Sans plus tarder, je me lance dans la confrontation, mes deux armes dégainées. Si je ne prête guère attention à ce que font les autres de ma consigne impitoyable, je remarque que la compagne de Faëlis, cette humaine si sûre d’elle, fonce avec moi au corps à corps. Elle remonte un peu dans mon estime : elle semble plus utile quand elle se tait. Ou tout du moins volontaire. Je ne tarde pas à arriver au corps à corps. Les gardes m’ayant vu arriver, évidemment, se préparent à me recevoir en dressant un mur de leurs hallebardes, pointées vers moi. Mais je ne me laisse pas avoir comme un bleu : si au sein d’un combat en mêlée cette organisation peut faire énormément de dégâts, les adversaires s’y empalant, pris sur leur lancée sans pouvoir s’arrêter, il en va autrement pour un être unique fendu aux arts du combat. Ma lame changeante prend la forme d’une hache, tranchante et solide, de laquelle je donne un coup horizontal sur les extrémités des hallebardes me menaçant, balayant celles-ci sur le côté en me permettant de passer leur portée avantageuse en glissant le long de leur hampe. Un avantage qu’ils auraient pu avoir et qui se retournent désormais contre eux, puisqu’ils auront bien plus de mal à la manier si je suis proche d’eux. Ils n’ont cependant directement le temps de réagir : ma cible est toute indiquée, et passant leur ligne de force, je me fends en avant, rapière pointée droit vers la gorge de celui qui a encore la lame ensanglantée du meurtre vil d’Onyx.
Ses yeux s’agrandissent de stupeur alors que la pointe de mon arme traverse sa colonne vertébrale, coupant toute connexion au cerveau… Il meurt avant même d’avoir touché terre. Les autres n’ont eu le temps de réagir, empêtrés dans leurs armes. Certains font le choix de reculer pour continuer à manier leur hallebarde, d’autres ont lâché ces dernières pour se munir de l’épée engainée à leur flanc. Même si c’est fait plus par panique que par réflexion, ils adoptent ainsi la meilleure stratégie contre moi : diversifier les portées d’attaques, me forçant à prendre garde aux épéistes sans pouvoir réitérer un rapprochement des hallebardiers. Et du coup prendre le risque, en m’occupant des escrimeurs, de me prendre des coups des piques de leurs hallebardes.
Et ça ne manque pas. Si les épéistes finissent tous par rapidement tomber, emportés par une valse macabre initiée par mes lames meurtrières, qui tranchant une main ou se plantant dans une cuisse, qui perçant un poitrail ou un œil, je ne touche guère les hallebardiers, qui ont le temps et l’occasion de se réorganiser au milieu de cette fontaine de sang qui perle de leurs alliés. Et j’en paie le prix : si je parviens à éviter plusieurs de leurs coups, deux d’entre eux parviennent à me toucher, l’un dans le milieu du dos, l’autre sur le côté de la cuisse. Deux blessures douloureuses qui me font amèrement regretter de ne pas porter mes armures. Mais qui aurait pu penser que je me ferais attaquer ici, au Palais de la Roseraie de Soie, entre mes propres murs ? Une fugace pensée salée d’ironie me vient à l’esprit : n’est-ce pas précisément ce qui est arrivé à l’ancien propriétaire des lieux, le Ser Rewolf Grantier, lorsque je suis venu l’y tuer ? Je n’ai guère le temps de m’attarder sur ces songes d’un autre temps, cependant : je me retrouve cerné par un cercle de hallebardiers, gêné dans mes mouvements par les corps de trop nombreux gardes tombés sous mes coups et ceux de mes alliés. Je pivote sur moi-même, tâchant de tenir en respect tous ceux assez hardis pour tenter de me percer le cuir, mais j’ai un sérieux problème de positionnement.
(Alors laisse-moi t’aider…)
La voix de Lysis résonne dans mon esprit. J’ai presque perdu l’habitude de l’entendre, depuis que nous passons notre temps à être fusionnés l’un dans l’autre. Nos pensées sont généralement communes, sans que plus aucune distinction ne soit faite… Et pourtant, là, je sais que c’est sa conscience qui s’exprime. Et je vois directement où elle veut en venir. Nul pouvoir pyrotechnique ici : ce n’est rien de moins qu’une autre aptitude que cette fusion me confère qui forme le nouveau plan dans mon esprit, liée à ma divinité naissante. Je laisse un sourire naître sur mon visage, narquois, qui fait naître l’inquiétude dans les yeux des ennemis que je croise du regard. Avec le muutos de vent d’Elysian, je sais mes mouvements peu aisément perceptibles, surtout lorsqu’ils sont vifs. Et là, je vais leur proposer une célérité encore insoupçonnée : Mon corps devient intangible, incapable de subir la moindre blessure, mais également inapte à en causer la moindre. Et ainsi protégé, j’use de ce pratique pouvoir faerique qui me fait me déplacer si vite que l’on pourrait croire à une téléportation. Dans un nuage de muutos venteux, les formes imprécises et presque spectrales, bien que je ne disparaisse en rien, je me retrouve en un dixième de seconde dans le dos de certains. Le temps que ceux me faisant encore face s’en rendent compte, ma rapière et ma métamorphe elle aussi sous la forme d’une seconde rapière se plantent à travers deux gorges alors que je reprends ma consistance phyqique.
Deux nouveaux corps s’effondrent au sol, et les gardes de la rose se réorganisent en une ligne me faisant face. Au lieu d’être cerné, je suis maintenant face à quelques survivants qui ne se laisseront plus avoir par la stratégie de mon premier assaut. Les pieds baignant dans le sang de leurs camarades, la fureur de la bataille faisant foi, ils tiennent avec fermeté leurs armes, les mains bien écartées pour n’en perdre pas l’équilibre. Et alors qu’ils vont pour donner l’assaut contre moi, un assaut qui va m’être difficile d’éviter, j’entends dans mon dos la voix de l’elfe blanc me sommer de me baisser. Ni d’une, ni deux, je fais confiance à cette recommandation sans même en connaître l’origine, et me jette au sol, roulant sur moi-même pour n’être pas une cible trop facile. Je ne peux donc, l’instant d’après, qu’admirer avec une surprise non feinte une table me passer au-dessus pour venir s’écraser sur le rang de garde, qui s’effondrent en arrière comme les cartes d’un château déséquilibré. Voilà qui me sort d’une mauvaise passe avec efficacité. Sans attendre, je me relève d’un agile saut carpé, et octroie à mon allié elfique un regard reconnaissant, accompagné d’un clin d’œil. Mais il n’y a guère de temps à perdre : ils ont chu, et je compte bien en profiter pour agir moi-même tel que je l’ai recommandé : sans pitié. Je bondis vers leur position avant qu’ils aient eu le temps de se relever, et leur éclate la tronche de mes armes, arrachant leurs misérables vies à leurs misérables corps de la manière la plus sanglante qui soit. Mes coups sont sauvages, brutaux, meurtriers. Je ne leur laisse aucune chance de m’infliger la moindre blessure supplémentaire.
Quand je cesse enfin, ça fait longtemps qu’ils sont morts, et le calme retombe dans la salle. Le souffle court, tant de rage du combat que de l’effort physique, je me tourne vers ces invités que je ne connais que trop peu, finalement. M’ont-ils déjà vus dans une telle situation macabre, couvert de sang et de sueur, l’esprit animal en moi exacerbé au point d’en changer mes traits, lèvres retroussées, dents serrées. Faëlis, sans doute. Madoka aura, quant à elle, loupé ça. Mais elle ne semble de toute façon pas se rappeler de grand-chose me concernant. Tina ? À part mon anatomie de mi-nu dans un lit, elle ne connait rien de moi. Et c’est encore pire pour Aliéna, qui ne m’a jamais croisé avant ce moment. Je secoue la tête, les armes encore dégainées, comme pour reprendre consistance et leur adresse un regard satisfait. Tous sont en vie, et les rares blessures n’ont pas l’air grave. Il n’est guère temps de tergiverser cependant. Je remarque Tina s’inquiéter du sort d’Onyx. L’immobilité de son corps ne laisse aucune place au doute : il est mort. Je baisse les yeux sur lui, rengaine mes lames et mets un genou en terre près de son visage, posant une main sur ses yeux pour lui fermer les paupières une dernière fois… masquant ses pupilles aveugles qui voyaient, pourtant, bien plus loin que les miennes… Un court hommage, quelques secondes de silence, trop courtes sans doute pour réellement honorer sa mémoire, et je me relève, le regard déterminé.
« Je dois me rendre à Kendra Kâr. Il n’y a pas une minute à perdre : si eux ont trahi, ceux du temple l’ont pu aussi. Pulinn est en danger. »
Je regarde chacun, tour à tour.
« Et pour ça, j’ai besoin de toute l’aide possible. Je ne peux vous y contraindre, mais si vous décidez de me suivre, vous serez récompensés. »
Et pour transporter tout ce beau monde, il va falloir plusieurs types de transport. Je peux être l’un d’eux, indéniablement, mais pas pour autant de personnes, à compter qu’ils se dévouent tous. Par chance, j’ai plusieurs cordes à mon arc.
(Kad’n.)
L’atmos de Saldana est ici, au Palais de la Roseraie de Soie. Dans la cour arrière de la forteresse. Et son pilote, Kad’n Ballahr, est peut-être en danger. Je ne prends guère le temps de m’étendre en explications, consignant seulement ceux qui voudraient m’accompagner :
« Par ici. »
Je me hâte de quitter le petit salon et de parcourir les couloirs longs et vides me séparant de la petite cour arrière. Si nous croisons quelques gardes, dispersés, ils ne font guère long feu, qui percé d’une flèche de Faëlis, qui le cœur percé ou la gorge tranchée d’une de nos lames. Nous ne tardons guère à parvenir dans la cour arrière, où nonchalamment,
Kad’n lustre le métal cuivré de la carrosserie de mon
atmos. Il n’a pas été inquiété par les gardes de la rose, semblant absents de l’endroit. Il faut dire, vu le contingent qui nous a agressé dans le salon, il ne doit guère en rester beaucoup dans le palais. Onyx aurait pu me donner le nombre exact de leur présence, mais… il n’est plus là. Et je ne peux me fier à mes propres impressions : nonchalant jusqu’au bout, je n’ai jamais pris la peine de les compter. Pas même de faire leur connaissance… Est-ce cela qu’ils me font payer aujourd’hui ?
Mon ami saldanien ne semble guère au courant de ce qui se passe, et semble surpris de me voir débarquer là tout ensanglanté. Il se relève pour venir vers moi, mais je coupe toute parole de sa part.
« Vite, fais chauffer les machines, nous devons nous rendre au plus vite au cœur de Kendra Kâr, au Temple des Plaisirs. »
Il sait où ça se situe, ce n’est guère le premier trajet qu’il effectue entre le Palais et le Temple. Et, fidèle à lui-même, il s’exécute sans poser la moindre question, m’accordant une confiance complète. Je suis son Mukha. Le chef de son clan, de sa ville, même si je préfère le voir comme un ami fidèle, indigne du rang qu’ils me prêtent en ayant fui mes obligations, en les ayant déléguées à Sania. Je me tourne vers ceux qui m’ont suivi, et leur désigne le véhicule volant.
« C’est… un peu comme un cynore, mais en plus petit. Certains voyageront par ce biais, d’autres… prendront place sur mon dos. »
Nul besoin de tergiverser plus longtemps, ni d’expliquer cette affirmation un peu fantasque. Sans attendre, je me change en un majestueux dragon, cette même forme ayant impressionné le roi mourant d’Illyria, et ayant porté Hrist dans les cieux yuimeniens, la veille. Ce
dragon d’argent au chef carmin. Aussitôt, je ploie l’échine pour que les volontaires y grimpent. En s’entassant dans l’atmos, ils pourraient y aller à trois en plus du pilote. Et deux places sur mon dos. Largement de quoi tous nous transporter, donc. Je laisse mes compagnons choisir, prêt à prendre mon envol vers la Cité Blanche.
[HJ : répartissez-vous comme vous voulez, pour ceux qui décident de poursuivre l’aventure et l’événement. Pour les autres, s’il y en a, je vous laisse retourner en libre ^^]