Académie des Bardes de Vinalobae

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Yuimen
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Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Yuimen » sam. 25 juin 2022 18:18

Académie des Bardes de Vinalobae.


« Une cité si festive se doit d’accueillir et de former les meilleurs musiciens du monde. »

Voici les mots qu’a prononcé Leniad Vinalobae, ménestrel de Shory reconnu dans tout le royaume, quand il eu l’idée de fonder l’académie des bardes. Un bâtiment qui à première vue n’a rien de bien surprenant, ressemblant à n’importe quelle autre demeure de pierres blanches un peu aisé de la ville. Seul un panneau de bois gravé indique que vous vous trouvez devant l’Académie Vinalobae

En revanche, on y retrouve à l’intérieur tout le confort et l’aspect chaleureux d’une habitation de Shory. Des pièces circulaires bien éclairées qui diffusent mieux les sons, des décorations en bois, un parquet entretenu, des rideaux aux couleurs chatoyantes, des instruments divers venant des quatre coins du monde disposés dans diverses salles consacrés à la musique et au chant.

Leniad Vinalobae est le propriétaire des lieux, un Sinari au visage rond et avenant qui arbore une barbichette blonde ainsi qu’une chevelure soyeuse et qui s’est donné pour but de former les meilleurs bardes et ménestrels du monde.

Il y a deux façons d’intégrer la prestigieuse académie, soit en dépensant de l’or ou alors en prouvant à Leniad que vous êtes un musicien talentueux.

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Haple Mitrium
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:07

03. Ca va barder

Lorsque la porte se referma derrière elle, Haple eut un nouveau frisson. Elle avait du mal à croire qu’elle avait suivi ces inconnus dans cette demeure toute aussi inconnue. Mais comme à chaque fois que sa méfiance avait repris le dessus lors du chemin à travers la foule des festivaliers, le Sinari la rassura de sa voix chantante et de son sourire amical :

- Bienvenue à l’Académie, Maestra.
- L’a’a’é’ie ? questionna distraitement l’invitée en découvrant le vestibule dans lequel l’humain et le Sinari l’avait précédée.

L’entrée était bâtie dans la même pierre de taille blanche qui avait été utilisée pour la façade de la demeure bourgeoise dans laquelle elle se trouvait. Sur les murs, une rangée d’une quinzaine de portemanteaux vissés dans le mortier des joints. La plupart était occupés par d’élégants chapeaux à plumes et des capes chatoyantes qui n’avaient rien à envier au manteau excentrique que son fossoyeur « accidentel » y accrocha en lui répondant de sa voix grave :

- L’Académie des Bardes de Vinalobae.

Haple se tourna vers le Sinari, perplexe. Se moquaient-ils d’elle ? Une académie de bardes… Elle n’avait jamais entendu parler de pareille institution. Elle plongea dans les yeux châtains du petit homme et chercha sur le coin de ses lèvres dodues un rictus moqueur ou sur ses sourcils broussailleux un frémissement joueur… (Ils sont sérieux.)

(Vinalobae ?) Haple exprima sa question à grand renfort de voyelles grognées et d’un froncement de sourcil interrogateur.

- Pour te servir, Maestra, déclara gaiement le Sinari en tortillant en une spirale blonde autour du doigt sa barbichette taillée et huilée avec soin.

Cette fois, Haple détecta un éclair d’espièglerie bon enfant dans le regard de son hôte lorsqu’il poursuivit :

- On m’appelle Leniad Vinalobae et cette modeste masure est ma demeure. Allez viens, suis-moi, je te fais faire un tour des lieux.

Il lui ouvrit la porte et l’invita à passer la première dans la pièce suivante, comme les règles de politesse le dictaient. L’adolescente n’en était pas pour autant disposée à tourner le dos à celui qui avait voulu la mettre en terre. (Malentendu ou pas). Celui-ci, devinant son malaise, la contourna largement et la précéda. Dans l’embrasure de la porte, il ralentit et se retourna à moitié. Ses joues étaient empourprées ; le grand gaillard était un sensible…

- Je suis vraiment confus, s’excusa-t-il à voix basse, les yeux baissés sur ses mains penaudes.

Haple ne lui répondit pas mais se détendit devant ce qui semblait être un regret sincère.

- Ça arrive, Ivan. Va donc chercher le sac de … Maestra ?

Le Sinari se tourna vers la percussionniste avec un regard interrogateur.

- ‘it… attaqua-t-elle avant de buter sur la première syllable, ‘i’iu..

Son handicap l’exaspérait ! Elle parvenait au mieux à former les voyelles dans le fond de sa bouche et les laisser sortir par ses lèvres tout juste entrouvertes.

- Prends ton temps, Maestra.

Haple respira un bon coup avant de retenter de formuler son nom à grand renfort de gestes pour signifier les consonnes qui lui résistaient:

- ‘i’, reprit-t-elle en se désignant du doigt.
- Toi, ‘i’ ? hasarda-t-il avant de se corriger en voyant Haple secouer la tête. Ah, « Moi » ‘i’… Mi ?

(On y arrive !)

- ‘i’, confirma-t-elle avant de tourner son doigt vers le Sinari au son de : ‘iu…
- Mitiu...

Il était vif d’esprit. Encouragée, Haple poursuivit le rébus en pointant une dernière fois le doigt vers elle.

- Mitium.

(Ca fera l’affaire…)

- Maestra Mitium, répéta-t-il d’un air habilement appréciateur. On entendra parler de vous demain dans toute la ville, Maestra Mitium, avec ces rythmes que vous avez déployés sur la place.

(Si les gens se souviennent de quoi que ce soit après ce qu’ils ont ingurgité comme bière…)

- De l’humour dans vos yeux ! Délicieux. Une belle soirée nous attend. Ivan, le sac, lui rappela-t-il autant pour le faire sortir du champ de vision de l’adolescente encore effarouchée que pour leur libérer le passage.

Le Kendran obéit promptement, ravi de disparaître et de réparer son erreur. Haple aperçut alors à travers la porte du vestibule une vaste pièce circulaire illuminée généreusement. Le sol y était couvert d’un parquet religieusement ciré qui reflétait l’éclat des nombreux chandeliers en terre cuite disposés ici et là sur des tables en bois d’olivier aux formes organiques de manière à structurer l’espace par des jeux d’ombres.

Haple respira profondément. (Une odeur de propre). A ce stade de ses mésaventures, elle ne demandait pas mieux. Seule avec le Sinari, elle retrouvait en partie sa sérénité.

- Après vous, insista-t-il avec une aimable douceur.

Et l’adolescente affamée obtempéra.

***

Presque à sa surprise… (Rien). Pas d’assassin derrière la porte, pas de magicienne fanatique sautant de derrière le canapé. Seulement un chat. (Un rouquin). A l’entrée de la nouvelle venue, le maitre des lieux, confortablement installé dans le creux d’un coussin en plume d’oie, avait levé la tête avec un flegme aristocratique. Ses yeux ambrés l’observaient sans ciller, la fente de leur rétine se dilatant progressivement comme pour mieux s’imprégner de chaque détail de l’elfe vagabonde à l'apparence débraillée ô combien inhabituelle en ces lieux.

Sans se presser, le félin se leva, tâtant prudemment la mollesse du fauteuil sur lequel il trônait à leur arrivée, avant de sauter souplement au sol. A petit pas feutrés, il s’approcha avec une paresse ostentatoire, prenant son temps tout en la défiant de détourner son regard du sien, braqué sur elle. Elle n’en aurait rien fait. Elle aimait bien les chats : solitaires et individualistes comme elle. Contrairement aux chats errant de son village dont elle gardait d’ordinaire une distance respectable, elle laissa le matou se frotter contre sa jambe. Elle était adoptée.

- Et voici, Roux.

(Original)

- Le seul habitant de l’académie qui n’est pas musicien.

Comme pour protester, le chat miaula à son encontre avant de se détourner de ces bipèdes qui ne le méritaient pas. Leniad s’en amusa. Puis, d’une main tendue, il lui désigna la table massive qui occupait le centre de la pièce. Sa forme était irrégulière comme si elle avait été taillée à même un tronçon d’arbre centenaire, avec ses sombres nœuds et ses protubérances liégeuses.

- Je vais pouvoir répondre à tes questions. Le moment ne s’y prêtait pas tout à l’heure : trop de bruit, trop d’oreilles curieuses, expliqua-t-il en s’asseyant tandis que Haple l’imitait. J’imagine que tu voudrais savoir pourquoi Ivan t’as enterrée…vivante.

(Question légitime s’il en est)

- C’est une question… légitime, confirma-t-il d’un air méditatif.

Haple s’agita sur sa chaise. Elle était ravie qu’il soit du même avis mais elle était surtout pressée d’avoir des réponses et le petit homme commençait à l’agacer à prendre son temps en tortillant sa barbichette comme ça…

- Mais aussi une question plus complexe qu’elle n’y paraît. Une question qui appelle une réponse en deux temps.

Décidemment, le barde avait le métier de conteur dans la peau. Le suspens était intenable pour l’adolescente en qui la curiosité ne rivalisait qu’avec son appétit insatisfait.

- Premièrement, Ivan t’a enterrée parce que je le lui ai demandé. Allons, ne t’agite pas, l’arrêta-t-il aussitôt, je lui ai demandé parce qu’on nous a remis ton corps inerte entre les mains avec comme instruction de le faire disparaître.

- « On » … ?

(Qui ça « on » ?)

- Deuxièmement, poursuivit-il en lui demandant une seconde de patience d’un geste posé de la main, tu as été enterrée vivante parce qu’on ne le savait pas… que tu étais vivante.

(De toute évidence). Haple se souvenait du cri de surprise dudit Ivan avant qu’il ne détale à toute vitesse. Cela étant, elle n’appréciait pas trop la manière que le barde avait d’amener ce point comme un détail qui aurait excusé leur exaction. Haple leva yeux au plafond en portant les mains à son visage pour signifier sa sidération.

- Tu te demandes si on fait ça souvent, de faire disparaître des corps… vivants ou non.

Haple hocha vivement de la tête, ses yeux grands ouverts le fixant avec une intensité indignée.

(Un peu mon neveu...)

- A la première question d’abord : « on » nous a payé pour notre silence et les bardes de Vinalobae accordent trop d’importance au Verbe pour ignorer une parole donnée.

(Ne vous en faîtes pas : je me doute bien de qui c’était. Humaine, la trentaine, bien habillée et bien en chair surtout.)

- Tout ce que je peux te dire, c’est que j’accorde trop facilement ma confiance aux personnes qui apprécient faire bonne chair comme moi. Même quand leur manque d’émotion devrait m’avertir d’une possible faille de caractère.

Il n’avait pas besoin d’en dire plus : le barde était plus coopérant qu’il ne voulait bien l’avouer. Nétone, c’était cette… Haple respira un bon coup.

(Et ma deuxième question ?). Haple le relança en dressant son index et son majeur en V. Ce qui valait toujours mieux que ce dernier isolé...

- Si nous fournissons souvent ce genre de service discret ? Oui, et non…

(Ça a le mérite d’être clair, ça…)

- Il faut que tu comprennes que les bardes sont de tous les mondes, de toutes les compagnies, de tous les bords. Sans allégeance autre qu’à notre musique, nous nous devons d’aller à la rencontre des plus humbles comme des plus riches, des plus attachants au plus repoussants personnages. C’est cette diversité d’expériences qui nourrit notre inspiration… et ces « services » qui nourrissent nos besoins plus matériels.

(Je vois…)

- Vraiment ? répondit-il avec une étincelle d’intérêt curieux dans ses yeux ambrés en la voyant opiner lentement du chef.

Oui, la venue des deux hommes si richement habillés au milieu de la foule de roturiers avinés faisait sens, maintenant. Ils devaient évoluer aussi bien parmi les nobles que parmi les gens du commun.

- C’est pour ça que nous étions à la fontaine, reprit-il avec enthousiasme. Ou plutôt, c’est pour cela que tous nos confrères et consœurs sont de sortie ce soir. Ivan et moi venions de finir une représentation chez un brasseur à quelques rues de la place des Festivals lorsque nous avons entendu l’écho de tes percussions. Tu as le sens du rythme, Maestra. Non, mais je suis sérieux. Si tu le souhaitais, tu pourrais devenir une ménestrelle de renom. Avec un peu d’aide…

Haple s’arrêta une seconde pour méditer sur l’invitation en demi-teinte que lui offrait Leniad. La perspective d’un nouveau foyer, où de surcroît ses talents étaient appréciés et pourraient fleurir, était alléchante. A ce propos…

(Avant toute chose, je mangerais bien ce repas que vous m’aviez promis.)

Voyant l’adolescente se frotter l’estomac avec une ardente supplique dans les yeux, le Sinari se fendit d’un rire de bon cœur et tapa gaiement du point sur la table.

- J’aime ton sens des priorités, Maestra !

Et le regard fixé derrière l’épaule de Haple, il siffla avec une force prodigieuse pour appeler quelqu’un. Surprise, Haple se couvrit les oreilles et n’entendit qu’une voix assourdie répondre :

- Oui ?
- Otis, tu peux apporter à manger à notre invitée, s’il te plaît ?

Haple se retourna juste à temps pour voir le plus beau gars du cru sur lequel elle avait posé les yeux depuis son arrivée à Haenian avant que celui ne détourne charitablement les siens de ses vêtements boueux et de sa mine effroyable.

- Mais les cuisines sont fermées, Leniad.
- Apporte ce que tu trouves. Je suis sûr que ça sera très bien.

Le grand blond aux traits angéliques posa sur elle des yeux d’un bleu aussi profond que le saphir qui ornait le bandeau de cuir retenant ses mèches rebelles. Visiblement, il dut juger qu’effectivement même un morceau de pain et du fromage devrait faire l’affaire vu le dénuement de l’adolescente.

(Même une biscotte…)

>>>Suite : 04/11
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Haple Mitrium
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:10

04. Vocalises et soins de la gorge

A défaut de pouvoir former des sons intelligibles, sa bouche produisait moult salive. Il y avait non seulement du pain et du fromage sur le plateau que rapporta le bel Otis mais aussi une grappe de raisin mur à éclater – probablement un arrivage de Blanchefort – et un mélange coloré de branches de céleri tronçonnées, de pommes débitées en demi-lune, de noix décortiquées et d’endives effeuillées.

Haple n’avait qu’une envie : se jeter sur ce festin improvisé qu’on lui déposait devant elle. Cependant... le Sinari dut lire son appréhension dans les yeux hésitant de l’elfe.

- Ah oui, commenta-t-il, songeur, avant de se tourner vers le Kendran. Otis, notre invitée semble avoir des difficultés avec sa mâchoire. Est-ce que tu peux y faire quelque chose ?

Le bleu profond de ses yeux hypnotisa Haple tandis que le nouvel entrant l’examinait attentivement.

- Que lui est-il arrivé ?
- Pas sûr mais c’est possible que ce soit de notre faute, donc…

Haple ne vit pas l’intérêt de le détromper.

- Voyons voir…

Lorsque l’humain approcha une main du visage de l’adolescente, celle-ci eut un mouvement de recul instinctif. Elle avait assez souffert comme ça.

- Ne t’en fais pas, Maestra. Otis est un guérisseur.
- Apprenti guérisseur, le corrigea l’intéressé.

(C’était le bon moment pour le préciser… ?)

Surmontant son appréhension, Haple lui fit signe de procéder d’un bref et sec hochement de tête. Alors, la douceur tiède de ses mains apposées en coupe sous son menton lui engloba le bas du visage. La sensation, agréable dans un premier temps, évolua rapidement vers autre chose. Pas de la douleur, non, mais un fourmillement comme un souffle sur des braises, très inconfortable, qui picotait dans ses lèvres et ses joues, se prolongeant le long de son os mandibulaire jusqu’à ses oreilles à mesure que les muscles et les ligaments se réagençaient harmonieusement.

- Voilà, c’est le mieux que je puisse faire… Comment tu te sens, mon chaton ?

()

Haple ne releva pas le surnom qui en temps normal lui aurait hérissé le poil car, présentement, c’était son état de santé qui la préoccupait.

- Ça ‘a mieux, je ‘ois…

Au moins, pouvait-elle désormais ouvrir grand la bouche et former les fricatives et les nasales. Plus important : elle pourrait manger !

- Vas-y mollo, quand même. Il reste des séquelles. Mais je pense qu’avec des exercices de rééducation tu recouvreras toute ta liberté de mouvement et ta palette de sons.
- Une chance que tu sois dans le temple de l’élocution, alors, commenta Leniad avec optimisme.

(Je suis une chanceuse, oui…)

- Elle restera donc un peu ici ?
- Je l’espère, répondit-il avec un sourire invitant dans la direction de l’elfe qui se débattait avec une bouchée trop ambitieuse.

Haple laissa le silence s’installer, prenant le temps de venir à bout d’un cerceau de noix dont le croquant lui aurait d’ordinaire plu mais qui, en cet instant, résistait à sa mâchoire convalescente. Ce moment de répit lui offrit l’occasion de réfléchir posément… Que voulait-elle maintenant qu’elle était sortie d’affaire ?

(Me venger ?) Oui, assurément. En temps et en heure. (Donc pas dans l’immédiat). Car, au vu des événements de la journée, elle était forcée de reconnaitre qu’elle n’avait ni la maturité, ni la puissance nécessaire pour vaincre les Sœur Nétone et Nacota. Déjà que son dîner lui résistait… (Oui, je resterai. Je me referai une santé, ici. Peut-être même que je pourrai y apprendre comment équilibrer la donne avec ces maudites magiciennes. Profitons qu’elles me croient morte…)

- ‘ou’ l’ins’ant.

Le Sinari approuva sa décision avec bonhommie.

- Alors il faudrait que quelqu’un s’occupe de lui préparer une chambre.
- Ça t’embête de t’en occuper ? Et de dire à Ivan d’y porter directement ses affaires ?

Comme si sa coopération était une évidence, le Kendran ne prit pas la peine de répondre au barde et conclut simplement avant de partir avec un sourire affable :

- Tu seras bien avec nous, tu verras, mon chaton.

(Il faudra faire quelque chose à propos de ce surnom, par contre…)

***

Le son de la porte qui se ferma derrière elle lui parut la plus douce musique qui puisse exister entre ces murs où l’harmonie était reine. Enfin, elle retrouvait son intimité. Enfin, elle allait pouvoir pleinement baisser sa garde. (Enfin !)

Haple embrassa du regard la chambre où l’avait conduite le guérisseur après être revenu l’arracher à la compagnie de Leniad. Les murs étaient lambrissés de bois, transcription verticale du plancher vernis sur lequel se reflétait un rayon de lune qui nimbait la pièce de sa blafarde douceur. Haple s’avança vers le lit, lentement, découvrant un peu plus à chaque pas sa nouvelle cellule. (Non). Elle n’était plus au couvent. (Ma chambre…).

Le mot lui semblait étrange, désormais. Il lui rappelait une époque révolue, où, dans son lointain Anorfain, elle avait bénéficié de tous les privilèges d’une fille de notable Hinïons. L’adolescente posa le chandelier sur sa nouvelle table de chevet avec un soupir qui faillit en souffler les flammes. Que n’avait-elle pas plus apprécié le confort de cette vie bourgeoise avant de tout envoyer paître ? (Pas de regret). C’était la voie qu’elle avait choisie et pas seulement une conséquence involontaire de son indomptable nature.

Elle s’assit sur une chaise positionnée face à un secrétaire, remarquable ouvrage de marqueterie en bois de cerisier et de poirier. De là, elle pouvait apercevoir la rue, laquelle était encore parcourue par de nombreux festivaliers. C’est alors qu’elle remarqua son sac de voyage posé dans un coin de la pièce, caché derrière un rideau en damier de laine verte et jaune qui protègerait ce douillet cocon de la fraicheur nocturne.

Aussitôt, elle se leva pour en faire l’inventaire. Rien ne manquait : de ses vêtements de rechange qu’elle étala sur le lit à son tambour, son poignard et ses potions. Les deux bourses aussi : la sienne et celle du chef des brigands de la veille. Elle s’en étonna : elle avait supposé qu’on la lui aurait dérobée après qu’elle eut perdu connaissance. (A moins que…) Réflexion faite, la bourse avait été dans sa veste, donc quelqu’un la lui avait bien soutirée avant de la remettre dans son sac de voyage… (Ivan)

Elle desserra le cordon et en inspecta le contenu pour la première fois. Une pièce d’argent et une dizaine de pièces de cuivre reposaient contre le fond en cuir. Haple les fit tinter songeusement : y en avait-il eu plus ? Questionnement futile qu’une sensation inattendue interrompit. Son doigt avait buté contre un caillou. Haple le sortit et découvrit qu’une rune avait été gravée à sa surface. (Différente des autres). C’était tout ce qu’elle pouvait en dire. Rosemonde aurait surement su en déchiffrer le sens…

A ce moment, trois coups résonnèrent contre la porte.

- En’’ez, énonça Haple du mieux qu’elle put en rangeant précipitamment ses précieuses possessions.

La porte s’ouvrit, non pas sur le fossoyeur mais sur le guérisseur. Otis poussa la porte du pied et avança jusqu’à son bureau avec toute la prudence nécessaire pour ne pas renverser l’eau de la flasque qu’il apportait.

- J’ai pensé que tu voudrais faire un brin de toilette.

Otis l’examina de pied en cap avec l’air de penser qu’il avait vu juste. Il reprit avec une grimace :

- A commencer par cette boue sur ta gorge et tes épaules…
- Non, ‘as la ‘oue… ça fait ‘u ‘ien.
- Tu es blessée en dessous ?
- Oui. ‘lus de ‘eau, articula-t-elle laborieusement.

Le visage angélique du Kendran s’horrifia :

- Plus de peau ?!

Haple haussa les épaules.

- Mais il ne faut pas laisser de la boue sur une blessure ouverte ! Ça pourrait s’infecter !...

En effet, la sensation de soulagement que la boue lui avait procurée semblait avoir laissé la place à un léger inconfort. Haple fit signe à l’autre de ne pas s’inquiéter et de la laisser réfléchir. Elle avait l’impression d’être à l’aube d’une épiphanie.

(Clairement la boue a soulagé la douleur et empêché que la blessure ne s’aggrave au contact de l’air et de la poussière… mais dans le même temps, les miasmes terreux auraient dû infecter celle-ci)

Haple effleura du bout du doigt la substance aux étranges propriétés et la porta à son nez.

(Aucune odeur ou presque, intéressant… c’est comme si la fraction miasmatique avait été « séparée » de sa contrepartie minérale… Eurêka !)

Haple brandit son doigt boueux vers le guérisseur en signe de victoire. Préférant ne pas interrompre dans le cours de ses pensées l’adolescente aux apparences de folle à lier, celui-ci se contenta de l’observer avec circonspection lorsqu’elle se mit à faire les cent pas.

(C’est la pluie qui a dû purifier la terre tout à l’heure. Ou bien, mes fluides ont-ils opérés d’eux même… ? Je ne devais pas être tout à fait inconsciente puisque je me suis hissée à la surface au moyen d’une butte… Peu importe ! Il n’en reste pas moins que je devrais pouvoir reproduire ce genre de… cataplasme boueux en intimant aux argiles du sol d’en repousser la fraction organique. De repousser toute chose organique, d’ailleurs, de manière à constituer une couche qui isole la chair des agressions extérieures…Mais alors ?)

Haple s’arrêta net, les yeux écarquillés. Une idée encore plus folle lui était venue.

(Si je peux isoler la fraction minérale pour soigner, alors je peux récupérer les miasmes pour infecter une plaie ! Haha !)

L’adolescente dû lire dans le visage inquiet du Kendran qu’elle donnait l’image d’une possédée… et redescendit sur terre un instant. Elle savait qu’elle avait là non seulement une astuce qui lui serait très utile en combat, mais aussi l’unique procédé nécessaire pour réaliser ces deux sorts aux effets opposés. Il faudrait qu’elle s’entraine pour tester son hypothèse et mettre au point les détails : un nouveau défi, voilà qui l’excitait !

- Je te laisse te débarbouiller et j’essaye un sort de soin ? lui proposa Otis lorsqu’elle sembla avoir retrouvé sa présence d’esprit.
- Ça ma’che. ‘ou’ne ‘oi, lui ordonna-t-elle avec un geste de la main pour lui faire comprendre de se tourner.

Otis fit galamment face au mur opposé tandis que l’adolescente retirait prudemment sa veste, puis son chemisier. Malgré toutes les précautions qu’elle y mit, Haple ne put retenir une plainte de douleur lorsqu’elle découvrit la plaie, écaille de boue après écaille de boue. Elle était heureuse de ne pas avoir de miroir car le peu qu’elle pouvait voir à la limite inférieure de son champ de vision n’était pas beau à voir. La chair y était à vif et présentait une texture grumeleuse où se mêlaient indistinctement le rouge de centaines de petits vaisseaux sanguins qui parcouraient ses fins fuseaux musculaires et le camaïeu crème et brun de la graisse qui entourait ceux-ci.

Préférant ne pas s’attarder sur ce spectacle désolant, Haple laissa derrière elle la flasque d’eau désormais souillée et retourna à son lit où l’attendait du linge propre. L’air sur sa peau ! Ce fut un supplice : le simple vent que son corps déplaçait en avançant faillit lui arracher des larmes. Au lieu de cela, ce fut un gémissement plaintif qui échappa de ses lèvres tremblantes.

- Tu es prête ? demanda candidement le Kendran croyant qu’elle l’avait appelé.
- Une se’onde.

Haple ne voulait pas que quiconque la voit souffrir ainsi. Elle ne serait faible devant personne ! Alors, avec détermination, elle sera les dents autant que sa mâchoire traumatisée le lui permit et s’empara d’une chemise propre sur son lit. Mais au contact du lin sous ses doigts, son courage flancha : elle ne pourrait supporter en l’enfilant la sensation de la fibre rugueuse sur sa plaie ouverte. Alors, couvrant au mieux sa poitrine naissante avec la chemise roulée en boule, Haple invita finalement le guérisseur à la rejoindre.

- Oh, souffla celui-ci à voix basse en constatant l’ampleur des dégâts, je n’ai jamais vu ça. C’est comme si la peau s’était tout simplement… envolée.

Il leva vers elle des yeux empreints d’une curiosité professionnelle presque déplacée. Haple ne répondit pas à la question implicite sur l’origine de cette blessure hors du commun.

- Au moins les tissus sous-jacents ne sont pas abîmés, ni infectés… ce qui relèvent du miracle vu ton niveau d’hygiène.

(Pas du miracle… En tout cas, pas selon moi.)

Sans plus de palabres, le guérisseur tendit ses paumes au-dessus de la zone à guérir. Haple les regarda s’approcher de sa gorge nue et, malgré la lumière douce dans laquelle elles étaient nimbées, elle appréhenda le moment où elles entreraient en contact avec sa peau suppliciée. Elle détourna le regard…

- Rien à faire.

Haple reporta son attention sur le guérisseur qui avait rendu son verdict avant même d’avoir essayé. (Ou bien ?) Ses mains étaient à quelques millimètres d’elle seulement ; il ne l’avait même pas effleurée, par souci pour son confort. (Je ne suis pas si fragile…)

- ‘ouvez y aller. ‘as si f’agile.
- Ce n’est pas la question, répondit-il en reculant. Le souffle de Gaïa aurait dû fonctionner… même juste un petit peu comme plus tôt sur ta mâchoire. C’est comme si… il n’y avait rien à réparer. Comme si… ton corps avait oublié qu’il devrait y avoir une peau pour couvrir cette zone. Je propose qu’on attende de voir si elle se reconstitue d’elle-même.

Ça ne s’annonçait pas bien. Comment pourrait-elle espérer dormir ou vaquer à ses occupations pendant tout ce temps avec une plaie ouverte qui lui ferait souffrir le martyre… ? Haple refusa cette réalité.

- Amenez-moi de la ‘oue, s’il vous ‘laît.
- Je peux te préparer un cataplasme traditionnel plutôt… proposa-t-il en échange avant de renoncer devant le regard insistant de l’apprentie géomancienne. Très bien. Je te ramène de la boue.

(Voyons voir comment je m’en sors)

- On ne me l’avait jamais faite celle-là, commenta le Kendran pour lui-même en sortant. De la boue…

>>>Suite : 05/11
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:12

05. Crème de nuit

Haple utilisa le temps que mit Otis à revenir pour mettre au point la gestuelle de ces sortilèges opposés. Lorsqu’il toqua de nouveau à sa porte, elle avait un angle d’attaque. Après avoir accroché pudiquement un châle en bandeau autour son torse nu, elle l’invita à entrer puis à placer la bassine remplie de boue sur son secrétaire.

- Je pense toujours que ce n’est pas une bonne idée, chaton… répéta-t-il une dernière fois alors qu’elle s’en approchait en se frottant les mains, une étincelle de folie douce dans les yeux.

Haple, toute à son œuvre, n’entendit qu’à peine l’avertissement du guérisseur et n’y accorda aucune attention. Son regard plongé sur la surface hétérogène de terre et d’eau, Haple sonda mentalement la matrice boueuse à la recherche de ses composantes protectrices et viciées. Enfin, elle prit position, apposant ses mains l’une à l’autre, paumes collées et doigts entrecroisés comme pour une fervente prière.

Elle y avait bien réfléchi et cette manipulation fluidique serait d’une toute autre nature que les sorts offensifs ou défensifs qu’elle avait jusqu’ici maîtrisés. Car ceux-ci impliquaient de projeter ses fluides telluriques soit pour percuter la terre soit pour en enrober ou imprégner une cible. Ici, le procédé consistait à séparer les argiles des principes infectieux contenus dans la boue pour l’assainir ou l’empoisonner selon la finalité recherchée. Et c’est avec cette subtile distinction à l’esprit qu’elle fit sa première tentative.

Dans un premier temps, Haple concentra ses fluides entre ses mains. Puis avec une consciencieuse lenteur, elle s’appliqua à séparer ses paumes, petit à petit, jusqu’à ce qu’ensuite le glissement les uns contre les autres de ses doigts entrecroisés prennent le relai. Était-ce le son du frottement de la peau contre la peau qui opérait la magie ? Ou bien ce geste centripète qui entraînait par mimétisme les particules boueuses dans des directions opposées ? (Les deux). Haple remarqua en écarquillant les yeux avec stupeur un frémissement agiter le contenu de la bassine sous ses mains. (Résonnance !)

Alors, avec l’enthousiasme des premières fois, l’apprentie géomancienne écarta brusquement ses mains. Alors, la terre à laquelle elle commandait suivit son geste et se scinda en deux. D’un côté, une boue lisse et soyeuse reflétait la lueur vacillante des chandelles ; de l’autre, un tas de terre sèche et friable s’était aggloméré en une masse aussi terne et lugubre que le tumulus d’un roi maudit.

Haple décocha un sourire victorieux à son voisin. Elle semblait le mettre au défi de la douter encore. Il était vrai que l’effet semblait plus que concluant pour une première tentative. Et le Kendran en resta coi. C’est donc sans émettre de réticence qu’il la laissa procéder à la suite de son traitement. Prenant soin de ne pas entrer en contact avec le monticule de terre dans lequel elle avait cherché à isoler les miasmes du sol, Haple cueilli avec ces doigts tremblant d’excitation une noix de cette boue purifiée et l’appliqua avec précautions sur la chair à vif de sa gorge.

La sensation était inconfortable mais le contact de la substance onctueuse était frais. Haple se dit que la gêne relative passerait et en détourna son attention.

- Laissons agi’ le ‘a’a’lasme ‘en’ant la nuit. On ve’’a si la ‘eau au’a ‘ommencé à se ‘e’ons’i’uer à mon ‘éveil.
- Très bien. Je reviendrai demain matin pour examiner ta blessure. Tâche de te reposer.

Une fois l’humain sorti, Haple mit ce dernier conseil en œuvre sans attendre et se mit au lit sans même prendre le temps de souffler les chandelles. Elle était tout bonnement épuisée après cette journée rocambolesque. Mais fière aussi … si fière d’en sortir la tête haute.

***

Aussitôt glissée sous ses draps, Haple sombra dans le sommeil comme dans des sables mouvants. Un sentiment de profond abandon de soi la gagna : elle était dans son élément et se laissa aller. La matrice de terre et d’eau l’accueillait avec bienveillance et l’enrobait de sa substance protectrice. Le souvenir du plafond lambrissé de sa chambre disparaissait de sa mémoire à mesure qu’elle tournoyait paresseusement en s’enfonçant dans l’ouate boueuse. Le temps et l’espace aussi…

Petit à petit, le mouvement circulaire s’accéléra en un tourbillon hypnotique qui l’engloutissait dans les profondeurs de ses songes. Haple tendit un bras vers la surface où la lumière disparaissait au loin ne laissant que quelques traces évanescentes dans l’obscurité grandissante. Si curieuses étaient ces lignes et ces courbes devant ses doigts… si évocatrices. (Aoz) Puis, finalement, toute lumière résiduelle disparut. Elle avait pénétré dans le ventre de Yuimen.

L’obscurité y était totale. Haple prit le temps de s’y acclimater. Des nuances y apparaissaient ; l’obscurité n’était pas homogène. Par endroits, les ténèbres se condensaient en une tranchée lugubre tandis qu’ailleurs l’ombre voilait de son aura mystérieuse d’invitantes arabesques qui disparaissaient sous le doigt de la voyageuse onirique. (Aoar…) C’était le nom de ce monde du repos, de la non-existence.

Aussitôt nommée, l’obscurité laissa place à la flamme d’une chandelle. Un inconnu dans sa chambre se cachait derrière la silhouette dansante qui se dessinait sur le noir. Elle avait eu son lot d’assassins et de complots. Heureusement, elle comprenait désormais la puissance des mots et congédia l’importun en traçant son nom comme une barrière entre eux (Aov !). Alors la flamme fut soufflée par un coup de vent qui ouvrit la fenêtre grande ouverte.

Le blizzard s’introduisit dans la chambre. De bleu et de blanc, éternels, des cristaux de givre s’infiltrèrent jusque sous ses draps comme les doigts de l’hiver pour l’emporter en son sein. Happée au dehors, ses yeux émerveillés découvrirent les plus pures stalactites et les plus douces volutes neigeuses. Sachant son temps compté dans ce royaume de beauté si radicale qu’elle la savait insoutenable pour les mortels, elle signa d’un nouveau geste de sa main une lettre de remerciement (… Aon). Vexé, le blizzard laissa tomber l’ingrate dans le vide avec grand fracas.

Alors, la foudre déchira le ciel de toute part. A sa droite, un réseau d’arcs orageux. A sa gauche, une zébrure éblouissante. Elle tendit la main pour s’y raccrocher et arrêter sa chute, en parcourant les tours et détours électriques dessinés sur le ciel sombre jusqu’à ce que le tracé de ses doigts scellât son sort (Aok !). Dès lors, l’immensité vaporeuse cessa enfin de défiler sous ses yeux, comme si un champ d’électricité statique avait arrêté sa chute.

Mais ce n’était pas cela. C’était un vent continu et sans fin qui la maintenait en suspension. Quelqu’un avait-il ouvert la fenêtre de son esprit ? Pour toute réponse, des volutes invisibles soulevèrent sa main et tracèrent dans l’air la réponse qu’elle connaissait déjà (… Aol). Avec la vitesse d’une rafale, les nuages furent soufflés au loin mettant fin à la tempête.

Une rai de lumière creva les sombres cieux. Les rideaux avaient-ils été tirés pour laisser entrer le jour naissant ? Quoiqu’il en fût, là où le maelström élémentaire l’avait tour à tour enchantée et malmenée, perçait désormais un faisceau de rayons solaires qu’elle suivit du doigt, bouche bée, jusqu’à leur source. (Aob) De se savoir reconnue pour sa bénévolence, la lumière divine s’émut et pleura des larmes de vie.

Goutte après goutte, la fraîcheur de la pluie éveillait ses sens endormis. Les arcs-en-ciel oniriques et les lointaines trombes se révélaient sous le regard de ses yeux palpitant et sous le toucher de ses doigts en lignes détrempées :

- Aom

(Aom ?)

Le son de sa voix la surprit. Puis, un nouveau finit de la réveiller.

- Chaton ? Tu m’entends.

>>>Suite : 06/11
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:14

06. La ballade de la Simple

(Chaton…). Vraiment… Haple s’agita. Elle voulait qu’on la laisse en paix avec le spectacle délirant de ses sens ensommeillés. Otis, à son chevet, n’y entendit rien. Il serra le chiffon humide qu’il tenait entre ses mains prévenantes et fit tomber une nouvelle pluie d’eau fraîche sur le front de sa protégée. Haple ouvrit les paupières sur son sourire bienveillant mais lut de l’inquiétude dans ses yeux.

Pour éviter son regard, elle tourna la tête sur l’oreiller. Il était trempé. (D’eau ou de sueur ?) Elle avait chaud. (C’est pour ça qu’on a ouvert la fenêtre ?). En tout cas, elle ne remerciait pas la personne qui avait ouvert les rideaux et ainsi inondé la chambre de la lumière crue du jour. (J’ai donc dormi ?). Toute la nuit et une bonne partie de la matinée, de toute évidence. Ce que lui confirma, son infirmier :

- Chaton, ta fièvre de cette nuit est en train de tomber. Le petit déjeuner que je t’ai apporté tout à l’heure est froid désormais mais si tu veux…

Haple hocha de la tête. Son estomac avait réagi avant que son humeur revêche ne prenne le dessus. Elle suivit au bruit des lattes de plancher grinçant les pas du Kendran qui s’éloigna vers le secrétaire avant de revenir et poser le plateau au pied du lit.

- Attend, je vais t’aider à te redresser, lui offrit Otis avec sollicitude en glissant un deuxième oreiller sous sa nuque.

Haple le remercia… en pensée. Elle avait la tête légère ; manger un peu lui ferait du bien. En revanche :

- Est-ce ‘on pourrait fermer la fenêtre ? demanda-t-elle d’une voix certes pâteuse mais avec une meilleure élocution que la veille.

La nuit avait au moins eu le mérite de permettre à ses muscles du visage de se remettre progressivement du traumatisme causé par l’exposition à l’Ortie Vêlevite. Alors qu’Otis s’empressait de donner suite à sa requête, Haple baissa les yeux en se tordant le cou pour essayer de voir si le cataplasme de boue avait fait effet. Elle ne voyait pas grand-chose mais suffisamment pour constater que… la boue n’y était plus, remplacée par un onguent rosacé sentant l’officine d’apothicaire.

- ‘ui vous a permis de changer mon…
- Chaton, si je n’avais pas…
- Ne m’appelez pas « chaton », l’interrompit l’intéressée en sortant les griffes.

Le Kendran revint à son chevet en silence avant de reprendre son explication, ses yeux bleu sereins comme les profondeurs de l’océan plongés dans ceux de la rebelle, embrumés par la fièvre :

- Ta plaie s’est infectée et c’est la boue qui en est responsable.
- Mais…
- Il n’y a pas de doute possible. Crois en mon expérience.
- Mais…
- Ou pas. Mais alors, crois au moins ceci : ta fièvre a commencé à se résorber dès que j’ai remplacé ton cataplasme de boue par un onguent de ma confection.

Haple se renfrogna. Elle aurait aimé trouver un contre-argument… défendre le résultat de son expérimentation fluidique. Mais elle se rendit à l’évidence : cette première tentative avait pris un mauvais tour. Aussitôt, elle chercha à comprendre la raison de cet échec. Avait-elle utilisé la mauvaise fraction… celle imprégnée de miasmes ? (Non) Elle était sûre de n’avoir pas touché la fraction terreuse. Alors, peut-être… (peut-être que… ?) Non, elle ne savait pas ce qui avait mal tourné et ses idées refusaient de s’ordonner dans son esprit fiévreux. Autant demander au guérisseur :

- Lors’ue vous faîtes un sort de soin, ‘omme vous avez fait pour mon visage, ‘omment vous faites pour ‘ue ça fon’tionne ?
- Eh bien… il faut que ça vienne du cœur en ce qui me concerne. Plus mon intention est pure, plus mes sorts de soins sont efficaces. Mais bien sûr, ça ne suffit pas toujours donc ne t’en fais pas si tu dois encore t’entrainer.

Haple n’entendit pas la dernière partie de sa réponse car elle ne l’écoutait déjà plus. Otis l’avait mise sur une piste : elle avait cherché à faire trop compliqué en tentant de produire simultanément cette boue régénérative d’un côté et cette substance miasmatique de l’autre. Son cœur ne pouvait pas être à la fois empreint d’une volonté de soigner et d’infecter, de protéger et de faire le mal. Du moins, pas au même moment : il lui faudrait se concentrer sur l’un. (Puis sur l’autre).

Un détail saugrenu attira soudain son attention. Elle avait le bout de l’index… tout noir. L’espace d’un instant elle redouta une nécrose mais, à y regarder de plus près, elle remarqua :

- Pour’uoi ai-je de l’en’re sur le doigt ?

Aussitôt, les joues d’Otis s’enflammèrent. L’adolescente aurait trouvé cela adorable si la moue coupable qu’exprima le visage du Kendran n’avait pas aiguisé sa curiosité.

- J’é’oute… ? le relança-t-elle avec insistance.
- C’est que… tu marmonnais des mots étranges… et je suis un conteur professionnel, les mots c’est mon métier.
- Je ne vois pas le rapport.
- Eh bien, tu traçais de drôles de signes dans l’air en même temps… comme si tes doigts reprenaient en geste ce que tes lèvres formulaient par le son… j’étais curieux, c’est tout… alors j’ai trempé ton index dans un peu d’encre… et regarde !

Il lui tendit de sous sa chaise une liasse de papiers sur lesquels des griffonnages avaient été tracés à l’encre d’une main tremblante. Malgré son air penaud, il la dévisageait avec un regard interrogateur.

- Ça ressemble à des runes, commenta bon gré mal gré la disciple Zewenite qui avait passé des heures fastidieuses à en étudier les lignes et les courbes dans l’étude de la Sœur Rosemonde sans jamais parvenir à se familiariser avec cet art calligraphique. Mais je ne sais pas ce ‘u’elles signifient.

- Moi non plus. Mais c’est bien ce que je pensais. Des runes…Fascinant.

Le silence s’installa entre les deux inconnus qui se découvraient. Alors une parole du guérisseur revînt à l’esprit de Haple :

- Vous avez dit ‘ue vous êtes « ‘onteur ». Je pensais plutôt ‘ue vous soigniez les gens…
- Les deux. Je soigne les gens par la parole en quelque sorte. Par la parole de Gaïa, précisa-t-il avant de rajouter d’un air entendu, je suis l’un de ses Ménestrels.

(Un ménestrel de Gaïa ?)

***

Otis lui raconta son histoire tandis que la convalescente attaqua son petit-déjeuner. A défaut de boire ce café qu’elle trouvait beaucoup trop amer, Haple buvait ses paroles avec d’autant plus d’empressement que l’existence des Ménestrels de Gaïa relevait presque du mythe en Anorfain. Ainsi, le Kendran en face de lui avait déjà parcouru les quatre coins de Nirtim où la lumière de Gaïa éclaire les cœurs :

- … Oranan, Bouhen, Mertar, Luinwë, Shory, Kendra Kâr et les Duchés. Enfin… à l’exception de Pont d’Orian, précisa-t-il avec une moue déçue. Leniad pense que les coutumes de sa cour pourraient m’éloigner de la lumière en… flattant certains de mes goûts.

D’un haussement d’épaules, le jeune homme signifia qu’il acceptait le jugement du maître des lieux, même s’il le regrettait. Pour elle-même, Haple songea que le teint radieux de ce visage encadré de mèches blondes aux reflets aussi chaleureux que les rayons du soleil aurait effectivement fait des émois à la cour du Duc, à en croire Grégoire. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas l’air d’avoir su résister aux vices de la fête qui battait son plein au château la nuit de leur rencontre…

- Je ne ‘rois pas ‘ue vous ratiez grand-chose, Otis, le consola-t-elle.
- Tu as déjà été à Pont d’Orian ? J’avais imaginé que tu étais arrivée directement d’Anorfain par la route de l’Est.
- Non, du Nord.

Haple se tut. Elle hésitait à en dire plus. Révéler trop d’informations sur les circonstances de son arrivée à Haenian lui paraissait imprudent. Qu’adviendrait-il si elle était identifiée comme disciple du Livre et que la nouvelle de sa survie parvenait aux oreilles des Sœurs Nacota et Nétone ? Mieux valait avaler une autre bouchée de pain.

Rien à faire. Le Kendran ne la laissa pas s’en tirer à si bon compte :

- Par la route de Blanchefort et Valorian ?

Haple espéra satisfaire sa curiosité avec un récit partiel :

- J’étais à Pont d’Orian avant d’arriver ici pour la fête de la bière. C’est une cité marchande aussi mais de plus petite taille. Malgré son emplacement sur un ‘arrefour de voies ‘ommerciales, le négoce ne semblait plus en assurer la prospérité : de nombreux ‘ommerces étaient fermés, les routes étaient endommagées et un air de désespoir semblait gagner les visages des roturiers ‘ue j’ai ‘roisés.

Avec un intérêt professionnel, le Ménestrel de Gaïa prit note mentalement du moindre détail que lui fournissait la voyageuse. Une fois sûr d’avoir mémorisé l’information transmise, il reporta son regard sur elle et la relança avec un espoir qu’on ne saurait décevoir :

- Et avant, donc, tu étais à Beauclair ?

Haple tourna la tête vers la fenêtre ouverte par laquelle entrait la voix des cuisiniers ambulants, installant leurs étals en anticipation de l’heure du déjeuner. Elle hésitait. Il avait l’air si innocent.

- Si je demande, chaton, c’est seulement pour nourrir mon imaginaire. Les histoires des gens que je rencontre sont mon fonds de commerce, en quelque sorte.
- Justement… s’ouvrit-elle à l’ingénu. Mon histoire doit rester… méconnue.

Otis la regarda un instant, son visage respectueusement inexpressif.

- J’entends. Il est parfois nécessaire de se reposer à l’ombre d’un arbre et la lumière crue du soleil de midi peut brûler la peau plus que réchauffer les cœurs. Et Gaïa sait que tu as besoin de repos et que ta peau ne peut se permettre de nouvelles blessures...

Le sens de ses paroles étaient aussi claires que l’étincelle de bienveillance dans ses yeux. Elle avait toutefois un doute. Si son visage angélique lui inspirait confiance, elle se souvenait aussi de ce que Leniad lui avait dit à son arrivée concernant son peu de scrupules lorsqu’il s’agissait de renflouer les coffres de l’Académie.

- Et Leniad partage-t-il votre dis’rétion ?
- Leniad n’est pas un Ménestrel de Gaïa et ne saura rien de ce que tu me confieras. Et d’ailleurs personne ne fera le lien avec toi une fois que j’aurai « agrémenté » ton histoire des artifices d’usage qui en feront un récit digne d’être conté devant l’âtre d’une auberge. Je te le promets.

A ces mots, l’adolescente découvrit la complaisance. Ou bien était-ce la fièvre ? Quoi qu’il en fût, elle céda devant la flatteuse perspective d’inspirer un conte qui circulerait à travers Nirtim.

- Soit, à la ‘ondition ‘ue je n’y sois jamais identifiable, alors, insista-t-elle avant de satisfaire la requête du chantre de lumière. J’étais bien dans le duché de Blanchefort avant Pont d’Orian, mais pas à Beauclair. Je suis une religieuse. Une Initiée du ‘ouvent des Sœurs du Saint-Livre.
- Fascinant… ne put s’empêcher l’autre de commenter.
- Mais cette page de ma vie est définitivement tournée. Je … J’ai coupé les ponts définitivement avec la communauté. Nos relations étaient… toxiques.
- Je veux bien le croire… commenta Otis avec un œil compréhensif posé sur sa blessure à la gorge. Et maintenant ?

Haple se tut. Elle s’était posée cette même question la veille. Elle se vengerait un jour. Mais d’ici là… (Guérir et gagner en puissance)

- Je ne sais pas. Rejoindre l’académie peut-être. Comme Leniad me l’a proposé hier…
- Est-ce que tu crois que c’est vraiment là ton destin ?
- Je ne crois pas au Destin.
- Une adolescente Hinïonne devenue nonne Zewenite qui rêve de runes mais ne crois pas au destin… Fascinant…

Otis s’amusa de l’agacement qui passa sur les sourcils froncés de ladite fascinante adolescente tandis qu’il se leva et s’apprêta à sortir pour la laisser se reposer. La main sur la porte, il la quitta avec ces paroles énigmatiques :

- La Lumière de Gaïa est parfois nécessaire pour lire le Livre de Zewen.

(Présomptueux)

>>>Suite : 07/11
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:16

07. Poupée sage ou minette sauvage ?

Repue, Haple s’endormit peu après le départ du Kendran. Le confort de sa literie et un sentiment de sécurité qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps l’emportèrent dans un sommeil réparateur et profond. Si profond d’ailleurs… qu’elle n’entendit pas la porte s’entre-ouvrir discrètement. Pas plus qu’elle n’entendit les lattes de plancher grincer, l’une après l’autre, toujours plus près de ses paupières fermées, de sa gorge exposée, de son cœur innocent… et de son ventre si douillet.

Haple se réveilla en sursaut ! Une masse sifflante et turbulente bondit hors de son lit après lui être tombée sur l’estomac sans crier gare ! Le souffle coupé par la surprise, l’adolescente se redressa en hâte contre la tête de son lit et remonta les genoux à sa poitrine sous sa couverture tout en se frottant les yeux pour mieux surveiller le matou de l’Académie qui la dévisageait encore d’un mauvais air, poil hérissé et prunelles effarouchées.

- Roux… le reconnut Haple d’une voix pleine de reproche. Tu pouvais être plus doux. Allez, viens ici.

Haple joignit à son invitation un geste universel que le chat reconnut immédiatement. Avec une réserve prudente, celui-ci se rapprocha du lit, puis encouragé par le tapotement tranquille de cette douce main d’albâtre, il sauta sur le matelas à ses côtés. Quelques secondes seulement après, il slalomait entre son bras et son torse, se frottant sur tout ce qui dépassait de la couverture et se lovant finalement contre le haut de sa cuisse. Alors Haple se découvrit un nouveau pouvoir : sa main caressant délicatement le pelage de feu du matou, elle invoqua un séisme de ronronnements.

Un sourire apaisé lui monta aux lèvres. La vie était douce et simple. Elle trouverait peut-être ici un nouveau foyer. Un endroit où… Une idée lui traversa l’esprit. Pourquoi en cet instant pourtant si paisible ? Le Ménestrel avait-il raison ; y avait-il des forces qui se jouaient de sa raison et l’aiguillaient sur des voix tumultueuses, lui interdisant le repos et le plaisir d’une vie simplement menée ? Haple chassa ses questions stériles, délaissa la boule de poils et se leva pour rejoindre la porte de sa chambre. Il n’y avait aucune « force » qui la gouvernait ; seulement sa volonté de survivre à un monde trompeusement sûr. Sur cette conviction, elle ferma la porte sans un bruit.

Les paupières entre-ouvertes, Roux la suivit de son regard félin alors qu’elle revenait s’asseoir sur le lit à ses côtés après avoir récupéré au passage la bassine pleine de boue. (). Sur la chaise juxtaposée au sommier, ses affaires de la veille étaient rangées pêle-mêle et sa ceinture pendait négligemment. Elle tendit la main. Le manche du poignard était froid au contact de sa paume. D’autant plus que, sous son autre main, l’intime chaleur du chat irradiait de son corps assoupi… (Y a plus qu’à…)

D’un geste sec et irrévocable, Haple passa la lame effilée de son arme sur la patte du félin, lui arrachant un cri qui perça le calme de la chambre. Dans sa surprise révoltée, l’animal lui rendit la pareille avec intérêts : là où d’un coup de griffes il lui ouvrit le dos de la main, cinq lignes rouges apparurent bientôt. L’elfe et le chat se dévisagèrent avec un courroux mutuel, la première précipitamment levée sur ses deux jambes, le second ayant bondit sur le plancher… et tous deux sur le qui-vive.

Haple n’avait guère que quelques secondes pour se concentrer. La porte fermée, le chat se savait pris au piège. D’un instant à l’autre, il allait s’en remettre à la protection du sommier ; dessous, il serait hors de sa portée. Il lui fallait mettre de côté la sensation de brulure qui gagnait sa main au plus vite pour ne pas souiller son sortilège d’une intention curative. Joignant ses mains et entrecroisant ses doigts au-dessus de la bassine de boue, la géomancienne malicieuse nourrit au contraire ses fluides de son désir de représailles.

(Ne griffe pas Haple qui veut !)

Sur cette pensée hargneuse, elle déjoignit ses doigts et, par la même, enjoignit les particules de terre infectieuses de se séparer de leurs opposées curatives. La matrice putride qui en résulta n’attendait plus qu’à trouver sa cible et Haple obligea : d’un geste impérieux de ses mains désormais ouvertes, elle la projeta comme un filet sur le chat qui plongea pour esquiver la masse noirâtre fondant sur lui… (Trop tard) Roux n’avait plus la couleur que de nom : de proche en proche, l’immondice terreuse recouvrit son corps jusqu’à finalement noyer le feu de son pelage orange.

Haple ne perdit pas une seconde et sauta pardessus le lit pour barrer le chemin au matou qui regardait avec espoir l’abri salutaire du sommier. Elle ne le laisserait pas échapper à son examen approfondi. Le sort avait-il fonctionné ? Roux claudiqua maladroitement pour essayer de la contourner : la terre semblait entraver ses mouvements. Un effet qu’elle n’avait pas délibérément recherché mais qui était assurément le bienvenu.

Enhardi par la maladresse apparente de son cobaye félin, Haple se jeta soudainement sur lui pour l’immobiliser. Normalement, comme tous ses congénères, il aurait répondu à l’attaque risiblement lente de la bipède par un coup de griffe cinglant à son visage. Mais sa patte alourdie par la terre fut trop lente et sa riposte fit chou blanc. Une fois dans ses bras, Haple l’enserra de toute ses forces pour le dissuader de toute récidive… quitte à lui briser une côte sous la pression ! Obsédée par son objectif d’entrainement, elle remarqua toutefois au travers la brume de son esprit tortionnaire que le chat ne semblait pas souffrir de l’étau musclé dans lequel elle le retenait. Le sortilège entraînait donc en contrepartie un effet regrettable : la cible était aussi bien protégée que gênée par cette couche de terre miasmatique.

Haple s’impatienta. Jusqu’ici, son but premier n’était pas atteint. Elle semblait n’être parvenue qu’à créer une version bâtarde de son étau de boue qui n’immobilisait pas tout à fait sa cible et ne lui occasionnait visiblement pas de dégâts. (A moins que…) Avec prudence, elle approcha ses yeux de la patte qu’elle avait blessée au préalable avec son poignard. La blessure s’était-elle infectée ? Sans pitié aucune pour la souffrance de la bête, elle appuya d’un doigt sur la patte recouverte de terre qu’elle espérait infectieuse.

- Qu’est-ce que tu fais ? s’éleva une voix glaciale dans son dos par dessus le grincement de la porte qui s’ouvrait.

Haple libéra le chat et se retourna brusquement. Otis était revenu et, cette fois, un air grave était peint sur ses traits gracieux. Archange de miséricorde, il s’accroupit et accueillit dans ses bras ouvert la pauvre bête qui y vint se réfugier aussi vite que sa camisole terreuse le permettait. L’elfe, elle, ne bénéficia pas du même sentiment bienveillant et tenta de sauver les apparences :

- Le chat est tombé dans la bassine, inventa-t-elle à la vue du récipient incriminé. J’essayais de le nettoyer avant qu’il n’en mette partout dans la chambre.

Comme pour la démentir, la terre agglomérée autour du corps du frêle félin se désagrégea sous leurs yeux. Aussitôt, Roux s’agita et le Kendran dut affermir sa prise pour le maintenir contre lui. Quelque chose avait retenu son attention. Quelque chose sur la patte du matou… Otis leva la tête vers l’adolescente puis baissa le regard sur le poignard négligemment abandonné sur la couverture sous laquelle les bardes lui avaient généreusement offert de se reposer. Une honte cuisante aurait envahi à ce moment tout autre que Haple…

C’est sans faire de commentaire que le Ménestrel de Gaïa répara le méfait de leur ingrate invitée de sa main guérisseuse avant de laisser l’animal s’échapper à toute allure des lieux du crime. C’est sans commentaire aussi qu’il le suivit dans le couloir. Mais pas sans un regard désabusé pour la nouvelle arrivante de l’Académie qu’il découvrait sous un nouveau jour…

(Au moins, il ne m’appellera plus « chaton », maintenant)

***

Haple s’approcha de la fenêtre, pensive. Le sortilège d’infection avait-il fonctionné ? Elle l’ignorait. Otis, l’inopportun, l’avait interrompue trop tôt dans son examen. Tout ça pour rien, songea-t-elle en regardant la griffure sur sa main baignée dans la lumière du soir. Et le guérisseur qui ne serait sûrement pas disposé à lui prodiguer ces soins, désormais… (Je me débrouillerai seule)

Retournant à son lit, Haple se positionna devant la bassine de boue posée à terre. Les fractions minérales et organiques qu’elle avait séparées lors de sa précédente incantation s’étaient refondues l’une dans l’autre. La Nature avait repris ses droits. (Qu’à cela ne tienne). L’apprentie géomancienne maitrisait désormais la gestuelle et il ne lui restait qu’à s’exercer à canaliser une intention curative.

Paumes jointes, doigts entrecroisés, elle concentra ses fluides au sein de cette coupe charnelle et son attention sur la sensation cuisante qui irradiait du dos de sa main, là où le chat l’avait griffée. Alors, malgré elle, un sentiment de culpabilité remonta de sa conscience bienpensante ; ses notables de parents ne l’avaient pas éduquée ainsi mais… (Ils ne sont plus là) Et elle n’avait qu’elle-même sur qui compter : sa survie dépendrait de sa puissance magique. Tous les coups étaient permis et la morale était l’apanage des bourgeois confortablement installée dans leur vie de privilèges.

Ce moment de doute résolu, Haple s’autorisa à guérir dans sa chair aussi. Répétant une nouvelle fois le geste centripète par lequel ses doigts se frottaient en entrainant sous eux les argiles et les particules miasmatiques de part et d’autre de la bassine, elle opéra sa magie avec comme seule intention d’effacer les traces de son altercation avec le félin, de son crime nécessaire. Alors une boue aussi lisse que sa conscience cynique se forma sous ses yeux.

Sans attendre, Haple en préleva une dose suffisante pour couvrir sa main griffée et posa le cataplasme magique. La sensation était fraîche et apaisante. (Comme hier…) Et elle savait ce qu’il en avait résulté. Cette fois-ci, l’apprentie géomancienne resterait donc alerte dans l’éventualité d’une infection et s’assurerait que, comme elle l’escomptait, la légère blessure ne s’aggraverait pas.

Satisfaite de son expérience, l’adolescente se remit sur pied. Il était temps d’avoir une conversation avec le maitre des lieux. Mais avant de redescendre le trouver, Haple devait s’habiller. Et l’affaire ne fut pas aisée, entre l’onguent sur sa gorge et le cataplasme sur sa main qui risquaient de souiller les vêtements fraichement lavés que le désormais revêche Otis avait déposé sur une chaise avant son réveil.

Finalement apprêtée, Haple s’arrêta, une main sur la poignée de la porte : elle ne savait pas quel accueil on lui réserverait en bas après l’incident avec le chat… (Qu’importe) Elle n’avait pas d’alternative. Alors, l’Exilée d’Anorfain ouvrit la porte sur son avenir, quel qu’il fût.

>>>Suite : 08/11
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » dim. 12 janv. 2025 18:18

08. Les rockeuses rebelles n’ont pas d’agent.

A l’instant où elle pénétra dans la salle commune, Haple aperçut un éclair roux traverser la pièce et disparaître dans la cuisine. Les visages du Sinari et du guérisseur se tournèrent vers elle. (Il lui a dit). Tout deux étaient attablés autour de la grande table en olivier et affichaient une mine sombre… Heureusement qu’elle n’avait pas sa pareille pour désamorcer ce genre de tensions.

A petit pas, l’adolescente s’avança vers les deux hommes. Sans timidité excessive, elle leur donna tout de même à voire une mine contrite. Les yeux baissés, elle s’adressa à eux d’une voix penaude :

- Je ne sais pas ce ‘ui m’a prise…

Otis fronça les sourcils, tandis que Leniad l’évaluait de son regard perçant. Sa comédie ne prenait pas sur le maître des lieux…

- Je…
- Il y a une chose qu’il faut que tu comprennes bien, Maestra, l’interrompit-il avant de poursuivre d’une voix égale. La seule règle que j’impose à mes disciples, c’est de faire preuve d’une loyauté fraternelle envers tout autre qui fait de l’Académie son foyer.
- Je… Je ‘omprends…
- Tu peux refuser une mission, tu peux rejeter mes enseignements, tu peux faire ce qui bon te semble tant que cela ne nuit pas directement à l’un d’entre nous. Est-ce compris ?
- Oui, Maestro, agréa-t-elle, penaude.
- Bien, commenta le Sinari en relâchant la tension dans sa voix.

Le petit homme à l’imposante prestance leva une main à son visage et recommença à tortiller sa barbichette. Une lueur espiègle dans le regard, il détendit l’atmosphère d’une boutade :

- Dans ce cas, tu restes la bienvenue et si tu le souhaites je pourrai t’enseigner à mieux maitriser ton art de la comédie… Car ton petit numéro de jeune fille pleine de remords n’attirerait guère la sympathie que des esprits les plus ingénus.

La pique était bonne enfant ; la ménestrelle ne s’en offusqua pas. C’était après tout normal que dans ce temple des arts dramaturgiques et musicaux sa technique de sympathie contagieuse soit reconnaissable à mille lieux. Haple déglutit et, sans un regard pour le guérisseur qu’elle soupçonnait être moins bien disposé envers elle en ce moment, elle relança Leniad :

- A vrai dire, j’ai réfléchi et je souhaite mettre mon énergie ailleurs. Rejoindre l’A’adémie, oui, absolument, clarifia-t-elle précipitamment, mais mes talents de ménestrelle devront attendre. J’ai … des ‘omptes personnels à régler, ajouta-t-elle prudemment avec un regard en coin vers Otis, et pour cela il me faut monter en ‘ompétences sur d’autres fronts.

Le silence retomba. Ni le Sinari, ni le Kendran ne répondirent à cette annonce cryptique. Haple fut soulagée que le guérisseur respecte sa parole et ne trahisse pas le secret de ses aventures passées devant le maître des lieux. (Loyauté fraternelle) Le concept lui échappait mais elle comprenait que, en la situation, il la servait bien. Leniad laissa retomber sa main sur la table, sa barbichette entortillée comme un ressort reprenant brusquement sa longueur habituelle.

- D’aucun argumenterait que la langue d’un ménestrel est son arme la plus acérée et la musique sa plus fidèle alliée. Qu’en penses-tu, Otis ? Toi qui as passé du temps au chevet de notre jeune amie, quel chemin entrevois-tu être le sien ?

(Il sait). Le regard lourd de sens qu’il avait jeté à son disciple était sans équivoque. Il savait que le Kendran et l’Hinïonne avaient échangé des informations qu’elle avait passées sous silence. Elle s’était probablement trahie en zyeutant son confident. Haple remarqua avec soulagement que le Sinari respectait le caractère privé de leurs échanges et leur laissait la possibilité de maintenir des zones d’ombre. Le Ménestrel de Gaïa éclaira le maître barde dans cet esprit :

- L’enfant cherche encore ...
- Haple. Mon nom, c’est Haple Mitrium, le reprit-elle un peu sèchement avant qu’Otis ne poursuive, imperturbable.
- Haple cherche encore son chemin. Je ne prétends pas le connaitre mais je ne doute pas non plus de deux choses : il sera de ceux dont on tire les balades épiques et il sera semé d’embuches.
- L’Académie peut-elle la soutenir sur cette voie ?

Les yeux bleus du Kendran la sondèrent. Cherchaient-ils réponse à une autre question ? (L’Académie devrait-elle m’aider ?). A celle-ci ou à l’autre, Otis répondit par l’affirmative :

- Haple a besoin de personnes de confiance, d’alliés… l’Académie et son réseau lui fourniraient certainement cela. Mais avant tout, elle a besoin d’un guide.

(Certainement pas !) Haple sentit le sang lui monter au visage. Elle s’était tenue sage tout ce temps, à écouter patiemment ces deux hommes disserter sur son avenir comme s’il ne lui appartenait pas. Comme ses parents l’avaient fait, comme les Sœurs du Couvent l’avaient fait… (Assez)

- Assez ! protesta-t-elle ne pouvant contenir son sentiment de révolte.

Ni l’un, ni l’autre ne cilla mais tous deux se turent. Ils attendaient qu’elle s’exprime.

- Je me suis très bien débrouillée seule jusqu’ici. Je n’ai besoin de personne et certainement pas d’un « guide » qui me dicte mon chemin.

S’exprimer, elle venait de le faire. Se faire entendre, rien n’était moins sûr. Après tout, les circonstances de son arrivée auprès des deux hommes et les choix douteux qu’elle avait faits depuis ne lui donnaient pas franchement raison… Finalement, le Ménestrel de Gaïa reprit la parole et s’adressa au petit homme :

- Leniad, me laisseriez-vous discuter en tête à tête avec Haple ?

Après un court temps d’hésitation, le Sinari obtempéra :

- Naturellement, concéda-t-il en sautant à bas de la chaise trop haute pour quelqu’un de sa petite stature.

Une fois la porte du couloir refermée derrière lui, Otis reprit le fil de la conversation avec l’adolescente rebelle. Libéré des contraintes du secret, il lui parla plus franchement :

- Haple, il est des signes qui ne trompent pas : tu es une Initiée dans la religion du Destin et tu rêves de runes – symboles dans lequel le passé, présent et avenir des vivants est écrit dans le Livre. Ces rêves, c’est ton inconscient qui manifeste sa quête de sens. Tu as quelque chose à accomplir mais – attends, l’arrêta-t-il avant qu’elle ne l’interrompe encore, ni toi, ni moi ne savons visiblement de quoi il retourne.

Cette parole d’humilité la tempéra. Il ne se présumait donc pas être celui qui la guiderait. Sage décision.

- Ni toi, ni moi, répéta-t-il plus calmement, mais je connais quelqu’un qui, je pense, pourra te renseigner.

Haple n’avait rien contre l’idée de poser des questions. Elle resterait maîtresse et juge de ce qu’elle ferait des réponses qu’on lui apporterait.

- J’écoute.
- Connais-tu l’ordre des Gardiens du Savoir ?

Haple secoua la tête. Une mèche brune lui tomba devant les yeux. Elle la souffla distraitement, son attention toute au Ménestrel de Gaïa.

- Ce sont les plus érudits des serviteurs de Gaïa. Ils collectent les connaissances les plus diverses et variées en vue de les révéler à toute personne à qui elles viendraient en aide.

Des mémoires vivantes, comme les Ancêtres de son Anorfain natal en somme… Haple ne comprenait pas le besoin de ces humains pour le décorum liturgique… (« Gardien du Savoir »…)

- Et ?

Otis ne releva pas l’indifférence ostentatoire de l’adolescente ignare. Il inspira pour conserver sa bonne volonté et repris calmement :

- Gardienne Euan est actuellement en poste à Haenian. Elle est dépositrice d’un savoir considérable en matière d’écriture divine.
- Vous croyez que c’est de ça dont j’ai besoin ? De cours de runes ?!

Elle n’en revenait pas : l’idiotie de cet humain qui invitait une nonne du Couvent du Saint-Livre à se renseigner sur les runes… Elle avait déjà eu accès à tout le savoir nécessaire sur le sujet. Non pas qu’elle y ait trouvé grand intérêt ou qu’elle en ait tiré un quelconque profit.

- Non, Haple et, s’il te plaît, laisse-moi finir.

L’adolescente se renfrogna mais le laissa poursuivre. Bras croisé et sourcils levé, tout de même.

- Lyse – Gardienne Euan pour toi – m’a parlé d’une affaire actuellement en cours à Haenian qui devrait t’intéresser… qui devrait t’aider dans ta recherche de… comment disais-tu ? Ah oui, de « compétences sur d’autres fronts ».

Voilà qui l’intéressait plus.

- Je ne peux guère t’en dire plus…

(Evidemment…)

- … sans trahir sa confidence mais si tu lui parles de tes rêves je pense qu’elle te révèlera ce qu’elle a partagé avec moi.
- Et, où puis-je trouver cette « Gardienne Euan » ?
- Elle est préceptrice pour la noble maison des Désirelle.

(Désirelle…) Ce nom lui disait quelque chose.

- Très bien. J’irai parler à cette Gardienne du Savoir.
- Pour la trouver, c’est on ne peut plus simple. Le manoir des Désirelle est la plus imposante demeure sur la place des festivals. Mais tu ferais mieux d’y aller demain, à une heure plus convenable, ajouta-t-il en la voyant se mettre en mouvement.

Sans se retourner vers le Kendran, elle rétorqua à voix basse en disparaissant dans l’escalier :

- Il n’y a pas de meilleur moment que le présent.

>>>Suite : 09/11

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Haple Mitrium
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Re: Académie des Bardes de Vinalobae

Message par Haple Mitrium » lun. 27 janv. 2025 13:46

05. Comment se faire des amis

Les allez-et-venues matinaux des charretiers ne faisaient que débuter sur la place des festivals, et Haple put la traverser d’un bon pas, parvenant rapidement à l’embranchement avec la rue qui conduisait à l’Académie. Elle avait réfléchi ; mieux valait se présenter sous un meilleur jour que celui d’une laboureuse aux mains terreuses pour interroger les personnes indiquées par la Gardienne du Savoir. (Et récupérer mon sac de voyage… au cas où). On ne sait jamais de quand on aura besoin du réconfort d’une bonne potion ou de la force de persuasion d’une dague acérée…

- Haple Mitrium ! Où étais-tu passée, jeune fille ?!

L’adolescente s’arrêta sur le seuil de la porte de l’Académie, surprise par cet accueil glacial. Otis avait bondi de sa chaise, les mains plaquées sur la grande table du salon et son regard d’acier braqué sur elle.

- Tu as disparue sans laisser de nouvelles, hier soir. On s’est inquiété, tu sais, compte tenu des circonstances de ton arrivée chez nous !

(Aaaaaaahhhhh….) Elle n’avait ni le temps, ni la patience pour endurer un sermon sur de supposées responsabilités qu’elle aurait envers la communauté des bardes. Elle venait tout juste de les rejoindre, et déjà ils l’étouffaient ! Fusant tête baissée vers les escaliers, elle monta à l’étage en ignorant résolument la voix du Ménestrel de Gaïa qui la suivait.

- … me suis porté garant pour toi…

Elle ferma la porte de sa chambre avec force derrière elle. (Mon sac , là) Elle enfila une bretelle et l’endossa de guingois avant de se diriger vers la bassine d’eau sans perdre de temps. Alors qu’elle plongeait les mains dans l’eau, la porte s’ouvrit et les reproches fusèrent dans les deux sens :

- Tu permets ?!
- …qui tu te prends ?!

Un coup d’eau sur le visage plus tard, et après s’être frottée rageusement les mains, Haple pivota sur ses pieds et marcha droit sur le grand blond. (Et lui, pour qui il se prend ?!) Il lui bloquait la sortie, usant injustement de sa plus forte carrure. Haple décida de rétablir l’équilibre ; elle dégaina son tambour de mendiant. Aussitôt, la mine du ménestrel s’assombrit.

- Haple… il n’y a pas de retour possible si tu nuis à l’un d’entre nous. Les règles sont rares mais claires.
- Ça vaut dans les deux sens, Otis. Ôte-toi de mon chemin. Tout de suite ! l’avertit-elle avant de forcer le passage.

Une fraction de seconde avant l’impact, l’auto-proclamé chaperon pivota et l’adolescente déboula dans le couloir avec plus de force qu’elle n’avait escompté. Raffermissant sa prise sur le sac de voyage, Haple redescendit les marches sans un regard en arrière pour le Kendran qui la regardait lui fausser compagnie, atterré par ce comportement incivil.

(Il s’en remettra.)

Et peut-être en apprendrait-il à respecter ses limites. Après tout, elle n’avait pas prononcé de vœux de réclusion, à ce qu’elle savait ?! Elle n’avait pas quitté une communauté monastique pour rejoindre une autre prison ?!

- Maestra … ?

La voix, égale et neutre, du maître barde l’interpella alors qu’elle entrait en trombe dans le salon. La vue du petit homme la regardant posément interrompit l’escalade des émotions qui la traversaient… Elle se figea sur place et prit une profonde inspiration.

- Leniad. Je sors mener une petite enquête, concernant ce « guide » qu’Otis proposait hier que je recherche.
- Bien.

La lourdeur du silence qui s’ensuivit maintint l’adolescente plantée sur place. Elle rajouta, comme malgré elle :

- Je ne sais pas si je rentrerai ce soir.
- A ta guise, répondit simplement le maître des lieux. Reviens quand tu le souhaites.

La différence de traitement par les deux bardes était si saisissante qu’elle ne put retenir un regard en coin vers le haut des marches, où Otis fulminait sûrement encore suite à leur altercation.

- Je serais toi, je ne m’attarderais pas ici… lui glissa Leniad, accompagnant son conseil d’un tout juste perceptible clin d’œil complice.
- Bien vu, marmonna l’adolescente revêche avant de traverser la pièce et de ressortir dans la rue.

***

Une fois sur le perron, Haple prit le temps de retrouver ses esprits. Qu’est-ce qui l’avait prise de s’emporter ainsi ? C’était si peu caractéristique… Si elle avait toujours eu un caractère aventureux pour une elfe, voire emporté diraient certains de ses congénères, elle ne perdait d’ordinaire pas le contrôle de ses nerfs sans une bonne raison. N’aurait-il pas été plus simple de diffuser la tension avec Otis comme elle savait si bien le faire. Voilà qu’elle venait de se mettre à dos l’un de ses rares alliés dans cette ville étrangère…

Haple expira en profondeur pour évacuer un peu de tension résiduelle. (Tourner la page). Il fallait absolument qu’elle aborde la suite de la journée avec les idées claires et des nerfs d’acier. Les renseignements que lui fourniraient le marchand et le client de l’auberge seraient peut-être déterminant dans sa quête de revanche sur les Sœurs. Dans la réalisation de son Destin, s’empêcha-t-elle de penser…

(Le minéralogiste, d’abord)

Elle se figura que le marchand de rocs serait plus disposé à faire un brin de causette avec une inconnue si sa boutique était vide, et l’heure matinale rendait cette éventualité probable. Elle prit donc la direction de l’Avenue d’Abondance, préparant mentalement comment aborder le bonhomme.

>>> Suite : 06/14

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