Rassemblements
Je m'attendais à retourner sous terre, mais ce ne fut pas le cas. Au lieu de ça, en dépassant le col, je vis une chose à laquelle je ne m'attendais pas : de la neige. Les pics étaient si élevés pour certains que leurs sommets étaient blancs. Je plantai une seconde devant, avant que mes yeux n'accrochent un campement. Un très grand campement sur les pentes du plus proche des volcans qui crachait des panaches de fumées, comme s'il allait se réveiller. Je sentis une main se poser sur mon épaule et tournai la tête pour voir Jabalh'Yr me sourire avant de m'expliquer que ce lieu était nommé « Mulciber » et était la grande forge de leur peuple et que la tribu de Meno était chargée de son fonctionnement, même si presque tous les Eruïons venaient apparemment y travailler un jour ou l'autre. J'étais curieuse à propos de l'endroit, mais surtout, j'avais hâte d'y arriver pour enfin poser mes affaires et m'affaler dans un coin pour dormir.Le bâillement que je retins difficilement quelques minutes plus tard fit sourire quelques Eruïons, mais il n'y eut aucun commentaire, tout le monde était épuisé.
Il nous fallut près d'une demi-heure supplémentaire pour atteindre le campement qui ressemblait quelque peu à une petite ville de fortune. Il y avait bien quelques maisons pierre, mais la majeure partie des habitations étaient des tentes bricolées avec les moyens du bord, protégeant néanmoins leurs habitants du soleil et de la chaleur. Je fus frappée par le nombre d'Eruïons présents. Des centaines, peut-être même plus d'un millier, et autant de Rakhaunens. Ceux-ci ne quittaient pas leurs armures noires, à se demander s'ils vivaient avec en permanence. Ce détail me fit comprendre que c'était là le rassemblement d'une armée. Rien d'étonnant en soi, mais l'imaginer et le constater, ce n'était pas la même chose. Lorsque nous arrivâmes aux premières tentes, les Rakhaunens s'en allèrent retrouver les leurs et Mahal désigna un autre groupement de tente qu'occupaient déjà des membre de la Tribu de Moura. Enfin, nous allions pouvoir nous reposer. Alors que je suivais le mouvement, elle m'interpella, me demandant d'aller la voir une fois reposée. Je hochai la tête et elle s'éloigna vers l'une des bâtisse en pierre alors que j’emboîtai le pas des Eruïons vers la zone du camp qui nous était destinée.
Jamais je n'avais été aussi heureuse de profiter d'une tente bricolée et d'un couchage inconfortable. J'enlevai chaque pièce d'armure que je possédais, regardant en soupirant ce qu'il restait de ma jambière déchirée par les griffes du fauve. J'espérais qu'ils allaient pouvoir m'aider à la réparer, elle était foutue. Mes brassards ne valaient guère mieux et je posai le tout avec mes affaires dans une petite tente, la partageant avec des Eruïonnes qui m'avaient gentiment invité à venir avec elle. Je m'effondrai rapidement sur ma couche, les muscles douloureux et les yeux piquants. J'étais enfin au calme. Alyah me chuchota qu'elle veillerait sur mon sommeil et, sans perdre de temps, je m'endormis sans m'en rendre compte, imperméable aux bruits qui régnaient pourtant autour. Je me réveillai ce qui me semblait être un instant plus tard, pourtant le soleil avait largement eut le temps de décrire un arc dans le ciel, ayant entamé sa descente alors que je me redressai en baillant. J'avais mal partout, à cause de courbatures, mais au moins je ne risquai plus de m'effondrer à chaque pas. Et j'avais faim. Je grignotai rapidement ce qu'il me restait de rations et me levai en laissant échapper un gémissement de douleur. Les courbatures ne me réussissaient visiblement pas.
Je sortis néanmoins, l'esprit encore embrumé, autant par le sommeil que la chaleur qui régnait toujours dans cet endroit. Le camp était très actifs, les Eruïons et Rakhaunens vaquaient à leurs occupations dans un désordre bruyant et je mis quelques secondes à totalement m'habituer aux bruits. Je devais retrouver Mahal maintenant, mais où la trouver ? Je balayais les alentours des yeux, comme si cela allait m'aider, avant qu'une voix dans mon dos ne me fasse sursauter et me retourner.
- Yliria, c'est ça ? Tu cherches Mahal ? Viens, je vais te montrer.
L'Eruïonne, en armure rouge, me servit de guide au cœur du labyrinthe de tentes que formait le campement. Les préparatifs semblaient occuper la majeure partie des habitants et bien peu étaient inactifs. J'étais à la fois curieuse et anxieuse de savoir ce qu'ils préparaient. La guerre n'avait jamais eut un goût aussi réelle, et cela asséchait ma gorge rien que d'y repenser. Je devais agir, mais faire quoi ? J'étais toute seule, sans appui, sans plan, sans qui que ce soit qui semblait partager mes craintes concernant le conflit à venir. Cela semblait tout simplement perdu d'avance. Et pour arranger tout ça, je ne savais pas comment rentrer, comment retourner vers l'Ordre, ni si je pouvais le faire après ce qu'il venait de se passer. J'avais techniquement rempli la mission de Sylënn, mais j'étais coincée ici... je sortis de mes pensées lorsque l'Eruonne me désigna une tente et m'invita à y entrer. Je la remerciai et écartai la tenture pour pénétrer à l'intérieur, surprenant une Mahal assise en tailleur, visiblement en pleine réflexion. J'hésitai à la déranger, puis l'appelait doucement. Elle tourna sa tête vers moi et sourit d'un air las avant de m'inviter à m'asseoir, ce que je fis, hochant la tête lorsqu'elle dit imaginer que j'avais des questions.
- Quelques-unes oui... même si j'ai compris beaucoup de choses depuis notre départ. C'est la présence des Rakhaunens qui a incité votre peuple à partir en guerre, n'est ce pas ? D'où viennent ils ?
- Sans eux, nous n'aurions aucune chance, comme toi et ton amie le remarquiez voilà quelques jours. Les Rakhaunens sont natifs du Naora, jadis ils habitaient l'île de Tolénya, mais comme nous ils en ont été chassés par les Sindeldi. Aujourd'hui ils résident dans les montagnes Grises, ainsi qu'ici, dans l'Akuynra.
- Tout ça dépasse ce que j'envisageais... je me sens stupide de vous avoir demander d'arrêter cette guerre. Qu'allez vous faire maintenant ?
- Avec ou sans nous les Rakhaunens attaqueront les Sindeldi, leur rancune est immense et leur armée puissante, assez sans doute pour mettre la domination des Sindeldi en péril. En nous alliant à eux, nous avons un bon espoir de changer nos conditions de vie, le seul espoir sans doute. Pouvons-nous nous permettre de le laisser passer ?
- Je... j'imagine que non... Ce n'est pas à moi d'en juger, après ce que je viens de faire.
Je soupirai en me grattant la joue, gênée. Cette conversation me mettait un peu mal à l'aise. Qu'est-ce que je pouvais dire face à ça ?
- Comme je vous l'ai dit, je comprends votre combat, j'aurai juste aimé trouver une autre solution, mais visiblement c'est trop tard. Ces Rakhaunens, que vont-ils faire du peuple Sindel selon vous ? Ceux qui ne sont en rien responsables de cette situation et qui la subissent
- Se défendre, comme tu viens de le faire, est une chose. Mener une guerre en est une toute autre. Quant à ce que les Rakhaunens envisagent de faire des Sindeldi... je l'ignore. Mais j'ai vu la haine qu'ils leur vouent, je ne crois pas qu'il y ait la moindre pitié à attendre d'eux.
- C'est ce que je craignais... Et je doute que discuter avec eux suffira. Les massacrer ne servira pas leurs intérêts. Les Sindeldi sont divisés, s'ils commencent à les massacrer leur peuple se soudera et les Rakhaunens auront plus de mal à gagner une guerre déjà difficile... ont-ils la moindre idée de la situation actuelle dans le pays ?
- Ni les Rakhaunens ni nous ne savons vraiment ce qui se passe chez les Sindeldi. Tu dis qu'ils sont divisés, mais crois-tu réellement que cela pourrait changer quelque chose pour nous? Qu'une partie d'entre eux se rangerait à nos côtés, ou du côté des Rakhaunens, si nous utilisions d'autres moyens que la guerre?
- Les pauvres, les réfugiés, ceux qui sont emprisonnés injustement par un clergé qui les oppresse. Tous ceux-là seraient probablement ravis de voir tomber ceux qui les dirigent, et ils sont des milliers. Même des nobles et personnes importantes essaient de faire bouger les choses. Vous allez juste donner raison à des millénaires d'endoctrinement et de racisme et vous mettre toute la population sur le dos en tuant sans distinction. Je ne sais pas s'ils se rangeraient de votre côté, et sans doute pas d'un claquement de doigt, mais eux aussi aspirent probablement à une vie meilleure, comme vous.
Cela la laissa silencieuse et pensive quelques instants. Juste instiller la possibilité de faire autre chose me suffirait, c'était toujours ça de pris. Mais sa réponse me prit de court.
- Dis-moi : que ferais-tu, si tu étais à ma place?
- Je... je ferais juste ce que je fais déjà en permanence, montrer que ce n'est pas parce que je suis une shaakte que je suis forcément mauvaise comme on le prétend. Donc faire pareil avec le peuple Eruïon, montrer qu'on peut cohabiter sans s'entretuer, trouver du soutien parmi les Sindeldi, essayer de trouver un terrain d'entente. La guerre ce serait en dernier recours, parce que je n'aime pas tuer, je n'aime pas voir d'autres mourir. Mais si vraiment la guerre est la seule et unique option après avoir tout tenté... si j'avais le bien être d'un peuple sur mes épaules...j'imagine que je n'aurai pas le choix si tout échoue. Après... je ne suis pas certaine que j'écouterai entièrement une adolescente étrangère sortie de nulle part ...
J'avais réfléchis quelques minutes avant de dire ça, mais je n'étais pas vraiment certaine que j'aurai agi ainsi. C'était bien trop complexe pour que je saisisse tous les enjeux d'une telle situations.
- J'écoute, et entends, les avis de ceux en qui j'ai confiance. Nous ne pouvons cohabiter pacifiquement, parce que nous ne pouvons survivre dans le désert sans ce que nous prenons aux Sindeldi. Ils nous ont condamnés à mourir lentement dans le désert, comme les bannis de Raynna. Et voilà qu'un peuple entier ressurgit de terre après avoir été quasiment exterminé, armé pour la guerre, prêt à se battre contre nos ennemis pour reconquérir sa liberté et ses terres. Mon peuple en rêve depuis tant de temps que l'espoir s'était presque éteint, mais le voici qui brûle à nouveau. Quoi que je décide, des Tribus Eruïonnes se joindront aux Rakhaunens. Puis-je refuser aux miens le droit de se battre, dans ces conditions?
- Probablement pas. J'aurai probablement fait pareil si j'étais née parmi vous, obligée de lutter pour survivre dans ce désert. C'est juste... en connaissant autre chose je sais que ce n'est pas la bonne solution, c'est tout. Si vous assistiez à une guerre d'ampleur entre deux peuples et que vous pouviez tenter quelque chose pour l'empêcher, n'auriez vous pas essayé ?
- Si, sans aucun doute. Je ne crois pas que la guerre puisse être évitée, les Rakhaunens sont très... déterminés. Mais peut-être serait-il possible de l'écourter, de la minimiser, si les Sindeldi étaient prêts à faire de sérieuses concessions. J'ai personnellement les mains liées, je me dois à mon peuple, mais ce n'est pas ton cas. Fais ce que tu penses être juste, et sache que tu as ma confiance.
- Merci Mahal... Je ne la trahirai pas, je ferai de mon mieux. Que veulent les Rakhaunens, d'ailleurs ? Hormis leur revanche. Votre peuple a besoin de vivre dans un lieu plus propice que ce désert, et en paix, mais eux ?
- Ils veulent avant tout la vengeance, elle est tellement importante à leurs yeux que toutes les traditions de leur peuple sont basées là-dessus. Ils veulent aussi retourner dans leurs montagnes natales, d'après ce que j'ai compris, sur l'île de Tolénya. C'est un peuple très secret, je ne sais que peu de choses sur eux, en réalité.
- Je vois.. s'ils ne veulent que ça, les raisonner sera encore plus difficile... De ce que je sais, les Sindeldi ont complètement oublié ce peuple. Ils ont découverts des mines inconnues, qui devaient leur appartenir, mais n'en savent guère plus. Enfin ça c'était à mon départ, ils ont probablement commencé à chercher à présent. Les Rakhaunens devraient se montrer prudents s'ils veulent rester cachés. Et vous avez mentionné Raynna, c'est de là que viennent ceux qui nous ont tendu une embuscade. Ils risquent de donner l'alerte non ?
- Les Sindeldi ont oublié beaucoup de choses qui ne les arrangeaient pas. Le temps où les Rakhaunens se cachaient touche à sa fin. Ils sont presque prêts à lancer leur guerre, peu importe maintenant que les Sindeldi soient prévenus. Ils n'ont pas la moindre idée des forces qui vont s'abattre sur eux, cette armée que tu vois ici n'est qu'une modeste avant-garde.
- Je ne suis pas certaine de vouloir assister à ça... néanmoins... Puis-je rester avec vous ? Pour le moment du moins, le temps de sortir du désert ? Après ça, je m'efforcerai de trouver une issue rapide à cette guerre.
La voir me sourire me fit plaisir, quelque part. Elle disait me faire confiance et je voulais juste être à la hauteur. Si vraiment la guerre était inévitable, je voulais au moins faire quelque chose.
- Tu es la bienvenue parmi nous, aussi longtemps que tu le désireras. Dans trois jours nous nous mettrons en route.
- Merci. Si je peux faire quoi que ce soit, n'hésitez pas, je saurai pas trop quoi faire d'ici là.
Je lui rendis son sourire avant de la laisser. J'avais en quelque sorte réussit à comprendre son point de vue, et à lui faire comprendre le mien, à instiller un peu d'espoir. Je devais persévérer, puis trouver une vraie solution.