Le dernier caillou sur mon chemin reçoit sa juste rétribution, un effet draconique d'eau le déséquilibre, me permettant de le frapper de plein fouet de ma magie. La créature s'évanouit comme ses comparses dans un effet de flammes, non sans proférer encore quelque menace à notre encontre. Franchement, pour qui se prend-il ? Il ne sait rien de moi, de toute façon. Et vu le nombre d'arrivants dans cet endroit, même si je devais un jour perdre ma lutte face à la mort, il peut toujours courir pour me mettre ses sales griffes dessus ! Je hausse légèrement les épaules en constatant que le blondinet aide le Phénix à se défaire de ses chaînes, ignorant les remerciements de la créature flamboyante. J'ai juste hâte d'en finir avec toute cette histoire, surtout quand un picotement sourd et désagréable se rappelle à mon bon souvenir depuis mon torse. J'espère franchement ne pas attraper je ne sais quelle saloperie, à me promener avec une plaie suintante dans un endroit littéralement grouillant de choses mortes.
C'est après avoir ramassé et rangé mon arbalète en m'efforçant de refouler toute la violence à laquelle j'ai laissé libre cours pendant ces dernières heures que je vais comme les autres de l'avant, à travers un dernier pont. Il donne sur une falaise noire gigantesque, percée d'une porte beaucoup trop grande à mon goût. En bas, des spectres jouent les insectes en formant une sorte de construction cherchant à escalader la paroi vers la porte. Ils grimpent pas mal, mais sont retenus par des volatiles à trois mirettes. En revanche, les silhouettes qui nous précèdent sur le pont n'ont pas l'air plus dérangées que nous. Parmi elles, je reconnais certains faciès que j'ai envoyé au trépas en leur ordonnant de lutter contre les bestioles de la faille. Je ne connais pas leur nom, et je m'en fiche. Je m'aperçois juste qu'ils n'ont pas l'air rancuniers, soufflant des remerciements et offrant des regards tranquilles au piaf de feu. Je me demande brièvement si l'aldryde mâle m'ayant servi de guide et fini en grillade comme les géants a déjà passé ces ponts ou si, comme la masse de la troupe de Dae'ron, il est encore en bas. N'ayant aucun moyen de répondre à cette question, je reporte mon attention plus loin.
Un frisson lent et désagréable agrippe ma nuque et se cramponne tout le long de mon dos. Une forme encapuchonnée et sans visage est assise sur un trône, me causant une sensation étrangement familière. J'ai la certitude de connaître cette créature, de l'avoir approchée bien des fois au cours de mon existence alors que jamais je n'ai aperçu cette forme auparavant. L'aura de ce que je vois a beau s'apparenter à ce que je ressens parfois en plongeant le regard dans mon orbe sombre, chaque fibre de mon être refuse de reconnaître et de nommer ce qui saute aux yeux. Muet et réticent, je m'avance en même temps que les autres quand le Phénix s'approche pour saluer la créature. Je déglutis lentement et presque douloureusement quand le nom de Phaïtos est prononcé. Un de ces foutus dieux... Je fais face à un de ces lâcheurs qui m'a toujours laissé à mon sort, et je suis contraint de subir son bon vouloir ! Je grimace sans retenue en dardant un regard perçant sur le piaf de feu quand j'entends ce dernier dire que nous sommes morts avec lui donc renaîtrons avec lui également. Un sourire en coin remplace mon air courroucé. Pourquoi suis-je étonné ? Après tout, c'est un dieu, même étranger. Ils ne m'ont jamais rien apporté de positif dans mon existence, je n'ai pas à être étonné qu'il ait joué avec ma vie à ce point-là.
Mes plumes se hérissent quand le dieu assis prétend savoir tout ce qui nous est tombé dessus ces derniers temps. Mais le plus amer vient de son idée stupide de m'appeler un héros, comme les deux autres. Va falloir arrêter avec ce terme. Je ne suis pas un héros ! D'autant que le mot ne fait que me rappeler cet imbécile de soi-disant immortel ! Par contre, je hausse légèrement un sourcil en entendant la créature gérant les Enfers être quelque peu soulagée de savoir que les anciens pactes ne sont pas tous bafoués. Ah. Est-ce à dire qu'il y a
encore quelque chose de cette nature se profilant à l'horizon ? D'autres accords avec des entités étrangères dont plus aucun mortel n'a la trace, sauf un culte ou deux tellement reculé que plus personne n'en a entendu parler ? Par mes ailes, est-ce que cela risque encore de me tomber dessus sans prévenir ?!
J'amène lentement la main à mes yeux, pinçant l'arête de mon nez avec exaspération. Un frisson nouveau me dévale l'échine, attirant mon regard immédiatement vers la figure sur trône. Je ressens un poids énorme sur ma conscience, un danger exacerbant mon instinct de survie à son paroxysme. Je
sens plus que je comprends faire face à ce que j'ai esquivé de peu à de nombreuses reprises. J'ai l'impression de n'être qu'un élément infime et dérisoire face à une puissance écrasante et bien réelle. Je suis devant un dieu... Un vrai... Capable de terrasser sans avoir à se mouvoir ou de repousser les griffes de la mort, comme je le perçois faire quand une oppression certaine se défait de mon corps. Bon nombre de sceptiques verraient dans cette rencontre la preuve que ces saloperies divines existent bel et bien encore, ou développeraient une foi spontanée et viscérale pour celle-ci. Mais moi... Moi, je me révolte une fois de plus. Par sa nature même, cette chose domine mes pensées et mon existence, et cela me répugne ! Dieu ou pas, je refuse de me sentir inférieur ! Je veux partir d'ici ! J'en ai assez d'être traité comme un aldron à qui on fait une fleur ou qu'on tolère alors qu'il se tient mal !
Je reporte mon regard sombre vers le piaf, l'écoutant à peine annoncer qu'il va nous sortir de là une fois la fontaine invoquée. Je fronce les sourcils à sa proposition de changer quelque chose à mon corps lors de mon retour. Couleur de tignasse ou ancienne blessure ? Peuh ! Ce serait temporaire, de toute façon. Le Crapaud ne cessera jamais son influence sur mon corps, que ce soit par le coloris ou la sensation fiévreuse qui fait maintenant partie de moi. Je suis un aldryde sombre et corrompu, je le sais, inutile de chercher à le masquer sous une apparence neutre. Je n'ai aucune envie de passer pour un aldryde lambda de toute façon. Quant à mes cicatrices... Je porte la main à celle de mon visage, l'éraflant du bout des ongles. Immédiatement, le souvenir de ce qui l'a engendré me revient, ravivant ma hargne et me donnant l'énergie de continuer ma route.
Non, je ne me déferai d'aucune trace. Elles sont la preuve de ce que j'ai vécu et à quoi j'ai survécu. Et puis, cela donne à mon Protecteur un sujet de conversation. Cela m'amuse assez d'ailleurs, de le voir hésiter à poser la question quand il touche à l'une d'entre elle, curieux d'en connaître l'origine mais redoutant que je prenne la chose de travers. Et puis, cela voudrait dire que j'accepte d'être modelé par une foutue divinité. Hors de question d'avoir quoi que ce soit de plus à voir avec ces maudites aurores ! Je me demande quand même si la blessure que je ressens actuellement persistera une fois dehors.
"
Sans façon.", dis-je avec juste assez de mordant pour rappeler qui je suis.
Par mes ailes, que de palabres inutiles ! Je veux partir !
[Suite]