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par Kymil » jeu. 17 oct. 2024 18:18
Cette première journée de voyage fut longue et oppressante. Le comportement de la commerçante rendit Kymil nerveuse et inquiète à son tour. Ses questions étaient pourtant restées sans réponses et l'intérêt qu'elle portait à la mission fut accueilli avec réserve, presque avec méfiance. Chaque fois qu’elle pensait avoir fait un pas vers la commerçante, elle se trouvait face à un nouveau mur plus épais encore. Elle ne savait comment lui communiquer son sérieux et sa loyauté toute acquise, elle craignait même de se livrer à la moindre compassion à son égard.
Le trajet était long jusqu’à la manufacture des Jumeaux, même en belle saison. Les deux femmes, elles, voyageaient en fin de saison froide mais l’hiver était lent à laisser sa place à son successeur, la neige avait cette particularité d’être trop humide pour rester dense et les différents convois de la veille n’avaient pas suffisamment tassé la neige qui dans la nuit était devenue glissante. Elles avançaient doucement et ne s’étaient arrêtées que pour nourrir les chevaux, au milieu de nulle part car, selon la commerçante, le relais faisait perdre trop de temps. Ce n’était pourtant guère plus qu’un hameau de quelques baraques habitées par des bucherons. Ni taverne qui dit son nom, ni commerce possible si ce n’est du troc, il n’y avait pour perte de temps qu’une grange où faire halte.
De cette longue journée, Kymil ne parvint qu’à obtenir une information restée étonnamment dans le secret jusque là : le nom de la commerçante. Offensée que la jeune milicienne ne connusse pas son nom, elle transforma cette simple réponse en une leçon de moral qui n’affecta pas Kymil. Cette dernière avait fait le deuil d’une conversation normale avec sa cliente, du moins tant que le danger était encore si proche.
La commerçante se nommait donc Merlara Yelvalur mais cette dernière préférait que Kymil continue de s’adresser à elle par le biais d’un Madame, estimant que Dame Yelvalur étant sûrement trop demandé à une recrue sans éducation.
La nuit naissait lorsqu’elles arrivèrent en vue de la manufacture. Il y avait encore de l’activité. Plusieurs ouvriers martelaient le fer ou aiguisaient les outils et armes fabriquées. Merlara arrêta cette fois le chariot sur une longue place nette et proche d’autres chariots appartenant aux clients, visiteurs ou proche voisins de la manufacture. Kymil, contrainte de restée là, observa sa cliente du coin de l’œil. Elle manifesta une curiosité pour cette dernière après avoir remarqué la transformation de son attitude, soudainement à l’aise, polie, presque obligeante envers les personnes rencontrées. Merlara avait reconnu plusieurs partenaires avec qui elle entretenait depuis longtemps des relations cordialement professionnelles, des personnes qui habitaient et vivaient loin des rumeurs de la ville. Kymil découvrit en Merlara une elfe délicate et joyeuse, et l’entendit même rire. Elle alla ensuite s’entretenir avec le responsable de la forge pendant quelques minutes avant de revenir.
A nouveau à l’abri des regards, la commerçante perdit sa joie de vivre, son visage se rida et son souffle resta saccadé plusieurs minutes, comme après un effort physique intense. Kymil plaignit sa cliente du fond du cœur malgré toutes les mauvaises paroles reçues, elle la savait en proie chaque seconde à une peur intense.
« Occupez-vous des chevaux, dit-elle avec autorité. Nous mangerons et nous reposerons ici. Et n’adressez la parole à personne, à personne vous m’entendez ?
- Bien madame. »
La besogne finie, Kymil retrouva sa cliente debout derrière le chariot, les bras croisés sous la poitrine, effarée que cela eut prit tant de temps à la jeune femme pour s’occuper de deux chevaux admirablement bien dressés. A ses pieds se trouvait des ustensiles de cuisine, du petit bois et de la nourriture. Les deux elfes préparèrent le repas. Merlara ne demanda qu’une aide matérielle à Kymil qui dut faire le feu. La vieille Earionne prépara le repas en silence pendant que Kymil l’observait, tout aussi silencieuse. L’attention toute particulière qu’elle mit à cuisiner, même dans de telles conditions, et les ingrédients choisis firent penser à la jeune recrue que l’enfant n’était pas l’invention d’une folle comme beaucoup le croyaient.
Deux assiettes furent remplies par Merlara qui s’éclipsa avec à l’intérieur du chariot, non sans avoir interdit d’un ton sec à Kymil d’y pénétrer. Cette dernière, affamée, se contenta d’approcher du feu le rondin de bois lui servant de siège et de plonger la cuillère dans la marmite.
Rassasiée, Kymil mit de l’ordre autour du feu et l’alimenta jusqu’à ce que sa cliente ressorte du chariot, les deux assiettes vides en main.
« C’était délicieux Madame. »
Elle fut surpris du compliment, ses lèvres se pincèrent un instant mais nul fiel n’en sorti. Kymil cru y voir une avancée dans leur relation et essaya de se rendre utile.
« Voulez-vous que j’aille chercher les marchandises quand elles seront prêtes ?
- Mais de quoi me parlez-vous ? Demanda-t-elle d’un ton sec, sans hausser la voix ce qui lui donna un air plus sévère encore.
- Des … de, de vous aider à charger … ce que vous avait acheté à la forge.
- Et vous espionnez en plus ! Il n’y a rien à charger, occupez-vous de vos affaires plutôt, et elles se résument à notre sécurité.
- Pardon Madame. »
Merlara ne décoléra pas en voyant la jeune milicienne pourtant sincèrement désolée. Elle ne parvenait pas à chasser l’humiliation qu’elle ressentait en la voyant. Jeune, seule et inexpérimentée. La colère décuplait ses peurs, la peur décuplait son animosité, son animosité avait besoin d’un exutoire.
« C’était une très mauvaise idée de venir ici ! A peine arrivée, j’ai été assaillie par ces gens. Que faites-vous là ? C’est inhabituel ! Comment allez-vous ? Quelles nouvelles ? Comment vont les affaires ? Tout cela par votre faute. J’ai du commander des cercles pour nos tonneaux de vin pour faire illusion !
- Pardonnez madame, mais c’est au contraire très astucieux de votre part …
- Et l’argent !?
- A notre retour, je …
- Quel re… ? dit-elle d’un hoquet coupant la parole à Kymil. Elle se tut aussitôt, le visage gêné.
- Pardon madame ?
- … Une très mauvaise idée ! Comment en serait-il autrement ! »
Elle continua de maugréer. Si Kymil n'avait pas été une aussi bonne nature, elle aurait discerné l’hystérie dans son comportement. Elle tenta une dernière fois de promettre à Merlara de rembourser dettes et dépenses du voyage mais à chaque évocation de leur retour, son interlocutrice perdait pied au point qu’elle l’insulta et s’enfuit dans le chariot, laissant Kymil seule à l’extérieur.
Elle n’y comprenait rien, en son for intérieur elle entendait à quel point la peur et l’angoisse pouvaient empoisonner l’esprit mais le comportement erratique de sa cliente la décontenançait véritablement.
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Kymil le dim. 18 mai 2025 21:14, modifié 1 fois.