Précedemment
Ulric quitta le port sans que personne n’ait eu l’air de s’inquiéter de son examen indiscret des navires qui y étaient amarrés, et traversa la ville d’un pas vif. Il était pressé d’atteindre sa destination, la taverne des Sept Sabres, où il espérait retrouver Furet, le voleur qui l’avait embrigadé dans une de ses manigances il y a quelques jours de cela. Il n’avait pas revu le grand sinari, à moins qu’il ne s’agisse juste d’un très petit humain, depuis le soir où ils s’étaient partagé la paye qu’ils avaient reçu pour dérober un certain document chez les Lothandres. Cependant, il lui avait fait comprendre que s’il voulait le retrouver pour poursuivre leur association, ce serait à la taverne.
Avec un peu de chance, Ulric lui tomberait directement dessus. A cette heure-ci de la journée, le voleur était probablement soit en train de « pêcher » au marché, mais Ulric n’espérait pas pouvoir le retrouver au milieu de la foule qui devait y grouiller comme des fourmis, soit en train de planifier sa prochaine casse aux Sept Sabres avec sa bande.
Tenter de ramener plusieurs personnes pour s’infiltrer discrètement sur un bateau pouvait sembler dangereux de prime abord, mais la petite bande de Furet lui avait semblée à la fois organisée et efficace lors de leur petite escapade dans le manoir des Lothandres, ainsi Ulric ne doutait pas qu’avec leurs compétences et sa magie d’ombre, ce serait un jeu d’enfant. Il avait juste à le convaincre de le suivre dans cette petite aventure… Mais cela non plus ne devrait pas être bien compliqué : le Roi Jaune appartenait de toute évidence à un riche armateur et même si on omettait ce que les mages avaient bien pu y laisser, il devait regorger d’objets de valeur. Et quel genre de voleur refuserait une occasion de se faire un joli magot ?
Ulric approchait de la taverne et continua de presser le pas, ignorant la douleur qui s’éveillait dans ses mollets plaintifs. Il fut bientôt devant et poussa la porte d’un geste brusque.
L’intérieur de la taverne était noir de monde et il en émanait un effluve, mélange d’odeurs de bière bon marché, de transpiration et de renfermé. Comme d’habitude, en somme mais, au moins, l’ambiance était encore assez calme. Il faudrait sans doute attendre la soirée avant que la magie de l’alcool ne commence à faire voler les chaises et les dents.
Ulric tenta de repérer la silhouette de Furet parmi la masse de chaire serrée autour des tables, mais sans grand succès. Sa petite taille le rendait assez facile à distinguer des autres clients de la taverne, en majorité humains bien qu’on pût apercevoir çà et là les oreilles pointues d’un elfe ou la fourrure bigarrée d’un worran. Mais, surtout, elle le rendait bien plus difficile à apercevoir.
(Sois là, je n’ai pas envie de t’attendre pendant des heures !), pensa l’apprenti mage.
Ulric voulait monter son coup le plus vite possible, comme l’équipage du bateau pouvait larguer les amarres à tout moment. Selon le marin qu’il avait interrogé, leur capitaine attendait seulement le retour des mages pour repartir, mais qui savait si ce serait dans un jour ou dans des semaines ? Dans le doute, il devait se dépêcher et une heure passée à attendre que le voleur pointe le bout de son nez serait une heure de perdue.
Soudain, Ulric crût apercevoir une tête qu’il connaissait dans un coin de la taverne, bien qu’il ne la vît que de dos. Des cheveux châtains coupés courts recouvrant une tête vissée sur un coup trop fin pour être celui d’un homme, le tout couronnant une silhouette élancée. Ce n’était pas Furet, de toute évidence, mais Ulric crût reconnaitre là Loutre, une de ses complices. L’apprenti mage avait à peine parlé à la jeune femme lorsqu’ils s’étaient rencontrés mais, si elle était là, Furet ne devait pas être bien loin.
Ulric approcha en tentant de se frayer un chemin entre les nombreuses tablées. Son intuition se révéla être la bonne puisque qu’il découvrit bel et bien Loutre et, caché derrière elle, Furet qui discutaient d’un sujet qui lui échappait à cause du brouhaha de la pièce. C’était parfait !
Le sinari l’aperçu et l’interpella par le surnom stupide qu’il lui avait donné :
« Ecureuil ! Ça fait plaisir que tu sois là ! J’ai bien cru que tu finirais bouffé par une goule à force de te promener dans les égouts, tu vois. »
Il tapota ensuite une chaise vide à côté de lui, avant de reprendre :
« Viens, assieds-toi ! »
« Ça fait aussi plaisir de te voir. », répondit l’apprenti mage en prenant la place qui lui était offerte.
Ce qui était vrai, mais davantage parce que ses talents de voleur lui seraient bien utiles que par sympathie.
« Alors, qu’est-ce qui t’amène ? Si tu veux te faire quelques yus, je suis en train de planifier quelque chose, il me faut juste encore quelques jours pour fignoler, tu vois. Après, tu seras le bienvenu pour participer ! »
« A vrai dire, c’est moi qui voulait t’engager cette fois-ci. »
Le voleur afficha un air surpris :
« Ah ? Comment ça ? Ce n’est pas que je doute de toi, mais ça fait des années que je m’occupe de planifier nos coups avec mes gars. Ça demande de l’expérience, tu vois. »
« C’est justement pour ça que j’ai besoin de toi. Avec ton expérience et le talent de ta bande, ce sera un jeu d’enfant. »
L’apprenti mage espérait que brosser le sinari dans le sens du poil le rendrait plus coopératif, et cela semblait fonctionner puisqu’il afficha un petit sourire. Furet était très fier de ses compétences autant que celle de la petite bande qu’il avait rassemblée autour de lui, Ulric l’avait déjà remarqué, et cet orgueil semblait être le bon levier à activer pour le faire marcher dans le sens qu’il voulait.
« Bien sûr. », commença le sinari toujours souriant,
« Mais tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu avais besoin d’aide. Je suis sûr qu’ensemble on saura s’organiser un plan bien propret comme il faut, tu vois. »
Ulric tordit le cou pour jeter un œil à la sale pour s’assurer que personne ne les épiait. Nul ne semblait prêter attention à eux, mais on n’était jamais trop prudent. Ainsi, il se rapprocha de Furet et reprit à voix basse :
« J’ai appris qu’un groupe de mages de Henehar faisait la navette dans un bateau amarrés dans le port. J’ai juste besoin de m’infiltrer dessus pour fouiller leurs quartiers. Ils y ont sans doute laissé des grimoires, des notes, quelque chose qui me serait utile… Le reste du butin sera pour toi, bien entendu. »
« Le reste du butin ? », commença Furet, dubitatif,
« Donc, tu ne sais pas exactement ce qu’on y trouvera ? »
Le sinari ne semblait pas mordre à l’hameçon comme prévu, s’inquiéta Ulric, et le sourire sur son visage avait disparu, remplacé par un air pensif.
« Non… », admit l’apprenti mage,
« Mais c’est un grand navire marchand, tu y trouveras ton dû. »
« Sans doute. Il y a probablement un beau magot dessus. On pourrait faire une belle casse dessus et tout rafler. On pourrait même partir maintenant et le faire ce soir même, tu vois. »
Bien que le propos fût enthousiasmant, le ton ne l’était pas, et Ulric craignait qu’il n’aimerait pas la suite :
«
On pourrait surtout tous finir à la milice le lendemain matin. Tu vois, quand je te disais l’autre jour que le vol est un art, je ne parlais pas juste de piquer des trucs. Juste rentrer chez quelqu’un, mettre la main sur tout ce qui brille et se casser, ça, tout le monde peut le faire. L’art réside dans le fait de ne pas se faire prendre, ni sur le moment, ni après. Et tu sais comment j’ai toujours évité de me retrouver en geôle ? C’est parce qu’au moment où je pose le pied là où je ne devrais pas, je sais déjà ce que je vais prendre, où je vais le prendre et à qui je vais le revendre. Et pour t’aider, je manque d’informations, tu vois. »
« Tu n’as pas besoin d’être aussi prudent. Le port est grand, et la garde ne sait pas tout contrôler. Et le bateau sera pratiquement vide, la nuit. Ce serait passer à côté d’une opportunité que de le laisser filer. », répondit Ulric en essayant de se montrer convaincant.
Loutre, qui s’était contentée d’écouter la conversation jusque-là, prit la parole :
« Tu sais, Furet, ça peut être un bon plan. Si ces mages ont laissé quelques potions ou des fluides en réserve, ça pourrait valoir le coup. C’est facile à déplacer, ça vend cher et, une fois qu’elles sont utilisées, ça ne laisse pas de trace. On n’aura pas le même coup que la fois où le vieux à qui on avait refourgué les bijoux des Sudras s’est fait choper trois ans plus tard et a voulu nous rater à la milice, si tu te souviens. »
Ulric ne s’attendais pas à ce que la jeune femme prenne soudainement son parti, mais ça suffirait peut-être à convaincre le voleur de le suivre dans son projet. Après tout, il la connaissait depuis des années là où il n’avait rencontré Ulric que quelques jours de cela. Son opinion devait sans doute avoir de l’importance pour lui.
« Bien sûr que je me souviens ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ! »
Le sinari se tût, couvrant sa bouche de ses mains d’un air pensif, avant de s’adresser à nouveau à Ulric :
« Bon, disons que j’accepte de t’aider. Dis m’en plus sur ce rafiot. Comment tu sais qu’il est vide, pour commencer ? Tu as déjà fait du repérage ? »
« J’ai interrogé un des marins travaillant dessus. Le gros de l’équipage loge à terre tant qu’il est à quais. Il reste juste le capitaine, son second et un des mages qui passent la nuit à bord. »
« Bien… Mais tu as pensé que le gars que tu as interrogé t’as peut-être raconté des bobards et t’attends à bord avec ses potes en espérant pouvoir se choper une belle prime pour avoir attrapé un voleur ? »
Ulric n’avait effectivement pas pensé que ce puisse être un piège mais, honnêtement, le marin avait semblé bien trop alcoolisé pour improviser un plan de la sorte. Cela lui semblait assez improbable.
« Et ce mage à bord », continua Furet,
« tu en sais quelque chose ? Si c’est un novice, pas de soucis, je m’y suis déjà frotté… Mais, si c’est un archimage, il ne faudra pas compter sur moi, tu vois. »
Une bonne question, et c’est vrai qu’il n’y avait pas pensé. Mais si ses confrères l’avaient laissé derrière faire le planton pendant qu’ils allaient accomplir leur tâche, quelle qu’elle soit, c’était bien qu’il devait être le plus sacrifiable, non ? Ainsi, c’est ce qu’il répondit au Sinari.
« Bon, très bien. Je veux bien miser sur ton plan et espérer que j’en tirerais quelque chose, mais… », commença le voleur.
« Mais ? »
« Laisse-moi une semaine pour faire le repérage proprement. J’ai davantage l’habitude que toi, tu vois. »
« Une semaine ? Mais il sera peut-être parti, d’ici là ! », s’indigna l’apprenti mage.
« C’est possible, mais il vaut mieux rater une opportunité que de se faire incinérer ou jeter en taule. On trouvera d’autres occasion de te procurer des grimoires, et moi des yus. »
L’idée de juste se tourner les pouces pendant une semaine alors que le bateau pouvait larguer les amarres à tout instant révulsa Ulric. Un sentiment assez curieux étant donné que, comme l’avait souligné Furet, il n’avait aucune idée de s’il trouverait effectivement quelque chose d’intéressant à bord. Les mages avaient tout aussi bien pu laisser un des leurs à bord pour s’assurer que l’équipage respecterait leur accord et ne repartirait pas sans eux, et non pour protéger un quelconque butin. Mais, maintenant qu’Ulric s’était mis cette idée en tête, renoncer maintenant ou risquer de laisser un potentiel trésor de savoir lui filer entre les doigts serait ressenti comme une défaite.
« Je peux t’aider pour le repérage. A deux, on aura toutes nos infos d’ici demain. »
« Non. Deux personnes en train de fouiner au même endroit serait trop voyant. », commença Furet,
« Ecoute, je comprends que ce n’est pas facile d’apprendre ta magie dans cette ville et que tu cherches toutes les opportunités que tu peux, et je veux bien t’aider là-dedans… Surtout que ça me ferait un nouvel associé avec des compétences utiles qui me devrait une faveur… Ma seule condition, je te l’ai dit, c’est : donne-moi une semaine. A prendre ou à laisser. »
Son ton signifiait clairement qu’il n’était plus possible d’argumenter. Soit Ulric prenait patience pour pouvoir bénéficier des talents de voleur expérimenté de Furet, au risque de voir le bateau lever l’ancre dans la semaine, emportant les mages et leurs secrets, soit il tentait le coup seul, se reposant seulement sur lui-même et sa magie bourgeonnante.
« Oublie toute cette conversion. », commença-t-il en se relevant de sa chaise d’un mouvement brusque,
« Je suis largement capable de m’y introduire moi-même. »
Furet soupira.
« Très bien… Fais attention à toi, quand même. Et si tu changes d’avis, tu sais où me trouver. »
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