Les Habitations

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Akihito
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Re: Les Habitations

Message par Akihito » ven. 2 juil. 2021 23:45

Dans le chapitre précédent...

Evénement : La fin d'une ère.

30 : Prédateur du ciel, prédateur de la terre.

Ils arrivèrent finalement à la demeure des Ôkami, bien gardée par deux solides hommes qui accueillirent l'héritière avec un large sourire et un regard plus curieux vers son accompagnateur. Le hasard fit que le duo croisa le jeune Ryo transpirant, revenant sans doute d'un entrainement militaire à en croire le sabre à sa ceinture et sa tenue quelque peu malmenée. Il se tourna vers eux quand Hatsu le hêla, et il fut gentiment gratifié d'une talocher à l'arrière du crâne quand le jeune homme salua Akihito avant sa propre soeur, et en lui balançant une petite pique au passage. La scène le fit sourire : si être fils unique avait ses avantages, il n'avait jamais connu ce genre de complicité fraternelle. Enfin, peut être avec Hïo, mais c'était dans une moindre mesure.

"Ryo, Akihito aurait une proposition à te faire, alors écoute au lieu de dires des âneries.

- Bonsoir Ryo, ravi de voir que tu vas mieux depuis notre dernière rencontre. Tu t'es même un peu étoffé, ajouta l'enchanteur en ne reconnaissant plus le corps encore quelque peu juvénile du soldat d'il y a plusieurs mois, mais désormais un corps puissamment bâti. Comme l'a dit ta soeur, j'ai quelque chose qui pourrait te plaire, si tu as bien aimé le tatouage d'Anthelia. Dis moi, tu n'as rien contre la magie ? Bien, alors voilà ce que je te proposes..."

Il détailla ensuite le procédé des tatouages arcaniques, leurs avantages, ce que ça pouvait lui apporter. Les yeux du jeune homme s'emplissaient d'une lueur qu’Akihito n'arrivait pas à identifier, mais au moins il avait son attention.

"Voilà. Donc tu auras accès à un sort parmi ceux que je peux te proposer, ou si tu connais un pyromancien ou un mage blanc. Et avec la bataille à venir, avoir ce genre de dernier recours te seras certainement utile. Qu'est-ce que tu en dis ?

- C’est un procédé assez unique en son genre et… probablement coûteux, non ?

- Coûteux ? Non, absolument pas. La seule chose dont j'ai besoin, c'est d'une fiole de fluide qui va me servir d'encre pour contenir le sort."

Il prit un instant pour réfléchir, avant de préciser ses dires.

"Après, comme je suis probablement le seul capable de faire ça, c'est sans aucun doute rare. Et la rareté étant souvent liée à la valeur... Enfin bon dans tout les cas, ça me coûtera personnellement presque rien."

Hatsu les guida au premier étage, jusqu'à une chambre fonctionnelle et clairement masculine à en voir le mannequin portant une armure de soldat, divers produits d'entretiens et quelques babioles diverses décorant murs et meubles. La chambre de Ryo donc. L'archère les abandonna là, disant qu'elle avait à s'occuper de son griffon.

"Bon, et si on s'y mettait ?

- Avec joie !

- Tu souhaites un nouveau tatouage, ou que j'améliore déjà celui existant ?

- Mmmh... songea un instant le soldat, avant de se décider: restons sur le premier. Un seul tatouage, pour l'instant, ça me va bien. Le loup de ma famille symbolise suffisamment pour moi. Mais si tu veux, tu peux lui apporter quelques modifications.

- On verra."

Ryo découvrit son épaule, révélant la tête de loup stylisée qu'Anthelia avait tatouée avant leur départ vers Kendra-Kâr quand le jeune homme était caché chez elle. A vrai dire, Akihito ne voyait pas comment améliorer l'oeuvre de sa compagne, aussi en resta-t-il à des ajouts simples : la crinière et les contours du tatouage furent aiguisées, rendant le dessin plus acérés par la lueur pourpre des fluides de foudre. Comme pour Xël quelques jours auparavant, il infusa plus de fluide dans l'oeil du loup pour le faire ressortir. Enfin, il conclut le tout par un croissant de lune luisant juste au dessus de la figure lupine, un autre des symboles du clan Ôkami.

"Dis Akihito, tu penses quoi de ma soeur ? demanda l'Ynorien alors que le tatoueur terminait les dernières finitions.

- Comment ça ?

- Bah depuis l'incident avec Talabre... Nos parents n'ont pas abandonné l'idée de la marier. Le fameux Kage ne donne plus de signe de vie. Et toi, bah... Tu es le Porteur de la Kizoku Rana, donc nos parents te verraient favorablement. Et comme Hatsu a l'air de t'apprécier, enfin, de pas te détester..."

A l'instar de l'archère, Akihito colla un taquet à l'arrière du crâne de Ryo.

"Va falloir que tu revois ta façon de jouer les entremetteurs. Et de toute façon, j'ai déjà quelqu'un.

- Ouch... Anthelia, j'imagine ? Dommage, je la trouvais..."

Un second taquet interrompis sa phrase.

"Pas touche, menaça Akihito en haussant un sourcil, ce qui provoqua un rire léger chez le jeune homme. Au lieu de raconter n'importe quoi, dis moi ce que tu veux comme sort.

- Mmmh... Quand on s'est enfuit du mariage, tu as renvoyé des flèches vers les archers qui nous poursuivaient. Je suis un soldat d'infanterie, alors les sorts offensifs ne me seraient que d'une utilité limité. En revanche, si je peux me protéger de quelques flèches -celle de ma soeur, à tout hasard- ça serait plus profitable, je pense."

Le choix éclairé et tactique du soldat était impeccable, aussi Akihito ne chercha pas à lui conseiller autre chose et infusa la Magnétisation Ballistique dans le tatouage qui se mit doucement à luire. Le tatoueur lui rappela une nouvelle fois les précautions d'usage du sort, puis redescendit les escaliers en laissant Ryo admirer son nouveau tatouage. Une domestique le guida avec sourire vers l'arrière de la maison, et le jardin où il trouva une Hatsu en train de nourrir un imposant griffon de quelques deux mètres de haut avec de colossaux quartiers de viande. Les prunelles d'or liquide de la créature se figèrent instantanément sur le nouveau venu et il le vit gonfler le poitrail, étendre les ailes et pousser un cri intimidant. Le jardin était sans contexte devenu son territoire, et Akihito s'arrêta à la petite estrade de bois menant au jardin. Il se sentait capable de gérer un griffon désormais, et même sans le tuer. Mais mieux valait ne pas tenter le diable, surtout avec la monture de son hôte.

"Un sale caractère, en effet," s'amusa l'enchanteur quand Hatsu se retourna dans sa direction.

Kinome -c'était le nom que donnait Hatsu au griffon- se calma peu à peu sous les paroles douces de sa cavalière, mais gardait une attitude méfiante à son encontre. Akihito ne chercha pas à provoquer plus sa méfiance et se contenta de s'asseoir sur les marches de bois en s'étirant.

"Très bien passé. Il a voulu rester simple et a choisi avec clairvoyance le sort. Il semble en revanche très curieux au sujet des questions, dirons nous, matrimoniales. Et il manque un peu de subtilité, répondit l'enchanteur alors que son sourire s'élargissait à mesure que ses mots s'égrenait. J'ignorais par contre que les griffons pouvaient être dressés.

- Il se mêle surtout de ce qui ne le concerne guère. J’espère qu’il n’a pas insinué de choses ridicules à votre sujet. Sans vouloir vous offenser.

- Je n'ai pas été le seul à faire les frais de ses plans sur la prochaine génération Ôkami."

D'après Hatsu, elle ne l'avait pas dressé, mais plus noué un lien de confiance avec lui. La différence devait être subtile, mais un peu hors de la portée d’Akihito. Aussi quand elle lui proposa de s'approcher sans faire de mouvement brusque, il accepta, mais garda tout de même une assurance : il se préparait à tout moment à lui lancer une électrocution pour le neutraliser. Plus malin qu'il ne le paraissait, le griffon claqua du bec et recommença a prendre du volume pour l'intimider. Hatsu le calma, tout en l'enjoignant de l'approcher sans être tendu et sur ses gardes.

(Facile à dire, comment ne pas être prudent devant un tel bestiau...)

Néanmoins, il décida d'appliquer la méthode qu'il utilisait pour approcher les chats et chiens errants étant enfant : s'avancer lentement, les yeux dans les yeux, en tendant une main paume ouverte vers le ciel... Une invitation qui montrait qu'il ne représentait aucun danger. Le griffon répondit favorablement à son invitation, et après avoir bombé du poitrail quelques secondes de plus, il abaissa finalement sa tête à son niveau, comme s'il daignait le laisser le toucher. Ce qui faisait vraisemblablement plaisir à sa griffonière.

"C’est bien Kinome. Vous pouvez le toucher, Akihito. Il adore les caresses malgré son sale caractère et son air suffisant.

- C'est... Etonnament doux, murmura-t-il en posant sa main sur la tête du griffon, qui plissa des yeux alors qu'il commençait lentement à le caresser. Je n'ose pas imaginer à quel point ça a du être un enfer pour l'apprivoiser et gagner sa confiance.

- Il m’a sauvé la vie. J’ai sauvé la sienne en retour. Je me suis attachée à lui et il a dû faire de même. Ça n’a pas été simple, je devais sans doute à l’origine être un repas, mais je suis visiblement trop coriace pour l’estomac d’un griffon. Même si c’est celui de ce goinfre."

Une relation née dans la danger, et un besoin mutuel de l'autre. Il continua à caresser le griffon, qui le fixait toujours de ses pupilles dorées. L'animal semblait l'avoir accepté... Du moins, pour l'instant. Hatsu semblait du même avis, puis enchaîna en demandant quel sort il avait choisit.

"Rien de très voyant, c'est vrai, mais d'une redoutable efficacité contre les archers. C'est un sort défensif qui permet de renvoyer des projectiles vers leurs propriétaires. un choix éclairé comme je disais, pour un combattant de mêlée. Et peut-être motivé par une certaine rivalité fraternelle, ajouta-t-il en retirant finalement la main de l'animal.

- Malin le frangin… j’admets que cela pourrait être utile, mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’un fulguromancien peut faire. En dehors de lancer des éclaires particulièrement douloureux…

- La fulguromancie est en effet une magie assez offensive, c'est vrai. Mais elle dispose tout de même de quelques sorts assez utiles, ou peut déclencher des sorts omni éléments, c'est à dire lançable par la majorité des éléments. Par exemple, je peux susciter la peur avec un orage, créer une vague de foudre autour de moi pour repousser les adversaires, en immobiliser un avec la foudre... Je peux même créer une lame de foudre pure pour me battre au corps à corps si mes armes ne sont pas accessibles."

Il réfléchit un instant aux propos de la jeune femme. Elle semblait vouloir quelque chose de plus utilitaire qu'offensif. Et il y avait ces enchantements qui ne lui coûtait jamais de fluides...

"... Ou alors, on peut imaginer des tatouages avec des enchantements que je n'utilise qu'en dehors des combats, puisqu'ils mettent du temps à être utilisés. Avec, on peut aussi bien manipuler à distance des objets métalliques que créer de la lumière avec un éclair statique..."

Tout comme Kiyoheiki, c'était la possibilité d'immobiliser son adversaire qui semblait séduire la jeune femme. Et elle semblait petit à petit se laisser tenter par l'idée d'un tatouage arcanique.

"Bien sûr. La taille n'est pas importante, et on peut le faire sur un endroit discret, caché par les vêtements. Mais vous savez... Ne vous sentez pas obligée, Hatsu. Vous avez l'air d'être un peu réticente, je ne prendrai pas mal un refus.

- J’ai une très mauvaise expérience avec la fulguromancie, je dois juste être un peu nerveuse à l’idée de la manipuler sans la comprendre. Et il est facile pour mon frère de se faire tatouer, c’est un homme, mais sur une femme…"

Akihito n'avait pas pensé qu'un tatouage, sur une jeune femme de la noblesse, puisse paraître inapproprié. Ca faisait sens et la personnalité assez énergique et rebelle d'Hatsu lui avait fait oublier qu'elle venait d'une grande famille oranaise. Et elle semblait également avoir un peu de mal avec la fulguromancie... Bien qu'elle rassembla son courage pour accepter.

"Je n'avais pas pensé à votre... Position, vis à vis d'un tatouage. Je ferai en sorte qu'il passe inaperçu, dans ce cas. Pour la fulguromancie... Vous m'en voyez désolé. Mais le sort n'est pas forcément un sort de foudre, vous savez. Tant que j'ai un fluide de l'élément correspondant et un mage qui connait le sort souhaité, je peux le tatouer. Si vous avez parmi vos connaissances un mage connaissant un sort que vous voulez, nous pouvons reporter le tatouage à plus tard, quand cette personne sera disponible.

- Votre intention est louable, Akihito, mais je ne connais aucun mage, vous excepté. Un sort de foudre conviendra très bien si vous m'expliquer comment m'en servir sans que je ne me touche moi-même avec. Quels sont les endroits les plus facile à tatouer pour vous ?

- Anthelia m'a appris à tatouer partout, alors c'est plus un choix de votre part. Mais de manière général, c'est plus délicat de tatouer là où la peau est fine, comme l'intérieur du poignet, le cou ou la tempe. C'est même un peu douloureux, mais j'ai ma petite astuce pour rendre l'action au pire désagréable."

Elle hésita, puis fini par se décider. Le dessus du bras, s'arrêtant un peu en dessous de l'épaule, tout en débordant sur l'omoplate. Un emplacement des plus classiques... Et le même que celui de son frère, en plus.

"Oui, répondit Akihito en hochant la tête, c'est même la zone la plus utilisée pour les tatouages. Reste à savoir ce que vous désirez, maintenant.

- J'ai eu une idée. une tête de griffon face à une tête de loup, mais en miroir inversé. Une tête en haut, l'autre en bas, comme le symbole de l'équilibre, en cercle. je ne sais pas si c'est très clair."

La consigne de la jeune femme le... perturba. C'était assez confus, elle parlait de miroir, de cercle, de têtes animales face à face. Il fronça les sourcils, avant de s'asseoir par terre en fouillant dans sa besace.

"Mmmh... Un instant, voulez vous ?"

Armé d'un des rares morceau de parchemin qu'il lui restait et d'un fusain au charbon, il entreprit de dessiner ce qu'il avait compris.

(Par le symbole d'équilibre, elle parle peut être de cette double virgules embrassées blanche et noir... Et si elle parle de miroir avec son griffon et son loup, les deux virgules doivent chacune avoir la forme d'un des animaux. Partons pour le noir pour le loup, et le blanc pour le griffon.)

Une tête de griffon étant basiquement une tête de rapace, il esquissa rapidement le dessin, avant de lui présenter.

"Quelque chose comme ça ?

- Exactement ce à quoi je pensais, idem pour les couleurs. Cela ne vous semble pas trop contraignant ?

- Mmmh... Marier et fusionner les deux risque d'être un peu complexe. On prend normalement deux fois le même symbole, animal qui se renvoie l'un l'autre. Là, on a des plumes et des poils. Rien d'insurmontable, mais la frontière entre le blanc et le noir va être la partie la plus délicate. Il va également y avoir un souci sur la couleur : le tatouage arcanique utilise aussi bien de l'encre que du fluide élémentaire, or celui de foudre est violet, comme vous pouvez le voir, dit-il en agitant une de ses fioles. Le violet sera irrémédiablement présent sur le tatouage, puisqu'il luira faiblement. Je peux le camoufler en l'utilisant pour faire le contour, la démarcation, et quelques traits de rappel à travers le plumage ou les poils, mais je ne peux pas faire un tatouage purement en noir et blanc.

- La couleur violette ne me gêne pas, faites ce qui vous semble le plus approprié, je vous fais confiance. Si le dessin est aussi convaincant que celui que mon frère porte, je n'ai pas à m'en faire."

Et en plus, elle lui mettait la pression...

"Je ferai de mon mieux pour égaler le travail de ma professeure. Vous voulez commencer maintenant ?

- Si cela vous convient. J'imagine que ça ne va pas se faire en quelques minutes, donc c'est vous qui voyez si vous pensez avoir le temps dès à présent."

Comme il avait pu lui dire plus tôt, Akihito était un homme libre, sans personne pour l'attendre dans l'enceinte de la ville. Il hocha la tête, et se releva.

'Le tatouage devrait prendre une petite heure. Vous avez quelque part où vous allonger sur le ventre ? Ca sera plus simple pour moi et plus confortable pour vous."

D'un signe de la tête, Hatsu l'invita à le suivre, le faisant rentrer dans la maison non sans avoir caresser une dernière fois le griffon. Ils remontèrent tout deux à l'étage supérieur, mais pénétrèrent cette fois dans la chambre attenante à celle de Ryo. La chambre de l'archère selon l'enchanteur, et il eu raison. Comparé à sa petite et douillette chambre mansardée, cette pièce était au moins deux fois plus grande et cinq fois plus luxueuse. Ici, le bois était noble, les tissus doux et coûteux. Entendant la porte se refermer derrière lui, les enfermant seuls dans la même pièce, il ne put s'empêcher de déglutir. Bien qu'il ai désormais Anthelia, la situation n'était pas pour le mettre forcément à l'aise. Il se calma en jetant un oeil intéressé à la pile de livres et de parchemins qui recouvrait le bureau. Assurément, l'héritière Ôkami s'était intéressé à la chaîne de montagnes au coeur de Nirtim, ainsi qu'à la faune en général.

Entendant le bruissement du tissu, Akihito prit bien attention à ne pas se retourner. Et lorsqu'elle l'appela, lui demandant si ça allait, il se retourna enfin. Le bras nu de la jeune femme était dévoilé, à côté de son corps étendu. Il hocha la tête, puis se saisit de la chaise devant le bureau.

"Je me permets."

Il s'installa à côté du lit, au niveau du bras. Il prit le temps de s'étirer avant d'approcher ses doigts de la peau.

"Ne vous inquiétez pas. Je vais user d'un peu de magie pour détendre vos muscles. Rien de dangereux, ni de douloureux."

Il posa un index à la base de l'épaule, et un au niveau du coude et doucement, fit circuler entre les deux un mince filament de foudre. La jeune femme se raidit sur le coup, lui rappelant probablement de mauvais souvenirs, avant de peu à peu se redétendre. Il augmenta progressivement l'intensité, jusqu'à être satisfait de la souplesse du biceps. Il répéta l'opération et dénoua également le triceps, usant en plus de massages. Pour une archère, rien de plus normal que d'avoir des noeuds sur ce muscle en particulier.

"On y va."

Maillet et aiguille cristalline en main, il commença lentement son travail, plongeant la pointe de son ustensile dans sa dernière fiole de foudre. Il commença d'abord par tracer le cercle, s'étant assurer avec sa cliente de la taille souhaité. Les limites du tatouage posé, il s'attaqua à la partie la plus complexe d'entrée de jeu. Contrairement au tatouage de Xël où la tête du dragon avait ce titre, la démarcation lupine-rapace était centrale dans le tatouage.

Marier les plumes aux poils se révéla plus compliqué encore qu'il ne l'avait estimé. Mais avec des points léger d'encre, il put s'y prendre à plusieurs fois pour enfin trouver une alchimie qui lui allait. Les plumes étaient donc prédominante, s'élançant vers le bas. Le pelage du loup lui formait de longues mèches de poils qui s'immiscaient entre chaque plume. Certaines de ces touffes s'affinaient même pour se fondre dans les pointe nacrée du plumage car, après avoir vu un griffon de près, il avait remarqué que la tige centrale parcourait presque toute la longueur de la plume, un peu comme les canaux irriguant une feuille.
Le rapace fut la suite du tatouage : les plumes se superposèrent, formant un feuilletage et remontant le long du cou. Comme les écailles du dragon de l'aéromancien, la tâche était plus répétitive que difficile. Profitant de la peau nacrée d'Hatsu, Akihito ne s'embarrassa pas à teinter les plumes et préféra un s'attarder sur les détails. Les plumes finirent par dépasser quelque peu le cercle qu'il avait utilisé comme modèle. L'aspect de rondeur restait, sans pour autant dénaturer l'aspect organique de l'animal. La tête fut, elle, la partie la plus simple. un bec jaune, des plumes légèrement plus sombre autour de l'oeil visible, et une pupille d'un or sombre, comme le bien nommé Kinome. La perle sombre au milieu de la virgule blanche clouait la première partie, pour un rapace à l'air fier, placé au dessus pour rappeler sa position élevé, d'oiseau dominant les cieux. Ne manquait plus qu'à tatouer son comparse lupin, et si le premier ne pouvait que représenter la fierté...

"Le griffon est fini. Mais pour le loup, qu'est ce que vous préférez ? Un animal prédateur et agressif, ou plutôt noble et calme ? Ou autre ?

- Le dessiner en train de hurler comme ils savent si bien le faire serait un plus, mais sinon comme un prédateur ce sera parfait.

- Ca risque d'être compliqué, ça en revanche. Pour respecter la continuité du cercle, le loup se doit d'avoir le museau incliné vers le bas, sans quoi le tatouage serait déséquilibré s'il devait le lever pour hurler à la lune.

- Oui je vois... dans ce cas prédateur agressif c'est parfait."

Le tatoueur se remit rapidement au travail, et commença à remplir l'ensemble du pelage du loup. La aussi, la tâche était longue, mais encore plus simple que dessiner les plumes. Le rythme de son maillet s'accéléra, perçant avec précision la peau et la noircissant selon son envie. Il se mit à fredonner une musique entrainante entendu à l'auberge des hommes libres, entrainante, et tatoua sur le même rythme. Ce n'était pas la méthode la plus efficiente, mais il ne s'en préoccupa pas : suivant le flot de la musique, il s'immergea dans son art. Il était un musicien, un artiste, et le maillet était son tambour comme son outil.

Lorsqu'il reprit enfin ses esprits, le loup sous ses yeux était d'un noir profond. Son pelage était nuancé de variante plus claires du noir, pour donner une impression de poils et de mouvement. Le bord du cercle, à l'instar de celui de son compagnon volant, avait perdu de sa rondeur parfaite pour être hérissé de la toison sombre du prédateur, telle un disque dentelé dans un mouvement rotatif suivant celui des plumes et du regards des deux bêtes. Seule discontinuité dans le cercle, les oreilles lupines dressées sur le crâne profilé du loup, aux yeux plissés, scrutateur. Les babines légèrement retroussées laissaient entrapercevoir l'éclat blanc des crocs. Une figure pas complètement agressive, pas plus qu'elle ne pouvait être qu'un peu inoffensive : ce loup guettait sa proie, de son oeil bleu ciel. La perle lumineuse de la virgule noir avait elle aussi sa pris se place.

Le reste de la fiole de fluide partit dans les méandres du pelage et du plumage, irriguant de magie le tatouage. Il apposa finalement sa main, et injecta sans soucis le sort dans le fluide tatoué. il releva le front, s'étira : avec son immersion dans sa tâche, il n'était pas bien sûr du temps qu'il avait passé dessus au final, mais le jeu en valait la chandelle.

"Je n'ai pas à rougir du travail de ma professeure, croyez moi Hatsu. Maintenant, je vais vous expliquer comment vous en servir..."

Il plongea la main dans sa bourse, et en sorti plusieurs pièces. Il fit plusieurs transferts magiques dedans, de petits chocs de valyus innoffensifs.

"Prenez ces yus, j'y ai mis un sort mineur dedans. Fermez les yeux, et concentrez vous dessus. Tenter de vous imaginer avec une boule... Non, un arc.... Une arbalète. Une arbalète chargée d'un sort, n'attendant plus que votre action pour lâcher le trait. Puis tendez la pièce, visez la tête de mon marteau, et relâcher le trait. Ne vous inquiétez pas, le sort est inoffensif."

Il s'éloigna de quelques pas, puis tendit son marteau devant lui.

"Qu'est supposé faire le sort contenu dans cette pièce, exactement ? Je pense que je préfère savoir ce que je fais avant tout.

- Ah oui, mes excuses. Il va envoyer un simple éclair, rien de plus simple."

voyant la perplexité sur son visage, il ajouta : L'image de l'arbalète est juste un moyen pour vous aider à visualiser cette magie, qui ne fait que stocker un sort. Pour une non mage, ça peut être assez difficile à appréhender. Mais dites vous que c'est quelque chose de prêt, d'armé. Et ça n'attend que votre commandement pour être relâché.

l'archère recommença, son visage passant par des expressions diverses allant de l'incompréhension à la frustation. Puis, finalement, un éclair fini par sortir à sa grande surprise, et elle lâcha la pièce. Elle essaya de sauver les apparences en toussotant, ce qui fit sourire le jeune homme.

"C'est ça. Essayez encore un peu avec les pièces qui restent, pour vous familiariser avec ce sentiment, ou peu importe la méthode que vous avez trouvé. Si ça peut vous permettre de mieux comprendre le sort qui est dans vôtre tatouage, désormais, s'il a bien la forme d'un éclair comme celui projeté, son effet est tout autre. Il pénètre le corps de la cible, puis se déploie comme une vigne autour des muscles qui reçoivent une douloureuse décharge à chaque mouvement. Ca ne l'immobilisera pas totalement, car la plupart préfèrera une douleur intense mais sans dégâts à encaisser de plein fouet une attaque. Mais au moins cela l'empêchera de s'en prendre à vous."

A la suite de ses essais et une fois toutes les pièces vidées de leur magie, il l'invita à utiliser cette fois-ci son tatouage en précisant : "Le fluide va mettre un peu de temps à recharger le sort, une journée à peu près. Alors utiliser le à bon escient."

- C'est.. impressionnant, je n'avais jamais ressenti une chose pareille. J'en ferai bon usage. Merci de m'avoir proposé une telle offre, Akihito.

- Croyez moi que si je pouvais tatouer tout les soldats de l'armée Ynorienne, je le ferai. Mais vous serez un atout pour notre côté. Alors je me devais de vous aider dans la mesure de mes moyens.

- Je doute qu'un simple archère puisse faire une quelconque différence dans le conflit qui s'annonce, contrairement à un mage comme vous, mais merci Akihito. Ma famille vit ici, c'est mon peuple et mon pays, alors je me devais de faire quelque chose, ne serait-ce qu'un peu.

- Quand j'affrontais Crean, le seul à avoir pu le toucher une fois le Général était notre archer. Chaque flèche peut faire la différence."

il se releva et ré-empaqueta ses affaires : il voulait se reposer dans un vrai lit, finalement, et son chez soi... la maison d'Anthelia lui faisait vraiment envie.

"Je vais devoir y aller, on se reverra le jour venu. Je compte sur toi pour veiller sur nous depuis là haut, Hatsu.

- J'y veillerai, occupez-vous simplement de ne pas faire tomber la foudre sur ma tête depuis le ciel. Je suis tenace, mais pas à ce point."

Elle le raccompagna ensuite à la porte de sa maison, lui souhaitant une bonne fin de journée, avant de l'interpeler alors qu'il s'enfonçait dans la ville.

- Que les vents vous portent et que Rana vous protège, Akihito.

- Et que sa sagesse guident vos flèches."


HRP :
  • Consommation des deux fioles de fluide de foudre 1/16
  • Ajout à la fiche de Hatsu :
    Tatouage arcanique

    • Symbiose du Griffon et du Loup
      Description : Cercle composé d'une tête de griffon blanche unie à celle d'un loup noir, suivant la logique du symbole de l'équilibre Yin-Yang. Le tatouage se situe sur le bras droit, avec la partie blanche au dessus de la partie noir pour symboliser l'ascendance du prédateur des cieux sur celui de la terre. Les fluides de foudre définissent les contours tout en faisant la démarcation entre les deux parties dichotomiques. Le griffon représente Kinome, le griffon d'Hatsu, et le loup l'emblème de sa famille, les Ôkami.
      Contient le sort : Electrocution, Rang 3
      Post du tatouage.
Xp : 1 (discussions avec les Ôkami) + 1 (Tatouage)

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Xël
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Re: Les Habitations

Message par Xël » jeu. 14 avr. 2022 15:46

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Nous arrivons finalement devant la maison de la famille Kazami se tenant juste à côté de leur boutique où un écriteau indique la nature de leur commerce. Une maison charmante à l’intérieur chaleureux où tout est d’un bois clair et au sol brillant. Ayae quitte d’ailleurs ses chausses et m’invite à faire de même avant de me guider dans le couloir qui entoure une cour intérieur servant de jardin où pousse d’un côté des légumes et de l’autre des fleurs que je reconnais pour les avoir aperçu dans la bise d’Ynorie à Kendra Kâr. Je suis surpris de sentir une chaleur s’élever du sol, réchauffant mes pieds et donnant une température agréable à l’ensemble de la maison. Elle s’arrête devant une porte qui me semble être faite de papier et la fait coulisser, révélant une salle d’eau où elle m’invite à me nettoyer un peu avant de passer à table. J’accepte volontiers et entre dans la pièce qu’elle referme derrière moi après m’avoir informé où trouver le nécessaire pour la toilette.

Je retire ma chemise, simple bout de tissu. J’ai laissé mon armure et le reste de mes affaires en sécurité à l’auberge, inutile sur le chantier des remparts. Je prends une serviette et une éponge dans un placard en profitant de l’odeur fleural de la pièce avant de plonger l’éponge dans une bassine d’eau tiède pour me décrasser le visage, les mains, les bras, les aisselles, le torse et enfin les pieds, un peu honteux d’avoir dévoilé mes pieds sales alors qu’Ayae porte des chaussettes encore toutes blanches. Je me sèche ensuite, étonné de la douceur et la chaleur de la serviette qui elle aussi dégage un parfum agréable. Je plonge mon nez dedans pour prendre une profonde inspiration tandis qu’Ayae m’interpelle de l’autre côté de la porte pour m’annoncer qu’elle m’a déposé des habits propres devant la porte. Je la remercie tout en inspectant mes habits de travail sales.
J’attends qu’elle s’éloigne pour entrouvrir la paroi et récupérer les vêtements que j’enfile un peu maladroitement, peu habitué à porter des tenues Ynoriennes. Une chemise blanche surmonté d’une sorte de gilet de lin bleu aux manches amples. Moins amples que les manches du pantalon de la même couleur, je jure que je pourrais mettre dix cuisses pareil aux miennes à l’intérieur. Quoiqu’il en soit c’est dans cette accoutrement que je quitte la salle d’eau pour remonter le couloir tout en nouant autour de ma taille le ruban qui sert de ceinture et qui m’évite de marcher sur le tissu. Je suis les sons des voix et les odeurs de repas jusqu’à une pièce où je suis accueilli avec de larges sourires.

Je reconnais le père de la famille et sa moustache blanche taillée en deux longues mèches. Son visage en revanche est plus pâle et a prit bien des rides. Il tient entre ses mains tremblantes une canne sur lequel il se repose alors qu’il est assis. D’ailleurs si il tente d’abord de se redresser, il abandonne vite en remarquant que ses jambes ne peuvent pas le tenir. Il est soutenu par celle qui doit être sa femme, Ynorienne âgée à la coiffure grise impeccable et possédant un visage dans lequel je reconnais les traits de la fille qui fait les présentations.

« Vous connaissez déjà mon père Engo Kazami et voici ma mère Jia Kazami. »

« C’est un grand honneur de vous recevoir chez nous Xël Almaran. Si on m’avait dit il y a quelques années que je transportais un héros je ne l’aurais pas cru. »

Dit le père avec un sourire sincère alors que je me sens un peu gêné. La mère s’empresse de me mettre à l’aise, m’invitant à m’installer à table où attend ce qui ressemble à un coq rôti dégageant un léger arôme d’amende ainsi qu’un grand saladier de riz. Ayae aide son père à nous rejoindre avant de s’installer à côté de moi. La maîtresse de maison lance alors des sujets plus légers, elle donne la recette de son repas qu’elle nomme coq au Praijo, une spécialité Ynorienne selon ses mots et qu’elle est la meilleure à réaliser à Oranan selon ceux de son mari. Un coq rôti arrosé d’une liqueur d’amandes et de sucre, elle découpe un morceau qu’elle dépose dans mon bol avec du riz avant de l’arroser d’une sauce brune et épaisse qui sent délicieusement bon.

Je les complimente sur leur maison, appréciant la décoration sobre et pourtant chaleureuse, la beauté de leur jardin où le bruit apaisant d’une petite fontaine se fait entendre. Engo me parle de sa boutique de parfum, Jia de sa conception et Ayae des fleurs les plus odorantes. Je passe un moment agréable, même quand je dois raconter comment je me suis retrouvé sur Aliaénon par pur étourderie, provoquant quelques rires amusés. Je me sens quelque peu mal à l’aise quand on me complimente sur ma tenue et que j’apprends qu’elle appartenait au fils de la famille. Mais on s’empresse de me rassurer:

« Il a choisi de combattre pour protéger sa patrie, il est mort avec honneur. »

Explique le père suivi des acquiescements du reste de la famille.

« Suivez moi Xël. »

Déclare-t-il tandis qu’Ayae et sa fille débarrasse la table. Il se redresse en tremblant de tous ses membres sous nos regards inquiets mais il nous rassure une fois debout, assurant qu’il peut marcher avant de quitter d’un pas lent la pièce. Je lui emboîte le pas pour parcourir le couloir. Il fait de nombreuses pauses et je suis même forcé de le retenir alors qu’il est sur le point de chuter pour à nouveau le laisser se déplacer seul quand il me fait signe qu’il a retrouvé ses forces.

« Vous aussi vous avez défendu Oranan a de nombreuses reprises et là encore vous aidez la cité à rebâtir ce qui a été détruit. J’aimerai vous offrir quelque chose en signe de reconnaissance. »

Nous entrons dans une chambre qui embaume l’encens, rangé impeccablement et où est exposé une armure Ynorienne mise en place sur un mannequin de bois avec à la ceinture un sabre et à ses pieds un coffre. A bout de souffle, le vieil homme s’assoit sur le lit et me demande d’ouvrir le coffre. Face à mon regard hésitant il incline la tête pour m’encourager et j’obéis, me mettant à genoux pour soulever le couvercle.

« C’était destiné à mon fils mais à présent vous saurez, je suis sûr, en trouver une utilité. »

Sous mes yeux se trouve un minerai que je pense reconnaître, oscillant entre le gris, le vert et le bleu, la couleur est semblable à celle de mon plastron.

« De la Faerunne ? »

Il hoche la tête.

« Prenez le. C’est un cadeau de la part de ma famille. »

« Et votre fille n’en veut pas ? »

Je l’aperçois écarquiller les yeux de surprise, lui donnant un drôle d’air sans ses yeux bridés avant qu’un sourire vienne adoucir ce visage surpris.

« Ma fille n’est pas destinée à combattre. Elle est promise au fils d’un riche marchand qui saura s’occuper de notre commerce une fois ma dernière heure venue. Ainsi elle ne manquera de rien et l’entreprise familiale poursuivra son histoire. »

A mon tour d’écarquiller les yeux de surprise, demandant pourquoi Ayae ne peut pas reprendre le commerce elle même.

« Ce n’est pas ainsi que les choses se passent à Oranan. »

Répond-il doucement en souriant avant de m’inviter à nouveau, d’un geste, à prendre le coffre en ajoutant.

« Le Faerunne est un acier de combattant, ce que vous êtes, assurément. »

Je ne sais pas trop comment prendre cette dernière remarque mais j’accepte le cadeau. Soulevant le coffre étonnamment léger sous le regard bienfaiteur d’Engo qui se relève:

« Allons prendre le dessert. Ma femme a fait une tarte aux noix. Puis nous boirons un peu de Saké ! »

S’exclame-t-il ravi. Nous retournons dans la salle à manger qui exalte en effet d’une odeur de noix chaude. Je savoure ma part de tarte avant qu’Ayae nous rapporte des petits bols et une bouteille de Saké. Elle me sert avant de servir son père. Je porte le bol à mon nez pour humer le contenu. Je reconnais que j’ai à faire à un alcool fort sans arôme particulier. Je le porte à mes lèvres et je sens immédiatement la force de la boisson qui réchauffe ma gorge. Nous vidons ainsi quelques bols avant qu’il demande à sa femme de l’installer sur une chaise pour se reposer.

Ayae m’invite alors à faire un tour avec elle dans le jardin pour désembrumer mon esprit. Nous parcourons les rangées de roses, d’orangers, de lavandes, de lys, de magnolias, et d’autres fleurs et arbres à la lumière de petites lanternes. Nous marchons autour d’un bassin où je distingue quelques poissons:

« Quand allez vous repartir ? »

« Je ne sais pas trop. Quand les travaux seront terminés j’imagine, je suis encore officiellement dans l’armée de Kendra Kâr alors… »

Je hausse les épaules avant de poser une question à mon tour:

« Et vous, quand allez vous vous marier ? »

Elle semble surprise mais se reprend néanmoins pour me répondre:

« Je l’ignore. Bientôt j’imagine. »

« Il est beau garçon ? »

Demandais-je avec espièglerie.

« Là encore je l’ignore. Je n’ai rencontré que ses parents. »

« Vous allez épouser un homme que vous n’avez jamais rencontré ? »

« Le mariage est surtout une histoire de stratégie, ce sera à nous par la suite de faire en sorte de nous aimer pour le bien de nos deux familles. »

« Je vous souhaite le meilleur dans ce cas. »

Elle incline la tête avant de me demander si les mariages arrangés n’ont pas lieu à Kendra Kâr. Ce à quoi je réponds que cela doit se faire pour les familles nobles mais sans doute pas pour les plus pauvres. Elle me raccompagne finalement vers la sortie où je récupère mon cadeau et peut remercier et saluer Jia Kazumi qui m’offre en prime un flacon de parfum pour l’offrir à l’être aimé quand je l’aurais trouvé. Je la remercie avec en prime un rire franc.

« Je vous ramènerai les habits demain. »

« Gardez le. Au moins le temps que vous restez à Oranan, vous ferez meilleur impression. »

Je souris à nouveau, elle n’avait cessé tout le repas de scander que j’étais bel homme et s’étonnait de mon célibat, assurant que je pourrais trouver une famille qui accepterait de me marier sa fille.

« Je vous remercie pour tout. Prenez soin de vous. »

Nous nous saluons à l’Ynorienne et je quitte la demeure pour rejoindre l’auberge.


>>>

(( Je récupère les doses de minerai élémentaire. Recompense du concours des 20 ans :)))

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Kiyoheiki
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Re: Les Habitations

Message par Kiyoheiki » sam. 15 juin 2024 18:53

~Auparavant~


/!\ Ce rp contient un passage qui peut déranger à la lecture (manipulation de corps dans le cadre d'une autopsie).


~8~


Immobile, je demeure dubitatif, alternant entre regarder la clé qui s'est grandement calmée et ce que j'ai sous les yeux. J'ai beau avoir arpenté la rue indiquée de long en large, à présent éclairé uniquement par la lueur de mon heaume, l'objet bruyant et toujours rivé à ma peau n'est devenu supportable qu'ici. Je fais face à une paroi de plusieurs mètres qui prolonge la façade d'une habitation, mais construite en retrait comme si elle avait été destinée à accueillir une entrée. Le muret bas m'arrivant à mi-cuisse semble le confirmer, même s'il est dénué d'un quelconque portillon. Une charrette à bras est placée parallèlement au mur, et en faisant quelques pas de plus pour en avoir le cœur net, je constate qu'elle masque une double porte oblique donnant très certainement sur une cave. Je relève la tête vers le mur, constatant bien la présence d'un abri pour oiseau accroché dessus. Suis-je censé passer par l'accès donnant sur le souterrain ? En m'approchant, une lueur semblable à celle de mon sort de lumière filtrant entre les pans de la porte double me permet de voir que deux poutrelles de bois la barrent. Pas de serrure, et malgré un coup contre les panneaux, aucune réponse. Est-ce que ce Wu Ming s'est définitivement joué de moi ?

Je secoue la tête et reviens sur mes pas. Il me faut pourtant comprendre comment me sortir de cette situation. Je continue en allant voir de plus près l'abri. Je me demande si le moindre moineau vient y faire son nid, vu son emplacement. Et sa forme. On dirait un morceau de bambou adulte coupé en deux dans le sens de la hauteur, avec une imitation de toit ynorien collé dessus, et une ouverture arrondie flanquée d'un perchoir décentré comme tout détail. Pas besoin d'avoir le nez collé dessus pour constater qu'il n'y a pas la moindre preuve d'une occupation animale. L'abri est parfaitement propre et il n'y a même pas la plus petite trace de toile d'araignée. Quelque chose finit par m'intriguer quand je me rends compte que la lueur de mon casque ne parvient pas à éclairer l'intérieur de l'objet. Prudemment, je pose un doigt contre l'ouverture et fronce les sourcils en comprenant qu'il n'y a pas de profondeur. C'est un cercle d'un dénivelé inférieur à celui du bout de mon doigt, et peint en sombre comme pour duper le regard. En revanche, j'y décèle une fente qui me fait immédiatement songer à l'intruse greffée à mon épiderme. Cela ne peut pas être lié... Si ?

Intrigué, je manipule la clé pour pouvoir faire un essai. Elle glisse dans l'ouverture et fait jouer un mécanisme à l'intérieur quand je la tourne. L'abri s'ouvre en deux et l'un des pans suit ma main toujours collée à cet énervant objet, me permettant de voir un triangle de métal lié à une chaîne. Est-ce que cela active une cloche ? Pour prévenir l'occupant des lieux que quelqu'un attend ? Mais sans le passe nécessaire pour ouvrir l'abri, comment... Cessant de tergiverser, je me saisis du triangle et tire dessus, percevant le jeu de plusieurs engrenages derrière la paroi. Je manque de sursauter quand ce que je pensais être un mur plein semble voir son tiers central être tiré vers l'intérieur et s'immobiliser en laissant apparaître un écart large. Je referme l'abri et ôte ma phalange ainsi que la clé du mécanisme, attendant quelques instants pour voir si ce que je pense être un passage se referme. Il semble que non. Prudemment, je touche le rebord et tente de pousser la paroi sur le côté. Il ne me faut pas même une seconde pour comprendre qu'il s'agit purement d'une porte coulissante déguisée, dont la chaîne a retiré les loquets la maintenant fermée. À l'intérieur, attentif, je tends l'oreille. Aucun bruit ne m'indiquant une attaque prochaine, je prends le parti de remettre la porte à sa place et réamorce le système de loquets. J'inspire lentement puis me retourne.

La pièce où je suis arrivé est dénuée de lumière. Je me sens brièvement indélicat de penser à relancer mon sort d'éclairage, mais ce sentiment est balayé par le léger sifflement qui émane toujours du bout de ma main. Je n'hésite donc pas, tant pis pour l'homme masqué s'il dort dans les environs. La pièce est rectangulaire, divisée en une seconde par un mur et un cadre de porte vide sur ma gauche, me permettant de voir le bout d'un lit sur pieds. Et couvert de vêtements, ainsi que d'une malle ouverte. En y regardant de plus près, je me rends compte que seule la moitié la plus proche du mur, arborant d'ailleurs la trace d'un accès emmuré, est couverte d'un capharnaüm indescriptible, mais que l'autre est tirée au cordeau. Personne, donc. Si ce Wu Ming est ici, il ne dort définitivement pas dans sa chambre. Face à moi, une table rectangulaire et trois chaises de bois, non loin d'une fosse à feu. Le long du mur devant moi, une succession de meubles type établi ou comptoir, portant des fioles en tous genres, des alambics, des mortiers et ce que je pense être des cagettes de réactifs. Sur ma droite, vers le coin le plus éloigné, l'angle doit donner son nom à l'étude. Des bibliothèques tellement chargées que plusieurs étagères brisées par le poids doivent être soutenues par des bûchettes. Devant elles, un bureau entouré de traités qui n'ont pas du trouver grâce aux yeux du propriétaire, s'empilant presque à hauteur de la surface du meuble. Et celle-ci est encombrée de plusieurs caisses ouvertes de petite taille, de paniers et autres contenants durables.

Complètement sur ma droite, dans l'angle opposé, un escalier semble descendre au sous-sol que j'ai décelé. Je ressens un bref frisson en remarquant une porte entre le bureau et l'escalier, sans être en mesure de distinguer pourquoi. Ce n'est qu'à ce moment que j'entends le son d'un gong résonner dans la salle, et qui se répète à intervalles réguliers. J'en cherche l'origine et finis par remarquer un crochet à hauteur d'yeux, arborant une clé similaire à la mienne mais d'un coloris plus argenté.

"J'ai failli attendre !", me parvient subitement une voix faisant écho dans l'escalier. "Arrête de traîner ! Qu'est-ce que tu fabriques ? Dépêche-toi d'accrocher la clé avec sa jumelle !"

Oui, une voix qui me hérisse déjà et aux propos désagréables. Je suis au bon endroit. Je manque de peu de rouler des yeux, n'ayant pas pu me débarrasser de la siffleuse pendant tout le trajet et doutant fortement d'un résultat différent maintenant. Je fais toutefois pivoter la clé de sorte à ce que son anneau puisse glisser sur le piton métallique et l'amène contre l'autre. À l'instant où elles entrent en contact, non seulement le bruit de gong et le sifflement s'arrêtent, mais l'encombrante chose se décide à me lâcher.

(Mais qu'est-ce que ?)

Le mieux étant d'aller directement chercher les réponses à la source, j'emprunte l'escalier de pierre, constatant que l'air y est de plus en plus frais. Arrivé en bas, je demeure brièvement stupéfait par ce que je découvre. Deux corps d'ynoriens dénudés, posés chacun sur une table, leurs effets empilés pêle-mêle sur un petit piédestal au bout de celles-ci. Une femme sur ma droite, son torse arborant une couture en Y, un tissu recouvrant son bassin et ses cuisses en un simulacre de modestie. Un homme sur ma gauche, sur lequel un Wu Ming éclairé par un sort de lumière est penché. Mon savoir-faire de guérisseur me fait noter malgré moi tout ce que je vois. Le corps est ouvert d'une clavicule à l'autre et jusqu'au bassin, les différentes couches de chair écartées et dévoilant les organes. L'homme masqué les touche et les manipule au niveau de l'abdomen sans la moindre trace de précipitation. Il n'y a guère de sang, indiquant que la victime était déjà morte quand il s'est amusé à l'ouvrir.

"Je ne te remercie pas. ", dit-il sans relever la tête, extrayant le foie du corps avec précaution. "As-tu la moindre idée de la difficulté pour se concentrer quand un gong résonne en permanence au-dessus de ton crâne ?"

Ce n'est qu'à sa question que je me reprends, teintant de valeurs morales ce spectacle aussi inattendu que dérangeant.

"Que faites-vous ? Qui sont ces personnes ?"

"Qu'est-ce que j'ai l'air de faire ? Cirer mes bottes ?", répond-il avec un soupir, posant l'organe sur une balance dont il ajuste les poids. "Et je n'en sais rien. T'as qu'à leur demander.", ajoute-t'il en indiquant les corps d'un pouce par-dessus son épaule.

Un bref moment de silence s'installe, l'homme prenant le temps de se laver les mains dans une vasque, de les sécher puis de s'emparer d'une plume et gratter quelques notes sur un parchemin.

"C'est à vous que je pose la question. Avez-vous manipulé des familles afin qu'elles vous livrent leurs proches ?", dis-je en serrant ma main sur la sangle de mon arme.

"Discuter avec des gens ? Pour quoi faire ? Ah ! Parce que tu as cru que j'étais sérieux tout à l'heure ?", demande-t-il en jetant brièvement un regard par-dessus son épaule puis en se retournant, revenant près du corps pour remettre le foie à sa place. "Ça, c'était juste pour que l'autre pimbêche perde son temps à se confondre en excuses comme elle le fait toujours, plutôt que d'être dans mes pattes quand j'ai récupéré ces deux-là des remparts."

"Bien entendu. Et torturer mon ami avec votre mixture était aussi un acte totalement planifié, je suppose ?", réponds-je en durcissant le ton, me souvenant parfaitement de la souffrance de Hidate.

"Peut-être que oui, peut-être que non. Peut-être que l'opportunité était idéale pour une petite expérimentation."

"Ne prenez pas ce que je vous dis à la légère. Qui sait où cela se serait arrêté sans intervention ? Sans parler du fait que cela lui a causé une douleur atroce."

"Et un saignement, et un vieillissement accru de la plaie qui a englobé des chairs mortes causant une nécrose. Merci, tu ne m'apprends rien. J'ai déjà documenté et consigné les résultats.", ajoute-t-il sans la moindre culpabilité. "Oh, ça va. Cesse de chouiner. Cela ne l'a pas tué, que je sache."

Sur ce, je le vois repartir à sa manipulation du corps, se saisissant des intestins, les tournant et les pétrissant du pouce pour une raison qui m'est obscure. Là encore, il répète son protocole précédent, consignant des choses sur sa feuille. Ce n'est qu'en le voyant se saisir d'une scie et se positionner près de la tête du cadavre, sur le point de s'y attaquer, que je décide en avoir assez vu.

"Il suffit !", le voyant finalement lever son masque vers moi. "S'ils étaient près des remparts, ils sont aussi tombés à cause du Dragon noir. Laissez cet homme reposer en paix."

"C'est vrai, mais cela n'exclut pas de pratiquer un examen approfondi. Tu ne veux pas savoir pourquoi eux plutôt que d'autres ?"

"Non."

"Ni s'ils auraient vécu longtemps après cette épreuve ?"

"Non."

"Ou encore quels ont été les effets exacts, histoire d'avoir une base au cas où une mort similaire surviendrait quelque part ?"

Lentement, je me pince l'arête du nez et me frotte le coin des yeux. Ce Wu Ming a non seulement de la suite dans les idées, mais une inaptitude colossale à entendre une réponse négative. En temps normal, j'aurais probablement prêté l'oreille à ses dires. Connaître les raisons du trépas d'un individu dans le cadre d'un meurtre, pourquoi pas. Ici, je ne vois pas d'utilité à part satisfaire sa morbide curiosité et son égo d'avoir ravi des défunts au nez de la prêtresse.

"Ce que tu peux être étroit d'esprit. C'est pourtant fascinant ! Prends le cas de cet homme. Il n'a rien avalé depuis un moment malgré l'imminence d'un affrontement. Sauf de sacrées doses d'alcool qui, vu l'état déplorable de son f..."

"J'ai dit assez.", le coupé-je en approchant de la table. "Vous en avez fini avec lui."

"Ah non, il me reste encore le contenu de son crâne, s'il en reste quoi que ce soit.", dit-il jovialement en brandissant la scie, qu'il fait tinter en raclant son pouce contre une dent.

Je rive mon regard violet au sien, comprenant qu'il n'a aucune intention de couper court à son activité. Soit. J'étends la main au-dessus du corps, usant de mes fluides pour répliquer ce qu'a fait la prêtresse plus tôt. Je n'ai pas besoin de regarder le défunt pour savoir que ma magie a effectivement replacé les organes et les chairs, la peau se suturant comme si elle avait jamais été ouverte. Wu Ming regarde le corps, son expression masquée ne me permettant pas de déceler quoi que ce soit. Il repose son outil sur la table et lève la tête vers moi, son ton totalement dénué de chaleur.

"Es-tu conscient de ce que tu viens de faire ?"

À mon silence, il poursuit.

"Tu n'avais qu'à patienter sagement, me laisser terminer mon étude de ce cadavre, mais non. Non seulement tu as saboté des heures de mon travail, mais tu viens de te saborder toi-même.", dit-il froidement, en se rapprochant de moi à pas lents. "Faut-il être stupide pour froisser la seule personne de toute la cité qui puisse t'aider.", gronde-t-il en venant se planter devant moi, m'obligeant à lever la tête pour soutenir son regard. "Cela te rappelle-t-il des souvenirs ? La raison de ta venue ici ? Alors maintenant, dis-moi... Que vas-tu faire pour revenir dans mes bonnes grâces ? Pleurer ? Supplier ? M'offrir quelque trésor qui trainerait dans ta besace ?"

Il est vrai que je me souviens maintenant que son offre d'aide a piqué ma curiosité et que j'ai peut-être agi de façon un peu impulsive. Mais je suis ynorien, droit et apte à assumer pleinement mes choix. J'émets un souffle du nez amusé et incline légèrement la tête.

"Vous ramènerez ces corps où vous les avez trouvé."

"Hein ?", laisse-t-il échapper, ses yeux clignant plusieurs fois sous son masque.

"Non. Les deux.", répliqué-je en me méprenant volontairement sur sa réponse.

Je fais un pas en arrière puis effectue un volte-face, me dirigeant vers l'escalier. J'ai à peine gravi quelques marches que Wu Ming se met à éclater d'un rire débridé, m'incitant à me tourner vers lui et le voyant obligé de prendre appui sur la table du défunt pour rester debout. Immobile, silencieux, je patiente un moment et, le contemplant encore en train de rire, je reprends mon ascension. Je n'ai pas même atteint la porte que l'homme émerge à son tour de l'escalier.

"Hihi ! On aurait dit un chat qui boude après avoir été aspergé d'eau froide ! Ce que tu peux être susceptible, toi !", pouffe-t-il, m'incitant à me tourner vers la sortie. "Attends, attends. C'est bon, ne pars pas. Ce serait dommage de rebrousser chemin maintenant, pas vrai ?"

Il se tourne vers moi et je devine son regard se plisser, peut-être en lien avec un sourire. Je le contrains à patienter à son tour en attendant des excuses que je sais ne jamais venir puis, prenant ma décision, je me détourne de la porte camouflée et reviens vers lui. Il tire l'une des chaises et s'y installe inélégamment, m'invitant à faire de même avec celle d'en face. Ici, je suis plus proche de la sortie s'il se montre de nouveau insupportable. Et j'ai l'étrange pressentiment que cela ne va pas manquer de se produire.



~Suite~
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Re: Les Habitations

Message par Kiyoheiki » dim. 16 juin 2024 16:55

~Auparavant~

~9~


"Je t'ai cordialement invité à t'asseoir. Le moins que tu puisses faire est de t'exécuter.", me dit-il en posant ses coudes sur la table afin de soutenir sa tête des poings.

"À quoi bon nous perdre en courtoisies maintenant ? Si vous êtes en mesure de m'aider, faites-le. Sinon, dites-le, que je puisse retourner séant chez moi."

"Chez toi, chez toi. Il faut le dire vite. Une mansarde quelque part louée à prix d'or constitue rarement un foyer.", répond-il en ramassant un gobelet de bois sur la table, examinant distraitement la gravure dessus.

Debout à l'opposé de lui, je lui fais face. Que cherche-t-il à faire à présent ? Prêcher le faux pour connaître le vrai ? Pourquoi s'y prendre de manière aussi détournée ? Il ne m'offre même pas le plaisir de poser la question pour que je lui offre en retour une réponse abrupte.

"Ce n'est décidément pas le respect qui vous étouffe."

"Sache que je ne n'offre mon respect ou de ce stupide 'vous' qu'à mes pairs, à des individus remarquables ou que j'ai appris à connaître. Et lorsque tu es intime avec quelqu'un, le vouvoyer devient particulièrement gênant. Traiter tout le monde d'une même manière directe et franche évite bien des casse-têtes. ", fait-il en se rasseyant, jetant d'une main le gobelet en l'air.

"Cessez de noyer le poisson."

"C'est toi qui a abordé le sujet.", fait-il nonchalamment en haussant les épaules.

"Et à présent, je vous invite à revenir au tout premier. Comptez-vous m'aider ou non ?"

Wu Ming s'avachit un peu plus sur son siège, venant mettre ses pieds sur la table et continuant à faire sauter le gobelet entre ses mains. Je perçois monter une pointe d'irritabilité que je refoule lentement, m'efforçant de ne pas répondre à son attitude. Pendant un long moment, seul le bruit du récipient tombant entre ses paumes et retournant tourbillonner dans l'air prouve que le temps ne s'est pas figé.

"Je ne sais pas. Il me faudrait probablement quelque chose pour me motiver un peu après ce fiasco en bas. Qu'en penses-tu ?"

"J'en pense que vous savez déjà pertinemment ce que vous voulez.", réponds-je de façon neutre.

"Tout à fait. Un brin de conversation pour me mettre dans le bon état d'esprit. Cela n'est pas trop complexe, même pour un individu comme toi, n'est-ce pas ?", dit-il sur un ton moqueur, jetant le gobelet d'une paume à l'autre. "Je t'ai tendu une perche et tu t'es gardé de la saisir. Donc dis-moi dans quel genre de ruines un demi-shaakt se terre-t-il de nos jours ? Oh, quel maladroit je peux faire. Je présume que tu résides en ville alors que tu dors certainement dans un abri de berger en bord d'une route peu fréquentée pour ne pas effrayer les passants. Toutes mes plus sincères et plates excuses, ô Ser de lumière."

"Simple curiosité, j'imagine ?", réponds-je, m'efforçant d'ignorer son imitation de révérence moqueuse effectuée en posture totalement négligée.

"Simple curiosité."

"Le bâtiment devant lequel nous avons eu la malchance de faire connaissance, l'herboristerie, est mien."

"Ah ! À d'autres ! Comme si cette vieille carne de mère Takako pouvait laisser quelqu'un qui n'est pas ynorien depuis dix générations approcher sa propriété ! Ou l'en déposséder !"

Je fronce les sourcils légèrement, convaincu qu'il prêche effectivement le faux pour connaître le vrai. Soit. Ce n'est pas comme si la chose était secrète, après tout.

"L'herboristerie et la demeure associée étaient la propriété de Kawarin Masaya, pas d'une soi-disant Takako. "

"Ouuuups, suis-je bête. J'ai du confondre. Tu sais, occupé comme je suis quand on ne me ruine pas touuut.", réplique-t-il en faisant traîner sa réponse, montrant de façon exaspérante qu'il cherche bel et bien à me faire réagir. "Ce qui ne change rien au fait que tu n'aurais jamais pu l'acheter, quel qu'en soit le prix. Sacrés sang-mêlés, toujours à raconter des histoires."

"Il est vrai que je ne l'ai pas acquise en la payant.", dis-je, observant Wu Ming reprendre son jonglage paresseux. "Elle m'est revenue de droit il y a environ trois ans, à sa mort."

Un bruit soudain attire mon attention sur le gobelet que l'homme masqué vient d'échapper, l'objet roulant sur le sol de bois et s'immobilisant d'une façon que je trouverais presque comique si une soudaine tension n'avait pas empli la pièce.

"Qu'est-ce que tu lui as fait ?"

"J'ignore ce que vous imaginez, mais c'est faux. Mon oncle, devenu mon père adoptif, souffrait d'un problème de cœur qui a finit par le rattraper."

"Encore à fabuler. Et même si c'était le cas, il prenait de quoi se soigner."

Wu Ming se redresse lentement, ramenant ses pieds au sol. Son masque se tourne vivement vers moi et je devine ses yeux plissés. Il semble décidément bien informé quant aux affaires de Masaya. Je suis persuadé qu'ils se connaissaient, ce qui ne serait pas incongru puisque intéressés tous deux par des activités médicales. Je demeure fermement sur mes positions. J'ai vu de près une déesse chaotique, ce n'est pas un homme sous tension qui va m'impressionner.

"Traitement et toniques qui ne lui faisaient plus d'effet. Il a bien reçu une racine particulièrement odorante et puissante, mais elle lui a causé une réaction allergique qui a failli lui coûter la vie.", dis-je, constatant l'homme serrer et desserrer les poings. "Je ne l'ai pas vu chercher d'autres solutions après cela. Je n'ai pu que constater qu'il a passé sa convalescence à pratiquer son shôgi et à écrire des lettres en grand nombre."

J'ai à peine le temps de penser à ce souvenir de Masaya, rédigeant missive après missive à la lueur d'une lanterne, que l'ynorien qui me fait face se précipite d'un coup à grandes enjambées vers son bureau. Prudemment immobile, je le vois déplacer les caissettes et les traités, fouiller le meuble et tirer plusieurs tiroirs. Il va même jusqu'à en sortir un de son logement et le retourner sur la surface. Une pile de parchemins dans des tubes, de lettres cachetées et autres documents constitue bientôt un petit tas, quand elles ne roulent pas à cause du mouvement. Toute cette correspondance semble encore fermée. Wu Ming les examine une par une, les empilant dans les contenants avec une agressivité croissante à mesure que l'objet de sa recherche lui échappe. Est-ce que mon parent lui aurait également fait envoyer un pli ? C'est le seul moment où il a véritablement réagi à mes paroles. J'ai bientôt ma réponse lorsque l'homme se fige, agrippe un coupe-papier et fait sauter le cachet de cire fermant la lettre. De là où je suis, je devine peut-être deux ou trois pages rédigées en petits caractères. Tout en gardant un œil sur mon hôte, je vais ramasser le gobelet au sol et le repose sur la table. Puisqu'il risque d'en avoir pour un moment, je prends finalement le temps de m'installer sur une chaise pour l'observer en silence.

L'être masqué est rigide, parcourant les écrits avec une certaine avidité. Après de longues minutes passées dans un silence inconfortable, il abaisse la main tenant son courrier. Il se dirige vers sa bibliothèque, faisant coulisser la porte du petit placard en-dessous des ouvrages, pour en extraire un plateau où sont posées des pièces de shôgi. Il consulte la lettre, puis observe le jeu et déplace une pièce dessus avec prudence. J'ai presque envie de décrire son geste comme... Empli de déférence. Pendant un moment, à le voir contempler la partie, j'ai la sensation qu'il a oublié ma présence. Et je prends la décision de ne pas interférer. Il finit par lentement écarter les bras en un geste de nonchalance.

"Mat, on dirait."

Avec une douceur dénotant avec son côté arrogant et abject, Wu Ming reprend le plateau, y pose la missive, et range l'ensemble précautionneusement à sa place. Sa main demeure sur la surface de bois une fois la porte coulissante refermée. Sa posture n'a guère changé et pourtant il semble dégager quelque chose de fragile ou d'abattu. Brièvement, je ressens une once d'empathie.

"Son corps ? Qu'est-il devenu ?", demande-t-il sans se retourner, me faisant immédiatement regretter mon brin de compassion. Pourquoi ne suis-je finalement guère étonné qu'il ait eu en tête de mettre la main sur le corps de Masaya ? Un de plus pour satisfaire sa curiosité, certainement.

"Funérailles traditionnelles. J'ai moi-même procédé au Hosoi et placé ses cendres auprès de celles des siens."

"Je vois."

Il me jette un regard par-dessus son épaule sans se relever. Je perçois toute son attention tournée vers moi pendant un long moment, mais l'homme demeure étrangement silencieux. Son masque se tourne de nouveau vers le meuble, et il tapote la surface de bois du bout des doigts. Il finit par se redresser et s'approcher de la table où j'ai pris place. Arrivé face à moi, Wu Ming croise les bras. S'il avait l'air défait un rien plus tôt, cela ne se devine pas le moins du monde.

"Bon, écoute. Voilà comment les choses vont se dérouler. Je vais te faire passer un petit test. Si tu échoues, je m'occupe de tes marques. Personnellement."

"Et dans le cas contraire ?"

"Je t'enseigne comment t'en débarrasser tout seul, comme un grand. Qu'est-ce que tu en dis ?"

"Puis-je savoir à quoi est dû ce revirement ?"

"Un revirement ? Quel revirement ?", fait-il en portant la main à sa poitrine de manière outrée. "Sache que je suis quelqu'un de profondément bienveillant, et altruiste, et naturellement enclin à aider mon prochain. Même quand je suis remercié uniquement par de l'ingratitude.", ajoute-t-il avant de se tourner vers la porte qui m'a dérangé plus tôt.

"Je n'ai pas souvenir d'avoir accepté.", dis-je en lorgnant vers sa silhouette.

"Hum. Irritabilité, pertes de mémoire. Il faudra se pencher dessus rapidement. Plus un problème est abordé tôt, plus simple il est à régler.", répond-il en s'engouffrant dans la pièce adjacente.

Lentement, je retire mon heaume pour le poser sur la table et me masser les tempes. Oui, décidément, cet homme semble avoir quelques difficultés avec le concept de consentement ou de refus. Que peut-il donc avoir derrière la tête ? Et surtout, qu'a-t'il bien pu lire dans ce courrier pour le faire réagir à ce point ? Plus préoccupant encore, en quoi va consister son soi-disant test ? J'espère pour lui qu'il ne s'agit pas de manipuler des corps ou de lui servir de cobaye pour ses mixtures. Aujourd'hui, plus que d'autres jours, ma patience a ses limites.



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Message par Kiyoheiki » jeu. 20 juin 2024 20:40

~Auparavant~

~10~

À son retour, Wu Ming s'assoit directement à ma droite après avoir posé sur la table un plateau portant trois objets. J'y vois une figurine de bois semblant représenter un bouloum, mais avec des angles assez rudes, comme si l'artiste avait choisi de bannir tout arrondi de son travail. À côté, une tasse à thé ynorienne sans propriétés particulières, entièrement blanche. En dernier, un dé grisâtre dont la face numérotée deux est visible.

"Avant d'aborder le test proprement dit, regarde ce que j'ai apporté et donne-moi ton ressenti sans réfléchir."

Je tourne la tête vers l'homme masqué, qui me regarde avec aplomb. Il semble sérieux. J'ai un peu de mal à comprendre, mais autant jouer le jeu pour voir où il souhaite en venir. Je reporte donc mon attention vers les effets disposés devant moi. Doucement, je sens monter comme une sensation d'étrangeté. Un peu comme si j'avais réalisé avoir été en présence d'une incohérence, sans bien comprendre l'origine du sentiment. Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive, mais je décèle une différence notable entre le moment où je contemple les objets et celui où je dirige mon attention vers mon voisin. Quelque peu hésitant, je lui fais toutefois part de ce que je viens de constater. Il acquiesce à plusieurs reprises et de manière légère avant de reprendre la parole.

"Il semble que tu aies la sensibilité nécessaire."

"Dans quel sens ?"

"Dans le sens où... Comment le dire en termes suffisamment simples pour qu'un quidam les comprenne...", fait-il en me lorgnant ostensiblement, et émettant un claquement de langue quand je refuse de réagir à la pique. "Disons que, comme lorsque le serpent et la mangouste se rencontrent, une tension s'installe dans l'air. Eh bien c'est un peu pareil. Ton aura ou ton instinct qui sont liés à tes fluides te font ressentir la présence d'une création à base de magie d'ombre là où tu portes ton attention."

"Une création à base de magie d'ombre ?"

J'entends Wu Ming inspirer comme si j'avais posé la question la plus absurde de Yuimen.

"Grossièrement... Une malédiction... Ma-lé-dic-tion.", répète-t-il lentement, histoire de partager son agacement, sans doute. "Parce que oui, l'une des choses qu'il y a devant toi est effectivement maudite ! Ouuuuuh !", ajoute-t-il en faisant onduler ses doigts lentement.

Calmement, je prends sur moi pour réorienter le sujet. Faire fi de son attitude me demande encore des efforts, mais j'y parviens progressivement plus aisément. "Mais la perception d'un problème ne constitue donc pas le test en lui-même ?"

"Non. Je vais te donner la première étape du P-C-M. C'est lui qui déterminera la suite. Et !", me coupe-t-il avant que j'ouvre la bouche. "Cela signifie Protocole de Contre-Malédiction."

"Je ne crois pas en avoir déjà entendu parler."

"Bien sûr que non. C'est ma version revisitée. Mais si tu as un jour le malheur de croiser le chemin de certains de ces stupides paladins ne jurant que par Gaïa...", commence-t-il en posant un coude sur la table, soutenant sa tête d'une main, utilisant l'autre pour faire un geste inapproprié et prenant un ton exagérément pompeux. "Alors tu te feras rebattre les oreilles par l'annonce plus que zélée du Saint Rituel de Lumineuse Purification des Manifestations Obscures. "

"... Je peine à concevoir la chose."

"Difficile à imaginer, n'est-ce pas ? Mais rien de tel pour impressionner le bouseux perdu dans son coin de montagne, et lui faire bien comprendre qu'il a intérêt à récompenser à hauteur du prestige annoncé, s'il veut que le mauvais œil soit effectivement contré."

Malgré moi, j'observe un peu plus attentivement mon voisin. En dépit du masque, il a l'air passablement remonté. S'est-il mis à détester les paladins suite à ses déboires avec le temple ou est-ce pour une toute autre raison ? Ses yeux se dirigent d'un coup vers moi et il claque des doigts.

"On se concentre. La suite est simple."

Il m'indique alors comment poursuivre avec une méthode pas à pas. Orienter mon regard vers ce que je perçois arborer une malédiction, laisser mon attention se relâcher jusqu'à ce que je vois légèrement double puis, au moment où je veux rajuster ma vision, faire circuler mes fluides dans mes yeux pour avoir la sensation d'ouvrir une seconde paire de paupières. Il me fait une démonstration, pointant ses yeux du doigt. Je décèle effectivement un léger liseré doré se former autour des ses iris, appuyant l'idée qu'il ne se joue pas de moi. J'applique la méthode et suis sur le point d'atteindre cette étape quand, subitement, ma faera m'interpelle.

(Un instant, mon Protégé.)

(Qu'y a-t-il, Okina ? Ai-je commis une erreur ?)

(Point d'erreur de votre part, une dangereuse omission de la sienne. Car à suivre ses directives aveuglément, tel est le sort qui vous attend.)

Okina me fait alors comprendre qu'il a délibérément oublié de me prévenir de manier mes fluides avec patience, car si les amener à la surface de ma peau ou les manifester depuis mes mains ne m'est pas étranger, le faire dans une zone aussi sensible que les yeux s'avère plus complexe. Il me faut procéder avec minutie afin de ne pas accidentellement matérialiser mes fluides à la surface de mes iris. Cela ne serait peut-être pas excessivement dangereux, mais j'en serais effectivement quitte pour avoir une tache durable dans mon champ de vision. Je m'efforce donc de suivre les directives de ma faera en qui j'ai toute confiance, plissant les yeux en entendant Wu Ming émettre un souffle désappointé.

Petit à petit, je perçois quelque chose. C'est comme si un rai de lumière tombait sur un nuage de poussière levé par un coup de balai, sauf que le rayon n'est pas un trait droit, il serpente. Les grains de poussière, eux, se meuvent paresseusement, dans une même direction. Avec précaution, je soulève et écarte la figurine du bout des doigts. Je fais de même avec le dé puis avec la tasse que j'aligne non loin de mon heaume. Une fois dégagé, j'observe le plateau en silence. À sa surface, plusieurs traits constitués de particules noires semblent s'y accrocher par de minuscules griffes, et je note plusieurs points en lesquels la poussière obscure semble se concentrer. Le sentiment d'inconfort me semble également plus net. C'est cet objet-ci qui est porteur d'une malédiction, pas l'un des trois qu'il transportait.

"Bon, il semble que tu aies passé le test.", fait mon voisin en inclinant la tête sur le côté. "Malheureusement."

"Est-ce une mauvaise chose ?"

"Tu n'as pas idée. Pense un peu que je vais devoir trouver des mots simples pour touuuuut t'expliquer.", dit-il théâtralement en se frottant le front masqué. "On en a pour la nuit. Ou ce qu'il en reste. Mon doux sommeil réparateur... Rhaaa..."

Je pousse un souffle par le nez à sa comédie, toussotant pour masquer le fait qu'il est parvenu à me tirer un sourire. "Nous ferions bien de nous y mettre immédiatement, non ?"

"D'accord, mais écoute bien parce que je n'ai pas la moindre envie de me répéter. Alors..."

Wu Ming se lance dans son explication. Toute malédiction, généralement créée par un détenteur de fluide obscurs, possède une base commune de quatre composants. Tout d'abord un support, qui peut être un objet, un lieu ou un individu. Ensuite, une source d'énergie qui permet à la malédiction de prendre effet, exactement comme nos fluides. Après, une intention ou une volonté qui donne son effet proprement dit à la création, comme mettre le feu, voler l'énergie d'une victime, causer un handicap et autres joyeusetés. Enfin, un point d'ancrage dont le rôle est de maintenir la malédiction liée à son support, et d'à la fois stabiliser et pérenniser l'ensemble. C'est d'ailleurs ce dernier point qui crée la différence entre un sort d'obscurité, éphémère et immédiat, et la création d'une trame persistante basée sur cette magie.

"Est-ce que tu comprends des concepts imagés ?", me demande-t-il, levant la main pour m'arrêter avant que j'ai ouvert la bouche une fois de plus. "Attends, question stupide. Tu es partiellement ynorien, après tout. Communiquer avec des locutions désuètes, des figures de style à outrance ou d'une façon pompeuse surchargée de références pour se donner des airs de sages, c'est dans ton sang."

Quelque part dans un recoin de ma conscience, je perçois ma faera... Se vexer ?

(Quelque chose ne va pas, Okina ?)

(Intolérable conduite d'un fieffé effronté, que d'ainsi injurier la totalité de la population placée sous votre protection.)

(Vous semblez le prendre de façon personnelle.)

(Nulle parole mortelle ne saurait avoir quelque poids sur les sentiments d'une faera.)

(J'aurais pourtant juré...)

(Mon Protégé ?)

(Oui ?)

(Cessons là ces divagations. Poursuivez votre éducation.)

Je me frotte le bout du nez pour masquer mon amusement et effectue un signe de tête envers mon interlocuteur.

"Alors visualise... Un mouchoir brodé. Tissu de base blanc, fils généralement de couleur, formant un motif.", dit-il en étendant un exemplaire dudit mouchoir devant nous. "Le tissu, c'est ton support. Le fil, c'est l'ancrage. Le motif, c'est l'intention ou le résultat que tu veux avoir. Et les couleurs sont la source d'énergie, qui donne toute sa force au motif. Regarde le plateau."

Je fais ce qu'il m'indique, le voyant me montrer certaines zones un peu plus denses en particules. Les différents points abordés se trouvent là, mais illisibles.

"La malédiction de ce plateau est dormante, ce qui la rend d'un côté plus simple à lever, d'un autre plus complexe pour en identifier les éléments. Je t'invite donc...", dit-il en étendant la main vers l'objet. "À le toucher."

Un moment de flottement se fait pendant que je patiente, prêt à l'entendre rire de son trait d'humour. Il vient tout de même clairement de me dire que l'objet est maudit, ce qui ne m'incite pas à en approcher. Mais Wu Ming insiste, me rappelant qu'il a fait le trajet de la pièce adjacente jusqu'à la table sans problème. Suspicieux, j'avance prudemment les doigts de la main gauche, touchant le bord du plateau. Mes yeux s'écarquillent quand je constate que les rayons de poussière sombre se mettent à circuler plus rapidement, tandis que je ressens un léger engourdissement dans mes phalanges. Plus je me penche avec curiosité sur le flux que je constate, plus la sensation se fait présente. Je commence à déceler visuellement un amas pulsant, un autre qui semble figé mais traversé par les affluents noirs et un troisième qui se densifie. Au moment où je me demande jusqu'où le troisième amas peut se condenser, une soudaine décharge me fait vivement ôter mes doigts du plateau et les secouer par réflexe. Toute la trame d'obscurité semble ralentir et se rendormir maintenant que le contact est rompu. C'est incroyable. En dépit de son principal constituant, on dirait presque quelque chose de vivant.

Immédiatement, je me tourne vers Wu Ming, qui m'observe la joue masquée en appui sur son poing.

"Minutieux et très bien pensé, équilibrant chaque point pour que toute la trame fonctionne comme prévue. Une malédiction plutôt bénigne, destinée à faire lâcher le plateau à qui le porte trop longtemps. Un travail fascinant, pas vrai ?", demande-t-il, attendant que j'opine pour continuer. "Eh bien laisse-moi te dire quelque chose que tu n'as sans doute pas réalisé."

J'incline la tête, l'invitant à poursuivre. Ses yeux se plissent sous le masque.

"Cette malédiction est d'une grande subtilité.", commence-t-il avant de se mettre à ricaner de façon honnêtement moqueuse. "Du même acabit que l'usage de cordes d'amarrage pour broder une croix sur la voile d'un navire ! Franchement, j'espère que tu n'étais pas admiratif devant ce chef-d'œuvre, parce qu'elle ferait crier 'foutu amateur' à n'importe quel mage noir digne de ce nom !"

Mon attention passe du plateau qui se tient parfaitement tranquille au masque de mon interlocuteur. Du travail d'amateur ? Là, je dois bien l'avouer. Ma curiosité est totalement piquée.


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Message par Kiyoheiki » sam. 22 juin 2024 16:27

~Auparavant~

~11~

"Qu'est-ce que je t'ai dit sur la composition des malédictions ?"

"Quatre éléments de base, formant une trame équilibrée ?"

"Pourquoi tu me réponds avec une question ? Si tu en es sûr, affirme-le ! Mais bon, tu as raison. Au moins, je ne parle pas dans le vide. Bien.", dit-il en pointant le plateau du doigt. "Comme tu l'as vu, ces éléments sont présents. Uniquement eux. Et maintenus en cohésion par de gros liens magiques. Tu peux donc difficilement faire plus simple et plus grossier."

Wu Ming me fait comprendre que plus un mage sombre créateur de malédictions a progressé dans son art, plus la trame devient complexe et condensée. En comparaison, une oeuvre comme celle que nous avons sous les yeux n'aurait pas besoin d'une surface supérieure à une phalange si elle avait été créée par quelqu'un d'aguerri, au lieu d'occuper la quasi totalité de la surface du plateau.

"Mais tu n'as pas besoin de t'en préoccuper dans l'immédiat. Passons à la suite du P-C-M."

Pour défaire une malédiction, il faut que nos fluides de lumière corrodent la trame et prennent progressivement la place d'une partie des particules pour aller atteindre et attaquer les éléments de magie sombre qui la constituent, tout en lui laissant suffisamment d'intégrité pendant ce temps pour qu'elle demeure stable. Déséquilibrer une création obscure sans la moindre précaution peut avoir de fâcheuses conséquences. Je réfléchis et évoque le fait, à mon sens, que le plus simple pour enrayer une malédiction est de prendre l'intention pour cible, ce que Wu Ming approuve. Il va même jusqu'à m'indiquer que pour être pleinement efficace, je dois charger ma magie avec une volonté logique, contraire à celle que je combats. Sans préciser pourquoi, l'homme masqué m'enjoint à prendre mon temps, à dissiper par étape. Par exemple, pour ce plateau qui cause une violente décharge proche d'une salve électrique, il me faut passer de la douleur vive à une impression de piqûre sourde, puis de gêne persistante, puis d'inconfort puis plus neutralement de contact, jusqu'à faire disparaître totalement l'intention.

Suivant les directives de mon hôte, je touche régulièrement le plateau pour voir les traits sombres circuler et y dispenser ma lumière. Progressivement, je tisse mon propre fil entre l'amas pulsant, la masse qui se densifie dès que j'entre en contact avec l'objet, et le point d'ancrage. Je concentre mon attention sur ma cible, désintégrant le point palier après palier en y opposant ma propre volonté. Petit à petit, je sens dans mes doigts la différence de conséquences. La douleur s'amenuise en intensité, tout en me causant une impression de présence accrue. Après un long effort, j'ai la satisfaction de voir le composant sombre disparaitre totalement. Je pousse tout juste un souffle soulagé quand, soudainement, le plateau se fendille dans toute sa longueur, noirci brièvement puis éclate sur la table en une multitude de fragments de bois, certains allant faire tinter la tasse ou mon heaume. Éberlué, je cligne plusieurs fois des yeux et tourne vivement la tête vers mon interlocuteur au son lent, et que je comprends immédiatement ironique, d'un... Applaudissement.

"Tu viens de lever ta première malédiction. Toutes mes félicitations.", dit-il en continuant d'applaudir une poignée de secondes, avant de se saisir d'un morceau de bois. "J'ai cependant le regret de t'informer que le support n'a pas survécu à l'opération.", ajoute-t-il en faisant voltiger ledit éclat sur sa paume.

"Ce n'est pas l'aboutissement attendu, n'est-ce pas ?"

"À part si ce plateau l'avait totalement mérité ? Non. Mais c'est le dénouement évident, quand tu réfléchis ne serait-ce qu'un instant à ta façon de t'y prendre."

"Je n'aurais pas du éroder l'intention ?"

"Ah si, si si si. Parfaitement. C'est indispensable pour neutraliser complètement une trame noire. Tu as juste oublié un petit détail. Je te laisse chercher.", répond-il en posant les coudes sur la table, collant son menton sur ses poings clos pour me fixer du regard.

Fronçant les sourcils, je reviens mentalement sur les étapes effectuées. L'injection de ma magie, l'identification des composantes, l'attaque de l'intention. Ai-je manqué quelque chose d'important ? Je jette un coup d'oeil à mes doigts qui étaient en contact direct avec l'objet, avec la certitude que je devrais réaliser quelque chose. Mon pouce passe sur mon index, là où la sensation s'était accrue, au point que j'avais l'impression de percevoir chaque détail de la fibre du bois. Ce n'est qu'à ce moment que l'incohérence me frappe. Si j'étais en train d'atténuer les effets, pourquoi est-ce que j'ai eu le sentiment opposé ? Certes, je n'ai plus ressenti de douleur, mais... Je rive mes yeux à ceux de Wu Ming.

"Une trame équilibrée.", commencé-je, décidant de poursuivre à son silence m'invitant à expliciter. "J'ai affaibli les effets en occultant le fait que la source d'énergie avait été pensée pour l'alimenter à un certain niveau."

Le regard de mon interlocuteur se plisse, mais d'une façon qui laisse deviner un léger sourire.

"Tu n'es peut-être pas irrécupérable, finalement.", dit-il avant de se redresser sur son siège. "C'est bien cela. Imagine une canalisation complètement obstruée, dans laquelle continue de se déverser un torrent qui ne peut aller que dans une seule direction. La pression grimpe et grimpe jusqu'à ce que ce qui restreint le mouvement cède. ", continue-t-il en reposant le fragment. "En supprimant ce composant, tu as fermé sa porte de sortie à l'énergie qui circulait dans la trame. Elle s'est donc accumulée ailleurs, et puisque le support était un vulgaire plateau de bois, il n'a pas pu résister longtemps. D'ailleurs, tu as de la chance qu'il se soit brisé le premier, parce que si cela avait été l'ancrage... "

Il ne termine pas sa phrase, me laissant imaginer tout un tas de conséquences possibles. D'une façon pédagogique, j'irais même jusqu'à la qualifier de patiente, l'ynorien m'explique qu'il faut s'attaquer parallèlement à la source d'énergie et à l'intention afin de les garder au même niveau. Retirer uniquement le second aura les effets que nous venons d'observer. Quant à la disparition du premier, cela peut aussi bien mettre directement un terme à la malédiction qu'engendrer une réaction de bête assoiffée, qui ponctionnera la moindre source d'énergie potentielle à proximité pour fonctionner. Énergie pouvant aussi bien être de type magique... Que celle permettant à quelqu'un de vivre.

Wu Ming s'absente un court moment et revient avec une amulette argentée de laquelle je perçois irradier quelque chose de malsain. J'apprends que cet objet est d'un autre acabit, doté de composants supplémentaires. Elle comporte une impossibilité de la retirer au porteur tant qu'il est en vie et une absorption progressive de la vitalité des êtres vivants qui l'entourent, pour soigner ses plaies ou ralentir son vieillissement. Le créateur était-il pressé ou était-ce prévu ? Toujours est-il que la source d'énergie n'étant pas constituée de magie mais par la vitalité du porteur lui-même, ce dernier était donc condamné à causer des souffrances continues à son entourage ou à périr isolé et vidé par l'objet. Je m'interroge sur la raison pour laquelle un porteur n'irait pas trouver des paladins pour l'en défaire, ce à quoi Wu Ming rétorque habilement.

"Troquer la vie de gens dont tu ne te soucies même pas contre une jeunesse en pleine santé et une existence quasi éternelle ? Dis comme cela, est-ce vraiment une malédiction ? Sans compter le fait que tu pourrais te faire accuser par ces crétins en armure d'être le créateur, et écoper d'un funeste destin pour la peine. Parce que pour en arriver à posséder un tel objet, il y a rarement une raison qui puisse trouver grâce à leurs yeux."

Cette fois-ci, il effectue lui-même la manipulation en me détaillant son procédé. Je l'observe avec attention, fasciné par sa maîtrise du sujet. Tout a l'air beaucoup plus simple et fluide quand il l'effectue que lorsque je m'y suis essayé. En un rien de temps, l'amulette n'est plus qu'un joli bijou un peu terne, mais dénué de toute magie dangereuse. À la fin de sa petite démonstration, il récapitule ce qu'il m'a enseigné et ce qu'il vient de me montrer. Puis, il baisse ostensiblement les yeux sur mon poignet. Je fais de même, alternant entre le regarder et observer mon brassard. C'est pour cela que je suis venu. Je suis quelque peu inquiet, mais j'ai pu constater le savoir-faire de mon interlocuteur. Il a beau m'agacer grandement, je pense pouvoir lui accorder ma confiance dans ce domaine. J'inspire et me défais de la pièce protectrice, jetant un regard aux deux marques maudites du Gentâme dévoilées. Je ne ressens étrangement aucune appréhension, contrairement aux deux premiers objets maudits. Wu Ming se serait-il fourvoyé en laissant entendre qu'il s'agit du même type de magie ? Je veux en avoir le cœur net et ouvre mon regard initié.

Une goutte de sueur froide me dévale lentement l'échine à ce que je découvre. Évoluant lentement à la surface de ma peau, formant comme une étroite menotte, chaque marque est à la fois le point de départ et d'arrivée d'un réseau dense et d'une incroyable finesse de poussière noire. La trame... Elle est quasiment illisible. Les zones plus sombres sont-elles des composants ? Créées par le sort d'éclairage que nous avons déjà du relancer ? Sont-ce mes yeux qui me jouent des tours ? Par où aborder un ouvrage aussi fin ? Quelles conséquences si je fais la moindre erreur ? Je déglutis audiblement malgré moi et reporte mon attention sur mon voisin. Wu Ming observe mon expression un long moment avant de se faire entendre.

"Comprends-tu maintenant ce que je voulais dire plus tôt par 'ouvrage grossier' ?"

"La différence est... Indescriptible. Comment allez-vous vous y prendre pour m'en défaire ? Cela semble... Inextricable."

"Présentement ? Absolument rien.", dit-il sans changer de posture, semblant totalement détendu alors qu'il m'annonce revenir sur sa parole.

"Vous... Vous n'aviez aucune intention de m'aider, n'est-ce pas ?"

"Eh, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Crois-le ou non, je suis un homme de parole. Observe ta marque, je vais te montrer le problème."

Je m'exécute, regardant les deux menottes se mouvoir mollement à la surface de ma peau.

"À présent, si je me mets aussi à *regarder*..."

Tout se passe en un instant. Immédiatement, une section de la trame de droite qu'il observe se met à onduler plus vite. De légers picots se forment puis croissent en une myriade de sommets. Ils s'affinent, comme si émergeaient de nombreuses et visibles aiguilles. Subitement, toutes semblent obéir à un ordre inaudible et se tendent comme un régiment de soldats vers le visage de l'ynorien. Les aiguilles émettent un léger crissement, comme un reptile prévenant de l'imminence d'une attaque. Wu Ming cesse immédiatement de regarder, chose que je constate en notant la disparition des cercles dorés de ses yeux. Mais cela ne semble pas suffire. Les aiguilles restent présentes, immobiles, comme sur le qui-vive. J'amène les doigts dessus, les constatant se rétracter là où je m'apprête à les toucher, comme pour éviter que je me blesse dessus.

"Voilà où je voulais en venir. Tu as là un véritable chef-d’œuvre d'art sombre. Une trame efficace, esthétique, comportant des éléments puissants parfaitement en équilibre et dotée d'une force de dissuasion explicite contre ceux qui ont la capacité de la détruire."

"Mais pourtant... Pourquoi elles ne réagissent pas quand je suis celui qui les vois ?", questionné-je, intrigué.

"Aucune certitude."

"Et côté hypothèses ?"

Wu Ming émet un souffle du nez avec amusement.

"Un tas ! La première, c'est qu'aucun paladin ou individu équivalent n'irait accepter quoi que ce soit de la part d'un mage noir. Aucune raison donc de protéger la création contre son propre porteur. La deuxième, c'est que l'auteur veut que ses victimes conservent leur intégrité. Quelle utilité a l'esclave privé d'un de ses principaux sens ? Et la troisième... C'est qu'il parait évident qu'en voyant la complexité de la trame, n'importe qui abandonnerait l'idée de s'y attaquer. Surtout quand on comprend que l'on doit se débrouiller seul, que l'aide extérieure s'en lavera les mains plutôt que d'aider celui qui l'a bien cherché. Qui est plus facile à garder docile que celui qui n'a plus d'espoir ?", dit-il, le regard étrangement perdu dans le vague.

"Soit. Que fait-on à présent ?", réponds-je pour le ramener au problème logé sur mon poignet.

"Je t'ai dit que j'étais volontaire pour t'en débarrasser, pas que j'allais concrètement le faire.", fait-il en reprenant appui sur son poing. "Tu vas te servir de ce que je t'ai appris pour bien examiner la construction. Tout me décrire avec le plus de détails possible. Et me prévenir quand la défense hérissée s'est calmée, que je puisse de nouveau y jeter un coup d’œil pour confirmer tout ça."

Je prends un court instant pour observer sa posture, le trouvant beaucoup moins abattu qu'il y a une poignée de secondes. À dire vrai, j'ai presque la certitude qu'il est impatient de commencer. Quelque part, ne pas le voir succomber à la panique ou revenir sur sa décision m'apaise. Peut-être qu'avec son appui...

"Très bien. Alors commençons.", réponds-je en me penchant sur la menotte correspondant à mon second échange.




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Re: Les Habitations

Message par Kiyoheiki » dim. 23 juin 2024 11:24

~Auparavant~

~12~


Les minutes s'égrainent tandis que je décris ce que je vois, m'efforce de regarder, de comprendre. La crainte engendrée par la vision de cette trame s'atténue, en partie parce que je comprends que la marque est dormante et ne présente actuellement aucun risque, et parce que Wu Ming se divertit en me posant des questions ou avec des remarques piquantes qui me distraient de mes sentiments négatifs. Son attitude cesse quand je me concentre totalement sur ce que je fais. Je perçois progressivement ce qui force l'admiration de l'ynorien. Ce n'est pas une œuvre unique comportant tout un tas d'ajouts comme je le croyais, mais une trame de base dans laquelle est emmêlée celle qui porte les éléments supplémentaires. Les liens magiques se croisent en un nid de serpent dont chaque individu demeure unique, ne se fondant pas avec les traits dont ils croisent la route, mais les employant efficacement pour se camoufler. C'est ce qui rend l'ensemble à la fois harmonieux et chaotiquement illisible. J'emploie une petite étoile de magie de lumière pour parcourir l'ensemble sans le perturber et fronce les sourcils en constatant qu'à certains endroits de la trame, ma magie est étouffée et se dissipe. Cela me demande du temps, beaucoup de temps, mais je finis par identifier les zones qui ruinent mes efforts et faire progresser ma lumière en les évitant.

Je fais part de mes constats à mon voisin, lui prouvant qu'il se trompait et qu'il existe bien une précaution intrinsèque contre les tentatives du porteur de la malédiction, l'entendant gratter du parchemin à côté de moi. Impossible de savoir à quel moment il est allé le chercher, et il me prend de court en m'exhortant à ne pas me disperser au lieu de me laisser l'interroger. Mon travail de prudente lecture se poursuit. J'émets un souffle entre admiration et stupéfaction de me rendre compte que les deux réseaux distincts sont bien reliés à un point précis, celui de l'ancrage qui prend visuellement la forme du diamant noir que j'ai sur la peau. Je prends le temps de respirer profondément et jette un regard sur la feuille de mon voisin.

En plus d'avoir pris des notes, il a schématisé ce que j'ai mentionné jusque-là, dessinant en une forme de plusieurs huit imbriqués le plan de ce qui m'affecte. Un cercle de base dont je suis le support, le diamant est l'ancrage, la source d'énergie est une réserve de magie obscure et l'intention est... Une puissante volonté d'asservissement, qui ôterait toute possibilité de résistance et contraindrait à l'obéissance lors de son activation. À ce cercle est lié un autre au niveau de la marque, plus petit. Il est constitué d'une intention d'attaque dépendant de l'activation de sa condition, à savoir l'emploi d'une magie de lumière exploratoire et extérieure au support. Et ce niveau est en constant éveil, parce que puisant son énergie en infime quantité dans le support. De même, s'y rattache un trait sombre cerclant l'ensemble, et alimentant une intention de... Camouflage.

"Expliquant que tu ne te sentes pas oppressé malgré la puissance de cette création. Sans un accident qui la révèle, ce genre de marque n'est pas perçue par qui pourrait la déconstruire."

"À moins que le porteur aille quérir de l'aide. Pourquoi ne pas ajouter une intention empêchant cela ?", dis-je en lissant mon poignet du pouce.

"Probablement parce que toute magie a ses limites. Ou que ce silence contraint n'est actif que lorsque l'intention principale l'est aussi. Qui peut le dire ? Ah oui, celui qui te l'a apposé !", réplique Wu Ming en trempant sa plume dans l'encrier. "Voilà une autre question à lui poser quand tu recroiseras son chemin."

J'adresse à l'homme un regard blasé, qu'il feint de ne pas remarquer. Suite à la mise à plat du problème, il prend le risque de regarder à nouveau ma malédiction en se concentrant sur certaines zones précises. L'exposition au danger est payante, car il identifie que seul le cercle le plus petit est effectivement apte à porter une attaque. Suivant ses directives, je m'attèle non pas à saper cette intention, mais à neutraliser la condition précédente qui déclenche la menace. L'ynorien relance son sort d'éclairage quand celui-ci faiblit et se met à tapoter le bout de ses doigts les uns contre les autres, visiblement excité, lorsqu'il parvient enfin à contempler l'ouvrage sans risquer de perdre ses yeux. De la sueur dévale mon dos. Devoir être en contrôle permanent de mes fluides, attentif au moindre changement, tout en conservant mon calme aux piques sarcastiques de mon voisin de tablée requiert une bonne dose d'énergie. Toutefois, cela représente un moindre mal.

Deux paires d'yeux valant mieux qu'une, nous progressons ensuite bien plus vite dans l'identification de la trame. Pendant que ma magie pave le chemin autour des pièges, la sienne y prend appui et vient s'attaquer aux éléments de source et d'intention. Malgré son évident savoir en la matière, cela demande tout de même la moitié de la durée d'un sort d'éclairage pour que mon voisin réussisse à atténuer le tout. Il me laisse le bon soin de terminer la tâche, ce que je parviens finalement à faire lorsque la boule de lumière au-dessus de la table se dissipe une fois de plus. Pris entre émerveillement et soulagement, j'observe le second des diamants noirs se dissiper sans histoire ni trace. La marque d'un Gentâme n'est donc pas une fatalité. Ceci dit, j'ai retenu la leçon et n'ai aucune intention de prendre un risque semblable si je croise de nouveau le chemin de cette entité.

À ma droite, Wu Ming pousse un souffle entre gigantesque soupir et incrédulité.

"Pfiouuuu ! C'était intense ! Et bien plus exigeant que je l'avais envisagé."

J'ai subitement une étrange impression.

"Ôtez-moi d'un doute... Aviez-vous déjà travaillé sur ce genre de malédiction ?"

Le masque se tourne vers moi et les yeux derrière se plissent de façon malicieuse.

"Ab-so-lu-ment... Jamais.", ricane-t-il devant mon air effaré. "Mets-toi à ma place. Il faudrait être particulièrement stupide pour laisser filer la chance d'étudier une telle beauté ! Je te dois des remerciements. Tu as été un sujet exemplaire.", dit-il en passant un buvard contre l'encre et en se levant.

Je l'imite, pris dans un étrange sentiment entre trahison et parfaite compréhension.

"Tout ce temps passé à m'instruire... Etait-ce uniquement à cette fin ? Servir de... Sujet ?"

"Allons, après tout ce que nous venons de partager, tu vas me vexer. Comme si j'étais homme à faire les choses à moitié !", dit-il en posant son parchemin sur son bureau et en y prenant appui. "Si tu n'avais pas eu le potentiel, je t'aurais simplement hébergé ici. Longtemps. Assez pour compléter une étude de cas. Tu n'aurais sans doute vu aucun inconvénient à demeurer en ma compagnie, si cela permettait de protéger tes proches restants, n'est-ce pas ?", demande-t-il rhétoriquement avant de poursuivre, tendant les deux mains vers moi avec enthousiasme. "Mais tu l'as ! Et tu sais ce que l'on dit : donne un poisson à un homme, tu le nourriras pour un jour. Apprends-lui à pêcher..."

"Et il pourra se nourrir toute sa vie durant."

"Non, non, non. Apprends-lui à pêcher, et il comprendra vite le fardeau d'être le seul qui sache le faire, quand chaque jour quelqu'un viendra lui réclamer sa pitance. Donc il s'évertuera à propager son savoir à davantage de monde, pour qu'on cesse de lui casser les pieds et pour avoir un peu de temps afin de s'occuper de ce qui l'intéresse vraiment !"

"..."

"Ahem."

"D'où les voyages incessants ? La fuite en avant ?"

Wu Ming se défait de son bureau et ouvre la porte de la pièce d'à côté, m'invitant à m'approcher. J'y jette un bref coup d’œil, constatant la présence de meubles, armes, bibelots en tous genres et de toute taille, y compris des têtes animales empaillées. Certains me donnent une sensation désagréable, mais pas d'autres.

"Aies le malheur de lever une malédiction de rien du tout, une seule petite fois, devant des témoins dont l'activité la plus exigeante intellectuellement est de garder des chèvres toute l'année... Et on te fait suivre tout ce qu'on juge responsable du mauvais œil, en te disant que cela doit être exorcisé ! Parce que tu as forcément un graaand cœur vue la nature de tes fluides ! Comme si se tromper entre la hantise par une âme et la présence d'une malédiction n'était pas assez vexante comme ça.", fait-il en claquant la porte. "Si tu te sens désœuvré, cette porte t'est figurativement ouverte."

"Hm. M'obligeant à m'encombrer de votre clé sifflante afin d'entrer ? Sans façon."

Malgré le masque, l'homme roule ostensiblement des yeux.

"Tu n'en as pas besoin. Il n'y a pas de fond dans l'abri à oiseaux. Tu n'as qu'à attraper le mécanisme par en-dessous."

Lentement, je frotte mon front. À ce degré, cet homme ne m'a pas mené en bateau, mais en véritable flotte. Il a fait du mal à mon ami, m'a dupé concernant ma marque, m'a contraint à venir à cause d'une clé dont il connaissait pertinemment les propriétés, et s'est amusé à me confronter à de dangereux objets à ses propres fins. Non seulement il est abject, antipathique et imbu de sa personne, mais il est aussi quelqu'un de fourbe. La seule qualité que je lui trouve est sa passion pour ses centres d'intérêt ainsi que sa capacité à instruire. Franchement, ce n'est pas quelqu'un que j'aurais le moindre plaisir à fréquenter. En-dehors d'une relation professionnelle comme ce que nous venons d'avoir, en tous cas. Je me coiffe de mon heaume, le suivant quand il me raccompagne à la porte.

"Hâte-toi de déguerpir, que je puisse aller dormir."

"Vous ne ferez pas cela avant d'avoir restitué les corps que vous avez dans votre sous-sol.", répliqué-je en soutenant son regard.

"Sinon ?"

"Sinon... Je suis persuadé que votre amie du temple appréciera grandement l'information. Tout comme celle permettant d'accéder à votre... Habitation."

"Dois-je prendre cela comme une menace ?"

"Eh bien en y réfléchissant, je dirais..."

Je m'accorde un temps de silence puis esquisse un sourire.

"Ab-so-lu-ment."

Wu Ming émet un ricanement exaspéré et croise les bras dans l'encadrement de la porte, ne me répondant pas. J'ai à peine fait quelques pas à l'extérieur, atteignant presque le muret bas, qu'il m'interpelle, m'incitant à me tourner vers lui.

"Eh, une dernière chose... Puisque tu es fils de Masaya, la dette qu'il avait envers moi t'échoit."

"Une dette ? Quelle dette ?"

"Son corps. Il m'avait promis de me le léguer et tu l'as fait incinérer. Alors ouvre grand tes oreilles pointues. Ce n'est pas parce que tu as eu une leçon théorique dont tu t'es brillamment sorti que tu dois faire n'importe quoi. Je t'interdis formellement d'aller te faire griller, geler, foudroyer, désintégrer, démembrer ou toute autre facétie qui réduirait ton corps en charpie.", énonce-t-il en tapotant le bout de ses doigts à chaque fois. "De même, ne t'avise pas d'aller mourir dans un recoin perdu ou difficile d'accès. Ni quand je suis en déplacement ou déjà surchargé par ce que je suis en train d'étudier. Parce que sois-en certain..."

Dans la pénombre, son masque s'oriente vers moi, une zone sombre et indiscernable maintenant que seule la lueur de mon heaume éclaire vaguement les environs. Il a l'air de me contempler un court instant avant de reculer, se saisir de la porte déguisée et commencer à la refermer.

"Je ne laisserai à personne d'autre l'occasion d'autopsier un dragon."

Sur ce, l'accès se referme et j'entends le raclement caractéristique d'un meuble qu'on déplace, puis l'impact dudit objet contre la paroi. Immobile, hébété, je demeure coi et figé. D'innombrables questions me viennent, tout comme le sentiment désagréable qu'il a un ascendant supplémentaire sur moi. Maintenant que j'y songe, nous n'avons même pas fait la plus minime des présentations. Je cligne plusieurs fois des yeux, ramené à l'instant présent par Okina.

(Déconcertante est cette singulière habitude, que de masquer derrière mille épines une sincère inquiétude.)

(... Certes.)

Par acquis de conscience, je confirme ses dires sur l'abri à oiseaux, sentant effectivement le triangle de métal en passant la main par le fond. Après un dernier regard à cette paroi close, je fais volte-face et repars dans la nuit en direction de mon foyer.


~Suite~

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