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par Vohl Del'Yant » dim. 7 avr. 2019 11:18
A mesure qu’ils avancent dans les tunnels, Vohl constate que la plupart sont d’une largeur amplement suffisante pour leur circulation avec les montures. Des rails permettent d’acheminer des chariots pour le transport du matériel et des matériaux : dans l’un de ceux qu’ils croisent, ils trouvent sans problème des pioches. De piètre qualité sans doute pour des mineurs expérimentés, mais c’est bien suffisant pour leur propre maîtrise de cet outil.
Muni de sa pioche, Vohl laisse Hïo le guider le long du tunnel principal, puis bifurquer dans des tunnels annexes. Bien que de moindres dimensions, ces derniers restent calibrés pour le passage d’un chariot et les montures n’ont pas de problèmes pour avancer. Le protecteur découvre des galeries plus ou moins uniformes à ses yeux : hormis le sol, les parois sont irrégulières, piochées selon l’expertise que font les mineurs. Les cavités parfois impressionnantes signalent au choix un acharnement presque psychotique contre la roche ou l’extraction d’une belle poche de minerai.
Dans ce labyrinthe, Hïo semble avoir autant de mal que lui à se repérer. Ce n’est pas si surprenant, selon Vohl : la dernière fois qu’il est venu ici, c’était il y a quelques années, et l’extraction du minerai s’était faite finalement plutôt rapidement, de ce qu’il a compris des récits du jeune homme. Par ailleurs, les galeries peuvent sans doute être rebouchées si elles sont jugées inintéressantes, tandis que de nouvelles sont creusées lorsqu’il y a suspicion d’un filon.
A plusieurs reprises, le forgeron fait demi-tour, pris de doute, avant de les emmener de nouveau dans le même tunnel. A la recherche de la galerie perdue, il s’arrête aussi par moment. Lorsque Vohl lui demande s’ils sont définitivement perdus, son protégé lui demande sèchement de réfléchir plutôt que de le gêner. Bien que la réflexion soit pleine de bon sens, le mercenaire ne peut s’empêcher de se sentir insulté, et attribue le ton sec du jeune homme un peu trop fier au fait qu’il ne sache pas réellement comment ni où retrouver la fameuse galerie.
(Et ce vent qui n’arrête pas de forcir ! Il fait si froid que l’on se croirait dehors...les forges de Mertar semblent bien loin en ce moment !)
En effet, alors qu’ils avaient tous deux ôté leur manteau en entrant dans la ville souterraine, les courants d’airs glacent le lieu, permettant même la création d’une multitude de stalactites erratiques et torturés au niveau des roches perméables du plafond. Ces structures aériennes sont instables, mais ne représentent pas de danger, trop fines et trop légères pour faire le moindre mal si elles venaient à se décrocher. C’est après ce raisonnement, par association d’idées, qu’il fait le lien entre la force de ces bourrasques souterraines et la formation du métal élémentaire. La faerunne étant produit par des veines de fer exposées au froid et à la force du vent, il est effectivement logique de rechercher les zones les plus venteuses de la mine.
(C’est donc cela qu’il cherchait. Il essayait de se guider au gré du vent.)
Hïo fait écho à ses pensées en dénichant l’anfractuosité qu’ils cherchent depuis le départ.
« Ha ! C’est ici ! »
« Où ça ? »
« Ici ! Mais il faut que tu t’approches ! »
Vohl obéit : devant lui, un interstice ridiculement étroit crachote en sifflant légèrement l’air froid de l’extérieur de la montagne. Un point le gêne.
« On ne pourra pas passer par là. Ni toi, ni moi. Ça ne peut pas être le tunnel dont tu m’as parlé ! »
« En fait, il y a une astuce. Il faut être un poil souple, et pas épais. Mais on devrait passer. Regarde mieux. »
Le protecteur s’approche sans vraiment croire à ces derniers mots. Il est clair que le passage est trop étroit. Lorsqu’il s’approche et met vraiment la tête dans le mince passage, il s’aperçoit qu’un coude donne en fait l’illusion que le passage est fermé, sans que ce soit réellement le cas. Comme le passage est de biais, il n’y a dans la paroi du tunnel principal aucun décrochement facile à remarquer. Hïo constate la surprise de l’assassin, et interprète le changement de maintien lié à ses réflexions sur le passage.
« Rassuré ? »
« Disons que je comprends un peu mieux pourquoi tu étais si sûr de toi. Il y a effectivement peu de chances de découvrir cette voie si on ne la cherche pas. »
« N’est-ce pas ? Allons-y tant que la galerie est vide. Passe en premier. Et fait attention, le chemin à la sortie est près du vide. Nous allons voir s’il reste de la faerunne, dans un premier temps. »
Vohl s’immisce dans le tunnel, laissant Mahô et le cheval de trait dans la galerie principale. Sans les outils, il doit déjà se tordre pour passer le coude de ce boyau minuscule. Les irrégularités de la roche lui massent douloureusement le dos, lui écrasant la cage thoracique, l’empêchant de prendre de grandes goulées d’air. Même lors de sa formation dans les égouts, il n’avait rien croisé d’aussi étroit. Une sensation dérangeante que celle de ne plus pouvoir emplir ses poumons d’air, qu’il soit vicié ou non. Une sensation oppressante, qui le pousse à fermer les yeux. Il se force à se calmer. Il inspire. Trop peu, mais les pics de roche l’empêchent de remplir ses poumons plus avant. Une boule d’angoisse se forme dans son ventre. Il manque d’oxygène, et le tunnel semble se rétrécir beaucoup trop à chaque inspiration ! Il décide d’avancer pour tenter d’atteindre une zone plus large. Peine perdue : son torse gonflé à bloc est bloqué par les deux parois ! Coincé, en manque d’oxygène, la patience de Vohl est mise à rude épreuve et sa colère le pouce à forcer son chemin. Les pointes qui parsèment la roche lui griffent les bras jusqu’à ce qu’apparaissent des traînées sanglantes sur sa peau. La colère l’aveugle, mais il a malgré tout besoin d’air : il lutte pour avaler, par petites goulées, la moindre portion d’oxygène à sa disposition.
« Souffle ! Diminue le volume de tes poumons pour respirer plus à ton aise ! »
Son manège a visiblement fait suffisamment de bruit pour que Hïo lui prête attention. Il a compris ce qui se tramait, et prodigue des conseils à son protecteur pour qu’il vienne à bout de sa petite crise d’angoisse et de claustrophobie. Vohl se force à expirer. Au sens premier – il ne maitrise de toute façon pas le sens euphémistique. Un voile noir commence à naître devant ses yeux alors qu’il soupire le peu d’oxygène qui subsiste dans son organisme. Aussitôt, il inspire. L’air entre bien plus facilement dans ses poumons, et la menace de perte de connaissance s’éloigne aussitôt. Il répète l’opération plusieurs fois, se calmant progressivement par les respirations profondes et calmes. Il reprend ensuite sa progression lente mais régulière. Quelques minutes plus tard, ils sortent tous deux du passage secret.
Le vide n’est effectivement pas loin. Sans être à l’étroit, les deux mineurs improvisés ne peuvent toutefois se tenir côte à côte sans risquer de faire faire un plongeon à l’un d’entre eux. D’un coup d’oeil, Vohl estime la chute à une dizaine de mètres. Il chemine au plus proche de la paroi glacée.
« C’est ici que nous avions extrait quelques doses de métal. Nous avions extrait une certaine dose, mais sans épuiser le filon : et comme ceux qui ne souhaitaient pas nous voir y accéder ne sont plus de ce monde, je pense que la veine est encore accessible...mais elle a sans doute été enfouie par la glace qui s’est formée par-dessus. Ah ! Voilà, c’est là ! »
Il pointe du doigt une corniche étroite. La glace recouvre effectivement la roche à cet endroit : il leur faudra la casser avant d’arriver à leurs fins. Et pour cela, ils ont besoin de pioches. Une petite corde pour s’assurer l’un l’autre ne serait sans doute pas superflue non plus. Ils n’ont actuellement aucun matériel, ayant tout laissé avec leurs montures. A l’idée de traverser deux fois de plus l’étranglement rocheux, Vohl ne se sent pas à l’aise. Hïo finit par se détourner lui aussi de la zone qu’il désignait.
« Il faudrait que l’on casse au moins un bout de glace immédiatement, pour vérifier que la faerunne est bien dessous. On pourrait faire ça avec... ça ne va pas ? »
« Si, pas de soucis. »
« ...Si tu recommences à ne plus me dire la vérité, je sens qu’on va avoir de nouveaux problèmes. »
La réflexion prend son sens pour la discussion en cours, mais elle marque surtout l’écho de son mensonge par omission. Hïo ne sait pas que d’autres tueurs sont probablement encore à leurs trousses.
« En fait... »
« J'ai bien compris ; y a qu’à te voir pour savoir que tu ne veux pas repasser dans le goulot ! Mais il faudra bien t’y faire, je ne crois pas qu’il y ait d’autres sorties ! »
Vohl opine en silence.
« Bon, j’y vais ! A tout de suite ! »
Le forgeron s’éloigne aussitôt d’un pas qui réussit à être à la fois vif et hésitant.
(Il n’a pas l’air très à l’aise non plus, ceci dit !)
Quelques minutes plus tard, le voilà de retour avec deux pioches. Il en donne une à son protecteur.
« Et voilà ! Et maintenant... au boulot ! »
Vohl se positionne face à la glace, saisit le manche à deux mains, et soulève l’instrument au-dessus de sa tête. S’il se voyait d’un œil extérieur, il croirait sans doute lui-même à une parodie de mineur, tant la posture parait ridicule. Il abat l’outil avec force. Quelques éclats de glaces volent dans les airs, une fine poudre venant rafraîchir ses mains. Sur la glace, un trou d’une bonne taille est visible mais il est encore bien loin d’avoir ôté la masse.
Il réitère l’opération, pour le même résultat assez désespérant. L’accès au métal est toujours bloqué par la glace, avec toute fois le progrès douteux d’avoir ponctué la glace de petits éclats blancs. Il jette un coup d’oeil au forgeron : lui se débrouille indéniablement mieux, décrochant de petites plaques de glace à chaque coup. Le protecteur décide de copier la méthode employée par Hïo : des coups plus précis, mais surtout, en attaquant aux endroits où la glace est la plus fine, c’est à dire le plus loin des cavités creusées. Vohl rechigne d’abord à contrôler l’intensité de sa frappe, avant de changer d’avis lorsqu’un coup particulièrement mal contrôlé ne vienne heurter la pierre. Le choc se répercute dans tout son bras et jusqu’à son épaule. Il contient de justesse un pas en arrière : le vide qui l’attend derrière n’est pas si profond, mais il n’a aucune envie d’expérimenter la chute. Il pousse une exclamation rageuse : sa main est complètement engourdie par le choc et le froid.
Faisant passer sa pioche dans l’autre main, il étend et replie les doigts. Quelque chose lui échappe. Il essuie la sueur qui lui coule sur le front malgré le froid ambiant.
( Hïo a certes plus l’habitude de traiter avec ce genre de tâche, mais ça n’explique pas la différence de niveau. Il doit y avoir autre chose.)
Le protecteur reprend sa minutieuse analyse de ce que fait le forgeron, tâchant de se forcer à l’observer et non à divaguer. Depuis le début du voyage, il n’a pas vraiment eu le temps de se reposer pour compenser le manque de sommeil accumulé en territoire garzok. Il ne pourra pas remettre à plus tard cette récupération, car il a le sentiment que les ennuis recommenceront dès leur sortie de Mertar. Après environ cinq minutes d’observation vaine, le protecteur désespère un peu de trouver une information sans la demander. Ses yeux papillonnent un peu et il sent une lassitude intense l’envahir.
« Hïo? »
Le jeune homme est absorbé par sa tâche.
« Hïo? »
« Pardon, Kage. Qu’y a-t-il ? »
« Je ne suis pas vraiment efficace. Est-ce que tu as une astuce pour que je puisse aller plus vite ? »
Le jeune homme se frotte le menton, sur lequel une petite barbe commence à se former.
« Je ne sais pas : je suis forgeron, pas mineur. J’essaie de reprendre un maximum les astuces de la forge, mais les pioches ont un manche en bois, ce qui fait qu’elles sont moins rigides que le métal. Je n’ai pas l’habitude, j’ai le sentiment qu’elle peut se casser à tout moment ! »
(C’est plutôt l’inverse, pour moi !)
« Ah ? Tu n’as pas l’impression que tes coups résonnent dans tout ton corps ? »
« Hahaha, oui, je vois ce que tu veux dire...ça me faisait pareil, au début ! »
« Comment ça ? On s’habitue ? »
« Pas vraiment...en tout cas de ce que je sais, ce n’est pas bon signe de s’habituer à cette douleur-là. En fait, mon paternel me faisait toujours la leçon sur ceux qui tapaient comme des sourds sur l’enclume. Il disait : « Encore un qui deviendra vieux avant l’heure ! ». En fait, il faisait attention à ce que je ne tape pas trop sur les barres en fer. Il disait qu’il fallait sentir si...Ah ! »
« Quoi ? »
« Eh bien, il m’a répété tellement de fois que je n’y pense même plus désormais. »
« Mais quoi donc ? Arrête de te faire prier ! »
« Oui, oui, désolé ! En fait, il faut faire comme si tu voulais lâcher le marteau quand tu percutes l’enclume. Enfin, la pioche et la roche du coup. »
(C'est stupide !)
« Mais elle va rebondir...non ? »
« Non ! Euh... Ah, je m’exprime mal : il ne faut pas la lâcher vraiment. Il faut desserer sa prise. Voilà, c’est ça ! Quand on débute, on a envie de serrer de toutes ses forces le manche pour transmettre toute la force du mouvement et être le plus précis possible. Tu dois sans doute faire ça, non ? »
« Eh bien... Oui. En même temps, il vaut mieux y aller fort et être précis, non ? »
« Si, si ! Mais en fait, tu ne perds presque rien en précision si tu laisses l’outil finir sa course tout seul : il ne va pas subitement décider de bifurquer ! En fait, c’est plus l’inverse, car tu as simplement une petite partie de trajectoire à effectuer toujours de la même façon à chaque coup...et ton marteau...enfin ta pioche, arrive ainsi au même endroit ! »
« J’ai un peu de mal à te suivre. »
« Eh bien, imagine que tu me regarde faire, et que tu trace un trait au stylet dans l’air lorsque je guide la pioche. Tu visualises ? »
En donnant ses indications, Hïo mime les situations. Malgré l’incongruité du contexte et du sujet aux yeux de Vohl, l'aspect comique ne l’empêche pas de veiller à ce que les gesticulations de son protégé ne le rapprochent pas dangereusement du bord de la corniche. Il reconnait toutefois un certain talent professoral au jeune homme. La passion qu’il transpire en évoquant les conseils familiaux de la forge ne sont sans doute pas étrangers à ce succès.
« Oui. Tu veux dire que plus le trait que je vais tracer est court, plus finalement je réduis le risque d’en dévier, et donc de ne pas frapper deux fois au même endroit. »
Hïo pointe de nouveau son doigt sur la partie travaillée par Vohl. La surface bleutée constellée de piqûres blanches est un témoignage effectivement éloquent.
« J’ai bien l’impression que c’est ce qui se passe, non ? Et par ailleurs tu verras que la force du coup ne diminue pas ! Au contraire ! »
« Je m’incline devant le raisonnement. Je vais essayer. » [/color]
Il retourne devant le mur de glace. Le forgeron a pris une avance assez large, mais l’assassin peut encore arriver à un résultat honorable. Il brandit la pioche, lui donne de l’élan, desserre sa prise... des éclats de glace volent dans les airs... et il manque de recevoir le retour de la pioche en pleine tête. Le manche vient rudement heurter son bras.
(J’ai donné beaucoup trop de mou !)
Mais il se sent effectivement plus proche de réussir que pendant ses tentatives précédentes. Il arme un nouveau coup après s’être massé brièvement. Une nouvelle fois, il donne de l’élan à la pioche, sans forcer, en tentant de reproduire exactement le même mouvement du buste et des bras. Ses jambes sont fermement plantées dans le sol. La glace s’éparpille à deux centimètres du précédent impact.
(Là, c’était bien ! J’ai simplement encore un peu trop guidé ! Encore !)
Et il enchaîne ainsi les frappes. Il se rend vite compte que cette méthode, si elle n’est bien sûr pas dénuée d’exigences physiques, permet une bien meilleure économie des forces. Pas étonnant que les forgerons l’utilisent : s’ils tapaient sur le métal toute la journée comme il le faisait il y a quelques instants, leurs poignets seraient en compote en l’espace d’un an ! C’est en se faisant cette réflexion qu’un bon morceau de glace se décroche, dévoilant une portion de terre. Pas de métal précieux en vue, mais un intense sentiment de satisfaction étreint Vohl.
Les pans de glace se décrochent progressivement ; tantôt par petits blocs de la taille d’un poing, tantôt par morceaux plus grands, jusqu’à la taille d’un avant-bras. Malgré l’efficacité de cette technique, l’effort fait rapidement chauffer les muscles de Vohl. Il est en nage lorsque Hïo lui indique qu’il a fini de mettre à jour la veine de métal : il va pouvoir commencer à attaquer la partie de fouille à proprement parler. Une question traverse l’esprit du protecteur :
« Comment reconnaîtras-tu la faerunne ? Les fluides de vent ont changé l’aspect du métal ? »
« C’est exactement ça : le fer prend des reflets irisés. Ça va du bleuté au grisé, en passant par le vert...des fois, cela varie même au cours du temps pour un même échantillon. »
« Bon, ça devrait être plutôt simple, du coup. »
« En réalité non...tu m’as posé la question pour la faerunne. Donc je t’ai répondu pour la faerunne. Mais les filons de faerunne pure sont pour ainsi dire inexistants : quand nous allons attaquer la partie de fouilles, il faudra prêter une grande attention au moindre coloris, et à la moindre variation de teinte. Car en fait nous allons extraire une grande quantité de fer, dans laquelle se trouvera, si on est chanceux, une solide partie de faerunne. »
« Par solide, tu entends... »
« Trente pourcent serait un miracle. »
« Tu veux dire que... »
« Exact. Pour extraire l’équivalent des cinq doses, il faudra surement extraire au moins vingt doses de fer apparent. »
« Dans tes récits précédents, je n’avais pas l’impression que vous ayez extrait tant de roche que cela... »
« Cherock était devenu fulguromancien, ce qui lui permettait d’avoir une certaine affinité avec les métaux, de par leur magnétisme. La faerunne n’est pas magnétique : c’est une propriété qui a été brisée par l’afflux de fluides de vents. »
(Encore un fulguromancien...)
« Mais comme elle est mêlée au fer, qui lui est magnétique, il faut une précision suffisamment pour pouvoir faire la distinction. »
« Tu saisis vite. Parfois. »
Sourire sardonique de Vohl.
« Je te retourne la remarque. Avec le circonstanciel. »
Hïo rit. Son protecteur se joint à lui l’espace d’un instant, avant de reprendre la réflexion amorcée.
(Si la faerunne n’est pas aimantée, il est sans doute possible de faire la distinction immédiatement avec le fer. Mais pour cela, il faudrait qu’elle puisse se séparer des enclaves métalliques, cela sera compliqué.)
Il y a deux solutions, qui font dans tous les cas utiliser un aimant d’une certaine taille. Première possibilité : faire fondre le métal. Une fois à l’état liquide, le mélange pourra se réorganiser sous l’influence d’un champ magnétique, du même style que ceux envisagés un temps pour dévier les flèches ennemies. L’un des problèmes de cette méthode, c’est le besoin en énergie pour faire entrer le métal en fusion. Le second problème est lié au premier : il faut pouvoir fournir cette énergie de façon continue. Cela demanderait des aménagements conséquents du tunnel, et donc un manque crucial de discrétion. Un dernier problème vient compléter le tableau avec l’attention qu’il faudra prêter à la fusion pour éviter d’abimer le métal.
« Lorsque l’on porte un métal à trop haute température, cela le débarasse de ses impuretés ou cela risque de l’abimer ? »
« Tu commences à penser comme un forgeron, Kage. J’ai pensé à cette méthode aussi. Mais... »
« Oui. Ce sera bien trop compliqué à mettre en œuvre. »
« Oui. »
Les deux hommes repartent dans leurs réflexions. La seconde méthode, selon Vohl, consiste à en fait extraire le métal avant de le réduire en poudre, pour pouvoir utiliser le poids négligeable de cette poussière pour la soumettre à un tri par champ magnétique. L’effort demandé ici sera purement mécanique, ce qui est plus en accord avec ce qu’ils peuvent accomplir. La taille des particules soumises au tri pourra varier selon la taille de l’aimant qu’ils arrivent à se procurer. Les limites de cette méthode lui apparaissent encore. Dans un premier temps, s’ils veulent véritablement ne récupérer que la faerunne, ils devront, quelle que soit la taille de l’aimant, présenter une poudre et non des blocs. Car dès que la présence de fer sera suffisante dans la roche, il sera récupéré par l’aimant, emportant avec lui la faerunne qu’il contient.
« On pourrait réduire en poudre... »
Il secoue la tête. Cette solution ne convient pas. Il en présente selon lui les différentes raisons : Hïo se range finalement à son avis.
« Il n’y a peut-être pas de solution, tout simplement. Le meilleur compromis est sans doute d’extraire un volume approximatif de matière brute, et de laisser l’un des forgerons thorkin se charger de séparer le bon grain de l’ivraie. »
« Peut-être...ou pas. Laisse-moi encore quelques minutes. »
Vohl vient d’imaginer une adaptation de la balance utilisée pour peser les morceaux de viande ou les sacs de grains, sur les marchés. Si on pèse le bloc de métal, et qu’on effectue une nouvelle pesée en plaçant un aimant au-dessus de la balance, le poids devrait diminuer de façon suffisamment notable pour que l’on connaisse la proportion réelle de faerunne dans le morceau. Ils pourraient alors décider ou non de réduire le morceau en poudre pour récupérer la faerunne. La seule contrainte à cette estimation est de placer l’aimant à une distance toujours identique à un morceau de métal toujours environ des mêmes dimensions. La distance identique ne pose pas problème, puisqu’il y aura uniquement à fixer l’aimant à la colonne de la balance. Le volume est légèrement plus contraignant. D’abord, cela veut dire qu’ils auront besoin d’un burin et d’un ciseau à pierre. Et ensuite, cela veut dire qu’ils auront de petits résidus de roche lorsqu’ils voudront analyser les blocs excavés.
(Mais cela ne devrait pas poser problème...On pourrait partir du principe que les ‘chutes’ de roche ont la même proportion de faerunne que le morceau mesuré.)
Il redresse la tête et fixe son regard sur celui de Hïo, qui a levé les yeux en captant son changement de position.
« J’ai une idée. »
Le regard du forgeron se fait attentif.
« Vu que nous ne pouvons pas sortir de grands volumes discrètement par ici, nous allons devoir vérifier que ce que nous sortons en vaut la peine. As-tu un burin ou des outils de taille des roches ? »
« Evidemment. »
« Alors la seule chose dont nous aurons besoin est un aimant. Dans une mine comme celle-ci, ce devrait être facile ! »
« La dernière fois, nous n’avions pas eu à utiliser de matériel. Comment comptes-tu utiliser le magnétisme, puisque ni la transformation en poudre, ni la fusion n’est possible discrètement ou efficacement ? »
« Nous allons utiliser...le poids de la roche. En plaçant l’aimant à la verticale d’un plateau de balance, nous verrons les morceaux riches en faerunne continuer à peser de tout leur poids sur la balance. En revanche, les morceaux qui sont trop riches en fer, eux, seront attirés par l’aimant, qui diminuera sensiblement leur poids. D’où l’utilité d’une balance et d’un aimant. Tes connaissances thorkines pourraient-elles nous fournir cela ? »
« Sans doute ! C’est une bonne idée ! »
Un instant de silence suit ses paroles.
« Tu n’es vraiment pas un mercenaire banal, hein. Mêler la physique à des propriétés que tu viens d’apprendre sur les roches, la connaissance des techniques militaires...tu es louche, Kage ! »
« ...Nous en avons déjà discuté : tu n’as rien à craindre de moi. »
Le protecteur ne se sent pas vraiment menacé par les questions et remarques du forgeron. Il s'agit plus de curiosité que véritablement d'un besoin ou d'une volonté de nuire à l'anonymat de son mercenaire.
« Oh, mais je ne crains pas. Je serais déjà mort, si je ne te faisais pas confiance. Mais je me demande qui tu es vraiment. Et ça, ça m’intrigue. »
« Ha ! Si ce n’est que ça ! Remettons-nous au travail, Hïo ! Si nous préparons des morceaux, nous prendrons déjà un peu d’avance. La cérémonie avait l’air d’importance, en ville : penses-tu qu’elle dure jusque ce soir ? »
« Sans doute. »
« Alors il nous reste quelques heures pour travailler ! »
Un premier coup de pioche brise encore de la glace du côté du protecteur, tandis que du côté du protecteur, des morceaux de terres tombent au sol : dans l’objectif de détourer la veine de métal, Hïo préfère piocher autour, dans les matériaux les plus friables, afin de laisser choir au sol les morceaux de métal dégagés. Une bonne idée, note l’assassin du coin de l’oeil. Il atteint bientôt la strate rocheuse, sur laquelle il commence le même travail de sape que son compagnon. Les mineurs ne s’arrêtent que quelques minutes tous les quarts-d 'heure : lorsqu’enfin ils n’en peuvent plus, deux petits tas sont à leurs pieds, de taille respectable pour des débutants. Certains morceaux arborent des veines d’une couleur irisée, indiquant clairement leur intérêt pour la quête que les deux hommes poursuivent, là où d’autres semblent uniquement ferreux. Le métal est déjà fracturé à intervalles plutôt réguliers : le jeu des contraintes géologiques leur évitera de perdre du temps à couper les morceaux métalliques. Une bonne nouvelle, pour changer. C’est après ce constat qu’ils décident qu’il vaut mieux pour eux prendre une bonne dose de repos : demain encore sera une rude journée. Et si les muscles chauds qui roulent sous leurs épaules ne les font pas souffrir pour l’instant, ils ont tous deux conscience que demain, leurs corps leurs feront payer cet exercice répétitif et inhabituel. Ils prennent donc le chemin de sortie de cette enclave. Avant de partir, Vohl regarde la zone dégagée pendant qu’il piochait : la veine métallique semble filer droit vers le bord de la corniche.
« Il faudra ramener des cordes, demain. Et un piton. »
« Alors nous rajouterons cela sur ta note de mercenaire ! »
« Quoi ? »
« Je plaisante, bien sûr. Il n’y aura aucun problème, Brumal nous prêtera sans souci ce qu’il nous faudra ! »
Ils se dirigent vers le tunnel de sortie. Trop fatigué pour angoisser de rester bloquer, le protecteur soupire avec lassitude avant de s’introduire dans le goulot. Curieusement, le retour se passe bien mieux que l’aller. Ils retrouvent leurs montures, qui regardent d’un air blasé les galeries de roches. Le retour en ville se fait vite, et Vohl tâche de retenir l’itinéraire qui lie le filon de faerunne et la maison du fameux Brumal. Un échec. A mi-chemin, il se rend compte qu’il a déjà oublié la moitié des intersections. Il se contente donc de se laisser guider par le forgeron dans les rues qui semblent avoir retrouvé une agitation classique. Au bout de ce qui lui semble être une éternité, ils arrivent devant la maison.