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par Kymil » sam. 17 mai 2025 22:20
Kymil se réveilla sur un lit de paille épais. Elle avait chaud et mit quelques secondes à deviner où elle était. Elle se souvint s’être assoupie pendant le voyage et eut quelques souvenirs flous d’un hameau plein de voix et de cris forts et animés. Elle passa une main à son cou et la mémoire lui revint aussi à ce propos. Une jeune elfe avait passé du temps à s’occuper de sa blessure, elle se souvint de ses gestes doux, de sa voix crispée et de quelques mots blessants quant à son physique. Elle se redressa doucement et s’assit au bord du lit. Plusieurs lits identiques étaient disposés les uns à côté des autres le long d’un mur. Deux autres lits étaient occupés par des elfes endormis. Blessés pendant la traque, ils avaient été soignés comme kymil. Il y avait une petite fenêtre à demi ouverte au fond de la pièce afin de garder la pièce des malades aérée et une entrée sans porte en face des lits.
Kymil quitta ses couvertures et se vêtit de sa cape posée à ses pieds. Sans bruit elle sortit de la chambre et suivit un couloir jusqu’à un escalier. Des voix provenaient d’en bas, plutôt enjouées et gaillardes mais tous parlaient ce dialecte inconnu.
La chaleur qu’elle avait ressenti jusqu’à l’étage provenait du foyer d’une cheminée centrale, immense et aux pierres noircies, de nombreux brocs et broches pour la viande étaient placés tout autour. Des peaux de bêtes étaient disposées un peu partout dans la pièce sur le parquet de bois, autour d’une table basse. Les elfes s’asseyaient à même les peaux pour manger, boire et discuter.
Lorsqu’elle arriva en bas elle fut accueillie par le chasseur avec qui elle avait partagé la monture. Il se félicita de la voir déjà debout et insista sur ce point en taquinant un elfe plus vieux vêtu d’une large toge épaisse et décorée de motifs végétaux.
« Vois Öbronn ! N’ai-je pas prédit qu’elle serait vite sur pied. Les crocs ont touché les muscles à la base du cou, il n’y avait aucune crainte à avoir quant à la quantité de sang perdu. Elle s’est évanouie à cause de l’émotion, voilà tout.
- Je reconnais m’être inquiété un peu hâtivement. Avance, avance … dit-il en levant un bras vers Kymil, installe-toi et repaît-toi comme il se doit, tu es notre invitée. »
La jeune elfe hésita un instant. Elle avait effectivement grand faim mais s’adressa d’abord au chasseur Hinion.
« - Avez-vous retrouvé le chariot et mes compagnons de route ? »
Le chasseur fit un court bruit de succion avec sa langue, son nez se retroussa légèrement avant qu’il ne réponde. Il raconta qu’ils avaient suivi les traces du chariot longtemps et les avaient retrouvés en train de voyager au petit trot sur le long sentier menant au fleuve, qui longeait ce même hameau. Il lui fit remarquer qu’au vu de la distance, de l’allure et la direction, il estimait que l’acariâtre femme n’avait aucune intention de l’attendre ou la rechercher. Kymil tenta de relativiser le choix de Merlara et expliqua ses angoisses pour son enfant et que la protection de ce dernier était sa seule préoccupation ; mais le chasseur ne parut pas convaincu et conseilla tout de même de s’en méfier.
« Nous les avons escortés au village. L’enfant était terrifié et très inquiet, c’est surtout grâce à lui qu’ils sont ici et qu’ils attendent votre réveil.
- J’étais longtemps inconsciente ?
- Quelques petites heures seulement. »
La lourde double porte en bois s’ouvrit à demi et se présentèrent les deux Earions, qu’un Hinion était parti quérir. Le regard de Merlara n’exprimait que frustration et reproche, celui du petit était plein de curiosité.
Kymil le voyait pour la première fois et elle se sentit enfin complètement rassurée … son existence prouvait à elle seule que la mère n’était pas folle et que sa première mission n’était pas basée sur des mensonges. A son physique, elle jugea qu’il ne devait pas avoir plus d’une quarantaine d’année. Il avait une peau fine et délicate assez pâle, légèrement bleutée avec des reflets irisés, ses cheveux étaient très fins et de la couleur d’une perle doré. Il avait des yeux en amande de couleur vert. C’était un enfant magnifique, assez différent de sa mère … il avait malheureusement hérité des traits de son père, qu’un regard observateur et perspicace devinerait être d’ascendance Hinionne. Kymil ne fit pas cette observation, elle n’avait pas un œil naturellement scrutateur.
Lorsqu’il vit Kymil, l’enfant sourit avec amusement et échappa à la main de sa mère qui tenta de l’empêcher de rejoindre la jeune milicienne.
« Tu as une tête marrante, dit-il avec amusement, on dirait un poisson.
- Tu trouves, répondit Kymil en essayant de jouer le jeu. Elle mit un genou à terre pour être à sa hauteur. Mes cheveux sont encore plus drôles, tu veux les voir ?
- Oui, montre ! »
Elle retira son capuchon et l’enfant sourit de plus bel et pouffa de rire tandis que ses yeux bougeaient à vive allure pour ne rien manquer.
« Tu as beaucoup de bijoux …oh … là … c’est coupé. »
Il avança sa main vers le tentacule blessé pendant le combat mais sa mère les avait rejoints et lui ordonna de cesser de faire l’enfant mal élevé. Merlara était mal à l’aise, plus distante et hautaine encore que ce que Kymil lui connaissait ; sa simple présence jeta un froid dans la grande pièce ; même la dizaine d’elfe blanc qui discutaient sérieusement à plusieurs mètres de là cessèrent de parler, et se contentèrent de piocher parmi les mets qui remplissaient leur table.
Le vieil elfe blanc vêtu d’une toge s’avança vers eux et brisa le silence gênant.
« Muir’aek a l’ œil pour reconnaître la gravité d’une blessure. Bienvenue parmi les vivants, jeune milicienne. Je suis l’Öbronn de ce village, je me nomme Syvis Aefir. Quel est ton nom ?
- Mon nom est Kymil’ulali.
-Pas compliqué à retenir pourtant, surenchérit Muir’aek d’une voix sèche en regardant la commerçante de biais. »
Quelques heures auparavant, encore troublée d’avoir été rattrapée par les chasseurs Hinions, elle fût incapable de leur donner le nom de celle qu’elle avait abandonné dans la forêt. Elle parût offensée par les propos et le regard mais se garda bien de répondre.
« N’y voyez pas ombrage, mais nous devons reprendre la route. Rassemblez vos affaires, ordonna-t-elle à Kymil, et rejoignez nous.
- N’en faites rien, s’il vous plait, intervint alors Syvis Aefir en s’adressant à Kymil. Laissez nos soigneurs surveiller vos blessures une journée au moins …
- Mais enfin, s’exclama Merlara d’un air abusivement outré.
- … de plus, vous êtes nos invités. Lorsque tous nos chasseurs seront revenus de la traque, nous festoierons tous ensemble. Muir’aek nous a conté que vous vous étiez fort bien défendue.
- J’ai eu de la chance.
- Dans cette forêt, la chance n’est d’aucune utilité, la détermination, le courage et l’instinct en revanche…
- Mais rien ne vaut l’entrainement et l’expérience. »
L’instant d’après, Kymil était invitée à prendre place à la table de l’Öbronn afin de partager le repas de la mi-journée. L’enfant au regard curieux resta à proximité du groupe, sans s’y mêler avec assurance mais toujours à portée d’oreille. Merlara fut elle aussi conviée à table mais resta à distance raisonnable et ne cacha guère son mécontentement ; aussi, Kymil entama la conversation en questionnant leur hôte sur le village sur lequel couraient beaucoup d’anecdotes mais peu de connaissances.
« Par où puis-je commencer ? Ce village existe depuis plusieurs centaines d’années, j’y suis arrivé il y a quatre ou cinq cent ans, je ne saurais dire, lorsqu’il n’était qu’un hameau d’une centaine de chasseurs et de druides. Les plus vieux sont tous nés dans les forêts de Nirtim et ont accompagné notre Mallörn lorsqu’il prit ses fonctions de chef du clergé au temple dédié à Nisraym, notre Seigneur Verdoyant.
Nisraym, chez les Hinions, est le protecteur des bois et gardien de l’harmonie. Il a très peu de fidèles au sein des Earions et une grande majorité des Hinions de cette région vénèrent Angharradh. Notre Mallörn et les anciens ont peu à peu abandonné le temple de la ville pour vivre ici, dans la forêt d’Astirya. Elle est devenue plus que notre demeure, nous avons voué notre vie à sa protection.
Notre communauté s’est agrandit et d’autres villages ont été construit.
Je suis moi aussi un membre du clergé, le dernier dans le village car notre Mallörn s’occupe des villages qui ne bénéficient pas de la présence d’un Öbronn.
- Qu’est-ce qu’un Öbronn ?
- Une sorte de prêtre magicien formé à l’art du combat, paraît-il … car L’Öbronn Slivis ici présent n’est obsédé que par sa plante. »
Le vieil elfe sourit comme un enfant trop honnête prit sur le fait.
« Et vous êtes tous les descendants du groupe accompagnant votre Mallörn ?
- Beaucoup d’entre eux oui, mais il arrive de temps en temps que certains, comme moi, viennent ici en apprentissage et décident de rester.
- Pour quelles raisons ?
- Pour elle, la forêt. Elle est différente, son âme est mystérieuse et elle offre à un chasseur comme moi un défi à nul autre pareil.
- Plus que notre ascendance, ce qui uni notre village c’est l’appartenance à la guilde des traqueurs du bois obscur. Nous sommes la branche militaire du clergé, nous défendons les forêts et le monde naturel du monde entier.
- Donc vous n’êtes pas seulement des chasseurs de morts-vivants ?
- Par la force des événements … ce rôle-ci est devenu central. D’autant plus depuis la chute d’Oaxaca. Sa chute a entrainé un bouleversement important parmi ses généraux, et j’ai l’impression que cela se répercute sur les monstres eux-mêmes. Ce n’est qu’une impression bien sûr … cela peut venir des conditions extrêmement difficiles de cet hiver. »
Ils discutèrent ainsi du village et de la forêt. Chaque Hinion de la guilde des traqueurs restait toute sa vie au sein de la forêt qu’il avait choisie de défendre ou qu’on lui avait assignée, ainsi, au fil des décennies, un traqueur connaissait le moindre bosquet, point d’eau, la moindre clairière, grotte ou crevasse. La faune et la flore n’avaient plus aucun secret pour eux. Il se disait même qu’ils étaient capables de se repérer et voyager les yeux fermés.
De fil en aiguille, la discussion passa de la vie des habitants du village à celle de leurs invités. Respectueusement et tentant une approche plus naturelle, l’Öbronn questionna sans indiscrétion Merlara sur le motif de leur voyage mais avant qu’il ne finisse sa phrase elle répondit sèchement et lança un regard de mise engarde à Kymil. L’intérêt de leurs hôtes se reporta vers cette dernière, qui parla sans détour de sa famille, son métier de bijoutière et sa motivation à faire parti de la milice de Lebher.
« La milice ? Vraiment ?
- Oui Öbronn, une apprentie. Ceci est d’ailleurs ma première mission.
- Quelle est-t-elle ? demanda-t-il non sans remarquer les lèvres pincées de Merlara et son regard nerveux.
- Une mission d’escorte. Je dois conduire Dame Yelvalur au …
- Vers le nord, s’empressa de répondre Merlara avec hauteur et sévérité, coupant la parole de Kymil. Le reste ne vous concerne pas. A moins que vous acceptiez de la remplacer ? »
Elle n’eut en guise de réponse qu’un bouquet de regards hautains et inamicaux. La jeune elfe se sentit gênée lorsque sa cliente se leva et s’éloigna. Elle parut intimidée par le regard noir de cette dernière, mais ce fût le souvenir des événements du petit matin, et des quelques heures où elle pensait avoir tragiquement échoué qui assombrit son visage.
« Mmmh. Toute fois, passer par la forêt est un choix audacieux, surtout pour une jeune recrue, seule qui plus est ; bien trop téméraire.
- Vous avez raison. C’… c’était une erreur, une … une erreur de direction, une mauvaise lecture de la boussole. Une erreur impardonnable.
- Tu dois être plus ferme. Tu dois apprendre à t’affirmer.
Muir’aek s’approcha de Kymil et rejeta en arrière le capuchon qu’elle rajustait sur sa tête.
« Epaules en arrière, menton haut et regard droit. Tu es d’une ancienne lignée, cherche en toi et tu verras que tu es bien au dessus de ces gens.
- Veuillez lui pardonner son attitude, elle vit dans la peur, son esprit n’est pas serein, elle a peur pour son enfant.
- J’en doute !
- Muir’aek, s’il te plait !
De quoi a-t-elle peur ?»
Kymil hésita un instant. Elle venait de se rendre compte que leur destination n’était pas la seule chose que Merlara voulait garder secrète, sans doute par manque de confiance. Mais comme elle l’avait dit, l’esprit de la commerçante n’était plus assez serein pour faire appel à la logique. Les Hinions étaient incontestablement hors de soupçons, donc Kymil leur résuma la situation.
« Et malgré cela, la milice n’a octroyé à cette dame qu’une seule apprentie.
- La réputation de Dame Yelvalur a déjoué en sa faveur donc peu de personnes ont pris au sérieux les menaces envers son enfant. En réalité, parmi ses connaissances personne n’avait un jour vu l’enfant et tout le monde la disait et pensait folle. Mais l’enfant existe ...
- Et contrairement à sa mère, lui est adorable et il parle. Il m’a tout dit et j’ai patrouillé longtemps avant ton réveil. Personne ne vous suit, de cela j’en suis sûr.
- Il n’y a pas meilleur pisteur ici.
- Merci, merci pour tout. Sans vous … »
Kymil fut submergée par ses émotions. Elle ne parvenait pas à oublier ce sentiment d’échec et les terribles répercussions qui en auraient résulté. Elle se reprochait d’avoir manqué de vigilance mais plus que tout, elle regrettait d’avoir sous-estimé l’angoisse et la peur de la commerçante qui obscurcissaient son jugement au point de leur faire prendre de gros risques pour arriver à destination le plus vite possible.
A la fin du repas, l’Öbronn leur servit une liqueur, spécialité du village, et tous attendirent que Kymil boive sa première gorgée. Et tous s’égosillèrent de joie en la voyant grimacer et serrer les dents en fronçant le nez. Elle toussa et sentit le feu de la liqueur lui réchauffer la peau des joues ; un goût sucré resta en bouche un moment.
« Voilà la vraie spécialité de l’Öbronn ! Sa plante. Le secret de notre bonne santé. »
L’Öbronn bu son verre et en partagea un autre avec Kymil qui l’apprécia mieux la deuxième fois, avant de l’inviter à sortir prendre l’air.
Dehors, il lui montra les murs du bâtiment où une plante grimpante envahissait toutes les façades, ainsi que des quelques autres maisons en pierre du village. Toutes les autres habitations du village étaient en bois et étaient même parfois entièrement mêlées aux arbres millénaires de l’Astirya.
« C’est la Slivis. Une plante aux fleurs grises très belles, qui donne des petits fruits rouges en hiver. Le fruit en lui-même n’est pas très nourrissant mais donne une liqueur à nulle autre pareille. Vois-tu, chaque Öbronn devient le protecteur d’une espèce végétale, qu’il choisit au terme d’une cérémonie. Parfois, le nom elfique de la plante que nous patronnons devient notre nom au sein du culte. Syvis Aefir pour moi.
- Et vous êtes nombreux à choisir une plante qui se distille si bien ?
- Non, dit-il en riant de bon cœur. Tu t’en doutes peut être un peu, je ne suis pas le plus recommandé des Öbronns … mais tu es du pays toi aussi, notre continent est rude et …
- Cela réchauffe le cœur et les os ! »
Le vieil elfe rit à nouveau avant de retrouver son sérieux et un ton plus professoral.
« Il est vrai que je passe beaucoup de temps à m’occuper de ma Slivis, mais je n’ai pas perdu l’œil quant à mes autres devoirs en tant que chef de village et prêtre. Par quoi es-tu tant tracassée ? »
Kymil prit le temps de lui conter son parcours récent, ses motivations familiales et la manière dont elle avait été recrutée. Son entrainement au maniement des armes était récent et relativement modique. Elle avait découvert ses fluides et la magie plus récemment encore et se reprochait maintenant sa naïveté et son euphorie lors de cette découverte car, face au danger, elle n’avait pas été capable de s’en servir. Elle fit part de ses angoisses quant à sa mission, ses difficultés à s’affirmer et faire preuve d’autorité, ses hésitations et ses incertitudes qui entravèrent la mise en place d’une stratégie efficace lors de son combat. Elle se sentait incompétente.
« Tu t’en demandes beaucoup trop. Tu es jeune, à peine formée à l’art du combat, encore moins à la magie et c’est là ta toute première mission. Tes attentes personnelles sont dignes du rang de sergent, au mieux. Rejoignez les routes du fleuve au plus vite et le reste de ta mission sera plus paisible, à part en ce qui concerne le caractère de ta cliente, là il n’y a aucune solution, même ma liqueur n’y pourrait rien.»
Il sourit de voir Kymil amusée et plus sereine.
Rechercher l’excellence dans son ancien métier lui était devenu coutumier et lui demandait peu d’effort mental ; son statut de recrue à la milice, en revanche, était bien plus difficile à appréhender et les enjeux plus précieux. Mais elle était naturellement courageuse et déterminée, les mots du vieil Hinion lui firent grand effet.
Ils marchèrent et s’éloignèrent du centre du village pendant qu’ils discutaient.
« Tes aptitudes martiales progresseront avec le temps, et tu finiras par gagner de l’assurance à force de faire face au danger et avoir des responsabilités. Cependant, il y a une chose que je peux faire pour toi aujourd’hui.
- Quelle est-elle ?
- Ta magie. J’étais druide avant même d’intégrer le culte et je manie la magie d’eau depuis que je vis sur ce continent. Je vais t’apprendre à mieux ressentir tes fluides, à faire appel à eux plus rapidement et t’apprendre un sortilège plutôt utile pour une jeune milicienne. Que sais-tu faire avec ta magie ?
- Je sais convoquer l’eau de mon adversaire, cela le fatigue et réduit son efficacité au combat.
- Très efficace celui-ci, surtout quand tu auras progressé.
Bien, nous sommes mieux là, loin des maisons. Je vais te montrer le sortilège. »
Le vieil elfe fit un mouvement ample avec son bâton, gravé d’une plante grimpante facilement identifiable maintenant. Le sol vrombit une seconde à peine avant que des geysers puissants sortissent à travers le manteau neigeux.
« Lors d’un combat, un geyser bien placé fera tomber ton adversaire et te permettra de prendre l’avantage. La visée est facile en soi, il suffit de garder l’œil sur les pieds de ton adversaire … le plus difficile à ton niveau sera de parvenir à rassembler l’eau en un point précis et lui donner de la force. Avant cela … tu vas apprendre à ressentir l’eau tout autour de toi afin de t’en servir.
- Mes fluides d’eau ne suffisent pas ?
- Pas seulement non. Nos fluides nous permettent de manipuler l’eau … en progressant tu seras capable de créer de grands sortilèges à partir d’une goutte d’eau, et ce même en plein désert d’Imiftil. Mais avant de songer à de tels exploits, tu devras être capable de créer de l’eau à partir de tes fluides. »
Des rêves plein la tête, Kymil écouta les conseils du vieux mage et se mit au travail. En tant qu’Earionne, il ne lui fut pas difficile de ressentir l’eau, elle la sentait à travers ses branchies comme on sent l’air traverser nos narines et nos poumons. Lorsqu’elle se concentra sur cette sensation elle cru même entendre le crépitement de l’air ambiant saturé d’humidité. L’eau était partout, à la fois à ses pieds sous la forme de neige, dans l’air ambiant et dans les êtres vivants tout autour d’elle, végétaux ou animaux.
Il lui fut moins aisé en revanche d’en commander le flux ou de guider toute cette eau grâce à sa magie. La manipulation qui lui était demandé était bien différente de ce qu’elle avait appris avec le recruteur de la milice. Pour créer ces geysers, il ne lui suffisait pas de détecter l’eau d’un corps et de la faire venir à elle. Elle devait la rassembler à partir de son état naturel grâce à ce pouvoir naissant qu’elle ne maîtrisait pas encore. Chaque fois qu’elle parvenait à sentir un lien magique entre l’eau sous ses pieds et sa magie, l’eau s’écoulait et fuyait afin de retourner à son cycle naturel.
L’Öbronn tenta de l’aiguiller du mieux qu’il put mais l’essentiel de la maîtrise magique était personnel ; et il ne connaissait pas assez le caractère et la vie de Kymil pour cela. Il lui raconta alors son histoire et son parcours, ses réussites et ses errances, et elle devina le lien profond entre sa foi et sa magie. Elle l’écouta et réalisa alors qu’elle faisait fausse route en essayant de copier son maître provisoire. Il était druide et religieux, sa foi était au centre de sa vie, qu’il soit chef de village, mage guerrier ou bouilleur de cru. Peut être y avait-il un lien particulier entre les éléments naturels et ces êtres liés aux Dieux, se dit-elle en sondant son propre cœur. Quelque chose lui manquait. Non pas la foi mais une certaine spiritualité d’esprit, une connexion naturellement élevée de l’âme avec l’invisible. Kymil était une artisane dans l’âme, pas une potentielle prêtresse. Elle n’avait aucun instinct mais une tendance à l’expérimentation et la logique.
La première étape fut plus facile une fois qu’elle savait comment envisager la suite. Elle étendit sa magie balbutiante vers l’eau sous ses pieds et se contenta d’observer les réactions à tel mouvement ou telle intention. L’eau ne pouvait être capturée ou modelée en l’état, elle s’écoulait dès que Kymil essayait de la manipuler frontalement. Chaque tentative pour la rassembler donnait à l’elfe l’impression de lutter contre une force contraire.
((C’est comme si je voulais forcer une rivière à aller à contre-courant, se dit-elle en sentant l’eau ses fluides impuissants à commander l’eau.))
Elle n’avait pourtant pas une telle puissance à contrôler. Elle en déduisit que la force de Moura n’était pas la méthode idéale pour le commun des mortels ; qu’elle devait moins obliger l’eau que l’aiguiller, tel un courant marin ou le lit d’une rivière. Après plusieurs essais infructueux mais prometteurs, elle parvint enfin à rassembler l’eau présente à ses pieds en un point précis et en quantité nécessaire mais la puissance finale manquait d’éclat.
Elle affina sa technique en ajustant le courant afin d’atteindre la vitesse nécessaire pour un tel sortilège tout en gardant la subtilité requise au maniement de l’élément. Elle appréhenda sa magie naissante comme un art et parvint enfin à recréer un geyser. Le diamètre était peu large, sa puissance ne l’élevait qu’à un peu plus d’un mètre de haut mais elle sauta de joie et accueillit les gouttes d’eau glacée qui retombaient les bras grands ouverts.
Sa joie intense fut exprimée discrètement mais son cœur battait la chamade. Elle se retourna pour partager sa réussite avec l’Öbronn qui revenait du village. Elle n’avait même pas remarqué son départ.
« L’avez-vous vu ? … il était petit, mais j’ai réussi.
- Tout cela est très prometteur. L’apprentissage demande assiduité et réflexion, même dans le cas présent où un maître t’apprend les bases. N’hésite pas à observer les mages que tu croiseras car avec le temps, une simple observation vaudra mes explications. Mais la maîtrise de tes sortilèges, surtout en combat, te demandera plus d’aplomb et moins de raisonnement.
- Vous voulez dire, faire confiance à mon instinct, dit-elle sur un ton fataliste.
- Il y a un peu de cela oui, à chacun sa vision. La magie est avant tout une maîtrise technique comme une autre.
- Dont l’outil invisible est manié par l’esprit. Cela offre une infinité de procédés et possibilités.
- Fascinant n’est-il pas ?
- Absolument. »
Le vieil elfe préconisa du repos à Kymil pour le reste de la journée. Il ne fut pas simple pour elle d’accepter, elle ressentait encore la même excitation que lorsqu’elle découvrit son talent pour la magie. Tant d’années sans en avoir conscience, tant d’années perdues ; elle aurait voulu se démener jours après jours pour rattraper le temps surtout en pareille occasion, en compagnie d’un mage expérimenté et pédagogue. Plus que tout, elle souhaitait ne plus jamais éprouver l’angoisse et le sentiment d’impuissance qui l’avaient saisie cette nuit. Elle valoriserait chaque arme, chaque occasion, chaque savoir et chaque future défaite à son avantage.
Elle rejoignit le centre du hameau où les derniers chasseurs étaient accueillis. Cherchant Merlara et son enfant, elle remarqua le chariot. La femme était à l’intérieur et y faisait du rangement, l’enfant était assis à l’avant et observait les Hinions vaquer à leur quotidien. Il sourit à Kymil lorsqu’elle s’approcha et lui fit un signe de la main pour la saluer.
Les entendant de l’intérieur, Merlara maugréa sur l’absence de Kymil mais s’abstint de réprimander durement la jeune elfe devant témoin.
Les citoyens de Lebher étaient extrêmement rares ici, surtout les civils. Leur présence attirait les regards curieux et l’attention de chacun. Merlara ne le vivait pas bien et sa mauvaise humeur faisait fuir les plus paisibles et provoquer l’inverse chez les plus suspicieux. Cette dernière finit par quitter le chariot, prétextant un besoin naturel. Son fils se hâta de rejoindre Kymil afin de lui faire part de sa joie d’être ici, entouré de monde et de discussions diverses. Il trouva dommage de ne pouvoir échanger avec eux autant qu’il l’aurait souhaité, alors Kymil partagea avec lui ce qu’elle avait appris du village et du clan qui l’habitait. Ils conversèrent ainsi un bon moment sans que Merlara ne revienne.
« Maman a mis tes affaires ici, dit le jeune garçon croyant percevoir dans le regard scrutateur de l’elfe une inquiétude à ce sujet.
- Oh ?! Je te remercie, répondit Kymil le regard toujours en quête de sa cliente.
- J’ai un peu fouillé dedans, j’espère que tu m’en veux pas.
- Mmh ? Aucunement, dit Kymil en souriant et détournant définitivement son regard du paysage. Ce n’est qu’un simple sac de voyage, nul trésor défendu ou de secret à protéger.
- Il y a quand même une jolie fiole ...le liquide à l’intérieur est bizarre ; oh ! et il y a aussi quelque chose de chaud dans un bout de tissu.
- Tout cela est bien mystérieux … veux-tu qu’on étudie cela de plus près ?
- Ooouuiii ! s’exclama le petit en sautant le premier à l’avant du chariot. »
La jeune milicienne montra la fiole contenant le fluide d’eau à l’enfant et lui expliqua assez succintement à quoi servait le contenu. Elle ne put guère satisfaire sa curiosité car ses propres connaissances étaient limitées ; cependant, la suggestion d’une expérimentation possible fut accueillie avec grand empressement. Kymil ouvrit donc la fiole et ils observèrent le fluide. La texture du liquide était assez semblable à de l’eau mais constamment en mouvement. Un mouvement lent, tout en ondulation entre deux teintes distinctes ne se mélangeant point, un bleu sombre et un bleu clair vif.
Kymil avala le contenu sous les yeux ébahis du très jeune elfe.
« Alors ça fait quel effet ?
- C’est très étrange. C’est comme si j’avais été brièvement immergée dans les eaux profondes des glaciers tant c’était froid. J’ai l’impression que si j’en buvais une grande quantité, j’aurais l’impression de me noyer.
- Alors c’est dangereux ?
- Seulement si j’en bois trop d’un coup je pense. »
Ils passèrent ensuite à la présentation des deux blocs de Xiuhl enveloppés dans un carré de tissu, héritage de son arrière grand-père maternel, un grand explorateur qui avait jeté l’ancre dans tous les ports de trois continents de Yuimen de multiple fois et arpenté ces derniers sans relâche.
« Ceci est du Xiuhl. Le métal élémentaire du feu. Je l’ai emporté avec moi pour garder mes couvertures chaudes durant les nuits.
- C’est incroyable !
- Sais-tu qu’il existe un métal élémentaire de chaque élément ?
- Tous ? Même la lumière ? Et l’ombre, et le vent à quoi il peut ressembler si c’est du vent ?
- …
- Il est très lourd en tout cas ; ajouta-t-il avant que Kymil ne puisse répondre.
- Plutôt oui, heureusement que nous voyageons en chariot.
- Dis, à ton avis, lequel de tous les métaux élémentaires est le plus lourd ?»
Muir’aek avait dit juste. L’enfant était un être adorable, très curieux malgré sa timidité et intarissable dès qu’il se sentit à l’aise avec la jeune milicienne. Ils passèrent en revue le poids des animaux, maisons, forteresses, montagnes et océans. Le vieil Öbronn vint à eux pour les inviter à partager le grand repas de fin de traque. Kymil réalisa seulement alors que le ciel s’était assombri et des braseros avaient été allumés devant la grande salle ; elle en avait oublié le temps mais aussi Merlara, qui n’était pas revenue, même pour son fils.