<< Précédemment
Le chaos qui régnait sur le pont en contrebas n'avait pas encore atteint l'endroit où je faisais face à Malfred, mais cela n'allait pas tarder. Il était évident que son équipage ne pouvait venir à bout de ceux conjugués de Makan et Akram. Il ne semblait pas s'en faire plus que cela, comme s'il se délectait de la situation actuelle. Ses petits yeux sombres renvoyaient avec netteté l'amusement que cette situation lui procurait et un sourire ne semblait pas vouloir quitter ses lèvres.
- Tu peux te rendre, si tu le souhaites.
- Vous ne pouvez pas gagner !
- Contre toi ? Allons, tu me sous estimes.
Je ne répliquai pas. Une fois de plus, je n'étais pas prise au sérieux. Je devais en profiter. Je pouvais aussi simplement attendre que son équipage se rende ou soit anéanti, mais plus vite je me débarrassai de lui, plus vite le combat prendrait fin, j'en étais convaincue. Je me mis en garde et son sourire, s'il ne s'effaça pas, se réduisit considérablement et un air plus dur se peignit sur ses traits. Je le jaugeai pendant un instant, tentant de trouver une faille facile à exploiter, sans en trouver une qui ne semble pas être un piège. Il ne voulait pas être sous estimé, il allait être servi. J'inspirai et mes fluides s'accumulèrent dans mes muscles avant que mon corps ne se mette à briller légèrement. Je fléchis les jambes et expirai.
- Oh, il y a une luciole sur le p...
Il ne termina pas sa phrase car je me ruai sur lui, le prenant de court. Son regard passa d'amusé à surpris et il asséna un coup vers ma tête. Mais mon attaque n'était qu'une feinte et j'étais déjà sur son flanc. Il réagit à une vitesse ahurissante et dévia mon attaque de sa lame, mais ne put anticiper le coup de bouclier qui le cueillit sous le menton, envoyant sa tête en arrière. Il parvint à rester droit et balaya l'espace devant lui de son sabre, me forçant à reculer. Du sang goûtait de sa bouche et une lueur assassine ornait désormais ses prunelles sombres.
- D'accord... Tu veux jouer, pétasse, on va jouer !
Il ne reçut en réponse qu'une boule de feu qu'il évita en se jetant sur le côté. Je courus vers lui et il bloqua mon attaque en croisant ses deux lames. Je forçai et ma pointe s'approcha dangereusement de sa gorge avant qu'il ne parvienne à me repousser. Ce fut son tour d'attaquer. Son sabre fendit l'air, mais rencontra mon bouclier tandis que son autre lame rencontra ma rapière. Bras écartés, il tentait de resserrer l'étau et il allait y parvenir, étant bien plus fort que moi, mais je n'avais pas fait ça pour rien. Je me concentrai et inspirai avant que des boules de feu n'apparaissent autour de moi. Il abandonna bien vite son projet et recula, évitant de justesse l'une d'elle qui lui fonçait dessus. Il me toisa un instant, avant de sourire. Un sourire narquois et mauvais.
- Sont-ils au courant ?
- Qui ? Et au courant de quoi ?
- Tes amis pirates ! Que ta tête vaut plusieurs milliers de yus. Je serai curieux de voir leurs réactions s'ils l'apprenaient...
Je déglutis en comprenant où il voulait en venir. Makan ne me poignarderait pas dans le dos, parce que malgré son statut de pirate, j'avais confiance en lui, et ses hommes le suivaient. Le problème, c'était Akram et son équipage. Eux pouvaient probablement se jeter sur moi pour m'offrir en pâture à cette ordure de Kisp s'ils apprenaient une telle chose. Je tentai de ne rien laisser paraître et le fixai simplement en plissant les yeux alors qu'un frisson d'angoisse me prenait. S'il se mettait à crier ça sur tout le navire, la situation allait rapidement dégénérer, et certainement pas en ma faveur. Il sembla lire dans mes pensées car son visage s'élargit soudainement et il écarta les bras, un air victorieux sur le visage.
- Tu vas gentiment dire à tes amis de me laisser en paix, sinon tu finiras dans ma salle de torture... puis entre les mains de Kisp. Et crois-moi, ce que je pourrais te faire ne sera qu'une douce caresse comparé à ce qu'il te réserve.
Il pensait avoir gagner. Évidemment, savoir qu'il pouvait à tout moment révéler absolument tout sur moi aux pirates étaient dangereux, mais il était lui-même un pirate, et un bien plus mauvais que Makan, de ce que j'avais pu comprendre. Alors le choix fut vite décidé. Je le pointai de ma rapière, la gorge sèche à cause de l'angoisse, mais malgré déterminée. Il voulait intimider, manipuler, forcer ? Ce petit jeu, je l'avais vécu plusieurs fois déjà, avec bien d'autres. Cela ne fonctionnait pas.
- Vous savez pourquoi Kisp m'en veux ? Parce qu'il m'a sous-estimé et qu'il en porte encore les stigmates. Et vous venez de faire la même erreur.
Je me ruai sur lui et il para de justesse mon attaque, tout sourire disparaissant de son visage. J'étais libre, je n'avais pas à me soumettre aux menaces d'une ordure de son genre, j'agissais comme je le voulais, selon mes principes. Et si je n'aimais toujours pas tué, j'avais bien compris que parfois, la nécessité dépassait mes principes. Là, il s'agissait de ma vie et de ceux avec qui j'avais partagé plus d'un mois d'une vie agréable, même s'ils étaient des pirates. J'avais des amis en train de se battre pour atteindre la tête de ce type, je n'allais certainement pas les laisser tomber. J'allais mettre un terme à tout ça, ici et maintenant
- Nous allons voir ça, gamine !
Il me repoussa et enchaîna les attaques. Les coups pleuvaient, chacun enchaînant attaques, parades et esquives. Il devenait furieux à chaque coup qu'il portait et maniait parfaitement ses lames. Je reculai face à son déluge de lames, récoltant une estafilade près de l'aisselle et une autre sur la gorge. Je reculai d'un bond, surprise par sa soudaine opiniâtreté. Ce type savait se battre. Il me fixa un instant avant de lécher le sang encore présent sur sa lame, une lueur meurtrière dans le regard. Je me contentai de prendre la pose de la danse de l'Eclipse, lui tirant un sourire moqueur. Si je voulais le vaincre au plus vite, je ne devais pas me ménager et donner tout ce que j'avais.
Lorsqu'il se rua vers moi, je tournoyai, évitant son attaque tout en le frappant de ma lame une première fois, perçant son flanc. Sa lame ripa sur les écailles de mon armure et je tournai à nouveau tout en me baissant, passant sous sa deuxième lame, frappant son plexus solaire de mon bouclier, le forçant à reculer. Cette danse m'épuisait rapidement, aussi je ne perdis pas de temps et enchaînait, feintant vers son torse pour finalement percer sa cuisse laissée à découvert dans sa garde. Il enragea, répliquant aussitôt, traçant un sillon sanglant sur ma hanche, qui me ralentit et me fit grogner de douleur.
Je ne savais rien de la situation sur le pont et le combat contre Malfred m'accaparait complètement. Aucun de nous deux ne semblait prendre totalement l'avantage. Chaque coup porté était aussitôt renvoyé et, bientôt, je ne sentis plus mon bras gauche, lacéré en de multiples endroit. Le sang coulait jusqu'à ma main et gouttai doucement sur le sol. Lui avait le flanc percé, une épaule inutilisable et les deux jambes affaiblit, mais il ne cédai pas. Bien au contraire.
- Je vais adorer te voir crever en hurlant, en suppliant. J'ai hâte de t'entendre appeler ta mère au secours !
Parfois, je ne maîtrisais que très mal ce que je pouvais ressentir et à quelle intensité. Joie, bonheur, tristesse, colère. J'étais un sac d'émotions parfois trop violentes, parfois trop peu visibles. Mais le rire sans joie qui s'échappa de mes lèvres me surprit, tout comme lui. Comme si j'allais l'appeler, Elle, si je souffrais. Je me redressai, laissant tomber mon bouclier sur le sol, incapable de le tenir plus longtemps. Je devais en finir. Je n'allais plus tenir bien longtemps. Je fléchis les jambes, inspirai et fonçai à nouveau vers lui. Je feintai vers lui, mais il anticipa et ne tomba pas dans le piège. Sa lame s'approcha de ma gorge, mais, en me pliant en deux, elle passa au dessus de ma tête. Je donnai un coup de talon dans son mollet et tournai sur le côté, me trouvant derrière lui avant qu'il n'ait le temps de réagir. Je raffermis la prise sur mon arme, pris un pas d'élan et me jetai en avant, lame tendue. Il se retourna et je l'empalai en plein milieu de torse, le transperçant en le faisant brusquement reculer.
Un instant de flottement eut lieu. Hébété, il me fixa, les yeux écarquillés, puis leva la main. Je reculai, lâchant ma lame et son coup ne frappa que mon épaule gauche. La douleur me fit hurler alors qu'il l'entamait pratiquement jusqu'à l'os. Je m'écroulai presque alors qu'il retirai la rapière et la jetai sur le sol. D'une main, il m'enserra la gorge et me força à me redresser. J'avais les yeux embués de larmes à cause de la douleur, mais je voyais nettement le sang maculant le bas de sa mâchoire, tout comme je percevais son sourire carnassier baigné de sang. Sa prise se resserra sur ma gorge et je hoquetai, cherchant de l'air.
- Tu aurais dû obéir. Maintenant, tu vas me le payer.
(Yliria !! Yliria ta dague! Vite !)
Il leva son arme avec une lenteur délibérée, me forçant à observer son geste en tournant ma tête vers la lame qui se dressait pour me frapper. A la hâte, je cherchais ma dague, restée à ma ceinture. J'en saisis fermement le manche et la plantai violemment dans le cou de cet enfoiré. Il eut un spasme et un filet de sang abondant quitta sa bouche. Je frappai à nouveau, plusieurs fois, partout où ma main pouvait porter. Il me lâcha et je retombai au sol en criant de douleur, emportant ma dague avec moi. Recroquevillée, je tremblai de douleur et eut un mal fou à concentrer mes fluides. Après trois essais me laissant au bord de l'évanouissement, je parvins enfin à générer mes fluides avec suffisamment de précision pour que mon épaule se referme. La douleur reflua, sans pour autant disparaître, mais je pus me redresser sans tourner de l’œil.
Malfred, lui, était déjà mort, étendu sur le sol, immobile, les yeux ouverts mais sans vie.Je me forçai à me relever et me traînai jusqu'à lui pour lui prendre son sabre et son chapeau orné d'une plume noire. Je m'accoudai au bastingage, hurlant par dessus la cohue
- Malfred est mort ! Le combat est terminé !
De nombreux visages se tournèrent dans ma direction alors je jetai sur le pont le chapeau plein de sang et le sabre. Un des pirates de Malfred s'empara du chapeau et me dévisagea avant de laisser tomber son arme. D'autres suivirent son exemple. Désormais sans capitaine, les pirates de Malfred n’avaient plus vraiment de raison de se battre et les quelques récalcitrants, peu nombreux, furent rapidement maîtrisés. Le combat était terminé. Et moi j'étais épuisée lorsque je m’affaissai contre la balustrade du château. J'espérai que c'était bel et bien fini.