Chapitre IV - Précédemment
Le bruit léger de nos pas résonne sur les pierres séculaires que nous foulons. Mon estomac se noue et mes muscles se font de plus en plus fébriles à chaque pas. Au début, je l’interprète comme une simple expression du subtil mélange d’excitation et de peur qui me traverse et se renforce à l’idée que nous approchons de notre but. Cependant, alors que nous descendons plus encore, mes sens commencent à me faire défaut. Ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent, ma main tremble et l’effort que je réalise pour en reprendre le contrôle me donne la nausée.
Je m’arrête le temps d’une foulée et jette un œil devant moi. Jorus continue sa descente d’un pas sûr et agile, a priori sans souffrir des maux qui m’assaillent. Pas moyen de voir de distinguer nettement mes deux compagnons, à cause de …
(Qu’est ce que… Satanées lueur !)
Plissant les yeux pour tenter de distinguer par-delà Jorus, mon regard se fige sur l’une de ces lueurs irréelles. L’instant d’une seconde la nausée se fait plus puissante, presque jusqu’à m’en faire régurgiter. Je vacille maladroitement, heureusement à l’abris des regards, et me retiens d’une paume sur l’un des murs de l’escalier. Aucun doute possible, ces lueurs, pourtant bien utiles en éclairant notre piste, sont à l’origine de mon mal-être. Je reprends ma marche, tâchant de ne plus regarder directement ces lucioles néfastes, tactique qui ne me préserve malheureusement pas de leur effet. Le reste de la descente est un enfer, une tempête de sensations contradictoires et je descends la dernière marche avec l’impression de porter un bloc de glace à bras nu pas une journée caniculaire : mes bras me lancent comme si je subissais la morsure de la glace tandis que le reste de mon corps transpire abondamment. L’effet s’inverse, tandis que je découvre une salle remplie de lucioles qui tournoient énergiquement. Un coup d’œil à mes compagnons me fait remarquer qu’Yliria et le sergent ont les traits du visages tendus. Ils semblent subir les mêmes effets.
(Curieux, et notre point commun à tous les trois c’est …)
Une voix grave, effrayante rompt soudainement le silence de la scène.
« Curieux visiteurs que voilà, avides de réponses et prêts à risquer leur vie pour découvrir ce qui se passe ici. Je vous ai senti. »
L’étranger ne ménage pas ses effets ; non content de son effet de surprise, il se matérialise à quelques mètres de nous, comme jaillissant subitement du néant. Mon cœur, déjà bien éprouvé depuis la tombée du jour, fait un bon dans ma poitrine alors qu’une silhouette de cauchemar se dessine devant moi. L’être semble constitué uniquement de ténèbres. Son corps frêle encapuchonné se dessine en nuances de noir. Chacun de ses traits semble plus sombre que son voisin, et pourtant ils tracent une forme d’apparence humanoïde ; mais pas humaine (ou plus humaine).
Un frisson me parcourt l’échine ; celui-là est incontestablement lié à la peur. L’étranger qui nous fait face ne semble toutefois pas agressif, et continue de s’adresser à nous.
« Je puis vous aider à les trouver, si vous daignez me confier une part de votre vie, de votre âme. Posez vos questions, mais réfléchissez-y bien : chaque réponse a un coût. »
Je réfrène un hoquet de surprise. Je ne m’attendais pas à ce que l’être nous propose son aide ; ou plutôt un marché. Une information, en échange d’une part de notre vie… La phrase me propulse à des centaines de kilomètres, des années en arrière, quand le jeune Tobias assis autour d’un feu de camps écoutait émerveillés et terrifiés les contes horrifiques d’un barde, de visite au village. L’histoires d’individus banals, amoureux transits, amants jaloux, piètres hommes, pauvres femmes qui pactisaient avec un être qui surgissait toujours au plus mal, comme envoyé par la providence. La richesse, la vie heureuse, la vie, la mort, le respect, en échange d’une part de votre âme. Sauf qu’en plus de l’exorbitant prix d’une damnation, le demande comporte toujours un coût caché. L’être providentiel pour sa part s’en sort toujours à bon compte.
(Une troupe perdue au fond d’une ruine antique, épuisée par un puissant maléfice, cheminant vers un danger inconnu. La promesse d’informations « utiles », l’assurance d’avoir un atout stratégique pour résoudre ce qui se passe ici… mais à quel prix ? Non, Tobias Arthès ne gâchera pas un dixième de son héroïque destinée pour servir les intérêts égoïstes de je ne sais quel d'être démoniaque…)
Je prends mon courage à deux mains et oriente mon regard vers mes compagnons, cherchant à tout prix à sortir l’effrayante image du démon de mon esprit. Je serre exagérément la paume de mon épée (dès fois que l’être soit contrarié par mes propos) et tente de m’adresser au groupe d’une voix calme.
« Je … Je pense que la proposition qui nous est faite est hasardeuse. - Je déglutis, ma gorge est serrée et infiniment sèche - Nous ne connaissons ni le prix réel qu'il nous est demandé de payer, ni la qualité de l'information qui nous serait fournie en échange. Que cet étranger me pardonne mais je pense que nous ne partageons pas les mêmes intérêts, compte tenu du marché qu'il nous propose. Je suis donc d'avis de nous passer de ses services et notre chemin par la même occasion. »
J’attends ensuite que mes camarades réagissent, soutenant fermement leurs regards. Mentalement, je prie pour que ces derniers se rallient à mon point de vue. Je ressens derrière moi la présence oppressante de l’étranger et sa présence m’est de plus en plus insupportable. Tant et si bien que lui fausser compagnie en devient une obsession.
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