VIII 20 Les choses ne se passent jamais comme on l'entend
IX 1 Une très mauvaise destination
Le voyage est assez court. Il y a eu en vérité peu de temps passé en dehors de sa boule à neige. Que ce soit pour manger et assouvir quelques besoins élémentaires, je n’ai eu de cesse d’observer le contenu de l’objet magique qui me permet d’échapper à la réalité. Dure et douloureuse réalité. Incapable d’ôter mes yeux de la boule à neige, la méditation habituelle devient un sommeil atteint uniquement par une fatigue bien trop forte. Mes yeux se ferment enfin, mais laissent place à la rêverie. Je revois les derniers instants avant de prendre le transport volant. Sylve, le visage criblé de tristesse pour ne pas avoir été présente lors de l’attaque des siens à Oranan contre Oaxaca et son armée. Au lieu de cela, elle est venue me chercher et une suite d’événements fortuits l’ont conduit à passer des jours en geôle au lieu de se battre, de défendre sa patrie. Elle ressent une profonde colère pour n’avoir pas pu participer à la défense des siens. Et cette colère, s’est dirigée contre moi de la plus terrible des façons : en forçant nos chemins à prendre des directions différentes. Moi qui étais prêt à lui dévoiler les sentiments à son égard, à lui ouvrir mon cœur, je suis tombé bien bas. Si bas et incapable de me relever.
Ces images ne cessent de tourmenter mon sommeil et c’est fatigué que je ressens le choc de l’atterrissage. On vient me chercher, comme le reste des passagers. Au moins, la douleur s’est amoindrie dans mon cœur, ne laissant qu’une honte profonde de moi. Si mon moral est réduit à néant, j’ai un devoir de m’occuper de Mange-Botte. En rassemblant mes affaires, je remarque que je n’ai pas pris le temps de vérifier le contenu de ma chaussette de No-Hell. Peut-être vais-je recevoir de quoi apaiser ma douleur. A l’intérieur se trouve un appeau, un simple appeau. Je souffle à l’intérieur et…rien, si ce n’est un oiseau qui se dépose sur le rebord de ma fenêtre. Je le chasse en brassant l’air devant lui, mais il n’esquisse aucun geste d’esquive. L’attraper me serait tellement facile. Peut-être est-ce là la capacité de mon cadeau, attirer un animal à moi. Il pourrait même se laisser faire si je l’attrapais pour m’en faire un repas. Me disant que je m’en assurerais plus tard, je termine de rassembler mes affaires et m’en vais retrouver mon Corgy géant, avant de débarquer au sol. Un terrible froid nous accable à la sortie. Autour de nous, une plaine immense, un énorme zone d’eau et au vu de l’agitation des vagues ce doit être l’océan. Ailleurs, c’est une importante forêt que je distingue. Le seul point réconfortant reste la cité que je vois. Grâce à Mange-Botte, il ne me faudra que peu de temps avant de l’atteindre. Une auberge tenue par un bon feu de cheminée, un repas chaud, pour revigorer le corps nous y attend certainement. Je pourrais me prémunir du froid grâce à mon bonnet, cependant cela ne serait pas acceptable envers Mange-Botte qui ne jouit pas de ce luxe et malgré mes tentatives, le bonnet magique ne reste pas en place sur sa tête. Peut-être que j’affronte le froid par respect envers ma monture ou bien pour me punir d’une certaine manière, mais nous avançons en direction de la cité.
Sur la route, l’idée de faire demi-tour et de demander aux Sindeldi le lieu où nous sommes prend une place considérable dans ma tête. Je croise cependant un groupe de soldats en armure non loin de moi, chevauchant des montures. Eux seront en mesure de répondre à mes questions, même la stupide: On est où messieurs ? Ma venue les alerte, car tous se tournent dans ma direction en me remarquant. Je continue sans m’inquiéter, même lorsque l’un d’eux tend sa main avec un bâton pointé vers moi. En revanche, les choses deviennent plus sérieuses lorsque de nombreux soldats se dirigent dans ma direction aux triples galops. Tandis que l’incompréhension se mêle à une envie de vite décarrer d’ici, Mange-Botte couine et trébuche soudainement en avant. M’entraînant avec lui, je me fais désarçonner et roule sur le sol gelé.
Le temps de reprendre mes esprits, les soldats ont dégainé leurs lances et se ruent sur moi. Craignant de ce qu’ils vont nous faire, à moi et Mange-Botte, je monopolise tous mes fluides pour générer un bouclier de terre autour de moi et ma monture. Ils s’en sont pris à lui pour nous arrêter sans sommation, ils n’hésiteront pas à recommencer. Alors que mon sort fait apparaître une gangue de terre autour de nous, dans le même temps un jet d’eau m’atteint, comme si on venait de me jeter un seau d’eau. Si mon bouclier n’est en rien affecté, l’eau se comporte de manière étrange. Comme si elle était mue par une volonté propre, elle s’immisce dans les pores de mon bouclier, traverse mes vêtements et se fraie un chemin en pénétrant dans mon corps. Tandis que cela ne me blesse en aucune façon, le froid mordant de l’environnement me paraît plus important, mais c’est surtout une l’intense faiblesse qui me gagne soudainement et attise mes craintes. Mes membres me paraissent plus lourds, à moins que ce ne soient mes muscles qui s’affaiblissent. Je suis encerclé par les soldats, leurs lances pointées dans ma direction et prêt à vérifier si je suis bien un être de sang en m’embrochant de part en part. Très clairement, je perçois dans leurs visages une haine profonde en me regardant. Il ne faudrait qu’un acte de ma part, même mal compris, pour passer de vie à trépas. Je vois mes derniers instants arriver, lorsqu’un homme se dresse en chef du groupe, ou plutôt un Earion, à sa peau.
"Du calme messieurs ! On ne tue personne." Clame-t-il, me soulageant d’un horrible poids.
"D’abord on le torture et ensuite, on l’élimine !"
Finalement, me tuer est presque une opportunité intéressante. Je pourrais me montrer hostile, m’en prendre à eux, mais tandis que je me fais dépouiller de tous mes effets personnels, me laissant juste de quoi dire que je suis vêtu, une question ne cesse de me hanter : Où suis-je bon sang ? Face à moi, je détaille les hommes avec attention. Ce ne sont pas des humains, mais des elfes. Des éarions et des hinïons pour être exacte. Un climat froid, une cité elfique avec une telle mixité et une haine farouche des Shaakts. Je ne peux être qu’à un endroit possible.
"Lebher !" Fais-je dans un murmure.
"La cité bleue et blanche !" Déclare le chef du groupe.
"Tu vas apprécier notre hospitalité. Du moins, le temps qu’il te reste à vivre…Shaakt !" Termine-t-il en lâchant toute sa haine dans le nom de ma race, comme une insulte.
Sans plus attendre, on me ligote fermement les mains, tandis que mes pieds jouissent de la liberté de me rendre jusqu’à la cité. Mange-Botte est emmené de force et obtempère docilement sous la pression de nombreux chevaux. Moi, je me maudis de nous avoir conduit ici, mon regard va et vient dans tous les sens, cherchant un moyen de me tirer de cette situation. Hélas, je ne constate que dans le groupe qui m’a fait prisonnier, l’un d’entre eux scrute mes moindres faits et gestes. Il va me falloir faire preuve de prudence et de saisir la première occasion pour nous tirer de cette mauvaise situation.