Les Rues et Ruelles

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Akihito
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Akihito » mer. 18 sept. 2019 23:44

Dans le chapitre précédent...

Deuxième Arc : L’art de faire parler la Foudre

Chapitre XXI.3 : Une réunion touchante

Hatsu eu alors un geste qui surprit grandement Akihiko : joignant les deux mains entre son ventre et son bassin, elle s'inclina profondément devant lui. Akihiko aurait rit au nez de celui qui lui aurait dit qu'un jour l'héritière d'une des grandes familles d'Oranan s'inclinerait devant lui.

"Je vous présente mes excuses pour ma rudesse, j’ai tendance à m’emporter lorsqu’il s’agit de ma famille.

- N'aillez crainte je ne vous en tiens pas rigueur. Une telle réaction est tout à fait compréhensible.

- Je viens avec vous, je dois le voir, j’ai besoin de m’assurer qu’il va bien. Pas que je remette en doute vos paroles mais… c’est mon jumeau vous comprenez, j’ai besoin de le savoir en sécurité. Je vais les convaincre."

L'enchanteur ne rajouta rien et se contenta de suivre la jeune femme qui se dirigeait vers les membres de son clan. Là, il prit soin de rester quelques mètres en recul pour ne pas gêner de sa présence une affaire qui ne le regardait pas. Les négociations furent rapides et unilatérales : Hatsu fit comprendre qu'elle souhaitait le suivre pour une affaire urgente et qu'elle le ferait, quoi qu'il arrive. Évidemment, le chef de la garde s'y opposa fermement, de même que la famille. C'est la matriarche qui débloqua la situation : une supplique de sa fille sembla lui faire comprendre quelque chose et elle coula brièvement un regard à l'enchanteur. Akihiko soutint son regard mais ne dit rien. Finalement, la mère Ôkami donna son autorisation et après une mise en garde lourde de sens à travers ses yeux, le chef des soldats abdiqua à contre coeur et confia sa protégée à Akihiko.

Hatsu se mit donc à suivre Akihiko en direction de chez Anthelia, et il ne fallut que peu de temps avant qu'un barrage de questions inévitables ne lui tombe dessus.

"J’aurais voulu savoir. Quel est votre intérêt dans tout cela ? Qu’est-ce que V… Kage vous a dit pour que vous risquiez votre vie et votre réputation pour venir en aide à ma famille que vous ne connaissez même pas ?


- De légitimes questions, damoiselle Ôkami. Mais je ne sais pas si mes réponses vous satisferont..
Sachez d'abord que je fais peu de cas de ma réputation. Je fais ce que j'estime être juste. Lorsque Kage est venu me trouver, il m'a expliqué les raisons qui le poussait à vouloir œuvrer contre l'assassin de son père. Il y a des émotions qu'on ne peut mentir, et la colère que je lisais dans ses yeux était authentique. Arrêter un homme aussi malfaisant que cette ordure est une raison suffisante pour aider celui qui a en sus sauvé à de nombreuses reprises un ami qui m'est cher. J'ai par la suite pu constater de mes propres oreilles que ce capitaine était un odieux personnage. C'est donc sans regret que je lui ai... disons, brutalement vidé ses poumons d'air,
dit Akihiko pour ne pas dire les choses trop ouvertement, choisissant ses mots avec soin pour qu'une tierce personne ne puisse comprendre de quoi il parlait. Hatsu comprit bien entendu et un sourire carnassier étira ses lèvres sur les derniers mots. Alors disons que j'ai plus aidé Kage que votre famille. Je ne suis qu'un citoyen ordinaire, le clan Ôkami m'est donc inaccessible. J'ai agit par convictions personnelles plus que par intérêt. Puis, je suis les préceptes de Valyus : protéger ceux qui sont dans le besoin fait partie de mes "obligations". Sans oublier que je suis également en possession de ceci, conclut-il en tapotant le pommeau de la Kizoku.

- J'ai beaucoup lu à son sujet. Les légendes concernant les épreuves et le fourreau sont-elles vraies ?

- Pour la plupart, oui. Je dirais même presque toutes en réalité. Bien que je ne puisse pas m'étendre sur le sujet, je peux vous confirmer que c'est bel et bien la Kizoku-Rana qui choisit ses porteurs. Mes idéaux de justice et de protections hérité des préceptes de Valyus m'ont fait être choisi. C'est ma Voie. dit-il humblement.

(Faut aussi dire que tu as un sacré potentiel pour te mettre dans des situations improbables. Ne serait-ce que pour citer Nessima...)

- Je peux au moins vous montrer ceci, le symbole des porteurs qui n'apparaît que peu dans les légendes, dit Akihiko en ignorant la pique de sa Faëra et en montrant la Kizoku Hana marqué sur le dos de sa main gauche. C'est la Kizoku Hana, ou "Fleur de Rana". Coup du hasard, cela représente un lotus stylisé. Les deux pétales de gauche représentent le Courage, accepter et poursuivre sa Voie quoi qu'il arrive. Les pétales de droite représentent eux la Sagesse, pour appliquer sa Voie avec discernement. Enfin, le cœur de la fleur symbolise la Force, nécessaire à tout les porteurs pour affronter les épreuves et soutenir notre Courage pour arpenter notre Voie. Dans mon cas, c'est le Courage de rendre la justice qu'importe celui en face de moi, la Sagesse pour rendre cette dernière équitable, et la Force d'abattre la juste sanction quand tout les autres moyens ont été épuisés."

Hatsu sembla méditer quelques moments sur le sens des paroles de Akihiko, pendant qu'Amy papillonnait dans l'esprit de son maître, les ailes d'un jaune brillant. Elle était fier de la description juste et humble de l'enchanteur. Elle posa ensuite quelques questions supplémentaires, entre autres sur la furie de Rana, et fini par demander avec curiosité à voir la lame. Akihiko s'exécuta et la lame de Faerunne brilla au soleil sous les yeux quelques peu impressionnés de la noble. Tout comme son frère, elle n'essaya pas non plus de la toucher, ce que Akihiko interpréta comme une marque de respect.

Une poignée de minutes plus tard, les deux jeunes gens arrivèrent devant la maison d'Anthelia. Passant le petit portiillon, Akihiko se retourna vers Hatsu, la main sur la porte.

"Nous voici chez mon amie, Anthelia. Il y a quelques temps, c'était encore la tatoueuse magique d'Oranan. Mais malheureusement, les encres magiques se sont rarifiées et il n'est plus possible pour elle d'exercer sa profession. Sa boutique est donc fermée... et elle n'a donc plus de clients. C'est pourquoi j'ai choisi cet endroit. Oh, et une dernière chose... Akihiko s'assura que personne ne pouvait l'entendre et se pencha vers la jeune femme en parlant à voix basse. Ryo se doute de quelque chose à propos de votre relation avec Kage. Ce grand dadais n'arrivait pas à cacher son inquiétude à votre sujet. En revanche, il ne sait rien de sa véritable identité, celle de Vohl Del'Yant. Alors faites attention en sa présence, il ne sait pas tant de chose que ça."

Ce dernier conseil donné, Akihiko ouvrit la porte pour faire entrer Hatsu et assister à une scène qui resta gravée dans sa mémoire comme l'un des moments les plus hilarants de sa vie.



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Nhaundar
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Nhaundar » ven. 27 mars 2020 17:25

VI.29 Un achat nécessaire. (2)

J’avais prévu d’accroître mes ressources magiques, de demander l’aide d’un mage de lumière pour apprendre les sorts de soins que je désire tant. Avoir la capacité de guérir d’une plaie légère à une blessure grave est un atout indéniable et seule la magie de lumière permet une telle capacité, non seulement pour soi-même, mais aussi pour son entourage. Malheureusement cela ne sera pas possible dans l’immédiat et c’est avec une colère non dissimulée que j’arpente à nouveau le marché d’Oranan. Je suis tellement contrarié que je manque presque Sylve vers un étalage de fruits. Elle a délaissé ses équipements de guerres pour une robe passe-partout et ses cheveux blonds sont détachés pour une fois. Ca lui donne un côté plus féminin, moins agressif et surtout ça cache une partie de son visage, masquant une conversation se voulant discrète.

"Un problème ?" Demande-t-elle en regardant ailleurs.

Sans la regarder je réponds brièvement en examinant quelques pommes.

"Pas de magie de soin !" Je porte mon regard sur le côté et demande à mon tour. "Et de ton côté ?"

La semi-elfe fait mine de compter le contenue de sa bourse en étalant son rapport.

"Deux hommes te suivent en permanence et six autres par groupe de deux sont postés en permanence vers les sorties autour de toi !"

(Donc je suis bel et bien suivi comme je l’imaginais. J’ai bien fait de demander à Sylve de se poster ici et de faire attention à qui pourrait me suivre. Ma première venue où j’ai échangé avec beaucoup de personnes étant pour brouiller les pistes et forcer mes traqueurs à prendre des risques pour se rapprocher et dénicher mes compagnons.)

Elle paie une commande et enchaîne.

"On est prêt. Le rendez-vous ?" Ajoute-t-elle.

"Le bâtiment abandonné, trois cents mètres à l’ouest !" Dis-je.

Pas de mots d’encouragement, de prières, de promesses impossibles à tenir et encore moins de regards gorgés de soutien. Nous ne prenons pas le risque de prolonger la conversation afin de ne pas dévoiler notre lien et surtout le piège que nous tendons. J’attends encore un peu avant de quitter l’étalage. Je passe à d’autres où je reste de très brefs moments et d’autre où je reste plus longtemps. Enfin, lorsque je sens qu’il est temps, je me rends au rendez-vous. Seul.

VI.31 Jeu de dupes.
Modifié en dernier par Nhaundar le ven. 27 mars 2020 17:51, modifié 1 fois.

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Nhaundar
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Nhaundar » ven. 27 mars 2020 17:50

VI.30 Réunion au marché.

L’endroit est désert. Personne ne semble vouloir y venir, faisant de ce lieu à l’allure glauque encore plus sinistre. Ici les bâtiments ne sont pas entretenus, fenêtres, portes, en fait toutes les structures en bois portent les stigmates du temps, comme un être malade qui n’aurait jamais vu le moindre médecin. C’est assez inhabituel de voir ceci à Oranan, vu la mentalité de ses habitants à entretenir leur ville.

(Il faut croire qu’il y a des exceptions !)

Je m’avance dans une ruelle, longeant le bâtiment qui sert de lieu de rendez-vous. Il n’y avait clairement pas d’indication précise quant à l’emplacement exact et je me refuse à y entrer. Je crains qu’à la première porte je ne sois rendu en incapacité de me défendre par un malandrin dissimulé. Il ne faut pas longtemps pour l’intendant d’apparaître seul devant moi, une bourse en main. Il n’a pas la même tenue qu’à la bibliothèque avec sa longue bure blanche aux lyserais pourpre qui lui donne étrangement un gabarie plus impressionnant. Je remarque également des bottes à ses pieds en cuire qui dénote avec le reste. Mais ce qui saute aux yeux, c’est bien la présence d’une épée en main.

(Il est clairement pas là pour la cueillette des champignons !)

Je prends les devants et impose le rythme de l’échange dans une attitude méprisante.

"Vous êtes parvenu à obtenir tout l’argent ?"

Discrètement, j’use de ma magie pour l’insuffler en lui et ôter ses craintes, doutes et timidités. J’ai cependant besoin de temps pour opérer correctement.

"Ca n’a pas été facile, mais tout est là !" Dit-il en secouant la bourse, faisant tinter les pièces à l’intérieur. "Et vous, vous l’avez apportée ?"

Je m’approche et provoque une réticence chez lui. Il recule d’un pas en gardant l’argent près de lui et lorsque je ne suis plus qu’à quelques pas je montre ma main gauche, celle où je porte un anneau.

"Vous l’aviez sur vous depuis le début ?" S’étrangle-t-il, ignorant que ce n’est en réalité pas la bonne bague. Il lui est difficile de l’identifier correctement puisque ma main ne cesse de bouger.

Je tends mon autre main vers lui, mais il refuse l’échange pour le moment et fait deux pas en arrière.

"Vous avez ce que je veux et j’ai ce que vous voulez !" Dis-je sentant dans un changement dans son comportement depuis notre dernière entrevue. J’avance dans sa direction et le pousse à parler. "Quel est le problème ?"

Rien. Il ne répond rien. Il ne fait que me regarder de crainte alors qu’il recule encore de deux pas en arrière.

(Il cherche à me duper et m’enfoncer dans la ruelle. Il a certainement appelé d’autres hommes qui doivent être présents. Dans une telle situation je fermerais toutes les voies de replies et la seule chance de fuite se trouve derrière-moi.)

Je jette un bref regard en arrière et remarque deux hommes qui se sont postés discrètement, les armes dégainées et prêtes à agir au moindre mouvement de ma part. Je me tourne vers Kayeko qui n’a plus cette expression apeurée.

"Quelle a été mon erreur ?" Fais-je en le fixant droit dans les yeux.

"L’argent !" Me répond-il simplement avant de rentrer plus dans les détails. "Vous avez demandé le double pensant qu’ils étaient des mercenaires. J’en ai donc conclu qu’après la description que vous avez faite, vous les aviez bien rencontrés, mais ils n’ont pas parlé comme vous l’avez sous-entendu. Leur chef est quelqu’un de très compétent, je doute qu’une vermine comme vous ai pu le vaincre !" Il affiche un sourire vainqueur avant de demander. "Est-ce au moins la bague ?"

"Est-ce au moins l’argent ?" Lui dis-je en retour, lui faisant comprendre que ni lui ni moi n’avons respecté notre accord.

"Ces quelques pièces suffiront à payer les gardes pour détourner leurs regards de votre cadavre." Lance-t-il verbalement en même temps qu’il jette la bourse à mes pieds.

Je le regarde sans me départir de l’attitude hautaine depuis le début et ironise.

"Vous comptez donc vous en prendre physiquement à un membre officiel de la milice Oranaise ?"

"La milice ? D’où pensez-vous que ces hommes viennent ?" Derrière-lui, plusieurs hommes sortent de l’ombre et si certains semblent des larrons de bas étages, d’autres apparaissent comme de vrais miliciens. "J’ai tout fait pour dissimuler le grabuge que ces idiots ont commis dans la bibliothèque ! Malheureusement le signalement a été fait avant que je puisse y mettre mon nez."

Je bénéficie d’explications avant ma mise à mort, ma magie inhibitrice aidant visiblement.

"Je n’avais donc aucune chance dès le début donc. Mais pourquoi faire toute cette mise en scène ? Ne pouviez-vous pas accéder à tous les recueils ?"

"Je ne suis qu’un intendant, ma position ne me permet pas l’accès aux secteurs les plus gardés !" M’explique-t-il.

"Bien, je pense que nous en avons terminé!" Fais-je en regardant l’intendant Kayeko de toute mon autorité.

"En effet et je vais prendre un malin plaisir à…" Commence-t-il avant que je ne l’interrompt avec un large sourire.

"En réalité ce n’est pas à vous que je parlais !"

"Encore ces fourberies. Ne te lasses-tu pas de vouloir me duper encore ?" S’énerve-t-il alors que d’un geste il envoie ses hommes vers moi.

"Je ne pensais pas user ces mots un jour, mais ce Shaakt dit vrai !" Lance une voix venue de nulle part.

Des bruits de pas rapides se font entendre et une porte en bois condamnée, située entre moi et l’intendant, éclate par la charge qu’elle a subie. Un homme d’une forte carrure chamboule le déroulement de l’échange par sa présence. Ce n’est pas la première fois que je le croise, mais j’avoue qu’avec son armure renforcée et sa longue lance j’aurais pu ne pas le reconnaître, même avec ses cheveux bruns coiffés en un petit chignon. Derrière l'intendant, l'inquiétude grimpe chez les miliciens pervertis.

"Instructeur Akiko. C’est un plaisir de vous revoir. Je m’excuse pour le dérangement, mais j’étais dans une fâcheuse posture et une intervention me semblait nécessaire." Dis-je en m’inclinant respectueusement vers mon supérieur direct de la milice.

"Mais…mais comment, mes hommes ne m’ont informé de rien? Nous t’avons suivis et…" Dit-il, mais je l’arrête rapidement.

"Réfléchissez-y. Ce délai d’une heure n’était là que pour vous pousser à la précipitation. J’ai eu de la chance car j’ignorais tout de votre lien avec des miliciens corrompus, malheureusement la milice n’a été prévenue qu’il y a peu. De plus vous n’avez pas prêté attention que les hommes que vous avez envoyés me suivre étaient eux-mêmes observés! C’est cette personne qui a transmis ma demande à l’instructeur, en demandant rendez-vous à la place du marché dès son arrivée et qui a également fournis un descriptif de vos hommes partis à la recherche de la relique, très certainement entre nos mains au moment où je vous parle." Dis-je en mentant un peu sur la fin. J’ignore s’ils ont été capturés, mais ce n’est juste qu’une question de temps.

"Mais qui ?" Demande-t-il.

Au bout de la rue, un gémissement de douleur retentit. J’y porte mon attention pour voir que Sylve s’est approchée discrètement et a embroché un premier homme avant de s’intéresser au second. Pris au dépourvu, il ne fait pas le poids face à la guerrière et son maniement de deux lames en main. Il vit ses derniers instants après une rotation mortelle digne des plus talentueuses danseuses.

"Elle !"

"Intendant Kayeko, vous êtes en état d’arrestation ! Et pour avoir souillé la milice de votre corruption, j’espère que vous me donnerez une raison valable pour vous faire la peau moi-même ! Miliciens !" Il hurle ce dernier mot et une horde d’hommes et de femmes se présentent derrière-lui.

Le visage de l’intendant change radicalement de couleur avec l’accumulation d’évènements imprévus. Malgré la situation délicate dans laquelle il se trouve, il retrouve sa colère en croisant mon regard.

"Tout est de ta faute ! Tu me le paieras tôt ou tard !" Hurle-t-il alors qu’il brandit son bras vers moi et l’instructeur.

Des éclairs apparaissent de ses mains et se dirigent vers nous. En atteignant le sol, ils génèrent un cercle électrique de plusieurs mètres de diamètres. La décharge électrique nous frappe tous les deux, la douleur nous empêchant d’agir. Enfin, moi oui. Loin de se laisser perturber par le premier sort venu, l’instructeur s’avance, lentement mais surement, en souriant.

"Empêchez-les de passer !" Hurle Kayeko qui fuit par le bâtiment délabré qui a servi de lieu de rendez-vous.

Ses hommes s’avancent pour nous bloquer le passage, mais grâce à son arme et sa carrure aussi imposantes l’une que l’autre, il parvient à me dégager un passage.

"Rattrape-le ! Mais si tu le tues avant moi, tu regretteras de ne pas être mort !" Grogne-t-il de rage alors que ses hommes arrivent pour le soutenir.

Sans prendre le temps de confirmer son ordre, je me rue à la poursuite de l’intendant avec une menace que je sais véritable.

VI. 32 Affrontement final.

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Kiyoheiki
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Kiyoheiki » sam. 9 janv. 2021 14:43

~Auparavant~

La fin d'une ère

~1~

Heaume au creux du bras, je suis du regard cette nouvelle silhouette s'éloignant avec d'autres auxquelles j'ai déjà annoncé la même chose. La menace d'Omyre n'est plus une simple forme sombre à l'horizon, nous observant au loin de son regard déterminé comme nous du nôtre. Elle est venue à nos portes une nouvelle fois, mais avec la résolution de les abattre pour de bon. J'ai beau avoir vu mon lot de conflits et participé à nombre de batailles visant à protéger nos terres, je m'étais fait à l'idée que les forces en présence conserveraient ce précaire équilibre. Qu'elles s'étaient accoutumées à ce jeu sanglant d'escarmouches et de danses mortelles aux frontières. Le siège de ma cité natale une seconde fois et le déplacement des troupes du royaume voisin m'ont bien fait comprendre que non. La Demie-Déesse et le Roi de Kendra Kâr semblent lassés de ce conflit aux résultats flous, et ont d'y remédier une fois pour toutes au cœur de ces terres meurtries. Un bref instant, je ressens une poussée d'amertume à l'idée de mon peuple pris entre ces deux puissances depuis si longtemps, refusant de courber l'échine face à des assoiffés de conquête d'un côté et payant, tel un tribut, avec son sang son lien ancestral avec l'autre. J'ai beau souhaiter la paix de toute mon âme, mes aventures passées en Aliaénon m'ont prouvé que, pour y parvenir, l'un des camps devait plier définitivement. La Guerre a beau revêtir des corps et des visages différents, elle ne change en vérité jamais.

Je chasse ces sentiments d'un simple effort de volonté, me centrant sur mon devoir.

En ma qualité de Sergent de la milice, j'ai eu pour tâche de faire connaître l'ordre de mobilisation à mes subalternes. Je revois encore les jumeaux Genji et Junji revêtir leur armure légère, pas même quelques semaines après s'être totalement rétablis en ma demeure. Hidate aussi, dont le dos courbé par le malheur venait à peine de retrouver son aplomb. Ils ont toujours été d'un courage exemplaire, mais même tout le sang ynorien dans leurs veines n'est pas parvenu à leur faire masquer la tension dans leurs silhouettes.

Mes yeux glissent vers la bague offerte par ma tendre Talia, et je hausse la main en un geste visant à y apposer un léger baiser. Quelques semaines après être revenus de son monde, nous nous sommes finalement unis. Un double mariage des plus sobres. Ayame et Junji d'un côté, Talia et moi de l'autre, devant le temple de Zewen. Pas de grande cérémonie ni un parterre d'invités. Simplement nous et nos amis proches, les enfants en bas âge, ma pupille Tohru, ainsi que la cousine Akiko de l'autre marié. J'aurais aimé plus digne de mon épouse, mais les circonstances ne s'y prêtaient guère. Je me fais le serment qu'un jour, nous fêterons dignement notre union. Mais pour cela, je ne dois pas faiblir ni ne me laisser détourner de ce qui doit être fait.

(Vous avez grandi, mon Protégé.)

La voix d'Okina fait un léger écho dans mon esprit, présente mais ne prenant pas les devants sur mes propres pensées. Ma Faera ne s'était guère manifestée ces derniers temps, si ce n'est pour expliciter son changement d'avis quant à l'influence de Talia sur moi. Je lui accorde mon attention sans détourner le regard des quelques habitants s'affairant dans la ruelle et refusant de quitter la cité.

(Cœur inquiet mais battant calmement, esprit sans brume l'étouffant, regard clair embrassant le présent.)

(Imaginer le pire et le malheur sont des appels à leur manifestation. Mais je n'ai plus la candeur de croire que la situation peut s'arranger sans dommage ni souffrance. Toutefois, le savoir n'y change rien. Je plus inquiet que vous ne l'imaginez, Okina.)

(Mais vous ne cillez pas. À rendre le courage plus brillant servent les sombres sentiments.)

Je me laisse aller à une esquisse de sourire face à la confiance présente dans les paroles de ma faera. Je tremble pour mes proches, pour mon peuple, en pensant à ce conflit de grande ampleur que l'on ne saurait éviter, quant à ce futur incertain qui accueillera ceux qui en sortiront vivants. Encore une fois, mais dans mon propre monde. Pourtant, ma main demeure ferme et mon cœur à la bonne place. Le simple instant où j'aimerais être ailleurs avec ma famille, pour les tenir loin de tout ceci, est rapidement étouffé par le savoir que je suis en mesure d'agir. Que j'ai mon rôle à jouer ici. Que j'ai l'occasion de prouver aux ynoriens qui m'ont donné ma chance qu'ils n'ont pas affaire à un ingrat.

J'inspire lentement puis souffle de la même manière avant de pivoter sur mon pied. Au nom de la République, il me reste des individus aptes à se battre à contacter au plus vite.


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Yliria
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Yliria » mer. 13 janv. 2021 16:07

<< Précédemment


En ressortant de la boutique, j'étais plutôt satisfaite d'avoir pu vider mon sac, remplir mes gourdes et acheter certaines bricoles que je pensais utiles, notamment l'étui à carte, toujours utile pour protéger les précieux parchemins, et ce pour une somme modique au vu de ce que les objets que j'ai vendu m'ont rapporté.. Il fallait bien ça en vu de ce qui allait venir et mieux valait être prête à toutes les éventualités. Certes je n'avais pas encore essayé toutes les possibilités que Ssussun cachaient encore, mais mieux valait ne pas tenter Phaïtos en étant négligente. Restait maintenant à savoir comment atteindre concrètement le fameux camp où ils attendaient les aventuriers. Je ne m'étais jamais considérée comme telle, mais c'était ainsi que j'irai me présenter en arrivant. En espérant qu'ils ne refoulent pas tout ceux ayant une ressemblance avec des shaakts...

(Vu la pédance des Kendrans, je te souhaites bien du courage.)

Je soupirai, à la foi lassée d'avance et un peu exaspérée d'avoir toujours la même rengaine partout où je posai un orteil. Cherock me tira de mes pensées en m'informant subitement qu'il comptait partir et qu'on allait se séparer. Je tentai de feindre la surprise lorsqu'il évoqua la discussion au conseil, sa mission et le navire affrété. Je haussai les épaules, essayant de paraître nonchalante en répondant.

- Je suis au courant, je comptais m'y rendre moi aussi. Ce navire prend d'autres passagers ?

Dire qu'il fut pris au dépourvu serait un euphémisme. Il manqua trébucher et me fixa avec des yeux ronds. Je me gardai bien d'expliquer la façon dont j'avais appris la chose, mais ne pus m'empêcher de froncer les sourcils. Comment ça il ne pouvait pas me laisser partir ? Je n'aimai pas vraiment la tournure que prenais cette soudaine conversation. J'en avais assez qu'on me croit incapable sous prétexte que je n'étais physiquement pas assez mature et qu'on essaie de me dire quoi faire à longueur de temps.

- Cherock... Ce n'est pas parce que je ne suis pas Ynorienne que ça ne me concerne pas. Ça concerne tout Yuimen. Et je suis assez grande pour prendre mes décisions sans l'accord de personne. Je n'ai pas besoin que tu me materne, je suis une grande fille.

- Il n'est pas question de materner qui que ce soit Yliria. Bons dieux ! Je sais que tu es forte, sans doute autant que moi, mais ce conflit nous dépasse tous. Si j'y vais malgré la peur qui me tord les entrailles, c'est parce que c'est mon devoir, ma responsabilité ! Toi, tu... Tu en as déjà suffisamment bavé. Je veux pas te voir risquer ta vie pour une nation qui ne t'as rien demandé, et à qui tu ne dois rien. Et de ce que j'ai compris, pour la mission que l'on m'a confié, il y aura déjà suffisamment... D'aventuriers. Alors, reste en dehors de tout ça et, pour une fois, profite d'un repos que tu n'as pas dû connaître depuis longtemps.

Je ne pus retenir un soufflement exaspéré face à ses paroles. Qu'est ce qu'il en savait, de ce que j'avais vécu ? Lui pouvait risquer sa vie pour sa nation, mais pas moi pour mes idéaux ? Je nageais en plein délire ! De quel droit est-ce qu'il imposait son avis comme ça ?

- Ne prétends pas savoir ce que j'ai vécu, Cherock, parce que tu ne sais pas. Et je ne fais pas ça pour ta nation, je le fais pour moi, pour l'opale et pour ce en quoi je crois. J'ai mes raisons et elles valent les tiennes. Je suis une Danseuse d'Opale et j'ai un devoir moi aussi, quoi que tu puisses penser. Ce navire, je dois le prendre, Cherock.

Je le fixai droit dans les yeux.

- Est ce que je peux prendre ce bateau, Cherock, ou tu vas m'en empêcher ?

Il ne répondit pas et je ne retins pas un grognement exaspéré avant de tourner les talons, lui assurant néanmoins que j'embarquerai, avec ou sans son accord. J'en avais assez qu'on me pense trop fragile pour faire ce que d'autres faisaient. Alyah raisonna la chose en rappelant qu'il ne m'avait vu que blessée et captive, mais ce n'était pas une raison. Je ne me surestimai pas au point de me croire plus forte que les autres. Mais j'étais capable de plus que ce qu'il pouvait penser, de ce qu'ils pouvaient tous penser.

Je soupirai en m'éloignant de lui. Je savais que m'énerver contre lui n'allait pas m'aider, mais ça me frustrait de le voir, lui, me traiter finalement comme ça. Trop jeune, trop faible ou le simple fait d'être une fille et non pas un garçon ou un homme. Toutes ces raisons m'horripilaient au plus haut point. Je le plantai là, à la fois furieuse et déçue. Les gens autour nous regardaient étrangement, mais je m'en fichai éperdument cette fois et marchai d'un pas vif dans la rue.

Un puissant flash illumina soudainement l'avenue derrière moi, suivit d'un vacarme assourdissant qui me vrilla les tympans si violemment que je crus un instant devenir sourde. Je me retournai, les oreilles sifflantes, vers l'origine du flash qui n'était autre que Cherock, écroulé au sol au beau milieu de la rue noircie. Sans réfléchir, je me ruai vers lui.

- Ssussun, soigne-le, vite !

L'élémentaire se manifesta aussitôt et fondit sur Cherock juste avant moi, l'englobant d’une lumière vive. Alyah m'informa, complètement stupéfaite, que la foudre avait littéralement frappé Cherock de plein fouet. Le temps orageux de ces dernières heures ne m'avait pourtant pas laissé penser que la foudre pouvait tomber sur qui que ce fusse, mais ce qui m'étonna encore davantage, ce fut de voir Cherock ouvrir les yeux plus rapidement qu'il n'aurait probablement dû. Soit il avait une résistance exceptionnelle, soit Ssussun avait réussi un miracle en le soignant aussi vite et avec autant d'efficacité. Je poussai mon masque pour qu'il puisse voir mon visage, au cas où il était un peu trop perdu.

- Cherock, tu m'entends? Cherock ?

Ma voix me semblait étouffée alors que mes tympans sifflaient toujours, mais au moins je pouvais secouer Cherock et voir qu'il semblait réagir. Il ouvrit la bouche et marmonna un « toi » qui semblait avoir pour but de dire tout autre chose. Je fronçai les sourcils, inquiète de le voir dans un état pareil.

(C'est quand même un comble pour un fulguromancien de se faire frapper par la foudre.)

(Aide-moi au lieu de te moquer!)

(Il va bien, t'en fais pas. Regarde, il bouge.)

Je levai les yeux au ciel et remarquai que les passants s'approchaient. Je grimaçai en voyant cela. Ce n''était vraiment pas le moment que les ennuis me tombent dessus à moi aussi. Je me concentrai sur Cherock en tentant d'oublier les ynoriens qui semblaient avoir envie de s'agglutiner le plus possible pour observer ce qu'il s'était passé. Ce qui n'était vraiment pas quelque chose dont j'avais envie, là tout de suite. Je soupirai. Je ne pouvais décemment pas transporter Cherock seule, c'était physiquement impossible, je n'avais plus qu'à attendre qu'il se mette à réagir davantage. Ou jusqu'à ce que quelqu'un vienne donner un peu d'aide pour le relever. Je continuai à l'examiner, mais il était étonnamment en bon état.

- Cherock ? Pas les dieux, je dois faire quoi ?

J'hésitai à tenter la baffe, pour voir si ça le réveillait plus vite. Alyah supporta joyeusement l'idée et je me disais que, de toute façon, je pouvais toujours calmer la légère douleur qu'il ressentirait si jamais il réagissait. J'enlevais tout de même mon gant en égaille, avant de lui asséner une gifle qui lui fit tourner la tête sous l'impact.

- Cherock !

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Akihito
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Akihito » mer. 13 janv. 2021 23:26

Dans le chapitre précédent...

Troisième Arc : Encre de feu, Ancre de sang.

Chapitre XXIII : Choisi par la foudre.

Ils ressortirent du magasin, leurs bourses allégées, mais leurs gourdes magiques pleines. Les incrustations d’Akihito le rendaient très satisfait des effets, et même s'il avait un peu entamé l'héritage de son père, il l'avait fait en connaissance de cause et avec l'aval de sa mère. Elle considérait que de l'argent dépensé pour l'aider à passer les épreuves que la vie mettrait sur sa route était un investissement prioritaire.
Marchant dans la rue, Akihito se décida. Yliria avait le droit de savoir ce qui se passait... Et il se devait de l'empêcher de se fourrer dans un énième bourbier, comme elle semblait en avoir l'habitude.

« Yliria... Je suis désolé de te dire ça, mais on va devoir se séparer plus tôt que prévu, commença Akihito avant de lui expliquer le contenu de sa convocation.

- Je suis au courant, je comptais m'y rendre moi aussi. Ce navire prend d'autres passagers ? »

Akihito manqua de trébucher et de s'étaler de tout son long, surpris qu'il était. Comment pouvait-elle être au courant ? La seule explication qui lui semblait plausible, c'est qu'elle ait surpris sa conversation avec Anthelia. Ou avec sa mère.

« Comment tu... Non, ça n'a pas d'importance. C'est un navire affrété par le conseil d'Ynorie, je peux pas te laisser partir avec nous. Ca va être une mission suffisamment dangereuse comme ça... Alors ne risque pas ta vie dans un conflit qui n'est pas le tien.

- Akihito... Ce n'est pas parce que je ne suis pas Ynorienne que ça ne me concerne pas. Ça concerne tout Yuimen. Et je suis assez grande pour prendre mes décisions sans l'accord de personne. Je n'ai pas besoin que tu me maternes, je suis une grande fille.

- Il n'est pas question de materner qui que ce soit Yliria. Bons dieux ! Je sais que tu es forte, sans doute autant que moi, mais ce conflit nous dépasse tous. Si j'y vais malgré la peur qui me tord les entrailles, c'est parce que c'est mon devoir, ma responsabilité ! Toi, tu... »

il chercha une façon d'adoucir ses propos, mais n'en trouva pas. Comme avec Anthelia, il ne voulait pas la forcer à quoi que ce soit;.. Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'allait pas essayer de la convaincre.

« ... Tu en as déjà suffisamment bavé. Je veux pas te voir risquer ta vie pour une nation qui ne t'as rien demandé, et a qui tu ne dois rien. Et de ce que j'ai compris, pour la mission que l'on m'a confiée, il y aura déjà suffisamment... D'aventuriers. Alors, reste en dehors de tout ça et, pour une fois, profite d'un repos que tu n'as pas dû connaître depuis longtemps.

- Ne prétends pas savoir ce que j'ai vécu, Akihito, parce que tu ne sais pas. Et je ne fais pas ça pour ta nation, je le fais pour moi, pour l'opale et pour ce en quoi je crois. J'ai mes raisons et elles valent les tiennes. Je suis une Danseuse d'Opale et j'ai un devoir moi aussi, quoi que tu puisses penser. Ce navire, je dois le prendre, Akihito. »

Son air franchement exaspéré et sa détermination le firent fléchir et se mordre la lèvre. Anthelia était une adulte qu'il acceptait en connaissance de cause, mais Yliria... Elle semblait impulsive, et il craignait qu'elle ne décide de venir que sur un coup de tête, s'exposant à un danger inutile.
Elle lui reposa une nouvelle fois la question concernant le bateau, et il hésita. Devait-il ? Ne devait-il pas ? Une hésitation qui fit soupirer la jeune fille qui reprit sa route, lui assurant que quoi qu'il arrive, elle allait venir. Rien ne pouvait visiblement la faire changer d'avis... Et les mots d'Alyah, sa Faëra, lui revinrent en mémoire. Elle était têtue.
Ce fut à son tour de soupirer, marchant finalement à sa suite, essayant de ne pas la perdre de vue pour autant. La rue était large et les oranais pas assez nombreux pour qu'ils puissent la perdre. Mais la jeune fille n'était pas bien grande, aussi préférait-il ne pas trop s'éloigner.

Au début, ce fut un picotement, léger, sur sa nuque. Un picotement qui se propagea en l'espace d'un pas à tout son corps. Son pied décollait à peine du sol qu'une étrange odeur, métallique, pénétra son nez. Une odeur avec laquelle il vivait depuis sa tendre enfance, l'odeur de la foudre. Akihito ne sut dire si c'était son instinct, ses fluides agités ou le simple hasard qui le fit lever les yeux vers le ciel. Le ciel était noir d'orage, et il voyait depuis ce matin des éclairs de chaleur danser d'un amas sombre à un autre.
Puis, le monde devint blanc. Un terrible roulement de tonnerre fracassa ses tympans alors qu'un puissant éclair le frappait, perturbant ses sens. Il se sentit tomber en arrière, sonné, les yeux hagards. Petit à petit, le bourdonnement dans ses oreilles baissa; laissant progressivement la place à des bris de voix étouffés. Le blanc s'atténua, et son environnement retourna peu à peu ses couleurs. Et le plus curieux dans tout ça, ce n'était pas l'absence de douleur, alors qu'une quantité phénoménale de foudre venait de le traverser : cela, il ne le réalisait pas encore. Non, ce qui accaparait les méninges se remettant doucement du choc, c'était cette curieuse forme volante. Lumineuse, et qui ressemblait à s'y méprendre à un... Poisson.

Le poisson, aussi bizarre qu'il pouvait être, laissa bientôt place au visage d'Yliria emprunt d'inquiétude. Elle commença à le secouer, puis il vit sa bouche s'ouvrir mais à part un murmure étouffé, il n'entendit rien. Akihito ouvrit à son tour la bouche, sentit un son sortir de cette dernière, mais était infoutu de savoir s'il avait bien prononcé "Quoi ?"

(Tu as dis "toi". Rana toute puissante Akihito, il faut que tu arrêtes de sortir de chez toi. Même au milieu de ta ville natale, tu arrives à t'attirer des ennuis ! De toute ma vie, et Zewen sait comment elle est longue, je n'ai jamais vu un de mes Porteurs se faire foudroyer ! Et en sortir indemne, par-dessus le marché !)

(J'ai été foudroyé...?)

Ca faisait sens, mais il avait encore du mal à aligner plus de trois pensées cohérentes. Encore bien sonné, il vit de plus en plus de passants se rassembler autour de celui qu'ils devaient déjà considérer comme un miraculé. Il observa Yliria regarder de gauche à droite, avec une inquiétude presque palpable.

Elle essaya de lui parler, de s'assurer qu'il allait bien mais malgré les traductions en temps réel de sa Faëra, il n'arrivait pas à enchaîner deux actions sensées. Puis dans le brouillard flou qu'était encore sa vision, il vit Yliria retirer un de ses gants, armer son bras et lui coller une baffe magistrale. L'impact le secoua et un électrochoc parcourut tout son corps. D'un coup d'un seul, il se releva, et fut pris de vertige. Se tenant la tête de sa main, se maintenant debout de l'autre, il remua sa mâchoire pour en désengourdir les muscles.

« Owh... Putain de bordel de... »

Un chapelet de jurons s'ensuivit, plus ou moins intelligible selon Amy. Il tenta de se relever, mais ses bras le lâchèrent. Il sentit les épaules de la jeune fille se placer sous son bras et l'aider à se relever, tant bien que mal. Ses jambes étaient flageolantes, mais il parvint à marcher jusqu'à un banc, aidé de la semi-shaakte. Une fois assis, il put lentement se collecter et progressivement récupérer ses sens.

« Yli... Il s est passé quoi, nom de dieu... parvint à articuler le jeune homme. Il ne doutait pas de sa Faëra, mais préférait qu'on lui confirme de vive voix.

- Je suis pas sûre... Je crois qu'un éclair t'est tombé dessus, vu le bruit et la lumière... »

Pour toute réponse, il secoua la tête et cligna plusieurs fois des yeux, chassant de sa vue les derniers halos qui persistaient. Se faire foudroyer, pour un fulguromancien, voilà qui était le comble de l'ironie... Percevant les intonations encore un peu inquiète de la jeune fille s'étonnant qu'il soit intact, il se voulut rassurant malgré une voix encore éraillée et lui répondit que tout allait bien, qu'il était juste encore un peu sonné. Et son regard se porta sur l'étrange créature qui flottait toujours derrière l'épaule d'Yliria.

« Par contre... Qu'est ce que c'est que ce truc ?

- Manifestement, c'est un poisson.

- Sans blague ? »

Il ne pouvait en être certains, à cause du masque, mais il était prêt à parier que la jeune fille souriait. Elle se payait à moitié sa tête et il se retint de justesse de lui infliger une pichenette pour lui apprendre les bonnes manières.

(Pas sûre que tu sois en état de le faire maintenant, dans tous les cas.)

(Roh eh, hein ? T'es avec moi ou contre moi ?)

(Pour te taquiner, toujours de son côté.)

Il roula des yeux d'un air exaspéré en écoutant les explications d'Yliria. Le poisson était un élémentaire de lumière, nommé Ssussun. Et c'était bien la première fois qu'il entendait parler d'une mage contrôlant un élémentaire, car c'était bien ce qu'il se passait devant ses yeux. Mais après avoir été frappé par un éclair, c'était quelque chose qu'il était prêt à admettre. À sa question sur sa capacité à se relever, le jeune homme testa lentement son corps. Raidi, engourdi, mais après un peu de repos sur ce banc, tout à fait capable de le porter. Il avait toujours cette désagréable sensation d'avoir des fourmis dans les jambes mais là aussi, cela commençait à refluer.

« On dirait que ça va mieux. »


Puis, il finit par se rendre compte que la foule de curieux était toujours autour de lui. Il leur offrit un sourire gêné, avant de déclamer sans trop savoir pourquoi qu'il allait bien. Une réponse que semblaient attendre les badauds, qui se dispersèrent non sans murmurer entre eux et en lui jetant des regards curieux. Il ferma ensuite les yeux, se concentrant sur ce qui pouvait bien se passer dans son corps. Sans surprise, ses fluides étaient dans un état d'excitation comme il les avaient rarement vu. Mais le plus curieux, c'est qu'il sentait une autre force, étrangère. Se focalisant dessus, il prit conscience que c'était une énergie de foudre. Qui n'était certainement pas là avant qu'il se fasse foudroyer, et qui l'avait comme laissé derrière elle. Cadeau ou poison ?Vu qu'elle semblait juste se contenter d'être là, il pencha plus pour le cadeau. Un cadeau laissé par un foudroiement auquel il avait survécu sans la moindre séquelle, donc.

En bon suivant de Valyus, il ne pouvait pas ignorer les mythes et légendes qui entouraient son dieu, notamment les Elus de Valyus. Il avait été à moitié persuadé d'en être un après avoir survécu de justesse au temple de Kendra-Kâr, mais là c'était une autre paire de manches : les Elus de Valyus étaient à un moment de leur vie foudroyés, y survivaient et se voyaient attribuer des pouvoirs, des cadeaux du dieu de la foudre, pour accomplir sa volonté. Et même si c'était une légende sans réel fondement, Akihito commençait sérieusement à y croire. Restait à savoir si cette nouvelle source était si bénéfique qu'il voulait bien le croire... Et sa volonté de participer à l'Ordalie était elle, encore plus forte, car les questions s'accumulaient.

Mettant de côté ces considérations, il se tourna vers la jeune fille qui le regardait, son poisson lové dans sa main.

« Je pense que je peux rentrer, maintenant. »

Et alors qu'ils repartaient, Yliria prête à le soutenir si ses jambes lâchaient, il ajouta :

« Et surtout... Pas un mot à Anthelia ou ma mère. Me faire passer un savon par la première et rassurer la seconde, c'est quelque chose que j'aimerai éviter.

- Tu es sûr ? Tu as peut-être des séquelles qu'on n'a pas remarquées ? Je devrais leur dire, surtout si tu comptes partir alors que tu n'es pas en état...

- Elles seraient capables de se liguer contre moi, m'attacher à un lit pendant une semaine juste pour s'assurer que je n'ai rien. Surtout Theli, après ce qu'il s'est passé à Kendra-Kâr... Et j'ai pas vraiment une semaine devant moi. »

Il devait partir. Ce qui rappela à lui le début de dispute qu'ils avaient eu quelques minutes plus tôt. Et avait pris sa décision : s'il ne pouvait pas l'empêcher de le suivre, il ferait au moins en sorte de veiller un minimum sur elle.

« En parlant de départ... J'essayerai de voir avec le bateau pour que tu puisses monter dessus. Mais c'est un navire affrété par l'armée oranaise.... Alors je ne te garantis rien. »

Yliria sembla aussi soulagée qu'heureuse qu'il accepte finalement de la laisser le suivre. Exposant le fait que la milice préférerait volontiers se débarrasser de la shaakte si celui qui s'en portait garant quittait la ville, elle finit de convaincre Akihito. Ne restait plus qu'à attendre le soir.

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Hatsu Ôkami
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Hatsu Ôkami » mer. 16 juin 2021 13:26

Oranan était encore debout, ça elle pouvait le voir facilement. Ce qu’elle pouvait voir également, c’était l’armée qui en faisait le siège et la flotte qui en faisait le blocus. Après être sûre d’être assez loin pour ne pas se faire repérer, la jeune femme se posa et étudia la situation. Elle ne voyait pas d’engin de siège ni de tour, rien à voir avec les assauts dont elle pouvait avoir encore des souvenirs. Ils assiégeaient, mais ne semblaient pas vouloir pénétrer la cité par un assaut frontal. Probablement que leurs deux échecs consécutifs avaient refroidi leurs ardeurs. Mais l’armée qui campaient devant la ville rendait le retour difficile. Et devait-elle vraiment rentrer ? Être piégée à l’intérieur ne lui disait rien du tout et emmener la petite Saori à l’intérieur lui posait un lourd dilemme. Elle serait en sécurité à l’intérieur, tant qu’Omyre ne lançait pas d’assaut ou que leurs réserves de nourriture étaient suffisantes. Combien de temps cela allait-il durer ?

- Hatsu, pourquoi on rentre pas ?

L’archère déglutit. Elle n’était pas sûre que la petite puisse comprendre… Non, elle comprendrait et serait terrorisée. Hatsu ne savait pas vraiment quoi faire. D’un côté elle pourrait sans doute passer le siège grâce à Kinome. C’était dangereux, certes, mais faisable en l’état. De l’autre, elle pouvait trouver un endroit où mettre Saori en sûreté, loin d’ici, loin de la guerre. Et alors qu’elle hésitait, le hurlement d’un loup les fit sursauter toutes les deux. Kinome piailla en ouvrant les ailes et Hatsu suivit son regard avant de jurer tout bas. Un groupe se dirigeait droit vers eux et il ne faisait aucun doute quant à leurs intentions. Sans plus de cérémonie, elle attrapa l’enfant et la jucha sur Kinome qui se prépara aussitôt à décoller tandis que l’Ynorienne sautait à son tour sur son dos.

- Finalement, on va rentrer. Accroche-toi bien Saori.

La petite obéit et se cramponna alors que Kinome s’élançait à toute vitesse à l’opposé du groupe qui leur courait après. L’avantage de monter un griffon se révéla rapidement lorsqu’il les distança assez largement en prenant son envol pour ensuite faire demi-tour et foncer droit vers la cité. Hatsu lui fit prendre de l’altitude, espérant éviter de se faire trop remarquer, mais peine perdue. Un cor résonna depuis le groupe qui les avait pris en chasse et visiblement cela attira l’attention de quelques garzoks et segteks stationnés là. Jurant, Hatsu vit très bien de l’activité naître alors qu’elle passait au-dessus des premières tentes. Laissant à Saori le soin de s’accrocher, elle pressa les jambes contre les flancs de Kinome qui cessa de prendre de l’altitude. S’ils n’allaient pas plus vite, ils allaient bientôt être fléchés de tous les côtés.

Flèches, accompagnées de carreaux qui ne tardèrent pas à fuser. Par chance le changement de vitesse avait permis à Kinome de prendre un peu d’avance et elles ne firent que passer derrière lui. Hatsu n’était pas naïve et fit aussitôt faire une embardée à Kinome, qui vira brusquement sur la droite. Ainsi commença un jeu d’esquive de la part du griffon alors qu’ils survolaient le camp qui se mit peu à peu en alerte à leur passage. L’une des flèches égratigna le flanc du griffon tandis qu’une autre se logea dans le sac d’Hatsu, heureusement avec assez peu de force pour qu’elle ne fasse que sentir le choc sans que cela ne lui perce la peau. Cela ne dura que quelques minutes grâce à la vitesse de Kinome, mais ce furent les minutes les plus longues de sa vie alors qu’ils dépassaient enfin la frontière des tentes d’Omyre pour filer vers les murs d’Oranan. Murs garnis de soldats qui bandaient leurs arcs.

- Oh par Rana ! Kinome, grimpe !

D’un brusque mouvement d’aile, Kinome remonta de quelques mètres au moment où une salve de flèches fila où il se tenait peu avant. Jurant entre ses dents, elle garda la même trajectoire, filant vers les murs pour passer au-dessus alors que les soldats hurlaient des ordres. Alors qu’elle aurait voulu apprécier de revoir l’architecture si unique de son pays natal, elle ne pensa qu’à une chose, atterrir en urgence pour que les archers ne cherchent pas à les abattre à nouveau. Avisant la place devant le conseil de la République, elle fit piquer le griffon vers le sol pour qu’il atterrisse, au prix d’un dérapage chaotique, sur le sol pavé et sous les yeux médusés de soldats, miliciens et habitants qu’elle eut bien du mal à ne pas faucher en glissant sur les pavés. Hatsu souffla de soulagement alors qu’ils s’arrêtaient enfin et retins de justesse un rire en entendant Saori dire qu’elle se sentait mal. Mais ce rire mourut dans l’œuf lorsque des soldats s’approchèrent, lances brandies et épées tirées. Kinome semblait nerveux et grattait le sol en claquant du bec, ce qui n’arrangeait rien à la situation. Décidée à calmer les tensions, elle sauta sur le sol et aida Saori à descendre, retenant la petite dont les jambes tremblaient après cette folle course dans les airs qui les avait échevelées toutes les deux.

- Déclinez vos identités ! Tout de suite ! Il n’y aura pas d’autre avertissement.

Les soldats avaient formé un cercle autour d’eux, lancés pointés vers Kinome qui voyait visiblement tout cela d’un mauvais œil et piaffait de mécontentement, prêt à en découdre. Hatsu lui caressa doucement la joue, cherchant à l’apaiser tout en s’adressant au soldat qui avait parlé.

- Mon nom est Hatsu Ôkami, je suis née ici. Cette petite est Saori, sa famille a été… a disparu après une attaque qui a ravagé son village.

Quelques soldats s’entre-regardèrent, ayant visiblement du mal à croire que la jeune femme qu’ils avaient devant les yeux étaient la jeune noble dont le mariage transformé en fiasco avait alimenté les potins pendant un moment. Revenir sur le dos d’un griffon et dans son état jouait probablement beaucoup là-dedans. Continuant de caresser Kinome qui s’apaisait peu à peu sous ses caresses, elle enchaîna, gardant ses mains loin de ses armes.

- Ecoutez, je ne savais pas Oranan assiégée, et les forces d’Omyre nous ont tiré dessus lorsque nous avons forcé le blocus, je ne suis pas une ennemie, je viens apporter mon aide à la République.

- Il nous faut confirmer votre identité ! Et veillez à ce que cette… chose soit maîtrisée.

- Bien, allez chercher mon frère, Ryo Ôkami, ou le forgeron Fuji Onoda, ou un autre membre des Ôkami ou de notre milice ou même le conseiller Gale, il me connaît bien.

Ce dernier point était quelque peu exagéré, il connaissait surtout son père, mais elle l’avait vu suffisamment récemment pour qu’il la reconnaisse. Ce dernier point eut d’ailleurs presque raison de la méfiance des soldats et, sur ordre de celui qui était leur sergent, deux partirent chercher quelqu’un. Visiblement pas le conseiller puisqu’ils partir dans les rues plutôt que vers le bâtiment du Conseil. Hatsu n’avait plus qu’à attendre et veillez à ce que Kinome ne se fasse pas attaquer par un soldat nerveux. Calmement, elle le fit s’allonger et lui gratta la tête sous les yeux quelque peu circonspect des soldats et des quelques badauds. La ville semblait horriblement vide comparée à son activité habituelle. Probablement qu’une bonne partie des habitants avait pu évacuer avant l’installation complète du siège et du blocus naval.

- Hatsu.. qu’est-ce qu’on va faire ?

Se tournant vers Saori, elle la rassura d’un sourire en ébouriffant sa tignasse crasseuse.

- Ne t’en fais pas, tout va bien se passer. On va aller chez moi, tu prendras un bain et tu pourras manger et dormir autant que tu voudras, d’accord ?

Elle acquiesça et se cramponna davantage à l’archère qui lui caressa doucement les cheveux. Ce fut lorsqu’elle entendit son prénom, un moment plus tard, qu’elle releva la tête et qu’un sourire ravi et un peu moqueur se dessina sur son visage alors qu’un jeune homme courrait vers elle avant de se figer en fixant le griffon qui avait lui aussi tourné la tête dans sa direction. Hatsu ne rata pas une occasion de titiller le jeune homme qu'elle n'avait pas vu depuis des mois et ce malgré les circonstances de leurs retrouvailles.

- Ohayo, Ryo, comment va mon petit frère ?
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
Première Née des Ôkami
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l'Or pour la fortune, le Loup pour la noblesse d'âme et la flèche pour le passé guerrier.

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Kiyoheiki
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Kiyoheiki » dim. 5 mai 2024 11:08

~Auparavant~

~3~


Longuement je demeure prostré, ma fille contre moi. Mes sanglots sont peu à peu atténués par une gorge étranglant le moindre son. Ma vue demeure trouble et je sens le côté poisseux de mes larmes le long de mes joues poussiéreuses. Tout mon corps tremblote d'un froid intérieur. Mes oreilles persistent à siffler, me coupant de tout ce qui m'entoure. Il n'y a que ma petite Tohru et moi, mais j'ai beau la cajoler, la bercer lentement, projeter vers elle des pensées et des suppliques, elle ne réagit pas. La chaleur de mon corps s'échappe en continue vers le sien sans parvenir à y apporter le moindre changement. Une brève inspiration et je dois serrer les dents pour ne pas hurler une nouvelle fois lorsque ses mains se séparent et tombent de part et d'autre de sa forme. Il me faut encore un long moment avant de trouver le courage d'abaisser lentement les bras, pour détacher son visage inerte de mon cou. Pour simplement la soutenir d'un bras et contempler son visage. Je cligne des yeux une première fois, puis une seconde et grimace, agacé de ne pas pouvoir la regarder proprement. Le bruit de ma propre respiration me parvient petit à petit alors que le son strident dans mes oreilles faiblit. Saccadée, irrégulière. Une frustration croissant se niche dans mon cœur alors que je suis pris entre le problème de cette vue bloquée de pleurs qu'il me faut dégager, et le refus pur et simple de laisser Tohru quitter mon giron.

Tout mon corps se tend au soudain contact entre mes épaules. Mon regard se tourne immédiatement sur ma gauche, et j'y découvre ma Talia. La brève frayeur s'estompe et je ferme les yeux quand je comprends que cette tache claire qui se dirige vers mon visage est un carré de tissu. Délicatement, elle le passe sur ma peau, tapotant mes yeux, lissant mes joues, faisant pour moi ce que je suis présentement incapable de faire. Le chaleureux élan de gratitude qui m'envahit n'est pourtant pas apte à chasser ce froid en moi, ni ma douleur. Je devrais y être accoutumé. Comme tout ynorien, j'ai déjà été confronté à la perte. Et pourtant...

Immédiatement après que le mouchoir ait délaissé ma peau, je tourne mon attention vers l'enfant. De nouveau, je sens des larmes monter inexorablement. Une soudaine stupeur doublée d'un effarement saisit mon torse lorsque l'une des gouttes tombe sur le visage immobile. Avant que j'ai pu céder à mon angoisse, les doigts d'écailles noires de mon épouse ont banni l'odieuse intruse. Le tissu passe lentement sur la pommette de notre fille retirant toute trace de mes pleurs. Ce n'est qu'en contemplant son geste que je me rends compte que son autre main passe délicatement de haut en bas entre mes omoplates. Je tourne une nouvelle fois la tête vers ma Dame harpie, découvrant ses propres yeux brillants. Et pourtant, c'est moi qu'elle regarde avec inquiétude, qu'elle soutient en silence quand elle souffre possiblement autant que moi. Elle, qui m'a suivi pour fonder un foyer dans un monde que mes récits lui avaient fait imaginer incroyable, et qui se retrouve confrontée à la mort une nouvelle fois. Parce qu'elle m'a choisi, comme Tohru l'avait fait...

Je déglutis et, avec autant de difficulté que si j'étais constitué d'une immuable roche, parviens à élever ma main la plus proche d'elle. Je l'amène contre son visage et accole lentement mon casque contre sa capuche à hauteur de front. Il me faut encore de longs instants à percevoir sa propre respiration pour retrouver un semblant de contrôle sur mes émotions. J'avale de l'air à plusieurs reprises avant de pencher la tête vers notre enfant adoptive. Il me faut... Réfléchir... Comprendre... Me raccrocher à quelque chose de tangible.

"C..."

Je tousse brièvement, ma gorge légèrement obstruée. Quelques instants plus tard, amenant ma main libre vers le visage de Tohru pour repousser une mèche de cheveux, je tente de nouveau de parler.

"Comment ?"

Mon épouse m'enlace et inspire lentement.

"Nous avons d'abord entendu un bruit assourdissant. Quelque chose qui s'effondrait."

Probablement le moment où la porte de la cité s'est écroulée sous le poids du Dragon noir.

"Plusieurs personnes sont venues à la boutique, paniquées. Cherchant du secours. Dans la confusion, je n'ai pas vu Tohru sortir. Quand je m'en suis aperçue, je l'ai cherchée. Elle était là-bas, proche des débris, occupée à employer sa magie sur la jambe d'une victime."

Talia inspire vivement et je l'entends déglutir.

"Nos regards se sont rencontrés... Kiyoheiki... Je la regardais. Je... J'ai juste brièvement fermé les yeux. À un moment elle me souriait, et le... Le suivant..."

Sa tête se fait plus lourde contre mon épaule. Elle n'a pas besoin de poursuivre. Si Tohru était près de la porte, alors elle aussi a été prise dans le souffle de la Mort Éternelle. Ma fille... Si je ne lui avais pas mis dans la tête que notre magie devait être au service les autres... Si je ne lui avais pas montré un tel exemple tout ce temps... Si... J'aurais du... Je la serre de nouveau contre moi, sentant ma douleur rejaillir.

Un hoquet de surprise devant moi me fait relever la tête vers Genji. Observé silencieusement par le grand Hidate, le jumeau survivant a la main en suspend au-dessus du front de son frère. Il me faut un instant pour comprendre. La mèche rebelle qu'il passait son temps à tenter de discipliner est finalement à sa place, immobile. Du bout des doigts, l'ynorien la touche, comme pour la pousser à se rebeller. Mais elle demeure inerte. Le visage penché de Genji est inexpressif, sa main oscillant de façon indécise. Il finit par lentement fermer le poing et apposer une tape du revers de ce dernier sur le crâne de Junji, pâle imitation des corrections qu'il lui donnait à ses mauvais comportements. Il pousse un lent soupir exaspéré.

"Marié... Père de famille... Te montrant enfin responsable... Tu ne peux pas t'en empêcher, pas vrai ? Il faut toujours que tu n'en fasses qu'à ta tête... Toujours à me causer de l'inquiétude... Et à t'en moquer... Parce que tu sais que je suis là... Parce qu'à chaque fois, Genji va tout arranger."

Sa main se pose contre le visage immobile, lissant la pommette du pouce. Je sursaute à la soudaine approche d'un ynorien entre deux âges, vêtu d'un yukata clair tâché d'encre sur les manches. Son visage jeune, vieilli par une barbe mouchetée de blanc, se pare d'une expression compatissante. Je remarque dans ses mains un long rouleau de parchemin, la partie actuellement déroulée reposant sur un support qu'il tient sur une paume. J'ai besoin de quelques instants pour comprendre qui il est et ce qu'il nous veut. Sa voix est calme, posée, quand il nous demande les identités des défunts. Archives, précise-t-il. Est-ce vraiment le bon moment ? Ne voit-il pas notre souffrance ? L'idée me provoque une soudaine montée de rancune, qui se dissipe en un instant lorsque la voix de Genji se fait entendre.

"Milicienne Nawakura Ayame, épouse Uzuuma... Et... Milicien Uzuuma... Genji..."

"Genji, non !", s'exclame soudain son voisin, ses grandes mains empoignant les épaules du jeune homme et tentant de l'obliger à lui faire face. Sauf qu'il n'a même pas l'air de s'en rendre compte.

"Junji... Ne t'inquiète pas. Phaïtos s'est trompé. Nous sommes jumeaux... Il nous a simplement confondus. Je... Je vais tout arranger... Oui. "

Une sensation de déjà-vu s'empare de moi au soudain mouvement que Genji fait, sa main libre se dirigeant vers son dos. Là où il accroche toujours...

"Hidate ! Ses dagues !"

Tout se passe très vite.

À un instant, Genji semble vouloir se saisir de l'une de ses armes. Au suivant, le sang coule une fois de plus. Mais il ne gicle pas en une gerbe mortelle. Il suinte de la blessure infligée au grand milicien. Le stoïque ynorien tressaille à peine, ses mains protégées de gantelets entourant le cou de Genji. C'est le dos de sa main droite qui se retrouve perforée de part en part par l'arme, la pointe éraflant à peine la gorge visée. Genji sait manier ses lames. Le coup témoigne de ses intentions. Il est sérieux. Les deux hommes luttent brièvement, l'un cherchant à pousser la lame plus avant, l'autre à faire le contraire. Finalement, Hidate prend le dessus, jetant sa main intacte sur le côté et tordant le poignet armé avec habileté, extirpant la dague avec une violence qui inquiète grandement le guérisseur que je suis. Le scribe est contraint de faire un pas en arrière pour que la lame ensanglantée ne vienne pas s'encastrer entre ses orteils. Et pourtant, il ne part pas. Je ne sais qu'en penser, mon attention rivée sur mes deux amis. Lorsque Genji fait mine de prendre un autre arme, Hidate agrippe ses avant-bras fermement. Je n'ai aucun doute sur la force physique du grand ynorien manieur de sabres par rapport à Genji, mais celui-ci semble à la fois désespéré et en parfait contrôle de ses actes.

Il finit par river un regard assassin à Hidate qui me fait froid dans le dos. Je suis conscient qu'il me faut intervenir, tenter quelque chose pour ramener notre ami à la raison. Mais quoi ? Il résiste, agite les bras pour se défaire de la prise, mais aucun mot ne s'échappe de ses lèvres. Le jeune homme, voyant ses tentatives pour se libérer échouer, tente d'amener la main meurtrie à proximité de sa bouche et de sa dentition dévoilée. Jamais je n'ai vu Genji à ce point différent de lui-même, presque animal dans son attitude. Je réagis enfin en commençant à poser Tohru au sol, sentant la tension poussée à l'extrême, quand quelque chose vient la briser.

"Baba ?"

Talia inspire vivement à ma gauche, tandis qu'à ma droite la Vénérable ynorienne, au visage fermé et au chignon blanc sévère, se tient près du scribe. Par la main gauche, elle tient la jeune Kiyomi. Par la droite, le petit Genjimasa. C'est la fluette voix de ce dernier qui vient de se faire entendre. Je manque de jurer en voyant les enfants en bas âge amenés ici, au milieu des rangs des morts. Devant les corps de leurs propres parents. Courroucé, je regarde avec désapprobation l'ynorienne, qui ne me rend pas la politesse. Elle se tient avec aplomb malgré son âge et ses douleurs dorsales que je connais bien, comme si elle ne faisait que se promener innocemment avec les petits.

Les grands yeux noirs du garçonnet sont rivés au profil de Genji, dont l'expression change drastiquement. Il se fige, comme pris en faute, et sa combativité l'abandonne visiblement.

"Pas Baba. Onc' Genji.", corrige la fillette depuis l'autre côté de la femme âgée.

Les bambins se regardent et se mettent chacun à scander leur vérité, appelant le jeune homme par alternance tout en se toisant. Lui laisse ses bras lentement tomber, Hidate ne le lâchant qu'une fois assuré que son impulsivité est passée. La tête de Junji est soulevée de ses cuisses avec douceur et posée au sol, puis le jeune milicien se tourne vers les enfants. Les émotions qui l'étreignent passent si vite que je ne suis pas en mesure de les identifier.

"Ba-Ba !"

"Onc' Genji !"

"Baaaa-Ba !"

"Onc'euuuh Gen-Jiii !"

Les jumeaux miniatures se jaugent un moment en silence. Puis, ils se tournent vers leur oncle et l'observent un court instant. D'un commun accord que je n'ai pas vu venir, ils s'expriment soudain à l'unisson.

"Baba Genji !"

"Baba Genji ?", souffle-t-il.

Il semble perdu. D'abord rigides, ses épaules finissent pas s'abaisser et sa tête par pivoter. Il jette un regard à Junji et je sens de nouveau mes yeux s'embuer alors que tout son être semble retrouver une certaine sérénité.

"Baba Genji... Est-ce là ton signe, mon frère ? Est-ce ainsi que tu souhaites... Que j'arrange les choses ?", murmure-t-il.

Pendant de longs instants, tous les regards sont rivés à lui. Il ne semble pourtant pas le remarquer, comme en pleine discussion avec son jumeau immobile.

"Oui... Ça... Ça je peux.", dit-il sobrement avant de se tourner vers les petits et leur ouvrir les bras, hésitant quand il remarque la trace sanglante dessus.

Les enfants ne lui laissent pas le temps de remettre son geste en question et viennent se blottir dans son étreinte. Mes paupières s'abaissent et je fais l'effort de contenir mon chagrin. Cela m'est rendu difficile tandis que je constate que Hidate, véritable colosse pour un ynorien, vient à son tour d'enlacer la petite famille avec douceur tout en gardant sa main blessée à l'écart. Talia m'enserre à son tour, elle aussi témoin de l'échange de regard entre les deux hommes puis la façon dont Genji se laisse finalement aller.

Pour la première fois depuis que je le connais, je vois le milicien Uzuuma Genji pleurer.


~Suite~

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Kiyoheiki
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Re: Les Rues et Ruelles

Message par Kiyoheiki » sam. 18 mai 2024 21:49

~Auparavant~

~4~

Lorsque Genji s'attelle à défaire le gantelet de la main blessée, mes yeux violets la scrutent un court moment. La plaie est nette, bel et bien traversante entre le pouce et l'index. Une broutille comparé à ce que j'ai déjà du soigner sur le milicien, mais impressionnante néanmoins. Je détourne la tête, offrant un ersatz d'intimité à la petite famille. Mon esprit est de nouveau concentré sur le scribe, dont le propre regard est tourné vers la Vénérable. Elle-même soutient l'attention donnée, fronçant les sourcils à mesure que les secondes s'égrènent. J'ai la quasi certitude qu'ils ont un échange des plus poussés sans prononcer une parole, en particulier suite au bref coup d'oeil donné aux enfants en bas âge. L'ynorienne finit par briser l'étrange équilibre en énonçant les identités des défunts, me regardant droit dans les yeux en mentionnant Tohru par son ancien nom. Ma gorge brûle, ma voix éraillée sonnant discordante à mes oreilles quand je la corrige, précisant que Talia et moi l'avons adoptée depuis peu. L'expression compatissante de l'archiviste a le singulier effet de me rendre à la fois reconnaissant pour sa sollicitude, et causer un regain d'irritabilité liée à la pitié qui émane de lui. Fort heureusement, l'homme a le bon goût de requérir l'aide de la doyenne des lieux afin d'identifier d'autres personnes dont nul ne semble se préoccuper présentement. Un soupir irrité échappe à la femme, mais à la voir se redresser avec une certaine arrogance, il est certain que cette attention la flatte grandement. Je ne les regarde pas s'éloigner, retournant à la contemplation du visage juvénile contre moi.

Autour de nous, un certain silence prend place. Recueillement, deuil, le poids du chagrin. Je décèle bien quelques personnes se déplacer à proximité, mais je n'y prête guère d'attention. Sauf lorsque je reconnais la voix douce de la prêtresse de Gaïa qui m'a jadis aidé à mieux comprendre ma magie. L'ynorienne en uniforme de son temple nous fait ses condoléances avec toute la gentillesse que je lui connais, mais son côté distant et traditionnellement inapprochable est amoindri par sa pâleur et ses traits tirés. J'ai la certitude qu'elle a passé des heures à utiliser sa magie sans bien comprendre dans quel but. Autour de nous, seuls des défunts gisent. Si mon esprit est assailli de questions, je ne ressens toutefois pas la force de les lui poser. Je sens que je risque de l'inciter à me dévoiler ses soucis si je l'interroge, et je ne me sens pas la force de me charger de fardeaux supplémentaires. Je demeure coi, me contentant d'un signe de tête. Elle esquisse un petit sourire dépité et effectue un léger mouvement du buste respectueux avant de nous tourner le dos. La voir partir ainsi me cause une soudaine poussée de culpabilité, et pourtant j'ai encore cette sensation qu'ouvrir la bouche me demanderait autant d'efforts que de passer de force à travers une paroi. Présentement, cela demeure au-dessus de mes forces.

Mes yeux violets se contentent de suivre ses déplacements jusqu'à un corps isolé auprès duquel elle s'agenouille, ses mains se mettant à luire de cette si particulière aura dorée qui m'est tant familière. Mes lèvres s'entrouvrent alors que je réalise ce qu'elle s'évertue à faire. Nombreux sont nos disparus étendus dans le quartier à être entourés de proches, mais certains sont délaissés. Sans doute leur famille fait-elle partie des civils qui ont été évacués de la cité et ne seront pas là avant plusieurs jours. Les préserver jusqu'à leur arrivée. Faire en sorte que ceux qui vont les pleurer auront l'opportunité de leur faire leurs adieux avant... De nouveau j'observe ma fille et si j'avais encore des larmes à verser, nul doute qu'elles se feraient connaitre. Je le sais... Je suis parfaitement bien placé pour savoir qu'à un moment ou à un autre, il nous faudra nous séparer. Mais... Mais je ne le veux pas... Pas tout de...

"Waaah ! Arrête ! Arrête ! Arrêeeeeteuuuh !"

Je sursaute comme tous mes proches au soudain éclat de voix émanant de derrière moi. Mon corps pivote, mettant dans mon champ de vision la prêtresse, vers laquelle un singulier individu se hâte à grandes foulées. Un homme à l'entendre, vêtu à l'ynorienne au premier abord, mais sous la tenue duquel brille l'éclat d'une armure alors qu'il passe à toute allure derrière notre groupe. J'ai juste le temps de voir que son visage est couvert d'un masque de bois clair avant que son chapeau traditionnel, bizarrement rabattu sur une chevelure noire coupée à hauteur de menton, ne m'en cache la vue. À sa ceinture pend le fourreau d'une épée, une petite sacoche, mais surtout une farandole de petites fioles dont le contenu, apparemment liquide, se meut à peine quand il se déplace. Il agrippe sans ménagement l'épaule de la jeune femme et la repousse avec suffisamment de force pour que cette dernière s'affale par terre, puis il se jette à côté du corps et tend ses deux mains au-dessus du torse inerte. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne baisse théâtralement la tête puis la relève pour pousser un son... D'exaspération ?

"Et voilà ! Inutilisable !", s'écrie-t-il avant de pointer du doigt la jeune femme qui s'agenouille comme rien ne s'était passé. "Pourquoi faut toujours que tu ruines tout ?"

"Navrée de faire mon office."

"Ce gâchis ! Non seulement tu t'épuises pour de futurs tas de cendres, mais en prime tu m'empêches de faire *mon* office !"

"Tas de... Respecte nos défunts !"

"Oh ? Tu penses qu'ils vont se vexer que je ne leur fasse pas de courbettes en leur disant 'vous' ? Bou-hou, honte sur moi ! Comme s'ils allaient me rendre la pareille de toute façon !"

Une atmosphère sidérée tombe sur les environs, l'échange grimpant en vitriol à mesure que le temps passe. La prêtresse finit par bondir sur ses pieds, son flegme ynorien balayé par un juste courroux. Elle est toutefois contrainte de lever la tête pour regarder son interlocuteur dans les yeux.

"C'est ainsi. Tant que les familles ne les auront pas vus, tu ne les approcheras pas !"

L'homme masqué tend l'index vers elle, s'apprêtant à répliquer quand toute son attitude change. Il ramène son doigt là où son menton devrait se trouver et le tapote.

"Donc... Si les familles les ont vus..."

L'individu masqué se détourne d'un coup de son interlocutrice et balaye les lieux du regard. J'ai un mauvais pressentiment quand son visage de bois reste rivé à notre groupe. Et comme je le craignais, il nous approche à pas rapides, ne stoppant son avancée qu'à deux foulées de nous.

"Vous ! Elle n'a pas posé ses brillantes paluches dessus, pas vrai ? Parfait ! J'ai besoin de ces morts. Donnez-les moi."

"Mais tu es devenu fou ?", s'insurge la prêtresse en le rattrapant puis en tentant de le tirer par la tunique, chose qu'il interrompt en frappant son bras à la pliure du coude.

"Ca va, je vais juste les autopsier, pas les bouffer !"

"Les... Quoi ?"

L'homme lève les yeux au ciel puis les mains, renouvelant son geste exaspéré.

"Ouvre un ouvrage de médecine. Un vrai, pas un truc magique pour une fois. Retiens juste que ça sert à savoir de quoi quelqu'un est mort sans avoir besoin de le relever à coup de magie obscure pour qu'il te le dise de défunte voix. "

Je cligne plusieurs fois des yeux et échange un regard d'incompréhension avec mes proches. Je perçois les serres de Talia appuyer un peu plus contre mon dos, quelques instants avant qu'elle prenne la parole.

"Inutile. Ce sont des victimes du Dragon Noir.", dit-elle, recevant toute l'attention de l'individu masqué.

Je sens ma peau se hérisser quand non seulement il se permet de l'observer sans aucune pudeur, mais qu'il lui répond avec condescendance et une désagréable familiarité.

"Incroyaaable. Oh, je n'en avais aucune foutre idée ! Tu m'en apprends une belle, là.", dit-il avant de se donner un léger coup de la paume contre le front masqué puis de se pencher vers l'avant. "Ce qui ne répond pas à ma question de savoir exactement ce que la grosse bébête a eu comme effet. Est-ce que tous leurs organes ont éclaté en même temps ? Est-ce qu'ils sont au contraire tous intacts ? Ou disparus comme le contenu renversé d'un vase ? ", fait-il avec une rapidité déconcertante et franchement inappropriée, avant de descendre son regard sur Tohru. "Ou d'une tasse, tiens."

Mon chagrin vire soudainement à une colère indicible lorsque je vois sa main s'approcher de ma fille. Sauf que je n'ai pas l'occasion de réagir car Hidate a bondi de sa place, usant instinctivement de sa main blessée pour tenter d'agripper l'importun. Vif, bien plus que je ne l'aurais soupçonné, l'homme pare le poignet du milicien et change de prise jusqu'à agripper fermement mon ami par ce dernier. De sa main libre, il effleure sa ceinture, compte deux fioles et se saisit de la troisième. Son pouce fait sauter le bouchon et il renverse le contenu sur la plaie. Le géant ynorien tressaille violemment et retire son bras avec force. Hidate, pourtant un familier de la douleur, se met à suer fortement. Devant nos yeux, la blessure se déforme et s'élargit au premier abord, causant un nouvel afflux sanguin, puis la peau autour se meut comme tirée par d'innombrables fils. Tous mes instincts de guérisseur s'alarment de la vitesse à laquelle la plaie se referme, mais surtout de la douleur que cela semble causer à notre ami. Le milicien endure comme il le peut, mais il finit par mettre un genou au sol et pousser un gémissement étouffé. Ce n'est qu'à cet instant que je prends conscience d'un problème évident : la plaie est refermée, mais les tissus commencent à prendre un coloris que je ne connais que trop bien. Nécrose.

Immédiatement, je sollicite ma magie guérisseuse et tends la main, sous laquelle Hidate présente spontanément la plaie. J'emploie un sort d'anti-poison par précaution, incapable de savoir si c'est véritablement une substance de ce type qui a été utilisée, que je double d'un soin magique. Ma respiration se fait haletante alors que je scrute la blessure, écartant prudemment la peau du bout des doigts. Je fronce le nez en constatant que ma magie a ressoudé la perforation, mais a également évacué en un petit monticule purulent la chair entre verdâtre et noirâtre qui s'y développait. Talia me fait passer un autre carré de tissu, avec lequel je nettoie superficiellement la paume. Le milicien fait lentement jouer ses doigts avec prudence, puis un peu plus vivement jusqu'à fermer le poing. Il me fait un petit signe de tête rassurant, malgré les gouttes de sueur ruisselant depuis son front.

"Provoque douleur, afflux sanguin, suture de la plaie et mort... Non... Vieillissement accéléré plutôt ?", fait la voix de l'individu masqué, auquel j'adresse un regard courroucé, sans avoir l'impression qu'il me rende la pareille. "Pas au point, en somme... Bon. Bien bien bien. Et si nous en revenions à nos moutons ?"

De nouveau, il approche la main de ma fille, que je protège en serrant contre moi tout en élevant mon bras en barrière. Un ricanement moqueur.

"Franchement, elle est déjà morte ! Quel est le risque ? Que je lui fasse mal ? Allez, un soigneur qui ne veut pas tout faire pour trouver des remèdes n'est pas un vrai soigneur. Un peu de curiosité, c'est moteur de progrès non ?", dit-il en penchant son masque vers moi, sa main tentant d'écarter la mienne.

Il m'agrippe, m'obligeant à lutter et délogeant légèrement ma protection d'avant-bras. Il se fige soudainement, saisit le brassard et le repousse, exposant les deux marques du Gentâme présentes sur ma peau. Son pouce les lisse, me provoquant un désagréable frisson. Son masque se tourne vers moi et pour la première fois, il semble réellement me regarder. Chose qui n'a rien, absolument rien, de réconfortant.

"On dirait bien que je ne suis pas le seul à être curieux, finalement...", dit-il sombrement, m'empêchant de retirer ma main de sa prise. "Inattendu, venant de quelqu'un qui joue aussi avec la lumière... Hum... Faisons un marché. Je vous laisse à votre petite réunion de famille, et une fois le caprice de faire des pâtés avec des larmes et de la cendre de cadavres est passé, déplacement direct à mon étude.", dit-il rapidement en se relevant et en époussetant ses cuisses.

"Et pourquoi...", commencé-je, ravalant difficilement la hargne qui me gagne. "Quelle folie me pousserait à faire cela ?"

L'homme se redresse et pousse un souffle nasal amusé, tapotant ses doigts d'un index à mesure qu'il énumère les raisons.

"D'une, parce que je *sais* comment des choses de ce genre apparaissent, môssieur le lumineux. De deux, parce que j'en connais les conséquences. Et de trois...", débute-t-il avant de laisser planer un silence attentif, causant la venue d'un sourire dans sa voix. "Parce que dans tout Oranan, je suis possiblement le seul qui soit volontaire et, petit détail, encore *vivant* pour les faire disparaître."

Je n'ai pas même le temps de réfléchir à ma réponse que l'homme a retiré un objet de sa besace et l'a lancé en un arc-de-cercle, le laissant atterrir sur le torse de Tohru. Une clé de petite taille, en métal cuivré, que je récupère avant de lancer un regard hostile à mon interlocuteur.

"La rue derrière son temple.", fait-il en désignant la prêtresse mortifiée du pouce. "La maison avec l'abri à oiseaux sur le mur."

Et sur ce, il tourne les talons. Médusé, courroucé, je rencontre les paires d'yeux de mes amis et de ma Talia. Eux aussi sont tétanisés ou interloqués. Je lis dans leur expression une certaine curiosité mêlée de douleur d'avoir vu nos proches ainsi insultés et considérés comme de vulgaires bouts de viande. Vaguement, j'entends Genji murmurer des mots rassurants aux enfants, tandis que mon épouse me demande discrètement ce que je compte faire.

Je demeure silencieux, regardant la direction prise par l'horrible personne. Mes yeux se plissent, ma main se raidit, la clé cuivrée plaquée entre ma paume et les marques maudites.


~Suite~

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