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par Cromax » mar. 29 mars 2022 16:36
Après les réponses aux interrogations de l’elfe blanche aux cheveux roux, concernant l’histoire des peuples les plus anciens du continent, j’obtiens à mon tour des informations de la bouche du shaakt. S’il annonce que l’esprit ancestral reçoit probablement de l’aide extérieure, ce qui expliquerait notre présence à nous, aventuriers, il reste assez flou sur les raisons précises de sa présence à lui et de ses deux confrères. Dan, à la limite, possède un artefact capable de nous aider. Mais les deux autres, à part qu’ils maîtrisent apparemment le pouvoir des arcanes, n’ont pas de raison précise, si ce n’est la curiosité de cet éveil, à être présent. En soi, pourquoi pas. En espérant qu’ils sachent se débrouiller dans leurs montagnes glacées et qu’on ne devra pas jouer les gardiens d’enfants. L’elfe noir finit son laïus en nous promettant monts et merveilles en récompense de notre participation. Les mercenaires vénaux en seront fort aise. De mon côté, même si je ne crache pas sur l’argent, c’est surtout pour éviter une merde internationale de plus d’arriver.
Quelques questions-réponses plus tard, sans information réellement cruciale supplémentaire, juste quelques sombres hypothèses, le couple de professeurs nous enjoint à nous abreuver et nous remplir la panse. Le voyage débutera demain. Chacun, sauf l’encapuchonné mystérieux, ne se laisse prier et le repas commence. Et le ser d’Arkasse, qui a rendez-vous en privé avec le cryomancien concernant sa recherche personnelle. Un à un, les convives partent, si bien qu’à un instant, je me crois seul dans la pièce à finir mes restes et à poursuivre la dégustation d’un petit vin pas piqué des hannetons. Mais il s’avère que non, puisque l’instant suivant le départ des derniers mangeurs, Ezak fait son apparition dans la salle. S’il semble surpris de m’y voir encore, il s’approche cependant et me demande s’il ne me dérange pas, usant d’un vouvoiement ne m’étant pas familier. Je lui désigne une chaise à côté de moi et précise :
« Tu. Tu peux me dire tu. »
Il ne se laisse pas prier, et prend place en se servant un peu de vin. Il s’enquiert presque aussitôt de mon avis sur l’aventure dans laquelle nous venons de nous faire engager. À vrai dire, je n’en sais moi-même trop rien. Nous n’avons que peu de choses concrètes à nous mettre sous la dent pour l’instant. Je hausse les épaules et rétorque :
« Dur à dire avec les informations qu'on a. Le cryomancien est peut-être paranoïaque, exagère peut-être les tenants et aboutissants de l'histoire. Ou il est dans le vrai. D'un côté comme de l'autre, il n'y a pas trente-six moyens de le savoir : il faut les accompagner. Pour le reste, j'aviserai en fonction… »
Je garde une certaine légèreté, nonchalance dans mon propos. Inutile de nous en faire trop tôt pour des tas de trucs qui sont hors de notre portée pour l’instant. Ezak pose quand même un doute sur la table : il annonce se méfier des deux mages nous ayant recrutés, et des informations que nous avons eues. Il étaye sa méfiance en prenant comme exemple sa propre expérience : l’ennemi est souvent plus près qu’on ne le pense. Amusé par cette paranoïa précoce, je commente :
« Et il finit toujours par montrer son vrai visage. Nous n'avons juste pas à obéir aveuglément comme des moutons. Mais ne laissons pas d'indice sur nos doutes pour l'instant, si on veut qu'ils ne soient pas sur la défensive. »
Et levant mon verre, après avoir rempli les deux, je m’exclame :
« Allons, à cette aventure ! »
Il se joint à mon propos et va boire d’une traite le sien, très vite imité par moi. Le liquide avalé, il annonce qu’il aurait préféré plus de calme après les événements de la Bataille de Kochii. Un air plus sombre passe fugacement sur mon visage.
« Le Charnier restera gravé à jamais dans notre chair, dans notre esprit. Mais la menace d'Oaxaca est défaite, maintenant. Et j'ai confiance en quelques anciens de ses généraux pour faire en sorte qu'une telle chose ne se produise pas. Pas... tous, cependant. Mais la vie continue, et le mal n'attend pas... »
Oups. En ai-je trop dit ? J’oublie que je fais face à un fervent défenseur du Royaume kendran. Ça pourrait un peu le chatouiller où il ne faut pas. Je décide, avec une subtilité digne des plus grands acteurs (hem hem) de changer de sujet aussitôt, revenant sur les événements ayant eu lieu plus tôt dans la journée.
« Désolé pour tout à l'heure, dans le hall. Je n'aime pas l'idée qu'un groupe devant coopérer ait des tensions internes. »
Passant sur le sujet fâcheux d’un simple froncement de sourcils, il accepte mes excuses en précisant qu’il n’y a eu aucun tort. Il précise que malgré sa représentation kendrane, il restera coopératif avec ceux venant du Temple, dans le respect des liens qui l’unissent à ce dernier. J’acquiesce sobrement et précise :
« Tu n'es pas sans savoir que le Temple ne reçoit plus d'ordre de la Rose Sombre. Toute l'association autour d'elle est défaite, comme je te l'ai dit. Avec la bénédiction de Pulinn, un nouveau groupe a été créé. L'Ordre Pourpre. Un ordre visant à protéger les libertés individuelles, quelle que soit son origine ou sa situation. J'ai cru remarquer que tu tenais à tes obligations chez les kendrans... Si tu le souhaite, j'aurais un rôle à te confier. Celui d'un contact à Kendra Kâr, qui nous relaierait ce qui s'y passe d'injuste et de contraire aux libertés fondamentales. Nous y avons déjà un contact, dans la noblesse. Le Lys. C'est lui qui s'occupe du Temple désormais. Donc il est assez pris. »
À mesure que nous parlons, les verres se vident et se remplissent rythmiquement.
« Enfin, je te laisse y penser. Tes reproches à Faëlis causeront-ils problème pour notre mission ? »
Il dit être tenté par le rôle proposé, arguant qu’il aura sans doute lui-aussi besoin de soutien pour convaincre les kendrans de confier la couronne à Satina. Il précise aussi ne pas apprécier du tout Faëlis, mais qu’il reste raisonnable et sait faire passer ses goûts en matière de personnes après son devoir. Je commente rapidement :
« Bien. Je ne vous demande pas de vous aimer, juste de ne pas vous entretuer. C'est un bon bougre, malgré ses manières. »
Il peut parfois se montrer un peu prétentieux, dans l’apparence, mais c’est le premier à venir à l’aide d’autrui à l’aide de sa magie. J’en ai été plusieurs fois témoin. Je lui fais une totale confiance, de mon côté. Concernant Kendra Kâr, en revanche, je ne sais pas du tout ce qui s’y passe.
« Je ne connais pas grand chose à la situation politique de Kendra Kâr, depuis la mort du Roi. Pourquoi Satina, de ton côté ? Qui d'autre réclame le trône ? »
Il annonce que trois noms sont en course pour le pouvoir. Satina, bien entendu, soutenue par le peuple, et Pérussac et Ybelinor pour la noblesse, apparemment. Il décrit ce dernier comme un lâche et un parvenu, et défend lui-même la position de Satina, affirmant que les choses doivent changer à Kendra Kâr, notamment cette ancienne tradition misogyne de ne pouvoir pas avoir de reine femme. Des propos un peu tapageurs dans mon esprit qui commence à être embrumé par l’alcool ingurgité jusqu’ici. Je reste pensif un moment, et rétorque après quelques secondes :
« Je ne connais pas la Princesse, mais si le peuple la soutient, alors ce doit être une bonne souveraine. Robert de Pérussac, j'ai eu à faire à lui à Kochii, en revanche. C'est un bon meneur d'hommes, intègre, courageux et intelligent. Il mène ses troupes en première ligne. Il ferait un bon dirigeant, sans doute. Quant à ce Ybelinor, je ne connais de ce nom qu'un humoran n'ayant eu de cesse de retourner sa veste sans raison… »
Je grimace en repensant à Sirat et à ses marchés pseudo-diplomatiques n’ayant aucun sens au milieu de la mêlée. Serait-il de famille avec ce nobliau kendran dont Ezak me parle ? Je poursuis cependant :
« Il y a bien des traditions stupides que Kendra Kâr devrait abandonner, selon moi. Ton combat semble noble, Ezak d'Arkasse. Dis-moi, quelle est ton histoire ? Quel est ce lien si fort qui t'attache à Kendra Kâr ? »
S’il lève les yeux à la mention de Sirat, il ne commente guère, et part dans un court monologue expliquant les origines nobles de sa famille, de sa déchéance et de son combat ardu pour recouvrer la confiance de la royauté kendrane. Via de sombres aventures, visiblement, l’ayant fait voir comme un traître à sa patrie. C’est du fait de la confiance de Satina et du Général Andelys qu’il s’en serait finalement tiré. Et il leur a prouvé sa foi en eux en se démenant comme un fou dans la bataille de Kochii. Il termine son laïus en me demandant à son tour des informations sur mon passé. Sur le statut de Quatorzième d’Oaxaca, entre autre, et du passage de ce rôle à la défense des peuples libres pendant la bataille. Un point qui a pu le surprendre pendant la bataille. Un maigre sourire complice apparaît sur mes lèvres, et je me lance dans l’explication.
« Je comprends, oui. Et Andelys... Je le connais bien. Je l'ai rencontré alors qu'il n'était qu'un aventurier à la solde de Kendra Kâr, un barbare brut de décoffrage mais avec un grand cœur. Il a... perdu la vie sur Verloa, un archipel hostile en tous points que nous devions explorer. Nous avons été... jusqu'en enfer pour le ramener à la vie, passant un pacte avec Phaïtos en personne et sacrifiant une chance donnée de voir revenir chacun l'un de nos proches défunts. Il le méritait amplement, et je suis content de la reconnaissance que les kendrans lui ont accordée. »
Puis, me concernant :
« J'ai toujours défendu la liberté. La mienne, pendant longtemps, en priorité. Mais aussi celle d'autres qu'ils m'aient été chers ou non. Devenir le quatorzième était... une tentative de plus de rester libre. Après avoir déjoué les plans maléfiques de Khynt et Crean Lorener sur une île au large de l'Omyrrhie. Un plan qui visait à asservir quiconque à l'aide de gemmes et de couronnes magiques. Oaxaca nous attendait à l'arrivée, après que nous ayons craché l'île sur le Port de Mourrakat. Avec son Dragon. Elle nous a laissé un choix : La servir en portant la marque noire de son Dragon, ancrée en nos chairs, ou mourir directement, chassés par ledit Dragon. Pour éviter de me soumettre, et de mourir, je lui ai proposé un marché. Une alliance entre elle et moi. Après une rencontre avec elle à Omyre, l'alliance a été conclue et je suis devenu le Quatorzième, le Seigneur de l'Ombre, puissant et caché, mais surtout libre de mes mouvements. Une situation mutuellement profitable, en somme. J'ai appris à connaître les Treize, à en apprécier certains, à en détester d'autres. A voir au-delà de leur simple asservissement à Oaxaca, en tout cas. Mais je n'ai jamais cessé d'être moi. Et voilà que maintenant, les dieux m'ont reconnu comme l'ultime défenseur de la liberté. L'un des leurs. »
Après un subtil haussement d’épaules, je conclus.
« Rien qui m'empêche de continuer d'être moi, ceci dit. Alors buvons encore, à la vie ! »
Il semble apprécier l’histoire, puisqu’il rit de bon cœur en affirmant reconnaître là la manière de faire des Treize et d’Oaxaca. Il affirme que gouverner par la peur ne sert à rien, car tous finissent toujours par se révolter. Il finit lui-même en avouant avoir entendu (et pas cru) des rumeurs concernant ma divinité, laissant les racontards à la populace. Revoilà son côté prétentieux qui refait surface. Je ris néanmoins à sa remarque.
« Ahah ! Je n'en suis qu'un demi, tout au plus. Mais... oui, Yuimen est venu me voir en personne pour l'annoncer. En ce qui me concerne, à part des pouvoirs en plus, ça ne change rien. Je ne veux ni culte ni servants. Juste poursuivre la tâche qui est mienne, au nom de la Liberté. »
Puis, revenant sur Oaxaca :
« Oaxaca gouvernait par la peur. Les siens ne se sont révoltés que lorsque son pouvoir a vacillé. La peur est puissante, quand on sait la manier. Bon débarras, de fait. »
Et avec une curiosité non feinte :
« Et pourquoi es-tu venu, ici ? Il y a d'autres manières de servir son Royaume qu'en le laissant loin derrière soi, non ? Tu parlais d'une relique, plus tôt. Quelle est-elle ? Et pourquoi porte-t-elle ton intérêt ? »
L’alcool aidant, ça va peut-être le faire révéler ses intentions, lui qui a géré ça de manière secrète avec le Cryomancien shaakt. Il me jauge un instant, avant de me demander de jurer sur ma nature divine que rien ne sortira de cette pièce comme information le concernant. Piqué, c’est avez un air sûr de moi et un sourire presque provocateur que je réponds :
« Je ne me lie d'aucun serment, humain. Mais je ne compte pas révéler tes secrets. A toi de voir si tu m'accordes ta confiance. »
Ezak me regarde longuement, finissant son verre en plusieurs gorgées, me scrutant de ses yeux rougis par l’alcool.
« Je suis pragmatique et j'accorde peu ma confiance c'est le meilleur moyen de se faire surprendre. Mais compte tenu de la proposition qua tu m'as faire concernant l'Ordre Pourpre, ce que j'ai pu voir de toi et de tes décisions sur le champ de bataille, j'en conclus que je peux te l'accorder. »
Et après une ultime gorgée, il m’explique alors qu’il s’agit d’un artefact puissant visant à rallier tous les humains à sa cause, et qu’il compte s’en servir pour manipuler la noblesse à Kendra Kâr. Je pâlis subitement à cette annonce.
« Heurg. De la contrainte mentale, en quelque sorte. Je ne suis pas sûr d'approuver, quels que soient les buts, fussent-ils nobles. Si nous utilisons les pires armes de nos ennemis les plus maléfiques, que sommes-nous de plus qu'eux ? »
Je suis un peu estomaqué, d’autant qu’il se justifie d’une pirouette orale, rieur :
« Rien de bien étonnant venant du demi-dieu de la liberté. Moi, je suis le demi-dieu de l'efficacité. »
Efficacité, efficacité, mais à quel prix ? Je ne cautionne absolument pas son projet, et ma mine soudain sérieuse doit le révéler. S’en apercevant sans doute, il dit que s’il a le soutien de l’Ordre Pourpre, il pourra éventuellement penser à un autre plan. Et que tout ceci est de sa propre initiative, la princesse n’étant pas au courant. Un bon point pour elle. Moins pour lui. Mais au moins il reste ouvert à d’autres issues. Forçant un sourire un peu jaune à ses commentaires, je poursuis :
« Un tel pouvoir ne devrait pas exister. Enfin... ta cause semble juste, et prône la liberté du peuple à décider qui le dirige. L'ordre Pourpre pourrait intercéder en ta faveur. Et si pas tout l'ordre, au moins moi. Même si je n'ai pas tellement d'influence politique à Kendra Kâr. Plutôt l'inverse, même. »
Il ne semble pas s’en assombrir, arguant que Pulinn en avait, et que son successeur en aurait sûrement aussi. Il change de sujet en précisant qu’il va de toute façon d’abord falloir revenir vivant de la présente mission. Ce qui n’est pas faux.
« Pulinn avait le Lys, son successeur justement. Un elfe blanc dans la Cour Kendrane. Rien de plus hélas. Aucune conversation ne me semble futile cependant : celle-ci m'intéresse au plus haut point. Surtout en bonne compagnie et avec de quoi enjailler nos gosiers. Vivant, nous le serons. J'en fais mon fer de lance. Enfin... ceux qui voudront bien de ma défense. Il a l'air étrange hein ce... Arkalan. Le type encapuchonné là. »
D’Arkasse acquiesce, le trouvant lui-même un peu sauvage et asocial. Il s’enquiert de savoir si je me méfie de lui.
« Me méfier c'est un bien grand mot. Ceux qui se cachent ne sont pas toujours les plus fourbes. Disons que je réserve mon jugement aux faits, non aux apparences. Mais... oui je le trouve étrange. Je l'espère coopératif. »
Il affirme que son côté social lui en touche une sans faire bouger l’autre, du moment qu’il couvre bien nos arrières. Il n’a pas tort, même si je préfère personnellement un peu connaître les personnes avec qui je travaille. Et la réaction de la dénommée Sibelle en entendant son nom ne m’est pas passée inaperçue. Ezak poursuit en s’intéressant à Madoka, qui m’a accompagné jusqu’ici. Lui octroyant un sourire entendu, je commente :
« Oui, elle faisait partie du Temple. Nous avons eu l'occasion d'œuvrer ensemble à la destitution de la Rose Sombre. Avec Faëlis, aussi. Nous n'avons fait que brièvement connaissance, elle et moi, mais comme Pulinn, je lui fais pleinement confiance. »
Et après avoir couvert mes arrières en regardant à gauche et à droite si personne n’est là pour nous écouter, je lui fais un clin d’œil.
« Et puis... elle est pas mal hein ? »
Amenant un peu plus de légèreté à la conversation, Ezak se laisse aller à un rire jovial, affirmant pour se disculper qu’il s’intéressait surtout à elle professionnellement parlant. L’instant d’après, se penchant comme pour une confidence, il finit par avouer qu’elle ne le laisse pas complètement indifférent. J’opine du chef d’un air entendu, et poursuis sur le même ton léger, conscient d’être dans le ragot à cent pour cent.
« Et l'elfe, là. Sibelle. Elle est pas mal non plus. »
Je me penche alors vers lui, plongeant mon regard dans ses yeux de manière langoureuse :
« Et je dois bien avouer que tu es plutôt plaisant également. »
Il rit, précisant qu’il ne mange pas de ce pain là, et confirme que Sibelle n’est pas de moins bonne compagnie, même si elle semble, selon lui, un peu revêche, arguant que je pourrais m’y brûler. Emporté par la situation, et l’alcool aidant, je me fais taquin et, après un petit rire, commente :
« Les femmes, hein ? Hé bien ça n’est pas un problème. »
Aussitôt, mon corps change, mute, se transforme en celui d’une jeune elfe blanche à la peau immaculée, aux yeux rouges provocateurs et à la chevelure en désordre, longue. Mes habits prennent la forme de dentelles légères, dévoilant mes formes charnelles et ne laissant à l’imagination que l’intimité la plus privée. Je poursuis, avec la voix de cette nouvelle créature aguicheuse :
« Quant au feu... Je n'ai guère peur de me brûler, jeune chevalier. »
Et je fais apparaître l’espace d’une seconde une flamme au-dessus de ma main, fière et chaude. Vacillante. La réaction de l’humain n’est cependant pas celle attendue. Là où j’imaginais qu’il le prendrait comme une plaisanterie, ou par hasard accepterait mes avances, voilà) qu’il s’en trouve tout choqué, et visiblement perturbé. Déposant son verre d’un air écoeuré, il commente vivement :
« Honnêtement ? Il y en a certains à qui vos travestissements plaisent ? L’envie de boire m’est passé, alors je vais vous laisser à vos grimages dignes d’un bordel. »
Hé bien, il semblerait que ça lui ait mis une sacrée douche froide. Je suis conscient que mes métamorphoses laissent rarement indifférent, mais là, c’est le pompon ! Aurait-il peur de ses propres penchants ? Se sentirait-il coupable à la notion même de plaisir ? Se levant de sa chaise pour partir, il commente à nouveau :
« Et Cromax…, je suis d’un certain rang, et pas mort de faim. Je ne cède pas à de bas instincts pour deux morceaux de chaires féminines découvertes, et que vous sembliez le penser m’agace quelque peu. Si vous voulez que nos relations restent cordiales ne recommencez pas. »
(Petit con.)
Un peu déboussolé, et partageant néanmoins l’avis dur que Lysis m’envoie mentalement, je secoue la tête d’un air blasé. Chassez le naturel, il revient au galop. Et voilà ici celui de cet Ezak d’Arkasse : un être ne laissant aucune place au plaisir, prétentieux pétant plus haut que son cul et mettant son rang pourtant si récemment récupéré comme d’un bouclier contre les autres. Je reprends aussitôt mon apparence habituelle, le toisant d’un regard noir.
« Nous n'avons pas la même définition de la cordialité, ce me semble. Soit, éminent triste sire, passez une bonne nuit. »
Je le laisse partir et reste un instant pour finir mon verre, toute bonne humeur retombée. Comment peut-on à ce point manquer d’humour et faire preuve d’autant de pudibonderie ? Sur cette pensée, je quitte la salle à mon tour, rejoignant la chambrée qui m’a été accordée. J’y rentre sur la pointe des pieds, sachant que Madoka y semble déjà dormir. Je passe auprès d’elle, doucement, et dépose sur le front de la dormeuse un petit bisou. Tout tendre, presque effleuré. Je me déshabille et me glisse dans le lit. Même si les miens n’ont pas besoin de sommeil, une bonne nuit d’endormissement me sera des plus profitables, et je me laisse aller dans le royaume des rêves jusqu’au lendemain. Quand ce dernier arrive, prévenu par les mouvements de Madoka dans la chambre, je m’éveille et m’apprête pour le départ, tâchant de ne rien oublier. Je commente à ma compagne d’aventure avant de quitter la chambre :
« C’est le grand jour ! Puisse-t-il être le meilleur possible. »
Les aventuriers se rassemblent dans la salle où Ertiart nous a accueillis. Je m’y joins de même, lançant un regard en coin empreint de ressentiment à Ezak, plus frustré par son manque de lâcher-prise que par son refus. Cordialité. Mon cul oui.