La réunion avait fini par se terminer sur un consensus : demain allait être le moment où ils allaient, d’une manière ou d’une autre, contacter Andie. Ça ne s’annonçait pas facile, loin de là : mais au moins avaient-ils un but clair. Les uns après les autres, tous avaient quittés la table. Tous, sauf Visselion : Akihito l’avait retenu.
« Oui ? »
L’enchanteur avait du mal à discerner correctement les émotions qui traversaient l’archi-sorcier : avec une mâchoire et une partie du visage en métal, ses traits ne bougeaient pas aisément.
« Soyons honnêtes, finit par commencer l’enchanteur, seul à la table avec lui. Vous pensez quoi, de notre groupe ?
- Qu'il a beaucoup de potentiel, mais que vous le gâchez par manque de communication et d'organisation.
- Et vous avez une idée de la raison de ce manque de cohésion ?
- Hm, sembla réfléchir Visselion, avant de finalement livrer le fond de sa pensée.
Vous ne vous écoutez pas, ou trop peu. Chacun y va de son grain de sel sans retenir vraiment ce que dit l'autre. Et ça fait perdre patience à certains, qui se braquent et détruisent toute possibilité de communiquer. Je pense que vos pairs ont raison de signaler qu'il manque un meneur, parmi vous. Quelqu'un qui saurait se faire entendre, et écouter chacun pour résumer les situations et définir les objectifs. Mais là encore, vous ne semblez pas vouloir vous faire confiance l'un l'autre. Et l'un après l'autre, ça détruit votre groupe : Xël parti agir seul, Silmeria bannie du groupe, Yliria sur le point de craquer... »
Il avait l’air vraiment désolé de cet état de fait, comme lui. Il prit à son tour un instant de réflexion avant de vider son sac. Il essayait de mettre des mots sur les problèmes majeurs qui secouaient leur groupe, et entendre quelqu’un d’autre en parler l’aida.
« Vous devez aussi savoir comment notre "groupe" a été formé. Il y a deux semaines, j'ignorais l'existence de Mathis et Dracaena ; Jorus et Xël ont été rencontré dans une guerre contre Oaxaca et j'ai à peine vu le premier ; Silmeria était-elle dans le camp adverse d'Oaxaca, une assassin crainte et renommée et la tueuse du roi de Mathis et Xël. Je connais peut-être bien mieux Yliria qui elle connait Jorus et dans une certaine mesure Xël, mais c’est l'ensemble de nos relations. Et tout ce beau monde est sensé travailler de concert sans prendre le temps de se connaître, on a été baladé d'une crise à l'autre sans temps mort. »
Il se frotta les doigts, machinalement. L’arrivée sur Aliaénon, la progression de la Lande Noire dans les collines Oniriques, la marche vers Elscar’Olth, son sauvetage, la mort de leur groupe… Aucun lien autre que ceux qu’ils avaient avant n’avaient pu être réellement créé car il n’y avait pas eu le temps.
(C’est faux, t’as essayé de le trouver avec l’autre tarée.)
(Mais c’est justement une tarée, qui fonctionne pas comme nous.)
(Mais tu n’es pas resté les bras croisés.)
« J'ai peut-être merdé de mon côté, mais j'ai essayé de faire en sorte que tout le monde marche de concert. Tout le monde s'accorde à dire qu'on manque de cohésion et d'un leader, mais personne ne veut prendre cette responsabilité ou faire l'effort de mettre son ego de côté. »
C’était un comportement un peu lâche. Mais qu’est-ce qu’il y pouvait ?
« J'ai essayé, j'ai échoué. Maintenant, c'est vous qui avez l'air de pouvoir prendre les rênes de tout ça. Donc j'ai pensé que c'était nécessaire que je vous en parle.
- Comme je vous l'ai dit, je suis prêt à assumer ce rôle si vous me faites tous confiance pour le faire. Qu'il échoie à un résident de ce monde semble logique, face à vos hésitations, vos méconnaissances. Alors je ne prétends pas tout savoir de ce monde, loin de là. Mais j'en représente peut-être la sensibilité. Et effectivement, le terme de 'groupe' semble complexe dans ces conditions. Mais c'est communément que vous avez accepté de travailler ensemble. Vous auriez pu choisir d'agir seuls, ou en petits groupes d'affinité. Je crois néanmoins que l'effort d'œuvrer pour une cause commune, ensemble et en se coordonnant, est plus pertinent.
- Honnêtement, j'ai plusieurs fois réfléchi à partir de mon côté. Si je suis encore là, c'est parce que je pense comme vous que seul j'y arriverai pas. Surtout avec la magie... je finirai par me transformer en paon à caraco mi-gelée mi-verre, si je l'utilise tout seul. »
Était-il lui aussi lâche, à sa manière ? Ou avait-il le droit de baisser les bras après avoir essayé de faire ce qu’il pouvait ? Il pouvait toujours faire mieux. Au final, ce n’était qu’une question de volonté et de patience.
(Il y aura toujours des personnes pour critiquer ceux qui ont abandonnés, peu importe les sacrifices qu’ils ont faits, parce qu’ils pouvaient faire plus,) avisa la Faëra.
Il jeta un regard aux Yuiméniens encore présents, Jorus et Mathis. S’ils entretenaient des relations cordiales, cela s’arrêtait là.
« Tout ça pour dire qu'à part Yliria et peut être Dracaena, j'ai pas le respect ou la confiance des autres pour assumer le rôle de meneur. Donc je m'en remets à vous, désormais.
- L'usage de la magie semble effectivement plus sécure si vous vous y mettez à plusieurs, et avec mon aide ça permet d'éviter, au moins un peu, les désagréments les plus chaotiques. Même s'il m'en coûte.
- Et ça vous coûte quoi, à part de la fatigue ?
- Uniquement la fatigue, mais c'est déjà beaucoup. Car par prolongation, ça nous coûte du temps.
- Oui mais si ce n'est "que" de la fatigue... je préfère ça à des ressources limitées comme Zaria, ou un contrecoup dangereux comme Zacara. »
L’archi-sorcier acquiesça, ajoutant qu’il n’aurait de toute façon pas suivi leur groupe s’il n’avait pas été un atout majeur pour eux et leur magie. Cette marque de bon sens était une preuve de plus que l’enchanteur avait bien fait de réviser son jugement de lui. Au-delà du sorcier un peu trop intéressé par l’usage de la magie Yuiménienne, il y avait tout de même un homme qui savait être raisonnable. D’ailleurs, peut-être avait-il une idée sur ce qu’il convenait de faire désormais.
(On en a parlé, mais on a pas demandé l’avis de celui que les autres ont désignés comme meneur.)
« Une dernière chose. Andie mis à part, vous pensez qu'on devrait faire quoi, maintenant ?
- Hmm. Déterminer un lieu où nous combattrons le Dragon, y mener nos alliés et, lorsque nous en aurons assez, y attirer le dragon dans un piège. Avoir des alliés éparpillés ne sert à rien, et en avoir tout court non plus, si nous ne décidons pas nous-mêmes de l'endroit où le combattre. Le seul danger est qu'il découvre avant où nous pourrions être. »
Tout en se levant, l’Ynorien réfléchit aux paroles de Visselion. Choisir le lieu de l’affrontement leur permettrait de mettre un peu plus de chances de leur côté, et ils étaient déjà suffisamment dans une position délicate pour négliger le moindre avantage.
« J'avais pas vraiment pensé jusque-là, mais vous avez raison. J'ajouterai aussi qu'avoir des alliés c'est bien, mais des alliés capables de nous aider à abattre le dragon c'est mieux, répondit l’enchanteur en pensant aux « gros bras » d’Aleriia.
- Ça dépend si le dragon vient seul ou non. Je crois que votre magie peut venir à bout de lui, dans les bonnes conditions.
(Raisonnable, mais un peu trop optimiste…)
- Merci de votre temps, je vais vous laisser : j'aimerais échanger quelques mots avec Zaria. »
Les deux échangèrent un salut de la tête, et Akihito se mit à la recherche de la sorcière. La perte de ses pouvoirs de vision était un coup dur pour le groupe car même s’il ne connaissait pas leur étendue, il avait constaté à quel point ils pouvaient être utiles. Sauf que Zaria n’était pas qu’une sorcière de Vision : elle l’était aussi de Feu.
(Tu penses qu’elle tire aussi ses pouvoirs d’une pierre ?)
(Pierre, le Soleil, ou de potions, je m’en fiche. Ce qui m’intéresse, c’est si ses pouvoirs peuvent s’épuiser.)
Il trouva la femme à la peau caramel adossée à la rambarde de l’escalier qu’avaient empruntés Yliria et Glanaë., le regard perdu dans l’âtre. Il suivit machinalement son regard et tomba sur un chaudron posé non loin, ce qui rappela à l’enchanteur que malgré le copieux repas pris dans la matinée, la nuit était désormais tombée. Il avait faim et le trio de femmes n’avait pas eu l’occasion de manger avec eux avant de partir pour le palais de la Reine.
« Vous avez mangé ? demanda-t-il en s’approchant de la sorcière, qui nia en secouant la tête.
La cuisine d'ici n'est pas vraiment appétissante visuellement, mais c'est une autre histoire en bouche. J'ai quelque chose à vous demander, alors je pensais le faire en mangeant un peu.
- Soit. Faisons ça. »
Le regard écœuré lancé au plat grouillant de la tenancière qui semblait ne jamais se vider depuis leur arrivée n’avait vraiment rien d’attirant, mais ce n’était pas ce qui intéressait l’enchanteur.
« Il vous reste de votre plat de ce midi, Sally ? On peut en avoir deux assiettes ?
- J'APPORTE CA ! VOULEZ ENCORE DU VIN ?
- Ça ira, mais s'il vous reste de la bière, je suis preneur.
- ET DE LA BINOUZE POUR LE P'TIT COUPLE. »
Zaria, qui s’était attablée à une autre table plus petite, roula des yeux. A cran, elle semblait l’être : Akihito commença donc prudemment en abordant un sujet qu’il espérait moins personnel… Et qui l’intéressait tout autant que ses pouvoirs magiques.
« Bon, euh... Pour commencer, vous avez pensé quoi de l'entretien avec Gui... La Reine ? »
C’était raté. Il la vit se tendre.
« J'en ai conclu que cette reine était extrême et imprévisible. Je ne ressens que malaise et danger en sa présence.
- Ah... Aleriia a laissé sous-entendre que votre entretien avait eu des conditions... Particulières. Laisser partir Yliria toute seule n'est pas pour me plaire, alors je pensais vous demander si vous pouviez l'accompagner.
- Elle refusera. De ma part plus que de quiconque. S'il en est une qui pourrait l'accompagner, c'est Glanaë. »
Plus il en apprenait sur cet entretien, plus le mystère s’épaississait. C’était désormais acté pour lui que quelque chose de... Non conventionnel s’y était déroulé. Une coucherie ? C’était bien le genre de situation que les participantes aimeraient passer sous silence. Mais ça pouvait être autre chose : ce n’était pas comme s’il était familier des mœurs et caprices des têtes couronnées. Encore moins celles d’Aliaénon.
« Je vois. Mais Glanaë passe à travers un sacré nombre de mauvais moments, c'est pour ça que j'ai d'abord pensé à vous.
- Glanaë est forte. Je vois en elle son besoin d'action, plus fort encore que son envie de vengeance. Sans ça, elle pourrait s'écrouler. Je respecte cela, chez elle, et le comprends.
- Mmmh. C'est peut-être une bonne chose de la laisser partir. »
Les illusions n’avaient pas la puissance offensive d’une magie de feu, mais elles pouvaient être utiles de bien des façons. Et niveau puissance, la mage avait pu tromper des Titans : elle en avait donc à revendre. Il espérait juste qu’elle irait mieux. Il fixa la sorcière, revenant à ce pour quoi il avait voulu lui parler en premier lieu.
« Vos pouvoirs de vision sont liés à la pierre de Néo Messaliah, si j'ai bien compris.
- La pierre de Messaliah, oui. Prise en otage et souillée par l'ordre traditionnaliste des Cadi Yangin de Néo-Messaliah.
- Si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, dites-le-moi, dit Akihito prudemment, voyant qu’il touchait là aussi un sujet sensible.
- Non, vous devez connaître l'identité de vos nouveaux 'alliés'. Ceux qui m'ont tenue prisonnière pendant des mois juste parce que j'étais une femme dotée de pouvoirs semblables aux leurs. Parce que j'avais été formée par Ibn Al'Sabbar. Les responsables de la dégénérescence de la Pierre de Vision, et de la disparition des pouvoirs des Sorciers de Vision qui n'ont pas absorbé le pouvoir de celle-ci.
- Je ne sais pas si nous aurons l'occasion de repasser par Néo Messaliah prochainement, mais on essayera de faire quelque chose. Mais vous êtes une sorcière de Vision ET de Feu, non ? Est-ce que vous tirez vos pouvoirs d'une source similaire à cette pierre ?
- Mes pouvoirs de feu ne sont pas liés à la pierre, non. Ils sont la prédisposition à la sorcellerie de vision, en revanche.
- Vous y avez donc toujours accès, c'est déjà ça. Qu'est-ce qu'ils vous permettent de faire ?
- De tout cramer. »
La réponse, franche et terre-à-terre, fit sourire le jeune homme. Sally déposant les deux bocs de bière à ce moment-là, il se rafraichit un instant avant de préciser sa question.
« Ça j'en doute pas, Yli me montre très bien ce que sait faire une pyromancienne. Ma question était plus de savoir l'étendue de vos pouvoirs. »
Selon elle, la plupart des Cadi Yangins pouvaient créer et contrôler le feu, même déjà présent. Elle laissa sous-entendre qu’elle avait cependant atteint un niveau de maîtrise très élevé en étudiant avec Ibn.
« Ça a l'air très impressionnant. Vous pourriez faire brûler une auberge de cette taille avec facilité, donc ?
- Non. Parce que je ne suis pas une meurtrière chaotique et destructrice. Mais... j'en aurais la capacité, oui.
- Oui, évidemment. »
Il tendit le second boc remplit à la sorcière, voyant qu’elle n’avait toujours pas esquissé le moindre geste pour le récupéré. Zaria se révélait être une personne assez simple à comprendre, en fin de compte. Il lui manquait en revanche un peu d’humour ou de second degré.
« Vous connaissez peut-être pas trop notre monde et les nôtres, vous voulez peut-être poser des questions.
- Je sais qu'il y a beaucoup à en apprendre, car vos nations sont nombreuses. Je sais aussi que vous êtes fendus à l'art de la violence et de la guerre, ce que nous n'étions pas avant la venue des vôtres. Je sais donc que je n'apprendrai qu'une fraction si vous m'en parlez. Alors au lieu d'évoquer votre monde, si vous me faisiez un résumé de ce que vous savez sur celui que nous affrontons ? Et... de chacun des membres de notre expédition... »
(Ça donne presque l’impression que les méchants, ici, c’est nous.)
(Eh bien… Quelque part… De ce que je comprends de l’histoire de ce monde, une grosse partie des catastrophes qui leur sont arrivés récemment sont liées de près ou de loin à l’intervention de Yuiméniens.)
Devant bien admettre que c’était un point de vue défendable, Akihito essaya de résumer du mieux qu’il pouvait son groupe à la sorcière.
« Sur la Dragon noir, je vous ai déjà raconté tout ce que je savais à son sujet.
Pour les Yuiméniens, alors... Je ne peux pas vous dire grand-chose de Mathis ou de Dracaena, je les ai rencontrés juste avant d'arriver sur Aliaénon, il y a deux semaines. Dracaena est un Oudio, est-il est aussi rare d'en croiser que vous pouvez l'imaginer. De tous, c'est Yliria que je connais le mieux. Excellente bretteuse, pyromancienne et mage blanche, elle fait partie d'un ordre guerrier que je connais pas vraiment, les Danseurs d'Opale. Elle a son caractère, mais sera toujours animée des meilleures intentions. Jorus fait aussi partie des Danseurs d'Opale, mais c'est à peu près tout ce que je sais sur lui. Il a fait équipe avec Yli lors de la guerre contre Oaxaca et le Dragon Noir, il y a un an. Parmi les personnes qui ont affronté la Reine Noire, il y a également Xël. De ce que je sais de ses exploits, il y a très peu de gens sur notre monde qui peuvent se targuer de manier aussi bien l'aéromancie que lui. Mais vous devez déjà connaitre son caractère. Et puis... Il y a Silmeria. »
Il but une lampée de bière, un peu sombre, et conclut sur le dernier membre de la troupe. Sa colère s’était calmée, mais il doutait qu’il puisse jamais lui redonner sa confiance. Elle n’était plus là et il ne savait pas s’il devait être rassuré ou inquiet par cette absence.
« C'est une assassin. Aussi renommée que mortelle et efficace. Lors de la guerre dont je parlais, elle faisait partie du camp adverse. Elle a notamment assassiné un des rois de l'alliance contre Oaxaca dans les premiers instants de la bataille. Même si elle a finalement tourné le dos à Oaxaca à la toute fin. C'est une personnalité... Chaotique, désinvolte. Aller contre son avis, c'est prendre le risque de se faire menacer : J'en ai fait les frais, termine-t-il dans un soupir.
Vous comprenez peut-être un peu mieux l'hostilité d'une partie du groupe à son égard.
- Xël a le cœur sur la main, et la main prête à aider ce monde. Il l'a déjà prouvé à de maintes occasions. Pour le reste... Il m'est difficile de concevoir qu'un groupe si disparate et désuni puisse vaincre une créature telle que vous la décrivez. Au moins étiez-vous tous - ou presque - liés à une même cause, par le passé. »
Xël confirmait une nouvelle fois l’excellente réputation qu’il s’était bâtit sur ce monde.
« Si vous avez une idée pour cimenter ce groupe, je suis tout ouïe. J’ai tenté tout ce que je pouvais, lança Akihito avec fatalisme.
- Unifier un groupe ? Hm, pas tellement ma spécialité. La sincérité et la confiance mutuelle seraient un bon début, je pense. Mais bon... c'est pas magique. Un enchantement, peut-être ? Qui sait... »
Le souvenir de l’emprise qu’avait eu Maïssa sur lui remonta à ces propos et il secoua la tête, catégoriquement.
« Manipuler les sentiments, émotions ou pensées des autres me plait pas vraiment. Si seulement on avait eu plus de temps pour se connaitre... On aurait pas été sur les dents à être baladés d'une crise existentielle majeure à une autre.
- Sauver le monde n'est pas de tout repos, et demande certains sacrifices. Mettre de côté vos contradictions ou vos caractères trempés ne serait-il pas pertinent ?
- Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça. »
Comme il l’avait reconnu à Visselion un peu avant, il avait peut-être fait des erreurs notamment lors de son coup de sang de la veille. Il pensait en revanche que si quelqu’un avait besoin de mettre de côté ego et contradictions, ce n’était certainement pas à lui de commencer. Quand Zaria demanda ensuite comment ils comptaient abattre le Shinigami, il haussa les épaules.
« Avec une puissance suffisamment terrifiante pour anéantir un Dieu. Unir les Titans pourrait être une piste. Si on arrive à communiquer avec eux. Notre magie rassemblée a beau être prodigieuse, je la vois mal mettre à terre le Dragon.
- L'union fait la force, oui. C'est sans doute l'issue favorable à tout ceci. Et les Titans ont sans aucun doute leur rôle à jouer. Je... je crois que nous devons compter sur Vakkar Ti, pour ce faire. Il est leur frère.
- Pour le Sans-Visage, il n'est pas très populaire pour le moment. Donc on aura besoin de lui, oui, mais pour les Titans, il va falloir réfléchir à une autre façon.
- Populaire ? Ici, vous voulez dire. Il a maints supports en ce monde.
- Sa popularité auprès de ses frères, j'entends. »
L’estomac de l’Ynorien se rappela à lui en grommelant discrètement. Est-ce qu’il commençait à avoir vraiment faim, ou est-ce qu’il avait senti les plats de Sally et que son estomac avait réagi avant même qu’ils ne prennent conscience de l’odeur ? Quel qu’ai été la réponse, il regarda avec appétit les écuelles fumantes dans les mains de la moins appétissante cuisinière.
« CA VA VOUS DONNER DES FORCES POUR LA NUIT, LES TOURTERAUX !! »
Akihito leva les yeux aux ciels devant le manque de gêne aberrant dont elle faisait preuve. S’il suffisait qu’un homme et une femme partage un repas pour qu’ils finissent la nuit ensemble, le monde serait décidément bien étrange. Zaria, elle, avait le visage plus fermé encore. Ne sachant si c’était dû à la perspective évoquée sous-entendu de Sally ou l’aspect répugnant du plat, il choisit de désamorcer les deux situations en plaisantant légèrement sur la première et en plongeant volontiers sa cuillère dans le contenu qu’il savait délicieux au-delà de son apparence.
« J'ignorais que l'idée de ma compagnie nocturne pouvait être aussi répugnante.
- L'idée de n'importe quelle compagnie nocturne me répugne. A jamais. »
(Merde… C’est vrai qu’elle est pas sensible à l’humour.)
« Je ne plaisanterai plus à ce sujet, alors. Mais mangez donc : vous devez mourir de faim. »
Ce qu’elle fit : après une première approche suspicieuse de la cuillère à ses lèvres, ses yeux suspicieux s’agrandirent nettement quand elle confirma que le goût était plus que correcte, et elle se mit à dévorer son assiette. Cela voulait dire que les deux autres femmes n’avaient probablement rien mangé.
« Vous devriez penser à monter une assiette pour Glanaë : si vous avez aussi faim, j'imagine qu'elle non plus n'a pas mangé.
- Vous avez raison. Même si j'ignore si elle a le cœur à ça.
- J'ai jamais eu le cœur à quoi que ce soit le ventre vide, » rétorqua simplement l’enchanteur avant de continuer à s’attaquer à son propre repas. Il ignorait de quelle manière la cuisinière se débrouillait pour rendre ses légumes aussi fondant sans les transformer en bouillis, mais c’était divin. La magie ne serait pas aussi détestée ici que c’est ce qu’il aurait soupçonné en premier lieu. Les deux firent un sort à leur repas, bien allongé de bière qui était décidément meilleure que le vin. Une fois fini, il rerempli son boc à l’aide du cruchon et se leva.
« Je vais prendre une assiette pour Yliria, elle doit être dans le même cas. Merci de m'avoir accordé de votre temps, Zaria.
- Merci à vous de faire ce que vous faites, pour notre monde ou pour le vôtre.
- C'est les ennuis qui me trouvent, je fais que les régler. Si ça peut aider des gens au passage, c'est encore mieux. Bonne nuit à vous. »
(Je lirais pas ce que tu as en tête, je pourrais presque penser que tu essayes de la charmer un peu.)
Akihito se leva et salua la jeune femme, qui le lui rendit. Dans une autre réalité, peu être aurait-il pu tomber sous le charme de la sorcière. Mais ça ne risquait pas d’arriver ici. Plus maintenant.
« Sally !
- J’AI PAS D'PROTECTION EN TRIPE DE PORC, SI VOUS VOUS D'MANDEZ. VA FALLOIR JUTER HORS DE LA DAME. »
Il aurait été bien naïf de seulement espérer que Zaria n’avait pas entendu, vu comment elle tonnait dans son établissement. Voyant qu’il avait définitivement à faire avec une cause perdue, il ne chercha même pas à se justifier.
« C'est pas au programme, Sally. Il vous reste un peu de votre ragoût ?
- POUR SÛR. MAIS ALLEZ PAS M'SALIR LES DRAPS ! ILS ONT PAS ETE LAVES DEPUIS DES MOIS, ET J'COMPTE QUE CA RESTE AINSI.
- Splendide. Merci. »
Ecuelle et boc rempli, Akihito commença à monter les marches craquantes de l’auberge. Là aussi, l’absence de ménage était un concept élevé au rang d’art, et maîtriser sur le bout des ongles par la Grosse Sally. Après sa déclaration sur les draps, cela n’avait rien d’étonnant. Il déboucha sur le couloir qui offrait une suite tout à fait classique de chambres : plusieurs étaient éclairées, attestant de la présence de leurs occupants. Laquelle était celle d’Yliria ? Il allait devoir trouver par lui-même : il n’avait aucune envie d’être en plus tancée à ce sujet par Sally. Mais avant qu’il puisse faire quoi que ce soit, il se raidit en sentant une pression se poser sur sa nuque : de longs doigts aux extrémités très pointues qui serrèrent son cou. Un instant persuadé que d’une manière ou d’une autre, la Reine Carmin était entrée pour lui faire payer leur joute verbale, il s’apprêta à se retourner pour se défendre quand une voix murmurante lui susurra à l’oreille.
« Il est l'heure de payer votre dû. »
(Aleriia.)
Il se détendit visiblement, mais n’était pas plus rassuré par le procédé de la Harpie.
« Tu me vouvoies maintenant ?
- Je vous ai toujours vouvoyé. »
C’était le cas ? Il aurait bien voulu prendre la peine d’y réfléchir si le corps menu de la Harpie ne s’était pas pressé contre son dos et sa main glissée sur l’avant de son torse.
« Allons dans une chambre libre, vous débarrasser de tout ce superflu. »
L’enchanteur espéra que la harpie n’avait pas senti sa crispation alors qu’il se mettait en marche vers la première porte non éclairée qu’il apercevait. Du pied, il poussa le battant qui s’avéra ouvert et révéla une pièce ténébreuse, plongée dans un noir d’encre. Sous son impulsion, il pénétra à l’intérieur presque aveugle et le peu de lumière que le couloir lui offrait fut coupée quand la porte fut refermée derrière lui. Non, derrière eux.
« Tch. »
Tâtonnant du bout du pied, l’Ynorien senti la pointe de sa botte percuter le pied d’une table basse -probablement une table de nuit- dont il avait discerné les contours. Prudemment, il posa écuelle et boc dessus.
« Ôtez vos protections, guerrier. Vous n'en aurez guère besoin avec moi.
- Sur quelle partie de mon corps vous voulez prendre votre due ? Le cou ? demanda le repas du soir en retirant tout de même ses protections, incapable de déterminer d’où venait la voix.
- Sur la veine qui me siéra le plus. Mais je vais devoir chercher, pour ça... »
Ses yeux désormais habitués à l’obscurité ne lui apportèrent rien de nouveau, tout juste le mobilier de la pièce. Et certainement pas la position d’Aleriia, qui semblait évoluer silencieusement autour de lui.
(Je…)
(Je le sens pas moi non plus, Amy. Mais on est pas vulnérable.)
Que savait-il de la Harpie, au final ? Elle était espiègle, jeune, occupait une position de pouvoir dans la ville, et se nourrissait de sang. Aleriia pouvait simplement s’être jouée de lui : il n’était pas là pour donner de son sang, mais pour être tué. Peut-être. Son aide pouvait être aussi bien un simple caprice, une main tendue désintéressée, ou un jeu tordu. Il connaissait peu de choses d’elle, en soi. Tout comme elle savait peu de chose sur lui, sur sa magie, sur ses capacités. Avec la conviction qu’il pouvait dans le pire scénario avoir suffisamment de répondant pour tenir le temps d’utiliser sa marque pour se téléporter, Akihito termina de se débarrasser de ses protections. Sangles après sangles, pièce après pièce, il se retrouva rapidement de nouveau vêtu simplement des affaires que Mathis lui avait prêté le matin même. Il posa le tout sur une chaise non loin et profita de l’occasion pour sortir l’éclat de San-Divyna de sa nouvelle sacoche. La faible lumière le rassura plus qu’il ne l’aurait admis, et il s’en servi pour délasser les cordons qui retenaient la manche de chemise de son avant-bras droit.
« Tu la trouveras mieux avec de la lumière. Et celles de mon avant-bras sont particulièrement seyantes.
- Je préfère le noir, » rétorqua la voix au-dessus de lui.
La Harpie avait beau être menue, elle pesait quand même suffisamment lourd pour rendre sa chute impactante. Il la sentit s’accrocher à son corps, le repousser, le faire basculer sur le lit derrière lui… Et une main griffue posé sur ses pectoraux pour le clouer au lit. L’enchanteur avait vu ces mêmes bras pousser sans efforts des portes épaisses qu’il avait eu du mal à déplacer : il devait donc renoncer à l’idée de s’échapper de sa poigne par la force.
Tout comme un prédateur humant sa proie, Aleriia parcouru de son souffle chaud et de son nez le bras de l’enchanteur, s’arrêtant finalement pour poursuivre ses… recherches avec la pointe humide de sa langue. Une sensation qui n’aurait pas été désagréable… Si la situation n’était pas ce qu’elle était.
« C'est un bon début. »
Une vive douleur transperça son poignet. Une morsure à la douleur supportable bien qu’amplifiée en deux endroits précis, suivi d’un bruit de succion peu réconfortant.
« Ah put... »
Le juron fut étouffé, à grande peine, quand en plus de son poignet ce fut le tour de son torse d’être meurtri par les griffes.
« Les griffes, c'est nécessaire ? » demanda l’enchanteur à voix basse quand étrangement, la douleur de son poignet reflua pour laisser place à une sensation presque… Agréable. Chaude, doucereuse. Presque stimulante. Ce qui l’était beaucoup moins, c’était la douleur à son torse. Akihito sentit les griffes labourer sa chair en descendant, laissant une trainée de feu. Sa chemise éventrée ouvrit la voix à la Harpie qui écarta un pan, le souffle court. Sous le tissu, il sentit la langue de nouveau serpenter, comme attirée par la blessure au plexus laissée par l’éclat de son bouclier quand il s’était fiché dans sa poitrine. Quelques coups de langue semblèrent ne pas lui convenir, et elle se jeta donc sur la suite de son repas pour mordre brutalement son téton droit.
La douleur le fait hoqueter et il tente de se relever sur ses coudes par réflexe, mais c’était peine perdue. Une main ferme s’abattit sur son épaule gauche pour le clouer de nouveau au matelas. Résigné, Akihito ferma les yeux et fit ce qu’il pu pour garder son calme, prenant de longues inspirations contrôlées pour continuer à se laisser faire sans paniquer. Et comprendre aussi, pourquoi, Aleriia semblait comme excitée par la situation. Le souffle court, les griffures, le tout allongé sur un lit… Sally n’aurait pas eu besoin de beaucoup plus pour les marier. Sa Faëra ne disait rien, mais il sentait qu’elle hésitait entre le soutien, l’indignation et l’incompréhension face à cette situation.
Tout comme lorsqu’elle avait commencer à le sucer au niveau du poignet, la douleur avait fini par se tarir et être remplacée par le même sentiment satisfaisant. Lui n’eut pas le temps de se terminer qu’Aleriia partait déjà en quête du nouvel endroit qu’elle comptait sucer, et se dirigea vers le cou. Pinçant de l’extrémité des lèvres chaque pli de peau à la recherche d’une veine saillante, elle ignora la question d’Akihito qui chercha à savoir si elle avait fini. Ses dents plongèrent de nouveau en provoquant cette fois une excitante douleur. Ses ébats avec Anthelia lui avait appris qu’il était particulièrement sensible dans cette zone, mais ça n’avait jamais été puissant à ce point-là. Ce fut une véritable décharge de plaisir brut qui envoya une nuée de décharges dans tous son corps, faisant frémir jusqu’à l’extrémité de ses doigts. Puis cette décharge revint au galop jusqu’à son cou avant qu’une nouvelle succion ne propage encore plus intensément la sensation. Il perdit complètement le compte des succions qu’il s’était presque mis à attendre avec impatience quand finalement, tout s’arrêta. Plaisir et jouissance le quittèrent aussi brutalement qu’ils étaient apparus, rendant ses sens à l’enchanteur qui se releva, groggy.
Cligner plusieurs fois des yeux lui permit de retrouver un semblant de vision pas trop flou, suffisamment pour prendre conscience qu’Aleriia venait d’allumer une chandelle à quelques pas de lui avant de retourner s’asseoir près de lui. Les yeux brillants comme ceux d’un chat, un filet de sang -son sang- aux lèvres… Et les joues rosies par l’effort et le souffle court.
Il déglutit difficilement.
« Je comprends un peu mieux "l'honneur" des hommes pâles à vous donner leur sang. »
Cela avait de quoi rendre accro, et la sensualité qu’avait mis la Harpie n’avait fait qu’amplifier cet effet.
« Hé ouais. Bon. Ben on va dire que la dette est payée. »
Il se redressa avec précautions, essayant de jauger les effets de la perte de sang. Sur son équilibre, sa fatigue, ou d'éventuelles douleurs là où il avait été mordu. Il ne trouva aucune trace de tout ça. Aucune fatigue, aucun vertige, pas même la moindre trace au poignet ou au téton : elle avait décidemment tenu sa parole formulée devant la Reine Carmin.
« Ça tiendra combien de temps, ce que tu m'as pris ?
- En nourriture, ça suffira pour une bonne semaine. En plaisir et gourmandise, on va dire que ça suffira pour ce soir. »
Le sourire presque enfantin qu’elle afficha contrastait violemment avec l’expérience qu’il venait de subir. Et visiblement, il n’avait pu que satisfaire un minimum la gourmandise d’Aleriia. Si Mathis voulait qu’elle les accompagne, il allait devoir prendre la responsabilité de la nourrir. Il jeta un œil ennuyé à son torse : les griffures étaient bégnines et cicatriseraient sans mal : mais il allait devoir rebander son autre plaie, et…
« C'était pas ma chemise... et merde, cette blessure doit encore être traitée. Tu pourras me conduire à un tailleur, demain ?
- Ah... Dommage pour la chemise, elle vous allait bien, rétorque-t-elle, malicieuse, ne lui valant qu’un tic agacé du jeune homme pour toute réponse.
Vous allez régaler tous les artisans de la ville, de ce que je vois. Je pourrai vous emmener voir un soigneur, aussi. Enfin. Si vous n'êtes pas rebuté par ses méthodes.
- A qui la faute. Puis si j'ai besoin de voir tout le monde, c'est que j'ai aussi tout perdu. C'est quoi, ses méthodes de guérison ?
- Oh. Vous le verrez assez vite. Vous avez quelque chose contre la vase qui sent le poisson ?
- Euh... Je préfère utiliser ce que j'ai encore avec moi. Mais je garde ton option au cas où. Si tu me permets... Je vais y aller. »
Après avoir attrapé la boite métallique contenant le cataplasme qu’il avait confectionné avec Himeka, il posa le boc de bière dessus et se saisit de l'assiette, estimant si son contenu est encore tiédasse. Il lui était impossible de savoir combien de temps il avait passé là, mais le ragoût n’était pas encore froid alors il ne s’était pas passé tant de temps que ça.
« J'suis sûr que vous voudrez encore m'être redevable.
Nous verrons, » éluda-t-il en sortant. Il avait décidé que cette chambre serait la sienne, aussi n’avait-il pas pris toutes ses affaires. Il regarda la Harpie disparaitre dans l’escalier et une fois cela fait, il s’adossa à la porte de sa chambre, fermant les yeux.
(C’était pas facile…)
(Ça me semblait être pas une si mauvaise expérience, de mon point de vue.)
(C’en était pas une. Physiquement du moins. C’était pas des sensations que je cherchais à avoir.)
Sentir une extase proche de l’orgasme alors qu’on lui pompait le sang pour payer une dette n’avait rien de plaisant, après coup. Surtout que maintenant…
(C’est le moment ?)
(Oui.) répondit-il simplement, et il sentit la présence de la Faëra s’effacer de son esprit. Bien que toujours présent, elle s’était mise en retrait : elle n’avait pas prévu d’intervenir dans ce qui allait suivre, et il lui était reconnaissant. Akihito expira profondément… Et se mit à la recherche de la chambre d’Yliria.
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« Merci d’être là.
- Aki... ? »
La voix d’Yliria, vaguement inquiète ou surprise, résonna dans mes oreilles. Je ne répondis pas tout de suite. Il me fallait un peu de temps.
Trouver la chambre d’Yliria n’avait pas été très compliqué : j’avais tout simplement toqué à la première qui avait de la lumière, en l’appelant pour voir si elle allait me répondre. Je n’avais pas eu besoin d’utiliser l’excuse que j’avais prévu au cas où c’était Dracaena, Glanaë ou qui que ce soit d’autre qui ouvrait, puisque c’est le visage d’Yliria qui était apparu. Son regard, vague, avait pris du temps à redevenir clair.
« Aki ! tu veux entrer ? »
Bien sûr que j’avais voulu, mais son estomac s’était d’abord manifesté et avait attiré son regard sur l’assiette que j’avais en main. Comme sur la blessure qui transparaissait à travers ma chemise en pièce. Cela avait provoqué la réaction à laquelle je m’attendais : question…
« Tu t'es battu pour obtenir cette assiette ? »
… Et haussement de sourcil. C’était ce tic qu’elle avait à chaque fois qu’elle s’interrogeait sur quelque chose de bizarre, ou de stupide, ou les deux. C’était tout bête, mais j’avais prévu qu’elle ferait ça. Ça m’avait rendu heureux, alors j’avais décidé de l’embêter un peu.
« C'était la dernière portion, et je savais que t'avais pas mangé, avais-je commencé en lui tendant son repas.
Alors j'ai dû un peu batailler, ouais. Y avait un type avec un troisième bras qui avait l'air d'avoir bien faim, et il a un peu ruiné la chemise. Mais bon, un coup de coude dans, euh, ce qui lui sert d'œil l'a un peu calmé. Comme il en a quatre autres, je me suis dit que ça irait. »
Elle avait pris l’assiette et un temps, avait commencé à me croire avant qu’une expression amusée ne traverse son visage. J’avais un peu trop exagéré mon histoire, apparemment.
« Merci, j'apprécie vraiment le geste. Je n'ai rien mangé depuis hier. »
Elle m’avait remercié, puis s’était écartée de la porte pour m’inviter à rentrer. Je ne m’étais pas fait prier, et j’avais rapidement compris que ça ne pouvait qu’être sa chambre : malgré le bordel et la saleté qui régnait partout en maître, cette pièce avait été rangée un minimum. C’était encore loin d’être propre, mais j’avais reconnu cet aspect d’Yliria.
« Je ne sais plus si tu es très bière ou non, mais je t'en ai pris au cas où. Comme le plat, elle paye pas de mine mais elle est très bonne.
- Non, je n'aime pas trop la bière, mais fais-toi plaisir. »
Tirant un tabouret pour m’installer à peu près en face d’elle, je l’avais regardé attaquer voracement sur son lit son repas, s’extasiant de son repas.
« Par les dieux, j'ai l'impression de n'avoir jamais mangé quelque chose d'aussi bon...
- Mmhmmh. »
Bière en main, je l’avais laissé manger tranquillement, me contentant de couver du regard une scène banale qui était devenue importante pour moi. Yliria était importante pour moi.
J’aimais Yliria.
Ma mort avait eu ça de bénéfique qu’elle m’avait permis d’ouvrir les yeux sur ce qu’elle représentait pour moi, en me donnant plus de temps que nécessaire pour regretter ce qui me manquait le plus. Yliria avait fait partie des choses dont la disparition m’avait le plus affecté. Alors quand j’étais revenu, je l’avais observé. J’avais fait attention à elle, à moi, à l’influence qu’elle exerçait sur mes choix, sur mes envies, sur ma vie. Et beaucoup de choses tournait autour d’elle. La décevoir m’avais attristé ; l’inquiéter m’avais énervé ; la voir sourire avait été une petite fête ; apprendre qu’elle comptait retourner sur Yuimen avait été source de soulagement et de manque ; me réveiller avec elle dans mes bras m’avait donné envie de me rendormir, juste pour avoir le plaisir de redécouvrir cette surprise en me réveillant à nouveau.
Alors constater que j’appréciai ingénument cette simple vue m’avait conforté dans mon choix de lui dire ce soir.
« C'est un peu gênant que tu m'observes m'empiffrer...
-Je peux regarder ailleurs si tu veux. Moi quand j'ai faim, la parlote devient très secondaire. »
Mon excuse n’avait pas eu l’air de la convaincre totalement, mais elle avait fini par demander que je lui raconte la vraie histoire derrière la chemise en lambeaux pendant qu’elle terminait son repas. Je m’étais alors exécuté.
« Basique histoire de remboursement. J'ai pas de shuriken en Olath pour payer mes achats ici, alors c'est Aleriia qui a avancé pour moi. Et les harpies se nourrissent de sang, donc c'est comme ça que je l'ai... Payé ? avait je résumé en reprenant une gorgée de bière et d’ajouter :
Le col était un peu trop haut à son goût, faut croire.
- Avec du sang... ça... explique certaines choses. Ce n'était pas trop douloureux ?
- Plutôt, au début, comme si on... Bah, te mordait avec deux canines très pointues. Mais après c'était bizarrement agréable. Et ça laisse pas de marque, ni d'effet secondaire pour l'instant.
- Hmm... Je vois mal comment se faire prendre du sang peut être agréable, mais soit. Tu as payé ta dette alors ?
- Crois moi que moi non plus. Mais je vais devoir en contracter une autre, pour acheter des vêtements à moi, rembourser Mathis, et avoir de quoi me bander. D'ailleurs, je me débrouille demain pour laver tes affaires et je te les rends. Merci encore, Yli. »
Fidèle à elle-même, elle m’avait directement proposé de me donner certains de ses shurikens comme moyen de paiement avant de balayer de la main mes remerciements.
« Tu en aurais fait autant... J'espère.
- Evidemment, mais ça ne te prive pas de remerciements. »
Je m’étais acheté un peu de temps pour réfléchir à comment je comptai lui avouer mes sentiments en buvant de nouveau à mon boc, mais lever le coude avait aussi réveillé un élancement dans ma poitrine. Je ne pouvais pas ignorer plus longuement ma blessure.
« Mais si on parle d'en faire autant que j'en ferais pour toi, j'ai un autre service à te demander. Quand t'auras fini de manger, hein.
- Un autre service ? Qui concerne tes vêtements ?
- Ce qu'il y a en dessous, surtout, avais-je dis en écartant les tissus pour montrer la plaie encore vivace causée par mon bouclier.
Je peux me mettre le cataplasme, mais serrer le bandage tout seul c'est pas évident. Et j'ai plus de bandage...
- Il doit me rester quelque chose... regarde dans mon sac, je te l'appliquerai après manger. »
Fouillant dans son sac posé dans un coin de la pièce, j’avais rapidement mis la main sur les fameux tissus.
« Si ça te dérange pas... je vais en profiter pour m'occuper de ma jambe. »
Je m’étais alors écarté pour tourner le dos à Yliria, ne voulant pas lui montrer une blessure aussi sévère alors qu’elle était en train de manger. La gaine magique autour de ma jambe avait elle plus que remplis son office puisque l’enlever m’avais tiré un sifflement de douleur. Privé de ses effets curatifs, la brûlure avait recommencé à mettre mes nerfs à vif.
« La vache... Y a pas à dire, elle marche bien, ta gaine.
- Si on était sur Yuimen, ça ne serait qu'un mauvais souvenir, mais bon... Montre-moi, je vais t'aider.
- Non, ça... »
J’avais été sur le point de refuser, mais je m’étais finalement ravisé. Refuser son aide l’aurait agacé aussi bien que cela m’aurait agacé si les rôles étaient échangés. Je lui avais donc tendu le morceau de chemise que j’utilisais pour retirer le cataplasme encore présent sur zone à vif, et elle s’était agenouillée devant moi. Ses gestes avaient été doux, délicats ; ses paroles, prévenantes.
« Urg. Ça pique, mais ça va, avais-je dit entre mes dents serrées.
T'as l'air d'avoir l'habitude.
- Je suis pyromancienne. J'ai aussi été une enfant. Combine les deux et le résultat est un père qui apprend à sa fille à gérer les brûlures qu'elle cause sans le vouloir. »
Imaginer une Yliria enfant m’avait attendri.
« Au moins, la foudre est moins douloureuse sur ce point-là.
- Certes, mais elle est bien moins utile.
- Ah non, pas de débat sur qui qui a la meilleure, hein. »
Me chamailler avec elle m’avait amusé.
« Pas besoin, je sais que j'ai la meilleure.
- Aye aye. »
Lui donner raison n’avait été ni une défaite, ni une frustration.
Une fois ma jambe traitée, j’avais replacé la gaine magique dessus qui étouffa les dernières braises de douleurs, ne restant que celle de mon torse. Yliria avait refusé catégoriquement l’idée que je puisse lui rendre le bandage magique d’ici à son départ, même si de simples bandages avaient pu s’avérer suffisant. Elle avait alors voulu s’occuper de ma blessure, mais j’avais cette fois ci décliné.
« Les blessures tranchantes, c'est mon domaine. J'ai aussi appris deux trois trucs de mon paternel. Mais j'aurais besoin de toi pour le bandage, comme dit. »
Evoquer mon père avait brièvement étreint mon cœur, mais j’étais passé outre. Il m’avait un jour dit que les hommes mourraient quand plus personnes ne se souvenaient d’eux ; alors tant que j’entretenais son souvenir et tout ce qu’il m’avait transmis, il vivait un peu à travers moi. Une fois le cataplasme appliqué comme il me l’avait fait maintes fois et montré tout autant de fois, j’avais roulé des épaules pour dégager mon dos ; Yliria s’était ensuite posté derrière moi et avait commencé à bander ma blessure, passant aussi bien sous mes bras que sur mon épaule. J’avais serré les dents et m’étais fais violence pour rester en place : sentir quelque chose m’enserrer devenait chaque jour plus supportable depuis ma mort dans la prison de cristal, mais l’angoisse n’avait pas encore complètement disparu. Ce qui m’avait fait tenir, ultimement, c’était les mains d’Yliria : chaque contact avec ma peau nue avait été une goutte d’eau fraiche chassant les démangeaisons. Enfin délivré, je m’étais laissé aller en arrière, sentant son corps chaud contre mon dos nue.
« Aki… ? »
Et j’étais là, désormais. Convaincu qu’Yli était celle qu’il me fallait : apaisé par sa simple présence, éblouis par son sourire, attendri par ses moues.
Je recouvris sa main encore posée sur mon épaule de la mienne, glissant mon pouce à l’intérieur pour caresser l’intérieur calleux mais pourtant agréable.
« Quand je suis... arrivé dans la Savane Thanatéenne, j'ai eu beaucoup de temps -presque un peu trop- pour réfléchir. Sur moi. Ce que j'avais été. Ce que j'aurais voulu. Regrets, joies... un peu tout ça. Et j'ai pensé à toi. »
Je me tournai pour accrocher son regard, au-dessus de moi.
« Tu... me fais confiance, Yli ?
- Bien sûr. »
Ses yeux papillonnants montraient à quel point elle était perturbée, confuse. Je la prenais au dépourvu et je voulu lui rendre les choses plus simples. Peut-être que je voulais aussi les rendre plus simples pour moi également. Pour chasser cette crainte qui était tapie, dans le fond de mon estomac. Et si.
« Ferme les yeux, alors.
- Euh... d'accord... »
‘Et si elle refuse.’
‘Et si elle en aime un autre, finalement.’
‘Et si c’était trop tard.’
‘Et si c’était un rêve.’
Prenant mon courage à deux mains, je me levai. J’allais passer les trente prochaines minutes à me poser des dizaines de questions si je n’agissais pas. Et la réponse à tout ça se trouvait devant moi. Les yeux clos, quelques rides trahissant l’inconfort qui la parcourait. Son expression se figea quand je posai ma main sur sa hanche, l’attirant contre moi.
« A... Aki ? »
Je ne voulais pas flancher. Je voulais assumer mes sentiments, cette chaleur qui était de nouveau apparu en moi. Mais je n’étais pas si brave, finalement : un ultime doute m’habita. Je comptai être décidé, entreprenant ; pourtant, je dû me rassurer une ultime fois.
« Je peux te rendre ce que tu m'as offert sur le dos de Cromax ? »
(L’embrasser, bordel ! E-M-B-A-R-A-S-S-E-R ! Abruti ! Je lui soulève le menton, je lui demande de fermer les yeux et je la serre contre moi, et je suis obligé de passer par des trucs alambiqués pour un simple mot ?! Merde merde merde ! Mais qu’est-ce qui tourne pas rond chez moi ?!)
Yliria, pour ne rien arrangée, s’était figée. Me laissant seul avec mes voix intérieures pour me morigéner et blâmer le manque flagrant de colonne vertébrale qui m’avait frappé à l’instant. J’avais largement de quoi alimenter ces voix toute la nuit et j’étais bien parti pour quand je sentis une légère pression contre ma paume. Cela fit taire tout ce qui passait dans mon esprit et doucement, délicatement, je baissai mon visage pour déposer mes lèvres sur les siennes. Le contact pulpeux ne dura qu’un instant, mais me donna tout ce que j’avais envie de savoir. Au-delà même du simple plaisir intime qu’il m’avait procuré, c’était la brusque montée de chaleur qui m’avait envahi qui importait. Aleriia pouvait sucer jusqu’à la dernière goutte de mon sang qu’elle n’aurait pas pu approcher cette petite fête qui se répandait en moi, qu’Anthelia m’avait fait découvrir et qu’Yliria était désormais la seule à provoquer. Le genre de félicité qui me fit sourire sans pouvoir m’en empêcher pendant que je m’écartai d’elle, qui rouvrit des yeux un peu perdus allant de mes lèvres à mes yeux.
« Je... tu es sûr ?
- Maintenant, oui. Mais je peux recommencer si tu as encore des doutes.
- Qu'est-ce qui a changé ?
- Par rapport à quoi ? demandai-je.
- Toi. Moi. Nous, répondit Yliria en se triturant les doigts.
Il n'y a pas si longtemps tu n'envisageais même pas de m'embrasser... Et là tu... J'essaie de comprendre. »
Je m’étais attendu à cette question, tant elle était évidente. Je n’avais plus qu’à ressortir la réponse que j’avais préparé, tandis que je la repoussai lentement vers le lit pour que nous assoyions côte-à-côte.
« Mmh. Pour faire simple, quand Theli était là, je pouvais pas te voir autrement que comme une amie. Je ne pouvais voir aucune femme plus que comme une amie. Donc quand tu m'as embrassé, c'était pas possible. Puis on s'est revu à Oranan. J'avais fait mon deuil, alors j'étais capable de te voir autrement. »
Je glissai une main dans son dos, frottant lentement ce dernier.
« Pour le changement... rapide des derniers jours, je ne plaisante pas quand je dis que j'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir. Quand tu ressens plus rien du tout, la perception du temps est... très longue.
- Je ne suis pas Anthélia, Aki... Je n'ai pas envie d'être sa remplaçante... Est-ce parce que je suis une femme maintenant ? Que je n'ai plus le corps d'adolescente que j'avais à notre rencontre ? »
Je fronçai les sourcils. Si je m’étais aussi attendu à la deuxième partie de la question, la première me prenait au dépourvu.
« Remplacer Anthelia ? Non non, c'est pas du tout ça. Tu as pris sa place parce que tu es toi, pas parce que je l'ai choisi. »
La réponse fusa du tac au tac. Je n’avais pas besoin de réfléchir à quoi répondre pour ce qui me semblait évident. Et si j’étais capable de ça… Je n’avais pas besoin de tout ces scénarios, ces répliques, que j’avais prévu. Mes sentiments étaient bien plus honnêtes. Je posai mon autre main sur les siennes, sur ses genoux,
« Pour ton corps... Évidemment, je peux pas l'ignorer, et je te trouve très attirante. Sauf que tu te résume pas à ça Yli. »
Je saisis une de ces mains et la porta à mes lèvres, déposant un léger baiser sur son dos, espérant relever son regard.
« Des jolies femmes, il y en a partout. Mais des jolies femmes courageuses, fortes, espiègles, têtues, qui ont mon respect et mon admiration... et que j'aime, il n'y en a qu'une. »
La liste des qualités et des menus défauts aurait pu s’étendre bien plus, mais la voir rougir m’indiqua que je n’avais pas besoin de plus.
« Je...Je sais pas trop quoi dire... Ou faire. »
Je plongeai alors mon regard dans le sien, me noyant dans un océan moucheté d’or.
« Ris, embrasse-moi... repousse moi. Fais juste ce que ton cœur te dit de faire, et prend ton temps. »
Son hésitation dura jusqu’à ce qu’elle approche son visage pour m’embrasser à son tour, doucement. Je senti de nouveau mes lèvres s’étirer en un sourire irrépressible, heureux, quand elle se recula les yeux brillants. Puis elle revint m’embrasser, et je ne me privai pas cette fois pour lui répondre avec passion. La chaleur ronflante dans mon ventre guida ma main jusqu’à sa nuque pour prolonger le baiser jusqu’à ce que le souffle me manque.
« Convaincue ?
- Juste pour être sûre... »
Elle enserra tendrement mes joues entre ses mains et m’embrassa encore, avant de se retirer en s’excusant, la voix chevrotante, de ne pas être très douée. Attendrie, je la ramenai à moi pour la prendre dans mes bras.
« Tu te débrouilles très bien. Et c'est pas ce qui m'intéresse. »
J’entendis sa voix étouffée et sentis son souffle chaud contre ma peau, son visage enfouis dans mon étreinte.
« Qu'est ce qui t'intéresse alors ?
- Toi, le bien-être de te savoir près de moi, de te parler, tout ça. Les... plaisirs physiques, c'est secondaire. Intéressants, mais c'est pas pour ça que je veux partager ma vie avec toi.
- Mais ça... Ça t'intéresse quand même, répondit-elle avec une petite moue, ce qui me fit hausser un sourcil.
- Qui ne le serait pas ? Ça fait partie de la vie d'un couple.
- Je n'y ai jamais vraiment pensé avant très récemment... J'ai l'impression que c'est surtout les hommes qui sont obsédés par ça. »
Mon cœur manqua un battement quand elle se sépara un peu de moi en glissant sa main dans la mienne, me demandant si j’aimerais. La réponse était toute aussi évidente qu’elle demandait tout de même que je choisisse bien mes mots. Et je ne voulais pas lui mentir.
« ... Oui. Mais je compte aller à ton rythme vu que j'ai un peu... D'avance, sur ce sujet-là.
- C'est si important ? Je veux dire... Je n'en ai jamais eu envie et je ne sais pas comment je pourrais vouloir quelque chose que je ne connais pas... Comment je pourrais décider du moment ?
- Dis comme ça... »
Peut-être avait-elle raison sur l’obsession des hommes pour le plaisir de la chair : dans mon cas, l’envie de le découvrir était venue naturellement. Mais pour Yliria, ce n’était pas le cas apparemment. Appréciant les légères caresses de son pouce sur le dos de ma main, je pris le temps de réfléchir avant de hausser les épaules en souriant.
« On peut commencer par passer nos nuits ensemble, et on verra si ça nous y mène naturellement. Sinon, on prendra le temps de te faire découvrir quand on aura plus de temps pour nous, » dis-je en concluant d’un baiser dans ses cheveux.
Elle ne répondit pas, se contentant d’hocher la tête. Elle paraissait… Gênée. Est-ce que j’avais dis quelque chose de mal ? Est-ce que… Je m’étais trompé sur toute la ligne ?
« Yli... ça va ? Tu ne m'as pas l'air aussi... Contente que ce à quoi je m'attendais.
- Non c'est pas ça... je... je suis vraiment heureuse, c'est juste... je sais pas comment agir maintenant... »
La voir se dandiner timidement balaya rapidement les craintes qui avaient tentés d’émerger et je ris, à la fois de moi et de la vision attendrissante qu’Yliria m’offrait.
« C'est adorable. »
Puisqu’elle n’avait pas d’idée, c’était à moi de lui apprendre une ou deux choses. Basculant mes jambes sur le lit, je m’allongeai près du mur en entrainant la jolie semi-Shaakte avec moi. Le poids de son corps sur mon bras passé sous elle me fit tiquer, mais je noyais l’inconfort dans la douceur de ses cheveux entre mes doigts, la chaleur de son corps contre le mien, la caresse de mes lèvres sur les siennes.
« Tu peux réagir comme ça, par exemple...
- Cesse de te moquer...
- Je me moque pas, je trouve ça vraiment touchant.
- Hmmm… »
Sa moue adorable me donna presque envie de la retenir quand elle mit sur le dos, yeux clos.
« J'ai l'impression d'être légère et d'avoir quand même un nœud à l'estomac.... Et c'est entièrement ta faute.
- Eh, t'essayerais pas de me faire passer pour le méchant, des fois ?
- Le responsable de mon état en tout cas, pour sûr. »
Et elle sourit. Vraiment. Avant, ça n’avait été que de timides sourires, ou en coin. Là, c’était quelque chose de beaucoup plus solaire. Lumineux.
« Et... Ça fait quoi un couple ? En dehors de l'évidente réponse de la débauche de plaisir physiques que tu as sûrement sur le bout de la langue.
- Méchant ET obsédé ! De mieux en mieux. »
Yliria me posait beaucoup de questions et quelque part, c’était intéressant de mettre des mots sur ce que je considérais comme un couple. J’avais eu un merveilleux exemple avec mes parents, mais j’avais surtout eu l’occasion de l’expérimenter avec Theli. Ma vision changerait sans doute au contact d’Yliria, mais je répondis ce qui me semblait être la bonne chose, quoi qu’un peu vague.
« Un couple… Ça se soutient. Ça passe de bons moments. Ça se dispute. Un peu comme avec un ami, mais en plus intense. En plus beau. Parce que c'est avec l'autre qu'on veut tout essayer, vivre, partager. C'est... ma définition du couple.
- C'est... Plus simple que je ne le pensais, pour être franche, dit-elle en se redressant, son regard fixé sur moi.
Elle se pencha sur moi, déposa un baiser sur ma joue et me demanda après un instant d’hésitation si je voulais bien me mettre sur le dos.
- Tu voyais ça comment ? dis-je en m’exécutant, un peu intrigué par sa demande.
- Plus stricte, plus... demandant... je n'ai pas vraiment de point de référence... »
Le sujet de sa famille devenait vraiment un point qu’il fallait aborder. Mais j’avais d’autres chats à fouetter, et notamment l’audace d’une semi-Shaakte se mettant à califourchon sur moi. Un peu ébahi, je vis son visage s’empourprer violemment alors qu’elle avouait avoir toujours eu envie de faire ça. Je cachais le brusque élan de désir qu’elle enflammait en moi derrière un sourire tandis que je surprenais mes mains être déjà posées sur ses hanches.
« Je me demande d'où t'es venu cette envie, mais c'est pas pour me déplaire...
- Je ne sais pas trop... Une idée que je me faisais et que je trouvais plaisante. »
En fin de compte, elle avait peut-être aussi des envies qui se réveillaient naturellement ? Bon, elle ne semblait pas quoi faire après et l’avoua d’elle-même, mais c’était un bon début. Je devais donc… La guider ? Je glissai lentement d’abord mes petits doigts, puis mes annulaires sous sa tunique et la peau ferme, légèrement chaude que j’atteignis m’envoya un frisson de plaisir et d’excitation, autant que je la fis frémir. Je voulais prendre mon temps avec elle, ne pas précipiter les choses. Mais elle ne m’aidait pas vraiment… Oh, et puis merde...
« Mais non Yli, c'est très bien. Laisse-toi guidée par tes envies, invitai-je d'une voix douce en plongeant mon regard dans le sien.
- Tu dis ça comme si j'avais la moindre idée de ce dont j'ai envie...
- Tu avais envie d'être là-haut, pourtant... »
Le majeur glissa lui aussi sous le tissu, mais de ma main gauche seulement. L’autre main quitta sa hanche et se dégagea doucement de celle d’Yliria avant de faire lentement remonter mes doigts le long de son bras, son cou, puis se lover sur sa joue, pour l'inviter à se pencher.
« Laisse-moi te montrer, alors... »
Son corps suivit ma main, s’appuyant toujours un peu plus contre le mien. Ses cheveux blancs cascadèrent, encadrèrent a vue et rapidement il n’y eu plus qu’elle. Mes yeux ne pouvaient que la voir, et mon être tout entier ne voulait qu’elle pour ciel à ce moment-là. Alors quand elle me demanda de lui montrer, je laissai brièvement la passion prendre le contrôle de moi. Sans un mot de plus, je terminai de l’attirer à moi pour l’embrasser, légèrement au début, puis progressivement de plus en plus passionnément. Ma main se retrouva à un moment main dans son dos complètement sous le tissu et caressa encore et encore chaque recoin de sa peau, découvrant avidement la moindre parcelle. Je la sentais réagir, réceptives à ma bouche comme à ma main. Le souffle court, je quittai à regret ses lèvres en mordillant très doucement sa lèvre inférieure pour lancer une traînée de baisers sur sa mâchoire avant de continuer dans son cou, plongeant le visage d'Yliria dans le mien. Ses soupirs à chaque fois que mes lèvres pincent tendrement sa peau, ses petits soubresauts et cris quand ma langue caresse sa peau sombre, tout cela me donna terriblement envie d’elle. A tel point que ma main désormais libre s’était dirigée vers les rebords de sa tunique pour la retirer, ce qu’elle facilita en se cambrant légèrement.
Le vêtement me ralentis quelque peu dans l’exploration de son cou, mais une fois complètement retirée et jeter négligemment sur le côté -l’endroit où elle atterrissait était le dernier de mes problèmes-, je repris mes caresses et baiser là où je les avais laissés. Je profitai simplement du contact avec la peau chaude et douce de la semi-Shaakte tout en continuant d'embrasser là où ma bouche se perdait.
La partie rationnelle de ma personne finie par reprendre le dessus, et je mis un peu de distance en m'enfonçant dans le matelas pour plonger un regard brillant, un peu fiévreux, dans celui de la jeune femme.
« Arrête de me fixer comme ça... On dirait que tu vas me manger...
- Et toi, arrête de me donner de mauvaises idées. Puis t'as qu'à pas être aussi belle, c'est pas ma faute.
- Comment ça de mauvaises idées ? »
Je dégageai l’unique mèche de cheveux sombre pour la passer derrière son oreille, dévoilant un peu plus un visage qu’il me tardait de regarder avec tendresse chaque jour. Me souvenant du massage de l’avant-veille, je laissai trainer le bout de mes doigts sur la pointe de son oreille. La réaction ne se fit pas attendre : un petit cri s’échappa de sa gorge, la faisant se redresser comme par réflexe.
« Arrête ça... C'est sensible !
- Ah bon ? » rétorquai-je d’un sourire narquois, avant que mon sourire se crispe.
Dieux, qu’elle était belle. La lueur de la chandelle allumée dessinait les contours de la jeune femme, surtout ses attributs les plus féminins qui maintenant qu’ils n’étaient plus comprimés par ses bandages, révélaient une rondeur qui fit manquer un battement à mon cœur. Anthelia avait un corps bien entretenu, mais celui d’Yliria était réellement athlétique : la taille fine, des abdos finement tracés comme tout l’ensemble de ses muscles dont les ombres projetés par l’unique source de lumière révélaient la présence. Mon corps réagit malgré moi, et j’espérai qu’Yliria ne sentirai rien depuis sa position sur mon bas-ventre.
« C'est... euh... »
J’avais le souffle coupé. Je bégayai, mes maigres capacités cérébrales encore actives peinant à savoir ce qu’il était bon de faire. Lâcher la bride ? Se contraindre ? Temporiser ?
« Aki... Je vais pas m'enfuir si tu me touches ou me regarde... »
Le contact de sa main dans la mienne appela intuitivement mes doigts à vouloir s’entrelacer avec les siens. Sa voix douce comme son regard me rappela à mes devoirs, à ce que j’avais décidé de faire.
« Je sais, c'est juste... pour moi. »
M’aidant de mon autre main, je me relevai pour lui faire face, à quelques centimètres d’elle, assise sur mes cuisses.
« Te voir m'a donné très envie d'aller plus loin, avouai-je,
mais j'ai dit que j'irais à ton rythme. Ça demande juste un peu d'effort pour me contrôler. »
Mon regard glissa de nouveau sur ce qui m’étais offert. Son ventre, son dos… Immaculés. Vierges des horribles traces que j’avais vu, des mois auparavant, lors de notre première rencontre. Mon doigt suivi un tracé imaginaire d’où elles avaient pu être, marques d’horribles sévices qui m’avaient à l’époque poussé à la sauver. Comme je me bénissais d’avoir agis ainsi à l’époque.
« Je sais ce qu'elles représentaient pour toi... Mais je te préfère quand même sans tes cicatrices.
- J'ai fait mon deuil... elles m'emprisonnaient plus sûrement que les fers qui m'ont maintenu quand on me les a infligées. C'est du passé maintenant. »
Elle se cambrait sous mon toucher, mettant encore plus en avant les seins qui mettaient ma résolution à rude épreuve.
« Et je t'ai dit que je ne saurai pas décider... tant que je ne dis pas non... tu peux... »
C’était une invitation. Une invitation à quelque chose qu’Yliria ne connaissait pas. Il voulait l’initier à ce que l’union charnelle avait de mieux, mais est ce que c’était le bon endroit ? Le bon moment ? Est-ce que le faire dans une chambre d’auberge poussiéreuse, aux draps non lavés depuis plusieurs mois -la fierté de la tenante de l’établissement- au milieu d’une quête périlleuse était une bonne chose ? Je voulais lui offrir le meilleur. Alors après l’avoir embrassé une dernière fois, passionnément, je me reculai. Et Valyus savait ce que ça m’avait coûté.
« Même si lui en a très envie, dis-je en pointant d'un doigt mon entrejambe pour ensuite poser la main d'Yliria sur mon torse au niveau du cœur,
lui préfère prendre son temps. Et t'offrir une première fois dans un lieu un peu plus... Charmant. Et propre.
- D'accord... » fit-elle en replaçant une mèche tombant devant ses yeux.
(Non, Yli... Si tu me dis ça comme si t’es déçue, comment je suis sensé résister…?)
« Et puis... je n'ai pas envie de tomber enceinte pour le moment... Ce n'est pas vraiment la situation idéale...
- Ce n'est pas un problème ça, il suffit d'être prudent, répondis-je avant d’ajouter, un peu hésitant :
Je peux... essayer de te faire découvrir un peu quand même, si tu veux...
- Quoi, on peut refuser de tomber enceinte ? »
Elle me fit rire. Mais est ce que c’était pour mieux me prendre en traitre ? Les femmes étaient décidément terrifiantes, car ce qu’elle dit…
« C'est.... J'ai pas envie d'avoir de regrets, et qui sait ce qui peut arriver demain... »
… N’avait aucune chance de me laisser de marbre. Pas avec l’intense regard passionné qu’elle m’adressa en même temps. Je fermai les yeux, essayant de reprendre le contrôle sur le désir qui m’animait. Usant d’une stratégie vieille comme le monde, j’invoquai dans mon esprit les images de choses qui devaient étouffer mon désir. Des répugnantes, des grotesques, des bizarres. Rien n’y fit. Je sentis toujours l’extrémité de mes doigts trembler, impatients d’assouvir le feu que j’essayai de contenir. J’ouvris donc les yeux pour lui adresser le sourire le plus tendre et amoureux dont j’étais capable.
« Au moins, j'aurais essayé. »
D’une impulsion du bassin, je la fis basculer sur le dos et suivit le mouvement. Me trouvant désormais au-dessus d'elle, ma main agrippa sa nuque pour l'embrasser avec une intensité croissante allant de paires avec mes doigts découvrant les courbes féminines de la jeune femme. De sa gorge à la naissance de ses seins, de ces derniers à ses hanches… J’explorai de nouveau, sentant son corps se tendre sous chacune de mes caresses.
« Aki... ? »
Elle avait profité d’un moment de répit pour m’appeler. Sentant une tension dans sa voix, je m’étais stoppé.
« Yli... ?
- Je... je t'aime… »
Le savoir et l’entendre était deux choses différentes. Je me stoppai un instant, donc, savourant l’ampleur de cette révélation qui n’en était pas une. Je prenais une nouvelle fois conscience qu’esprit et âme n’étaient pas séparés sans raison. J’étais la personne qu’elle aimait. Elle était la personne que j’aimais. Elle me l’avait dit, alors je devais lui dire.
« Je t'aime aussi. »
Ce qui suivit ne fut qu’une tempête floue de souvenirs, de sensations et de murmures. Caresses et baisers n’avaient fait que s’amplifier, découvrant petit à petit son corps pour connaître les zones qui lui étaient sensibles. Ses doigts se crispaient dans mes cheveux, sur ma peau, répondant à mes attaques toujours plus passionnées. Les braies avaient fini par tomber sans que je m’en rende trop compte, ouvrant de nouvelles perspectives à moi comme à elle. J’avais mené la danse, mais l’avait invité à aventurer sa main dans des endroits qu’elle n’avait jamais touchés.
Puis vint Le moment. Tout ce dont je me souvins, ce fut le regard tendre que nous nous sommes échangés, avant de prendre l’innocence d’Yliria. Elle n’était pas expérimentée, aussi m’étais-je cantonné à ce qui était le plus simple, le plus doux. La première étape avait été délicate, mais la suite s’était bien passé. Ses doigts s’étaient enfoncés un peu plus dans mon dos, mes cheveux ; sa voix étouffée avait raisonné dans mon cou dans lequel elle avait enfouis son visage, diminuant cris et gémissements. Et même si la passion avait dominé cette première union, mon bon sens n’avais pas été complètement écarté. Lorsque je m’étais finalement laissé tomber sur le dos, transpirant, j’avais nettoyé le ventre d’Yliria avec un morceau de feu la chemise de Mathis.
« C'était donc de ça dont tu parlais... la prudence...
- Oui, mais c'est pas toujours évident, t'as bien vu...
- J'ai senti, surtout... »
Riant doucement en fixant mon visage, elle essuya une goutte coulant sur mon front.
« T'es encore plus en sueur que quand on s'entraine au combat... »
J’embrassai son front, l’attirant pour qu'elle pose la tête sur mon épaule. Ma poitrine comme mon cœur se calmait progressivement tandis qu’un sourire heureux, fatigué, ornait mon visage. Mais avec une pointe de malice s'insinuait elle dans ma voix.
« C'est parce que j'ai fait tout le travail... On échangera de position la prochaine fois. Tu as "toujours eu envie de faire ça", non ?
- Très malin... » dit-elle en posant la tête sur mon torse. A moitié sur le ventre, elle reprit son souffle comme moi avant de me demander de garder notre relation pour nous auprès des autres, ce qui ne me gênait absolument pas.
« Ils n'ont pas besoin d'être au courant, donc ça me va. Même si ça finira par se savoir... »
Machinalement, mes doigts allèrent d’eux même peigner lentement ses cheveux, démêlant grossièrement ces derniers. Il vit du coin de l’œil ses yeux se fermer de contentement.
« Je sais... mais j'aimerais éviter des tensions supplémentaires...
- Des tensions ? Pourquoi ça ? m’intriguai-je, avant qu’elle ne me demande de ne pas me mettre en colère, ce que j’acceptai tout naturellement bien un peu soucieux.
Bien sûr ?
- Il y a quelques jours, peut-être un peu plus d'une semaine, Jorus a ... admis ses sentiments pour moi... Et ce soir, il a ... disons qu'il a été honnête sur ce qu'il aurait aimé faire s'il était à ta place en ce moment. Je lui ai dit que je ne le voyais pas comme ça et il a compris mais... j'aimerais éviter qu'il y ait de la tension entre vous...
- Oh. »
C’était… Une nouvelle qui à la fois me surprenait, tout en me paraissant normale. Yliria était une jeune femme très attirante, et Jorus était un homme comme les autres en plus d’être assez proche d’elle. C’aurait été injuste que je lui en veuille d’avoir des sentiments pour elle.
« C'est pas comme si je pouvais lui en vouloir, je suis bien placé pour comprendre son intérêt pour toi. Autant les autres ont pas d'intérêt à savoir pour nous, autant lui... Devrait être mis au courant.
- Tu es sûr ? Je... Je veux pas le faire souffrir... Je l'ai repoussé et d'un coup je lui annonce qu'on est ensemble ? Ça me semble cruel de lui dire de cette manière...
- Tu le connais mieux que moi, je te laisse décider si c'est mieux de le ménager ou d'être honnête avec lui. S'il l'apprend plus tard de lui-même, il pourrait t'en vouloir tout autant. »
La situation n’était pas facile, et je ne voyais pas de bonne façon d’annoncer la chose. Jorus, malgré son tempérament assez marqué, restait quelqu’un de sensé. Au final, il comprendrait que leur relation n’avait pas été décidé pour lui causer le moindre tort, mais il fallait quand même ménager la forme. Et pour Yliria, ce n’était pas quelque chose de simple à annoncer. Ma main se porta sur le flanc de mon amante, caressant du pouce son ventre.
« Je peux m'en charger aussi, si tu préfères, proposai-je, ce qui me valut une moue grimaçante.
- Non j'aimerais éviter que tu lui en parles... écoute, je pars dans deux jours, j'aviserai quand cette histoire avec Guigne sera terminée. »
Elle se tut un instant avant d’ajouter sur un ton mi-amusé, mi-inquiet.
« J'espère juste qu'il ne va pas utiliser son monocle au mauvais moment...
- Si je suis le messager, il n'y a pas de raison qu'il ait besoin de le faire. Et en parlant de partir... Tu comptes toujours retourner sur Yuimen ? Après Guigne ?
- Mon problème était surtout lié à Silmeria. Maintenant que cette connasse a foutu el camp, je n'ai pas de raison de partir. Et puis je n'ai pas vraiment envie de te laisser seul ici...
- Elle a pas foutu le camp, elle est juste plus avec nous... qui sait quand on la recroisera. »
Sa sollicitude me touchait. Mais il était peut-être temps que je lui introduise une autre facette du couple.
« Dit Yli, commençai-je d’une voix douce,
si j'avais envie de partir mais que je me forçais à rester pour toi malgré le danger, tu le prendrais comment ?
- Je dirais que c'est une belle idiotie... Et une belle preuve d'amour aussi...
- On est d'accord, alors. »
Je posai un léger baiser sur ses lèvres.
« Si rester ici devient trop dur pour toi, je veux pas que tu te forces pour moi. J'aurai pas besoin que tu me prouves que tu m'aimes, d'accord ?
- D'accord... Je reste par devoir, si ça peut te rassurer. Ta présence est... un agréable ajout dont j'aurai du mal à me passer. »
Parler de « devoir » à un Ynorien était quelque part osé, mais je me contentai de sourire.
« Je serai ravi d'être ton agréable ajout si tu veux bien être le mien.
- Je ne l'étais pas déjà ? dit-elle en désignant son corps nue, que je ne put m’empêcher d’admirer.
- Mmmh... sous toute ton armure et tes bandages, je pouvais pas bien voir, moi.
- Profites-en tant que tu le peux alors.
- Il faudra pas me le dire deux fois. »
C’était une invitation attrayante, renforcée par un baiser sur la joue. Bien que tentante, je préférai garder le souvenir impérissable de ce qui c’était passé et m’arrêter là. Mon torse m’élançait par moment, et la présence d’Yliria ne pouvait pas me faire oublier et cette douleur et le malaise claustrophobique éternellement. Je ne pus cependant pas empêcher mon bras de descendre le long des ses courbes, aussi loin que mes doigts pouvaient aller. Sentir Yliria se coller plus à moi pour réclamer des caresses sur plus de sa peau était la meilleure des récompenses.
« J'aimerais passer la journée entière comme ça...
- Je te propose toute une vie, et toi tu te contentes d'une seule journée ? dis-je d’un ton faussement offusqué, ce qui la fit se relever et me scruter avec attention.
- Il faut bien commencer quelque part... J'accepterai ta proposition si on survit à ce voyage... et que tu y mets la forme. »
Ma boutade avait été prise au premier degré. Sur le coup, cela me prit un peu au dépourvu. Mais je me fis rapidement une raison : je n’étais pas le genre de personne à fréquenter une autre pour le plaisir d’une relation passagère. J’avais aimé Anthelia et j’aimais désormais Yliria dans l’optique de n’avoir personne d’autre à aimer. Le mariage n’était donc qu’une continuité normale.
« Ça tombe bien, j'ai déjà quelques idées... »
Au fond de ma sacoche, il y avait encore le cœur de golem qui ferait à n’en pas douter un bijou de grande qualité. L’offrir à Yliria ne pouvait que me faire plaisir.
Un brusque coup de fatigue me submergea soudainement, cumulation des événements survenu et de la plénitude que m’offrait la présence de mon amante. Du pied, j’attrapais le bord du drap qui était tassée au bout du lit et le ramenais sur nos corps entrelacés, tout en la serrant un peu plus contre moi. Son corps restait chaud et agréable : le sommeil n’allait pas tarder à me gagner, et pour rien au monde je ne l’aurais repoussé.
« Donc c'est ça que j'ai senti la nuit dernière... obsédé… »
Son ton amusé et sa virilité encore bien active le firent sourire, et il se préta au jeu bien que commençant petit à petit à sombrer dans le sommeil.
« Moi, Akihito Yoichi d'Oranan, plaide coupable le crime que même grelotant dans le froid en haut d'une montagne, je trouve la vice-commandeur de la commanderie de Tulorim des Danseurs d'opale Yliria Varnaan'Tha absolument charmante.
- Petit malin... »
La sentir pouffer contre son épaule provoquait en moi un sentiment de satisfaction et d’accomplissement. Je la faisais rire, je la rendais heureuse ; qu’est-ce que je pouvais demander de plus, à ce moment-là ? Je tournai la tête pour embrasser une dernière fois ce qui était à la portée de mes lèvres, les yeux clos, caressant lentement la crinière d'Yliria.
« Merci d'être là…
Se furent ses lèvres douces, aimantes, enivrantes, qui me répondirent et reçurent les siennes.
« Me remercie pas pour ça, voyons.... Bonne nuit Aki... »
Enveloppé d’un amour que je savais réciproque, je me laissai, pour la première fois depuis des mois, glissé dans un sommeil que je regrettai presque.
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Le réveil prit des airs de rêve éveillé pour Akihito. Serrer Yliria dans ses bras, sentir la chaleur de son corps nu contre le sien, c’était une des raisons qui l’aurait poussé à se rendormir avec la plus grande des joies. Malheureusement pour lui, la faible lumière s’échappant à travers les volets fermés indiquait que le jour se levait : s’ils voulaient que leur relation reste secrète pour l’instant, il lui fallait partir bientôt. Mais comment pouvait-il l’abandonner…
(Tu la reverras dans quelques minutes, tu sais.)
(Amy… Merci.)
(Y a pas de quoi. Tu sais que t’en as, de la chance ? Alyah s’est pas privée pour taquiner Yliria, elle. Avant, pendant ET après.)
(Je sais bien que t’es formidable,) s’amusa l’enchanteur, sachant la difficulté qu’avait sa Faëra à laisser ses maîtres s’attacher amoureusement à d’autres personnes. Embrassant tendrement la joue de la jeune femme, il se leva en essayant de ne pas la réveiller, ce qui fut peine perdue. Il quitta difficilement son étreinte, et enfila rapidement les quelques affaires qu’il avait encore d’intacte. Il devait vraiment passer par un tailleur, s’il ne voulait pas de balader torse nu sous son armure.
S’approchant de la porte, il tourna un dernier regard vers la belle somnolente. Gagné par ses courbes attrayantes, il ne put résister à l’envie de la rejoindre une dernière fois.
« Si on doit faire comme si rien ne s’était passé cette nuit… Je vais avoir besoin d’un petit quelque chose pour tenir la journée. »
Jouant le jeu, elle se retourna vers lui et passa un bras derrière son cou pour accepter son baiser, avant de lui souffler qu’il pouvait toujours revenir la voir le soir même pour éviter de ne le faire qu'une fois. Il dût se faire violence pour ne pas se redébarrasser de ses affaires pour la rejoindre de nouveau sous les draps.
« La journée risque déjà d'être interminable, la rallonge pas non plus.
- Qu'est-ce que ce sera quand je serai partie... ajouta-t-elle en s’étirant langoureusement, dos à lui.
- J'aurais pas ton joli minois sous le nez, ça sera plus supportable. »
Profitant de la vue, il rajouta avec un soupçon de regret bien visible.
« Mais pas de beaucoup.
- Hmmm. Tu comptes faire des allers retours à quel intervalle ?
- Je peux me déplacer une fois par jour. Maaaaaalheureusement, exagéra le jeune homme,
je dois attendre une nuit pour que mon pouvoir soit réutilisable... Donc je passerai tous les deux jours au mieux, et je devrai rester dormir avec vous... Quel dommage.
- Ça veut dire que tu devras passer la nuit avec moi ? je te plains, mon pauvre... veillons à ne pas trop espacer tes venues, sinon je ne donne pas cher de ma peau...
- J'y veillerai, ma dame. »
Jouant de ce jeu qui lui plaisait, il fit une noble parodie de courbette à son intention avant de lui souffler un baiser bien plus personnel. La porte finit alors par se refermer, le séparant d’Yliria. Adossé au bois, il soupira. Ça y était. C’était fait. Gravant chaque souvenir de la nuit passée dans son esprit, Akihito alla jusqu’à sa chambre, le pas léger. Il avait une nouvelle raison de revenir vivant d’Aliaénon, et il comptait bien le faire.