiesce avec détermination. Il redresse des yeux fiers vers ceux, pénétrants, de Vohl.
« Allons-y. »
Le protecteur avance à pied, tenant son destrier par la longe, et le forgeron procède de même. Ils s’avancent autant qu’ils le peuvent vers le camp. Leur manœuvre est risquée, mais elle peut marcher. Hïo trouve un repli du terrain pour s’y camoufler. Il récupère les affaires de son protecteur. Vohl, lui, continue droit vers le col. Il va tenter de faire diversion pour permettre le passage de son protégé. Il s’éclipse dans les ombres naissantes, et disparait rapidement du regard de ses compagnons de voyage.
Le chemin qui s’ouvre devant lui est aisément praticable, patiné par des milliers de soldats au cours des ans. Les parois de terre, des deux côtés, gagnent régulièrement en hauteur, et bien que le soleil teinte le ciel d’un bleu clair, il est loin d’éclairer la large tranchée. Vohl avance rapidement, sans faire de bruit. En à peine une minute, il a vue sur le passage sous le campement. Le passage est légèrement aménagé : le camp de fortune est plus construit qu’il ne l’avait escompté.
(C’est logique, finalement. Cette ligne de front est moins mobile que celle au Nord d’Oranan. Il est normal que les infrastructures des camps aient été renforcées.)
Devant lui de trouve finalement ni plus ni moins qu’un verrou de l’entrée en Omyrhie. Juste devant lui, des brises-charges. Les épieux de bois barrent le passage vers les portes sur trois rangs décalés, solidement gardés par une dizaine de gardes. Vohl les compte rapidement : huit, en réalité. Les portes sont lourdes, et blindées par une poutre de bois épaisse. Il y a de fortes chances que ces poutres épaisses soient issues de la déforestation du terrain défoncé qu’il vient de traverser. Deux échelles de chaque côté de la crevasse leur permettent de remonter sur les parties du camp surélevés. Vohl est dans l’ombre du mur ouest. Il s’approche encore pour observer les surplombs. De temps à autre, des têtes de gobelins ou de garzoks sont visibles, preuves de patrouilles dans les parties supérieures. Bien que la partie supérieure ouest soit invisible à ses yeux, il suppose que la situation est identique des deux côtés.
Il voit autre chose sur les portes : des cordes épaisses semblent encore renforcer le dispositif d’ouverture des portes. Elles sont orientées de haut en bas, accrochées à des anneaux au-dessus des portes, et disparaissent sur le pont qui relie le surplomb ouest et le surplomb est. Les portes ne sont pas dures à franchir pour un homme seul, si l’on oublie les gardes. En revanche, Vohl souhaite faire passer plusieurs cavaliers par la porte. Ils doivent donc être capables d’ouvrir les portes, et d’éviter de se faire transformer en pelote d’épingle une fois qu’ils auront passé les portes.
Vohl passe souplement sur les rangs d’épieux. Les rangs sont écartés de deux largeurs d’épaules : ce n’est pas un problème pour un homme, mais bien plus pour un cheval. Et pour son ‘Cerfe’, cela demandera de progresser avec méthode…et donc d’autant plus de temps. Vohl approche de la zone où les gardes sont autour de deux braseros dans lesquels meurent les dernières flammes de la nuit. Vohl se résout à attendre : il doit pouvoir en neutraliser un maximum avant de se jeter dans la mêlée. L’alarme ne doit pas être donnée…pas avant qu’il ne le décide, au moins. Son occasion tarde à venir : le soleil s’est levé depuis maintenant environ une heure. A une reprise, les gardes ont été relevés. Cela fait environ dix minutes de plus qu’il attend lorsque l’un des gardes s’écarte du point de chaleur.
Vohl sourit férocement. Intérieurement. Il se cache derrière les pals épais. Il s’agit d’un gobelin. L’assassin serre dans son poing le manche de sa griffe. Le gobelin baisse sa défroque pour faire ses besoins au pied d’un épieu de la deuxième rangée, afin de préserver un minimum d’intimité. Vohl s’élance. Ses griffes trouvent le flanc du petit peau-verte. Le sang ruisselle alors qu’une seconde volée vient perforer sa poitrine. Il le retient avant que la créature ne s’effondre. L’assassin tire le cadavre derrière la deuxième rangée d’épieux, et profite d’une petite minute de tranquillité pour lui faire les poches. Il s’éclipse ensuite vers le bord est, dont l’ombre s’approfondit progressivement. Ses camarades viendront le chercher…c’est une certitude.
Trois minutes plus tard, deux des compagnons de la victime se détachent du groupe. Les deux peau-vertes s’avancent vers les épieux. Ces derniers n’ont clairement pas l’intention de soulager leurs intestins. Lorsqu’ils arrivent là où le sang s’est répandu sur la terre boueuse, ils ne repèrent pas les tâches… en revanche, le corps derrière le pal ne leur échappe pas. Vohl s’est déjà élancé en prévoyant cette découverte. Il est derrière les deux gobelins. Il expédie le premier d’un violent coup dans le dos. Les lames traversent le corps de part en part. Avant la moindre réaction, il retire son arme de la poitrine ennemie. Le second gobelin réagit promptement. Une épée prend sa place entre ses mains et il se place dans une position de garde.
Il baragouine quelque chose dans son idiome natal, que l’assassin n’a nul besoin de pouvoir traduire pour comprendre. Afin d’éviter que son adversaire ne reprenne son sang-froid, il jette un regard vers le blessé, à genoux, essayant de reprendre un souffle que Vohl lui dénie. Il tient la tête du condamné. Faiblement, ce dernier tire une dague et tente de la planter derrière lui ; surpris, Vohl s’écarte, tenant toujours son crâne garni de dreadlocks. L’assassin arme le geste d’égorgement.
Le deuxième gobelin ne lui en laisse pas l’occasion, et se jette sur lui avec un estoc sans grâce. L’assassin s’écarte de la trajectoire de son adversaire. Dans un mouvement fluide, il attrape son col pour le retenir d’un élan vers les braseros. D’un geste brusque, il le tire de nouveau vers l’arrière, et l’envoie rouler dans la boue. Le petit peau-verte fait des pieds et des mains pour reprendre ses appuis. Grimaçant et éructant, il dévoile ses dents pointues. Il tire une deuxième lame, fixée dans son dos. Il n’aura pas l’occasion de s’en servir. Vohl lui tombe dessus, une dague en avant : l’oaxien se vide de son sang dans la boue. Il jette un coup d’œil : le blessé se traine dans la fange, vers ses camarades. Une main sur sa poitrine, cherchant son souffle, luttant pour rester conscient, ses jambes courtaudes glissent sur le terrain. Vohl n’a aucun mal à le rattraper. Il l’achève sans tarder.
L’assassin tire de nouveau le cadavre derrière la seconde rangée d’épieux. En bandoulière, ce dernier porte une corne d’alerte. Il l’écrase dans la boue. Puis il reprend sa place, en prenant soin de passer par l’extérieur des rangées de pics. Il fait le plus vite possible, courbé, plié en deux afin de ne surtout pas dépasser des pieux. Lorsqu’il reprend sa place, il est grand temps : le dernier de l’escouade sekteg interpelle le cercle fermé des garzoks. Ces derniers semblent ne pas bien accepter les remontrances de leur petit cousin. A grand renforts de gestes, il houspille les autres soldats de venir lui prêter main forte. Finalement, trois garzoks se redressent et encadrent le setkeg, comme un enfant accompagné par ses parents.
Vohl se plaque contre la paroi et se fige. L’escorte passe la première rangée de pieux. Vohl s’approche du premier brasero. L’attention du dernier garde restant est concentrée sur ses comparses qui fouillent les environs des cadavres. Vohl arrive dans l’ombre des portes et du pont, sur le côté du garzok. Il lance ses lames vers le corps de la sentinelle. La chair n’offre que peu de résistance à son coup, concentré d’une force explosive mise au service de l’éradication des ennemis de son peuple.
Pas un son ne sort de la gorge de la solide peau-verte foudroyée : le gaillard, pourtant solide, s’effondre dans le seul bruit de son corps qui chute. Celui-ci aussi possède une conque ornée de motifs étranges : l’assassin passe rapidement la conque à son épaule. Il regarde au-dessus de lui. Les poutres qui servent d’appui au pont son à sa portée. Il s’éjecte en utilisant les bottes le plus haut qu’il peut. Habitué à trouver de fines prises sur les maisons ynoriennes, les larges poutrelles de bois mal dégrossis ne posent aucun problème. A quatre mètres de hauteur, il se projette une nouvelle fois vers lesdites poutrelles. Il note un accès aux cordes à ce niveau. Elles sont néanmoins épaisses, et les sectionner demandera du temps. Il a la confirmation, de son point de vue : les cordes, lorsqu’elles sont tendues, empêchent l’ouverture des battants. Détendues, elles permettent aux battants de s’ouvrir vers l’extérieur. Juché sur sa poutre, il observe le reste de la patrouille continuer à ratisser la zone de pics effilés. Un seul d’entre eux semble avoir entendu quelque chose l’intrigant : le corps tombant dans la boue ? Le rebond de Vohl sur les battants de bois ?
L’assassin penche pour la première hypothèse : son impact n’a eu que peu de force contre les lourds battants. C’est un second garzok qui s’approche. Dès qu’il voit son frère de peau gisant au sol, il s’arme, se mettant en position de garde. Vohl vérifie qu’il est bien plongé dans les ombres avant de se livrer à la méthode qu’il a plusieurs fois testée depuis le début de ce périple. L’homme est en garde, et signale à ses compagnons la mort de leur allié. C’est du moins ce que comprend Vohl au travers du vent qui souffle ses paroles vers l’intérieur des terres d’Omyrhie. Il se laisse tomber avant qu’il ne puisse réitérer son appel. Comme les fois précédentes, Vohl oriente sa griffe vers l’espacement entre l’épaulière et le cou, une zone facilement accessible depuis son perchoir. Cette fois, il prend bien garde à laisser ses jambes souples pour le réceptionner, et non raides, raison pour laquelle il n’avait dû son salut qu’au fait d’atterrir sur sa victime les fois précédentes. Durant sa chute, ni cri de guerre, ni clapotis de boue : comme une chouette descendant vers sa proie, le silence accompagne le piqué.
L’arme ripe sur la clavicule de l’homme vert, et dévie donc légèrement de sa trajectoire. Elle n’en perfore pas moins verticalement le torse de la victime, ravageant en particulier le poumon droit. Entrainé par la vitesse excessive de sa chute, Vohl touche terre dans une gerbe de boue glissante, dans laquelle il s’étale. Sous le poids de l'impact, ses jambes qu'il a gardé souples ne résistent pas : ses genoux heurtent rudement le sol caillouteux caché sous la couche de boue. La douleur aigüe lui fait serrer les dents pendant qu'il roule dans la boue, maudissant son idée de vouloir rester statique après son plongeon. De toute évidence, il doit accompagner cette frappe d'une roulade pour atténuer le choc ! Un peu trop tard pour cette fois... Mais il ne répétera pas cette erreur, qui aurait pu lui causer des blessures bien plus graves que des ecchymoses.
Il n’est cependant pas le seul à suivre ce chemin bourbeux pendant ses réflexions puisque le soldat lui tombe immédiatement dessus, tiré vers le bas par les lames toujours fichées en lui. L’assassin se redresse en grimaçant et retire rapidement sa lame de l’infortuné. Il l’entend respirer de façon rauque, signe qu’il s’accroche à la vie. Pour très peu de temps encore. L’ancien soldat oranien n’éprouve aucun remord à passer le blessé au fil de sa lame. Sonné par le choc et le manque brutal d’oxygène, le garzok n’oppose aucune véritable résistance. Aussitôt l’assassinat mené à bien, l’ynorien recule de nouveau dans l’ombre.
Les ombres se sont un peu épaissies, et dans l’absolu, Vohl pourrait tenter de réitérer la manœuvre précédente. Toutefois, la zone de combat ici est restreinte : contre trois adversaires, il est à craindre que l’alerte soit donnée. Il aurait tout intérêt à porter l’affrontement plus loin, dans les épieux. Pour l’instant, aucun tintement d’acier, son de corne ni aucun cri n’ont attiré l’attention des patrouilles du camp ‘principal’. Ni même du groupe de patrouille : les membres recherchent activement la menace qui a terrassé les gobelins. L’un fait route vers lui, la lame à la main, inspectant un côté et de l’autre, méthodiquement. Un danger. Mais ce n’est pas le point qui préoccupe Vohl. Il veut s’assurer que d’éventuels curieux du campement supérieur ne pourront pas prendre part à l’affrontement. Il ne peut pas espérer échapper à la vigilance de celui qui se dirige : il va devoir repousser son sabotage des échelles.
Il recule autant que faire se peut. L’assassin est pied au mur. Ou plutôt, aux battants. Il ne se donne pas la peine d’échapper par la voie des airs : un mouvement vif, même dans l’obscurité, n’a aucune chance d’échapper à son adversaire. Alors dès que ce dernier semble regarder avec attention de l’autre côté, il bondit, griffes en avant. Le sang goute encore de ses lames lorsqu’elle vole vers le dos de son adversaire. Mû par un instinct surnaturel, ce dernier capte une fraction de seconde trop tôt sa présence. Ses réflexes lui sauvent la vie : les lames de fer sont partiellement bloquées par les lourdes plates métalliques qu’il porte : au lieu de traverser la poitrine de part en part, les tiges crochètent un large pan de peau au niveau, dégagé, de l’aisselle et de l’omoplate. Instantanément, le blessé riposte avec une exclamation de colère et de douleur. Une épée bâtarde décrit un large cercle au niveau du buste. L’éclat d’acier frôle la tête du jeune homme lorsqu’il se baisse précipitamment pour passer à un corps à corps plus rapproché, handicapant pour l’arme longue du garzok, en portant un coup d’estoc vers la gorge du garde vert. Un coup prévisible, dont le soldat se détache d’un rapide mouvement de pivot. Les griffes ne rencontrent que le vide, et emporté par son élan, Vohl ne peut pas esquiver le point sévère qui vient percuter ses poumons. Une punition adéquate à un mouvement dangereux. La force du coup fait reculer l’assassin de deux pas pendant lesquels il tache de remplir da poitrine de l’air frais de la matinée.
Le garzok pousse son avantage : il se rue sur son adversaire en emplissant lui aussi ses poumons pour un cri de rage. Cela ne peut pas arriver. Vohl se projette contre son adversaire. Presque : dans une empoignade, il a peu de chance de l’emporter contre la carrure impressionnante de l’ennemi. A la place, il saute en un plongeon vers le torse blindé du garzok. Le coup de taille de celui-ci passe au-dessous du corps de l’assassin. Le peau-verte fait à son tour les frais de son poids qui l’emporte contre les tiges métalliques. Ces dernières ripent un peu contre les plates, avant de trouver la fente. Elles s’enfoncent directement dans le cœur de l’oaxien, qui s’arrête aussitôt.
Vohl dégage son arme avant que le colosse ne s’écroule ; et il n’attend pas que le garzok tombe au sol pour s’élancer vers les deux derniers membres de cette escouade. Le premier ne le voit pas passer la première rangée d’épieux. Tourné vers l’extérieur, cherchant toujours le meurtrier de ses camarades, il a dans une main une épée dentelée. Sa main secondaire tient une rondache de bois renforcé avec un contour d’acier : il est presque plus lourdement harnaché que son compère.
Vohl court ; les éclaboussures qui ponctuent son chemin alertent l’oreille de la sentinelle en armure lourde. L’homme se retourne pour voir l’ynorien se jeter sur lui. Plus vif que son prédécesseur, son bouclier vient former une barrière infranchissable pour son arme. La secousse de la parade résonne jusque dans l’épaule de l’assassin pris en défaut.
« Alerte ! Alerte ! Akarch, il est ici ! »
Il ponctue son cri d’une lourde frappe de son arme. Le coup, brutal, est fait pour écraser la résistance de ses ennemis. Broyer l’armure et exploser le bouclier. Faire ployer toute opposition. Vohl s’éjecte hors de la portée du garzok. Son esquive n’est que partielle, toutefois : l’acier mord dans son pantalon et trace une ligne brulante sur sa cuisse. Du coin de l’œil, il aperçoit le gobelin qui statufié un instant avant de reprendre ses moyens et de s’élancer vers le combat. La sentinelle semble aussi apercevoir son allié, et s’empresse de lui indiquer la marche à suivre selon lui.
« Sonne la corne ! Préviens le capitaine ! C’est un ynorien ! »
Il arme une nouvelle frappe : l’objectif est de déchiqueter les jambes de Vohl avec un vaste mouvement de balayage. En réponse, l’assassin se rue au contact pour percer la lourde armure. Le balayage ne tranche que le vent, mais une frappe de bouclier heurte rudement la main qui porte la griffe. Les tiges de métal sont déviées une nouvelle fois. Elles n’effleurent même pas l’armure. Mais il est dans la zone de confort du peau-verte. L’adversaire réagit immédiatement à ce changement de distance. Il lâche l’arme pour enserrer l’intrus dans une embrassade restrictive. La seconde nécessaire pour abandonner son épée sera la seconde de trop ; Vohl profite instantanément de son avantage. Délaissant ses lames trop éloignées de sa trajectoire, c’est sa main gauche, tenant la dague rouge, qui s’envole vers le menton barbu de l’oaxien. La gorge n’oppose aucune résistance, et la lame s’enfonce directement vers l’occiput, traversant la trachée et tranchant les cordes vocales.
Aucun espoir de survie : la volonté déserte le corps sans délais. L’étreinte n’a pas eu le temps d’emprisonner Vohl. Il déserte aussitôt le lieu du combat ; il se remettra de ses émotions plus tard, car il doit chercher le gobelin. Il le voit sans mal : après avoir inspecté le cadavre du deuxième garzok bardé d’acier sans trouver la corne qui pend au cou de l’assassin, il se dirige vers les échelles en donnant de sa voix aigrelette.
« Alerte ! Alerte ! Un intrus ! Alerte ! »
Le protecteur cherche son souffle en courant vers l’échelle visée par le gobelin. Le petit être l’atteint avant lui. Une nouvelle fois, Vohl se repose sur les capacités de ses bottes. Sa course, alliée à la propulsion des bottes, lui permettent d’intercepter le peau-verte à trois mètres de hauteur, sur l’échelle. Arraché des barreaux par les griffes meurtrières, le gobelin ne meurt que lorsque l’impact au sol enfonce encore les armes dans son ventre. Le sang noir de ses intestins se mêle à la boue. Vohl, emporté par son élan, roule encore dans les cadavres. Il s’immobilise sur la dépouille du premier garzok blindé, face contre la mâchoire prognathe. Pris d’un haut-le-cœur, il vomit. Il se redresse dès qu’il le peut, respirant profondément, tentant de calmer le pouls qui a franchi la limite du raisonnable. Personne ne vient. Les appels de la voix nasillarde ont été emportés par le vent.
Il prend quelques instants pour calmer encore sa respiration. D’après lui, une dizaine de minute s’est écoulée depuis que le premier oaxien s’est effondré sur le sol humide. Puis il se met au travail. Méthodiquement, il part une nouvelle fois à l’assaut des portes. Son objectif : couper la corde gauche. L’escalade ne lui pose pas de problèmes : la surface, rugueuse et irrégulière, lui offre suffisamment de prises. Sa dague lui procure également un soutien précieux ; lorsque les prises manquent, il n’hésite pas à planter son arme dans le bois tendre de la porte pour créer un appui artificiel. Une fois atteint l’accès à la corde, il s’attaque à l’épais cordage. La sectionner prend dix minutes, auquel s’ajoute le temps de redescendre.
Vohl se place dos à la porte, les jambes fléchies pour que ses épaules soient prêtes à supporter le poids de la partie la plus courte du madrier. Il soulève un coin de la poutre transversale des portes. L’effort, d’environ quatre-vingt kilos, lui prend environ cinq minutes. Plus qu’une petite dizaine de minutes avant que les sentinelles ne soient relevées – sans jeu de mot. Dès qu’il a soulevé suffisamment ce coin de la poutre – une vingtaine de centimètres, il la laisse glisser le long des griffes, la faisant sortir de son étrier, libérant l’un des vantaux. Il n’aura pas le temps de provoquer de distraction supplémentaire. A moins que…Non, impossible. Mettre le feu à certaines tentes risquerait de le faire croiser de nouvelles patrouilles. Et rien ne dit que l’occasion profiterait aux kendrans, ni qu’elle leur éviterait les jets de flèches. Il doit prendre son mal en patience. Il a mené le plus gros de sa tâche à bien. Il profite tout de même des quelques minutes pour prélever ce qu’il y a de valeur sur les cadavres qu’il n’a pas inspecté, collectant toujours les médailles de divisions oaxiennes des soldats. Lorsque Hïo se montre, il est en train de renverser les braseros remplis de braises incandescentes sur le deuxième battant de porte. Le forgeron fait progresser les montures le plus vite possible entre les épieux défensifs.
Contrairement à ce que pensait Vohl, les bois de Mahô, orientés de l’avant vers l’arrière plus que sur les côtés de son crâne, ne sont pas véritablement handicapants. En outre, ce dispositif n’est fait en réalité que pour stopper l’avancée d’une cavalerie dans un sens, afin qu’elle puisse être anéantie par le feu croisé et par une contre-charge de cavalerie oaxienne. Ensemble, ils poussent le battant gauche de la porte. Juste assez pour qu’ils puissent passer. Le forgeron, désireux de se rendre utile, fournit une grande partie du travail : son travail à la forge l’a doté d’une musculature qui palie volontiers au manque de vigueur de l’assassin épuisé.
Vohl aurait volontiers pris un cadavre blindé pour éviter une flèche dans le dos, mais aucun des deux destriers ne serait à même d’en supporter le poids. Face à cette évidence, le protecteur renonce. Il leur faudra compter sur leur mobilité. Il saisit tout de même le bouclier qui lui a donné tant de mal et fait signe à Hïo de s’en équiper rapidement. Une fois ceci fait, ils franchissent les portes. Dans le soleil du matin, ils lancent leurs montures dans un galop forcené. Quelques instants plus tard, le son des cornes s’élèvent de toutes parts. Presque simultanément, la découverte des cadavres, l’incendie de la porte, et la détection des fuyards donnent lieu à un véritable d’alertes. Ils ne se donnent pas la peine de louvoyer. Vohl chevauche juste derrière Hïo, dont le bouclier couvre le dos. Ils sont alors à trente mètres des remparts.
Bientôt, les flèches pleuvent autour d’eux. La plupart des traits sont tirés à la hâte, mais certains sont tirés avec une précision à faire pâlir un hïnion –est-ce seulement possible ? C’est d’ailleurs sans doute presque le cas : ce sont certainement certains de leurs cousins, les tristement célèbres Shaakts oaxiens, qui sont à l’origine de ces tirs. Vohl ne perçoit que celle qui l’atteint à l’épaule. La douleur est intense mais supportable : l’assassin n’aura pas à subir le douloureux trainement d’extraction : la munition n’est pas entrée suffisamment dans les chairs pour y rester planter.
« Kage ! »
L’appel a retenti devant lui : le protecteur tourne la tête un bref instant. Une flèche est plantée dans la patte arrière du poney de son forgeron. Alors qu’il le regarde, un second trait touche l’encolure de la monture. Le rythme ralentit excessivement. Ils ne sont encore qu’à moins de 50 mètres de la garnison !
« Montez ! Vite ! »
Le jeune forgeron passe rapidement d’une monture à l’autre. Il était temps. De son trot maladroit, Chîsa ralentit à un pas cahoteux. Une flèche vient encore se ficher sur la selle, s’enfonçant assez pour faire tressaillir le poney. Il s’effondre, les yeux roulants dans leurs orbites d’un air affolé. Vohl lance Mahô dans un nouveau galop, nettement moins rapide que le précédent : la charge supplémentaire lui demande un effort considérable. Ils avancent malgré tout. Vohl tient le bouclier sur l’arrière de la selle ; il protège ainsi les pattes de sa monture, et son corps fait rempart si un trait devait atteindre le forgeron.
« Penchez-vous ! »
Ils creusent la distance avec le camp : soixante, soixante-dix. Bientôt, presque cents mètres les séparent des palissades de bois. Une flèche vient trouver son chemin contre le flanc de Mahô. Elle brame de douleur, marquant une saccade dans son pas. Ils continuent d’avancer : les flèches perdent en précision et en puissance. Cela n’empêche pas Vohl de profiter encore d’un trait hasardeux, qui lui écorche légèrement le cuir chevelu. Le sang se met aussitôt à couler de son estafilade bénigne, mais il échappe par chance à un tir en pleine tête.
« Kage ! »
Le jeune ynorien pointe du doigt une autre forteresse temporaire. L’effroi glace un instant le cœur de Vohl avant qu’il ne se raisonne. Il s’agit de la ligne kendrane. Un coup d’œil derrière lui ravive ses craintes. Deux loups géants se sont lancés à leur poursuite, chevauchés par ce qu’il suppose être des garzoks. Ces derniers gagnent rapidement du terrain sur le destrier ralenti par sa lourde charge. Il estime la distance qui les sépare des kendrans. Cent mètres, au bas mot. Cent cinquante entre eux et les loups. Le protecteur encourage Mahô avec autant de ferveur qu’il le peut. A part ça, il ne voit que la prière. La terre défile à toute vitesse à côté d’eux. Le gazon épars se transforme en une pelouse plus régulière. Des buissons rachitiques l’on passe à une végétation plus garnie. De petits arbres, se font un devoir de résister aux saisons. Ces changements sont notables, mais pas assez rapide ; les loups gagnent en terrain sur un sol où leurs coussinets sont plus adaptés que les sabots glissants de Mahô.
Cinquante mètres. Les grands loups ralentissent soudain. Ils sont entrés dans la zone de tir des kendrans, qui semblent avoir compris la situation. Après avoir imploré leur entrée dans le camp et promis des informations sur le camp oaxien, les deux voyageurs entrent dans la place militaire, solidement escortés. Puis, c’est le trou noir. Vohl se sent chuter, vidé de son énergie, son manque de sommeil se faisant cruellement sentir, et ses diverses blessures l’épuisant, bien qu’elles soient toutes bénignes. Dans son coma, les hurlements des banshees reviennent le hanter, leur pensée seule provoquant des poussées de fièvres au protecteur acharné. L’image d’une fleur de lotus rougie de sang vient parfois apaiser sa souffrance, au milieu d'autres images apaisantes.