III.6 Revenir seul ou à deux.
IV.1 Retour à la maison
Le renne ne me suit pas dans les premiers temps. Ce n’est que lorsque qu’il y a une certaine distance entre nous, qu’il s’avance. Or, lorsque j’atteins le village, il préfère rester loin des habitations et surtout de ces habitants. Alors que je l’observe au loin, l’inquiétude grandit en moi.
(Si je ne parviens pas à le lier clairement à moi, il risque d’être pris pour cible par les chasseurs. Je ne peux pas le garder près de moi et il va être difficile de le cacher.)
"Quelle belle bête !" Fais une voix particulièrement désagréable dans mon dos.
"Je savais que tu étais un chasseur médiocre, mais de là à avoir une proie de choix et d’attendre qu’elle meure de vieillesse, même moi je suis stupéfait ! Et c’est quoi cet accoutrement, c’est nouveau ?"
Je me retourne lentement et croise le regard de ce minable de Mahayük. Cet ignoble individu qui prétend se comporter comme un chef pour nous, alors qu’il ne fait que parler et manipuler notre tribu, au lieu de prouver sa valeur en passant le rituel. Nombreux sont ceux qui l’ont tenté, des plus valeureux que lui et aucun n’est jamais revenu.
"Les animaux ne viennent pas d’eux-mêmes à portée des chasseurs. C’est moi qui l’ai emmené jusqu’ici et il est à moi !" Fais-je en me positionnant devant la phalange pour obstruer sa vision du renne, avant de poursuivre en désignant mes nouvelles armes et armures.
"Pour ce qui est de tout ça, deux hommes ont chassé sur nos terres ! Ils sont morts avec honneur, alors ne parle pas de ce que tu ignores."
"Peu importe !" Balaye-t-il simplement mon fait d’armes en solitaire.
"Tu connais nos lois sur le partage du butin, toi plus que quiconque ? C’est grâce à cela que toi et les tiens avez eu votre pitance alors que tu passais ton temps à la cueillette !" Répond-il avant de piquer au vif.
"D’ailleurs, tu nous fais nourrir une bouche de trop, il serait temps de…"
C’est plus fort que moi. Ma main gauche vient attraper ce furoncle qui ressemble à un homme et serre fortement la pression sur sa gorge. Habitués à nos échanges musclés, quelques membres surveillent que cela ne dépasse pas les bornes et avec raison. De mon autre main, je caresse le manche de ma hache, qui m’est soudainement si agréable au toucher. Au lieu de lui ôter sa langue et la tête qui va avec, je l’oblige à rapprocher son oreille de ma bouche.
"Un jour, tu payeras pour tes menaces sur Grand’Ma et Gärähm. J’en fais le serment !" Puis je l’éloigne de moi et parle assez fort pour que tous m’en soient témoins.
"Ce renne est à moi ! Je l’ai guéri, protégé, apporté jusqu’ici en prenant soin de lui et lorsque j’aurais enfin réussi à l’amadouer, j’en ferai une monture qui me permettra de chasser plus loin et de rapporter plus de nourriture !" Je commence à partir en laissant Mahayük sur place. Avant de complètement partir, je tiens à clarifier un point.
"Je le considère désormais comme un membre de ma famille et si jamais quelque chose devait lui arriver, j’en t’en tiendrais pour personnellement responsable !"
Ainsi, les choses sont claires. En désignant le renne de la sorte, je le protège grâce aux lois de la tribu. Cependant, cela m’oblige également à devoir subir un châtiment, si ce nouveau frère vient à commettre des actes contre la tribu. Un intérêt trop important vis-à-vis des stocks de nourriture déjà bien maigre, serait fatal entre les mains de quelqu’un comme Mahayük. Pourtant, je suis prêt à prendre ce risque. Même si une forme de lien s’est créée, le renne reste à l’écart du village, probablement son instinct face à un prédateur qui a tenté de le chasser il y a peu. Cette méfiance le tiendra à l’écart du village. Du moins, je l’espère.
Je retourne dans ma yourte pour y retrouver Grand’Ma. Celle-ci s’affère à reprendre les peaux de bête pour lutter contre le froid qui s’annonce.
"Tu en a mis du temps !" M’accueille-t-elle chaleureusement.
"Et qu’est-ce que tout ceci ?" Me demande-t-elle en voyant des affaires qui ne sont pas à moi.
"J’ai rencontré des chasseurs d’un autre clan en chemin. Ils chassaient sur nos terres. Ils sont morts dignement, en guerrier." Je regarde dans la yourte, mais force est de constater que ma nièce n’est pas là.
"Gärähm ?"
"Elle joue dehors ! Il faut croire que le remède lui a donné un sacré coup de fouet." Répond-elle.
"Je vais avoir besoin de cet onguent curatif, il ne m’en reste plus !" Fais-je en dissimulant maladroitement une demande d’en faire à l’ancienne.
"Tu as tout utilisé ? Comment ?" S’offusque-t-elle.
Un peu gêné, c’est timidement que je réponds.
"Un renne ! Il était gravement blessé. J’essaie…j’essaie de l’apprivoiser pour être en mesure de le monter."
"Toi ?" S’exclame Grand’Ma avant de partir dans un fou rire.
Voyant la moquerie, je me renfrogne dans un coin en attendant qu’elle se calme. Il lui faut un peu de temps pour enfin, être en mesure de respirer à un rythme régulier.
(Je ne suis pas si bourru ! C’est l’impression que je donne au gens ?)
"Ho par Fenris, Ehök, je suis trop vieille pour de telles blagues. Tu veux me faire tuer ?" Reprend-elle enfin, entre deux petites reprises de rire.
"Ce n’est pas une blague, il est en dehors du village ! J’espère qu’avec le temps il sera en mesure de me faire plus confiance. Je pourrais allez plus loin pour chasser. Là où personne ne va." Dis-je tout simplement.
"Tu es vraiment sérieux ?" S’étonne l’ancienne qui se doit de voir de ses propres yeux à l’extérieur. Elle revient quelques instants plus tard.
"Ehök fils d’Ehöl et dompteur de grands-bois ! J’aurais jeté des pierres à toute personne qui m’aurait dit une chose aussi absurde et pourtant ! Qu’est-ce qui te fais agir de la sorte ? Ce n’est pas dans tes habitudes."
Je regarde Grand’Ma dans les yeux, avant de les porter devant moi, me rappelant moi-même pourquoi je fais toutes ces choses.
"Le Torkensën ! J’ai juré sur mon sang que je participerai au rituel pour devenir le Yarl du village et il me faut plusieurs faits d’armes avant. J’ai passé trop de temps à cueillir au lieu de chasser et me battre, pour que les guerriers du village me voient comme un prétendant légitime !"
"Je vois ! Dans ce cas, si tu parviens à dompter cet animal, tu es sur la bonne voie Ehök." Dit-elle en s’installant face à moi, cherchant mon regard.
"Non ce n’est pas assez ! Je ne dois pas être le seul. En dotant la tribu de plusieurs rennes, nous aurions ainsi une capacité de mouvement accrue ! Cependant, il me reste tant à faire jusqu’à ce moment." Fais-je presque résigner devant la tâche qui m’incombe.
"Tu penses déjà comme un chef Ehök. Ton père serait fier de toi. Que comptes-tu faire à présent de tout ce que tu as ramassé ?" Change-t-elle de sujet.
"Je crois savoir qu’il y a un des nôtres qui a installé une forge aux pieds des montagnes du sud, de l’autre côté du croc de Fenris. Un jour je vais casser ma lance et je n’ai pas envie de m’essayer à transpercer un ours de ma simple main !"
Lentement, mes yeux se ferment, jusqu’à ce qu’un évènement inattendu surgisse. Pire qu’une tempête de neige emportant tout sur son passage, ma jeune nièce Gärähm arrive en hurlant.
"Ehök ! Ehök ! C’est vrai ce qu’on dit ? C’est toi qui as attiré un renne jusqu’ici ?" Sautille-t-elle en secouant tout mon corps endolori.
Ne voulant pas briser cette joie en grognant concernant les blessures qu’elle s’efforce de rouvrir, en me secouant comme un arbre pour récolter les fruits, je pose simplement une main sur sa tête pour la calmer, comme je le fais toujours.
"En effet !"
"Je peux aller le voir ?" Vient-elle finalement au but.
"Non !" Fais-je tout simplement, avant de lui en expliquer la raison.
"C’est un animal sauvage, tu vas lui faire peur à être excitée comme cela et j’aurais fait tout ça en vain !"
Ma remarque provoque un grand chagrin à la jeune fille et j’ai droit au regard réprobateur de Grand’Ma.
"Mais demain, tu pourrais aller lui donner à manger avec moi ! Qu’en dis…"
"Ho ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !" Hurle ma jeune nièce qui me saute au cou.
"Pas si fort ! Tu cries plus qu’un moutarie !" Dis-je en me plaignant faussement.
"Bon, en même temps, je risque de très mal dormir le ventre vide."
"Je vais préparer ça !" Cris de joie la jeune fille qui sort de la yourte.
Je profite de cet instant de calme pour reprendre ma conversation avec Grand’Ma.
"Concernant cet onguent, tu pourrais m’en refaire ?"
"Avec le grimoire de la Yarl Ehärik et les bonnes herbes, oui. T’en faire ? Hors de question." Lâche brutalement l’ancienne.
"Pardon ?" Fais-je surpris.
"Rappels-toi ce que disait ton père. Si tu veux aider quelqu’un qui a faim, ne lui donne pas à manger…" Répond-elle jusqu’à ce que je la coupe.
"…apprend-lui à chasser !"
Elle s’assied près de moi et le grimoire ouvert, me parle des plantes nécessaires à la réalisation de l’onguent.
"La plupart des plantes sont assez simples à trouver et se cueillent facilement. Il y en a cependant une qui est plus complexe et d’où provient l’essence même du pouvoir curatif." Elle présente une illustration à la main d’une plante, particulièrement bien réussite.
"Cette plante est rare car très sensible ! Ses pétales sont rigides comme la glace et pourtant d’une incroyable finesse. On les trouve loin de toute végétation, à l’abri du vent, dans les espaces les plus froids. Ceci, est un pistil !" me désigne-t-elle du doigt les fines branches au centre de la fleur.
"Les cueillir n’est en soit pas compliqué, car il suffit de les recueillir ces petites tiges. Cependant, si tu touches les pétales, ou ne serais-ce que les effleurer, la fleur se brisera et se fanera." Elle se relève et poursuit en cherchant quelque chose.
"Je vais te préparer de quoi garder ces pistils à l’abri. Une fois que tu auras tout ramené, nous nous attaquerons à la confection de l’onguent."
IV.2 Rapprochements.