L'astre du jour avait depuis longtemps passé la ligne d'horizon. Les étoiles innombrables apparaissaient enfin au dessus de l'océan et, après deux jours complets de voyage, le nouvel équipage de l'Azurion put apercevoir les premières lueurs de Viskori. Une aura rougeoyante englobait toute une partie vallonnée du littoral, où ils purent distinguer les ombres des voiles isolées.
Le vent s'était apaisé au crépuscule et l'écho de voix lointaines et diffuses leurs parvinrent, tandis que les mercenaires finissaient de s'équiper...
Après avoir échangé brièvement avec Azraël, le semi-elfe trouva Silmeria sur le pont et lui fit signe de le suivre. Une fois à l'abri des oreilles indiscrètes, il la regarda de haut en bas.
« Toujours aussi élégante ; et délicate... »
Daemon ne put s'empêcher de passer une main sur l'hématome à sa gorge, témoin de leur précédente discussion. Une leçon amère et il savait dorénavant qu'on ne jouait pas avec Silmeria sans en payer le prix... Un prix qui aurait pu s'avérer plus élevé.
S'écraser devant elle n'était cependant pas au programme, ou pas totalement. Ils devaient parler boulot.
« Même si tu cherches à le nier, j'ai bien compris que ton objectif premier est le roi et j'ai peut-être les moyens de te l'apporter sur un plateau. Mais je n'oublie pas que tu es une envoyé de Xenair et nous de Karsinar ; les ententes entre les seigneurs de la cité Noires sont de notoriété publique et... agitées. Je ne voudrais pas qu'un élément imprévu interfère... Alors dis moi : le roi est-il bien ton objectif ? »
Silmeria leva les yeux au ciel, visiblement amusée par sa question, et répondit assez franchement que Xenair l'avait envoyé pour le roi. Pour ensuite lui demander, sur le ton de la raillerie, s'il craignait que Karsinar et Xenair se battent comme de vulgaires brigands pour la noble dépouille.
Après avoir simulé une exaspération passagère, Daemon reprit :
« J'aimerais que les choses soit claires... C'est tout. Pour revenir au sujet, il demeure une faille dans le plan : le temps. Si j'ai bien compris, les autres vont donner une lettre avec pour message la détention d'informations importantes et la mise en danger imminente du roi. Non ? »
Elle acquiesça, en se demandant s'il vont exposer ou non le roi, et c'était justement ce qui préoccupait le semi-elfe.
« Justement. Les autres seront menés au commandement, avec de la chance, et ils vont y semer une pagaille pas possible. L'agitation va se répandre dans le campement comme une traînée de souffre, et notre objectif deviendra hors d'atteinte. En plus de cela, trouver le roi... » Il montre le campement se dessiner sur les collines
« ...sera comme trouver une aiguille dans une botte de foin. »
Des maigres informations qu'il avait pu soutiré des prisonniers, il savait que le campement était gigantesque et il en avait maintenant la confirmation. Solennel et sa garde étaient probablement au village de Viskori, dans la plus luxueuse demeure, mais ils ne pouvaient pas trop compter sur des suppositions.
« Nous devons agir vite, avant que le roi double sa garde ou décide de se dissimuler. Nous devons agir au moment même où il apprend la nouvelle. Alors voilà ce que je te propose. Ferme les yeux et imagine la lettre entre les mains du messager. Que va-t-il faire ? »
Silmeria entra alors dans son jeu et imagina qu'il irait rendre un rapport auprès des membres de l'état major ou des hauts gradés.
« Et ensuite, que feront les hauts gradés ? »
Elle lui répondit alors que si Ezak était bien l'auteur de la lettre, ils en riraient sûrement. Le semi-elfe retint sa respiration pour ne pas rire, sans y parvenir totalement... Alors, sans qu'il ne comprenne pourquoi, Silmeria observa le campement et devint grave, pour lui demander d'imaginer s'il était roi, qu'aurait fait Azra pour le protéger dans ce genre de situation. Une idée bien saugrenue pour Daemon, qui prit cependant la peine de répondre.
« Il me laisserait mourir en se disant qu'il pourrait de toute façon me relever... Mauvais exemple. »
Évidemment, elle doutait que l'état-major se comporte ainsi, mais elle lui fit comprendre qu'elle voyait où il voulait en venir. Le roi était au centre du campement ou dans une demeure fortifiée, et ils allaient devoir suivre les indices pour le localiser. Elle ne doutait cependant pas manquer de temps, car selon elle, le métier nécessitait patience et sang froid, et elle ne comptait pas tuer plus que nécessaire, contrairement à ceux qui se prétendaient au dessus de tous.
Daemon ne comprit pas à qui elle faisait référence... Erak ou Kurgoth, probablement... et ne chercha pas plus loin, se recentrant sur le sujet.
« En effet. Les gradés discuteront de cette nouvelle, ils auront sûrement quelques désaccords, mais ils donneront des ordres. Il enverront des émissaires pour accueillir nos comparses, mais aussi, et forcément, ils préviendront le roi ou sa garde. Nous devons suivre ce message.
Je peux lier mon ombre à une cible pour connaître en permanence la direction dans laquelle elle se trouve. J'avais prévu de lier la mienne à mon maître pour le retrouver si les choses venaient à se gâter, mais une autre idée m'est venue. Je vais lier mon ombre à Nienna, et elle fera de même. Ainsi nous pourrons nous retrouver. Il n'y a pas plus discrète qu'elle, et elle pourra suivre la lettre, l'envoyé et les directives des gradés. Elle pourra suivre le message jusqu'au roi même, et ensuite rester à ses côtés, de manière à ce que mon ombre s'étire en direction de son altesse...
Comprends-tu ? »
Silmeria acquiesça avec un sourire et le félicita de prendre son rôle au sérieux, ce qui déstabilisa Daemon comme un enfant comblé et peu habitué à recevoir des flatteries. Le travail propre et sans bavure était la signature de la Petite Plume de la Mort, et elle aussi tenait à s'assurer qu'ils étaient sur la même longueur d'onde.
« Plus vite nous aurons fini, plus vite je pourrais rejoindre mon maître. Je préfère éviter l'agitation et l'alarme, cela le mettrait en danger... »
Il continua alors, un dernier point restait à préciser dans le cas où son projet venait à tomber à l'eau. Car Nienna pouvait tout aussi se tromper, perdre sa cible...
« Je vais envoyer Nienna, et si elle faillit à localiser le roi, elle a pour ordre de me revenir. Ainsi, si elle échoue, nous le sauront. »
Un point le tracassait cependant, sans l'appui direct de son fantôme pour ouvrir la route, il craignait de se faire repérer lors de l'infiltration. Le sujet devait être abordé, mais montrer un signe de faiblesse devant l'elfe ne lui plaisait guère...
« Comme tu l'as déjà compris. Je n'ai pas autant d'expérience que toi pour ce genre de choses. Je te fais confiance pour l'infiltration, car Nienna ne sera plus là pour me couvrir. Je ne servirai que de boussole. »
Comme pour le réconforter, elle posa une main sur son épaule pour lui susurrer d'énigmatiques paroles sur la maitrise et le sang froid de l'assassin. Ce contact physique, aussi anodin fut-il, lui laissa croire que le froid qui persistait entre eux (et par sa faute) était levé.
« Ai-je gagné ta confiance ? »
Elle le lui accorda pleinement, avec un sourire amical, et l'espoir qu'il utilise son énergie contre leurs ennemis et non contre elle. Daemon fut un peu gêné par l'allusion, oscillant entre crainte et reconnaissance, et conclut :
« Chaque chose en son temps. »
La caraque accosta alors au port. Un long ponton en bois avançait au milieu des flots, où ils avaient jetés les amarres. L'endroit était partiellement désert, pour ne pas dire endormi. Les tentes blanches à fanions blancs et bleus se perdaient à perte de vue et s'ouvraient sur des allées sombres éclairés par quelques torches.
Le groupe avec les prisonniers descendit à terre et fut accueillit par une demi-douzaine de soldats qui vinrent à leur rencontre. Berth, l'ancien second de l'Azurion, se présenta alors à eux comme le nouveau capitaine, promut suite au décès de ce dernier.
Ce fut ce moment que choisirent Daemon et Silmeria pour se glisser hors du navire. Après avoir passé deux jours en mer, de retour sur la terre ferme, Daemon eut des difficultés à maintenir son équilibre intact et chancela de manière un peu ridicule jusqu'au premier coin baigné dans les ombres. D'ici, il ne pouvait pas entendre la discussion qui avait lieu, mais il pouvait parfaitement la deviner.
Le sergent d'Arkasse se faisait passer pour le second et agita une lettre sous les yeux des kendrans, en prétextant avoir une nouvelle urgente pour eux, ainsi que deux prisonniers à mettre au fer et à interroger. Kurgoth se manifesta d'ailleurs pour se plaindre de ses entraves, ce qui alarma le semi-elfe, mais cela ne dura pas. Ezak fit alors un excès de zèle et commença à malmener la liche, ce qui ne manqua pas d'agacer le semi-elfe...
(Il ne va pas comprendre quand je vais lui tomber dessus... Personne d'autre que moi à le droit de martyriser Azra.)
Un soldat se saisit alors de la lettre et s'éloigna dans le campement, et Silmeria lui indiqua que c'était l'homme qu'ils devaient suivre. Daemon acquiesça d'un signe de tête et, toujours à l’abri des regards, il demanda à son fantôme de se manifester.
« Nienna... »
L'hiniönne éthérée apparut à leurs côtés. Ils échangèrent leurs ombres en silence et elle disparut aussitôt, invisible, pour suivre de près le porteur de la lettre. D'un signe de tête, Silmeria l'invita à le suivre et ils s'introduisirent dans le dédale infini de tentes.
(((Utilisation du sort Espion rang 2 de Daemon sur Nienna, et Espion rang 4 de Nienna sur Daemon.
Nienna va suivre le messager de près sans se manifester, et Daemon va le suivre discrètement à distance, en s’aiguillant avec son ombre en cas de doute.)))