<< Précédemment
Le regard peu amène que le forgeron posa sur moi me fit froncer les sourcils mais au moins il ne dit rien, se contentant de jeter un œil à ce que j'avais posé sur le comptoir. Évidemment l'octaèdre d'Olath l'intéressa et il semblait surpris que je puisse en posséder. Sa méfiance s'accrut d'un cran, comme s'il pensait que je l'avais obtenu d'une manière douteuse. Après un soupir, je lui racontais, sans détail, mon escapade dans le manoir et cela sembla lui suffire. Peut-être en avait-il entendu parler, peut-être qu'il se fiait à mon timbre de voix, puisque j'étais parfaitement honnête. Toujours fut-il qu'il accepta et me demanda de revenir le lendemain. Je sortis après un hochement de tête.
- Pas commode cet humain.
Je haussai les épaules. J'avais vu tellement pire que quelqu'un de simplement peu agréable semblait presque normal à mes yeux. Nyllyn n'aimait pas que les gens me regardent de travers et chaque fois elle essayait de m'encourager à réagir, mais c'était un combat perdu d'avance.
- Mais tu n'essaies même pas !
- Si je dois argumenter à chaque fois qu'on me regarde mal, je serai morte avant d'avoir pu faire changer d'avis tous les gens que j'ai déjà croisé ! Crois-moi, ça n'en vaut pas la peine. J'y suis habituée.
- Tu mens vraiment très mal. Ça se voit que ça te gênes !
- Bien sûr que ça me gêne, mais je n'y peux rien. Je suis trop similaire à une Shaakte pour que les gens fassent la différence. S'il essaient !
- Je trouve ça injuste, c'est tout...
Je ne pus m'empêcher de lui sourire tendrement.
- Les gens qui comptent savent ce que je vaux, ça me suffit. Et puis peut-être qu'un jour je serai connue et on me verra autrement..
- Vrai que tu adores être sur le devant de la scène...
Je grimaçai face à son ton sarcastique. Elle n'avait pas tort, mais parfois le bouche à oreille filait plus vite qu'on ne pouvait l'imaginer. Si Makan avait entendu parler de ce que j'avais fait au Naora, je pouvais me dire que bien d'autres en avait eu vent. Au final cela importait peu dans l'immédiat. Du moins je l'espérais.
Le lendemain, je retournai chez le forgeron qui déposa les objets sur le comptoir. Un large sourire orna mon visage en voyant ce que ma dague était devenue. Un vrai petit bijou comparée à ce qu'elle était avant. Elle semblait plus que neuve et en parfait état. Je la saisis délicatement, un peu émue en me souvenant de ceux qui m'avaient ouvert la voie dans cette vie et m'avaient offert ce cadeau. Le forgeron expliqua en détail ce qu'il avait fait et se montra perplexe face au fourreau. Ou du moins la raison de sa conception.
- Je voulais juste la protéger dans mes voyages. Et puis c'est moins voyant.
Car le fourreau était splendide, certes, mais très discret. D'un noir de jais surmonté d'une boucle en argent, il était absolument parfait et s'accordait étonnamment bien avec mon armure rouge sombre. Je rengainai aussitôt ma rapière à l'intérieur et sourit à nouveau, satisfaite de voir qu'elle s'y insérait parfaitement. Je déposai la somme demandée, 525 yus, sur le comptoir et il poussa vers moi les fioles d'entretien, en m'expliquant laquelle servait à quoi et je le remerciai, mais n'obtint rien de plus qu'un regard indifférent. Soupirant, je sortis de la forge, malgré tout contente de moi. Je rangeai ma dague et ne pus m'empêcher de garder la main sur mon fourreau accroché à ma hanche. Ça avait toujours quelque chose de satisfaisant d'avoir un nouvel objet à soi. Nyllyn se montra finalement curieuse, voulant savoir cette lubie que j'avais eu.
- Hmm... Comment expliquer... Le fourreau c'est pour me souvenir de ce manoir et tout ce qui y est lié. Une part de noirceur en quelque sorte. La plupart des objets que je porte ont une histoire, un lien avec quelqu'un ou quelque chose et je ne m'en séparerai jamais.
- Vrai ? Vas-y raconte ! Cette dague par exemple, tu as l'air d'y tenir.
- C'est un cadeau. Les premières personnes à m'avoir acceptée et qui m'ont fait me sentir appréciée après le départ de mon père. Je ne m'en séparerai pour rien au monde.
- Tu en as d'autres comme ça ?
- Oui. Mon serre-tête c'est un cadeau de mon père pour mes vingt-cinq ans. Il ne me quitte jamais,. A part mes yeux et ma mèche noire, c'est la seule chose qui me reste de lui. Le reste c'est plus récent. L'armure c'est pour me souvenir de ce que j'ai fait dans le désert et me rappeler d'y retourner un jour. Stelarhys et Solarhyss sont liés au Naora et à Tanaëth, on a affronté la mort ensemble et je les y ai obtenu en cadeau. C'est peut-être idiot, mais je suis attaché à tout ça... même mon diadème, c'est ma première récompense de l'Opale, tu vois.
- Tu aimes la nostalgie toi.
- Un peu, j'admets. J'essaie de ne jamais oublier ce que j'ai fait pour en arriver à aujourd'hui. Après je ne porte pas tout sur moi. Ma tenue de danse est liée à Lichia par exemple, donc je la garde aussi.
- Mmh... Et moi ?
Je souris et sortis le collier de l'Opale, la faisant hausser un sourcil.
- Vraiment ? Ce n'est pas l'Ordre ?
- Je ne le vois pas comme ça. Oui il représente l'Opale, mais c'est lui qui nous a réunis et grâce à cela qu'on est devenues amies. Donc il te représente, pour moi.
- C'est à la fois beau comme façon de faire... Et un peu étrange et triste. Tu ne penses pas être trop dans le passé ? 'Fin... Tu y prêtes peut-être trop d'attention...
- Je ne sais pas... peut-être... mais ils ont une valeur à mes yeux. Alors même s'ils ne sont plus en état un jour, je les conserverai. Peut-être pas dans cette forme, mais je les garderai.
Elle resta silencieuse un moment après ça, un sourire aux lèvres. L'idée lui semblait étrange, certes, mais elle lui plaisait tout de même. Je n'y avais jamais vraiment réfléchi, mais j'avais toujours gardé quelque chose au fil de mes aventures. Une étoffe du temple de l’île, une arme, un bijou. Toujours quelque chose pour me souvenir. Les souvenirs, c'était tout ce qu'il me restait de tant de moments de ma vie, je ne voulais pas qu'ils disparaissent à leur tour. Je me rendis compte que ça m'effrayait, de penser que peut-être, un jour, j'oublierai. Je voulais tout faire pour ne pas que ça arrive.