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par Sirat » sam. 1 oct. 2022 18:38
Les vivants ne se distinguaient plus des morts, leurs corps noyés dans ce marais de chair et de sang. Ils titubaient et s’enlisaient tout en faisant face à l’horreur. On ne pouvait trouver de nom à cette chose tant elle sortait des limites de l’entendable. Ils n’étaient plus que portés par un instinct, celui de survivre à cette fin qui semblait maintenant si proche. Les héros se retrouvaient unis, malgré leur différence et ils défiaient encore et encore cet ange lugubre qui déployait ses ailes de cendre sur l'horizon.
Chacun leur tour, dans une dernière bravade à leur destin ils lancèrent leurs dernières forces et frappèrent ce qui avaient été la magicienne noire. Elle n’était plus qu’un corps momifié, séché. On voyait les striures de son anatomie se dessiner autour de ses os. Sa peau blafarde se nimbait d’une toile carmin déchiquetée, l’enveloppant partiellement. Sirat, le crâne lacéré par des douleurs qui irradiaient sa colonne jusqu’à ses jambes, se redressa, pour voir son bouclier qu’il venait de lancer frapper la gueule de la monstruosité. Simaya leur avait donné l’unique chance et ils l’avaient tous utilisés, maintenant cette ère allait s’achever.
En haut dans le ciel ombragé, l’image de la déesse venue tenir tête à Oaxaca se dissipa. Brisant les ténèbres un navire, recouvert d’or, s’extirpa de cette mère de nuages. Un aynore, Frégate volante, des plus magnifique, descendit lentement. Il était accompagné d’une volée d’oiseaux au plumage rouge que l’humoran n’avait encore jamais vue. Il était immense, sa coque éblouissait les survivants.
Sirat chancelait, les dieux l’avaient écouté. Il ne tarda pas à se poser et un trait de lumière dessina sur la coque un sas qui s’ouvrit. Six chevaliers en armure dorée descendirent. Ils escortaient trois êtres qui semblaient flotter sur le tapis de cadavre, leur mouvement ralentit laissant entrevoir une beauté sans égale. Deux étaient des elfes, au teint opalescent, aux yeux ambrés, un homme et une femme. Comme pour l’unique Sirat ressentait la paix intérieure qui se dégageait de leurs présences. Ses douleurs s’apaisèrent quelque peu. Une aura lumineuse de paix cernait le dernier, un homme à la peau noire, vêtu d’une armure blanche cernée de dorure, qui ne pouvait être que le Roi de Yuimen, Koushuu.
Le zélote avait la gorge sèche. Sa gorge aride lui faisait mal à chaque déglutition.
Le premier elfe prit la parole d’une voix puissante mais calme, les mains jointes par les doigts dans une position de maîtrise et de pouvoir.
« Peuples mortels, sachez qu’aujourd’hui les Dieux ont entendu votre voix. Ils ont senti la souffrance et la mort se déchaîner, ils ont pris pitié de vous, ils ont compris votre volonté ferme de punir Oaxaca pour ses actes. Nous sommes les émissaires des dieux, je suis l’Envoyé de Zewen, sa bouche et son visage en ce monde. Et aujourd’hui sonne la Fin d’une Ere pour Yuimen. »
Il se tourna vers Oaxaca, toujours liée par le lasso d’or. Les âmes s’étaient tues, disparaissant. L’orage aussi. Des rayons de soleil vinrent frapper le sol et les cœurs des naufragés.
« Oaxaca, fille de Thimoros, vous êtes accusée de maux majeurs sur cette terre. Le jugement de Zewen est implacable : vous devez quitter ce monde pour venir vivre sur Nyr’Tel Ermansi, à la place qui vous y attend : au sein de nos geôles divines, sous la surveillance de votre nouveau Gardien : Koushuu, Roi de Yuimen, Souverain de Kers et dieu mineur de l’Ordre. »
Le Roi de Yuimen s’avança parmi les aventuriers, fendant leurs rangs. Il attrapa le lasso lumineux que la petite elfe noire tenait. Celle-là même que Sirat avait combattu. Il ramena sans aucune difficulté l'âme sordide de la magicienne vers le sol et la traîna vers le bateau des dieux. Oaxaca était défaite, Brytha était défaite, Sirat relâcha ses muscles dans un tremblement. Il posa un genou à terre, la tête encore lourde, mais l’esprit léger du dénouement et de son rôle dans celui-ci.
La femme elfe parla alors :
« Je suis Artanis Caliawen, porte-parole des Dieux élémentaires. Vous qui vous êtes battus, vous qui avez survécu, vous, les âmes héroïques de ce monde, insensibles au Pouvoir des Ombres, vous serez récompensés pour votre bravoure. Pour votre fidélité. Pour vos actes. »
Les six gardes sortirent de leurs lourdes besaces des bourses de cuir clair au fil d’or qu'ils distribuèrent.
Le seigneur gris, sbire de cette fausse déesse, que le zélote conspuait, se permit de dénigrer l’offre des dieux et celle de Zewen. Tout en se relevant difficilement Sirat l’insulta entre ses dents, crachant son venin. La douleur était trop grande et pourtant la rage et la rancœur envers cet impie l’était tout autant. Il ne put que marmonner un juron intelligible.
Son corps meurtri le brûlait et lui faisait regretter cet effort inconsidéré.
Il s’approcha et récupéra la bourse tendu vers lui, comme les autres le faisaient, le regard hagard, encore surpris que cela soit enfin fini.
Il reprit un semblant de dignité et s'avança en boitant du représentant de Zewen. Il se tenait encore la tête, mais il enleva son casque. L’air était frais, il inspira profondément . Devant l’elfe il posa un genoux à terre et inclina le visage vers le bas en signe de respect et de soumission la plus totale.
« Maître, pardonnez- moi, votre humble serviteur. Je ne vous ai pas servi aussi bien que je le voulais. Je suis votre obligé et je reste à vos ordres. »
L'elfe doré s'étant présenté comme la Bouche de Zewen rétorqua :
"Je ne fais que parler en le nom de notre maître à tous, humoran. Mais qui êtes-vous, vous dont la loyauté semble éternellement acquise ?"
Sirat écarquilla les yeux la tête baissée. Se pouvait-il qu’il se soit trompé qu’il ne soit qu’un simple fou. Qu’il est mal compris. Il serra le poings et se redressa.
« Je suis Sirat zélote de Zewen et j’ai entendu l' appel en Aliaenon »
L'elfe doré hausse les sourcils, surpris.
"Ooooh, l'un des zélotes. Je vois. Hé bien votre instinct est redoutable, en ce cas. Vous vous trouvez au bon endroit et au bon moment."
Sirat détendit son visage .
« Merci » « je caresse l’espoir de pouvoir vous suivre sur Nyr Tel’Ermansi, mais je reste à votre disposition et à vos ordres »
"Vous êtes le bienvenu, Zélote. Nul doute que notre Maître voudra vous rencontrer, et partager son savoir avec vous. Vous pourriez... en apprendre beaucoup."
« Si le Maître le veut, ce sera alors avec énormément d’honneur que j’accepte » « comment vous appelez vous? »
L'elfe doré va opina du chef et répondit doucement :
"Aucun nom ne saurait remplacer la fonction que j'exerce : elle est ma vie, mon éternité. Pour Zewen."
Sirat regarda l’elfe et lui tendit son salut « si cela ne vous dérange pas je dois régler quelques détails avant de vous rejoindre. Nul doute que votre aide me sera précieuse afin de me renseigner sur les usages une fois sur Nyr Tel’Ermansi , si vous m’autorisez à revenir vous voir »
"Bien entendu."
Il se retourna et contempla l’horreur. Depuis les charniers d’Esseroth il n’avait pas vu scène plus sidérante. Il passa sa main sur son visage fatigué. Les héros survivants se regroupaient par grappe anarchique.
Chacuns étaient encore pleins de frustrations, ils étaient l’avenir de Yuimen et celui-ci paraissait bien incertain au regard de leurs mines suspicieuses.
L’armée Garzok se trouvait non loin de lui, quelques pas tout au plus. Il évita de croiser certains regards, ceux de Xël ou de l’elfe noire, ils avaient fini dans le même camp mais pas pour les mêmes raisons. Et les chemins qui diffèrent du sens commun sont souvent mis à mal. Il n’avait pas envie d’en discuter ni de continuer à se quereller avec eux.
La horde des orks apparaissait plus proche, du moins ce qu’il en restait. Une masse éparse et circonspecte, ils piétinaient dans la boue, sans savoir quoi faire. Sirat prit la parole, tentant de se faire entendre du plus grand nombre.
« Garzok, Je ne suis pas un prophète, mais vous me connaissez. Je vous suis redevable, certains ici sont comme mes frères. Nous avons combattu ensemble, nous avons souffert à l'unisson. Je vous dois la vie. Mon destin est lié aux vôtres. Ceux qui n’ont plus de clans peuvent m' écouter. Il existe une cité dans le duché, votre cité Asterok. Rien ne vous sera donné, mais avec sueur, abnégation vous pourriez la faire renaître. Créez votre patrie. N’écoutez pas la parole d’un guide mais celle d’un frère d’arme qui vous conseille. Il me plaira de retrouver ceux qui auront choisi cette voie ou l’autre. Aujourd’hui, vous n’êtes plus sous le joug de personnes, vous êtes libres. »
Un murmure parcourt la horde. K’nee échangea un regard rempli d'interrogation, avec l’humoran. Puis il se retourna et les laissa avec leur choix. En rebroussant chemin, il croisa Sarl la louve et Karsinar.
Le prédateur prit la parole et coupa les réflexions du zélote.
"Nous allons gagner la Forêt Sombre d'Ynorie pour apprendre la nouvelle du massacre aux Blakalangs. Ils vont devoir reconstruire leur clan, et je les aiderai. Puis, il faudra rallier les orques sous une nouvelle bannière, ou leur permettre d'exister correctement selon leurs usages. Ca aussi, c'est un devoir que je m'oblige d'avoir."
Sarl poursuivi
"Et vous, homme-chat, vers quelle voie vous dirigez-vous ? Avez vous vu votre amie ? J'espère qu'elle ne vous juge pas trop durement."
J’ai proposé aux Garzok qui le voulaient d’aller à Asterok. Je ne sais pas si beaucoup suivront cette direction, mais je vous invite à y aller, c’est votre terre . Votre aide à tous les deux serait précieuse pour reconstruire et redonner sa grandeur à cette cité garzok.
il se tourna vers Sarl « seul Zewen peut me juger. Elle est vivante et j’en suis soulagé et heureux. Je n’ai pas put encore lui parler »
Karsinar va hocher la tête et répondre : "J'irai. Mais je ne prétends pas être un guide absolu pour le peuple garzok : il sait se débrouiller seul. Ne te trompe pas non plus de rôle."
Sirat opina du chef « non je suis zélote avant tout et je ne pourrais rien faire sans leur accord. C’est leur décision. Je leur propose ils disposent
il eut un rictus « j’espère cependant vous y voir tous deux pour y boire un verre »
"Nous n'y manquerons pas !"
Il les salua avec beaucoup de considération.
Il descendit un petit dénivelé boueux et salie par une mélasse noiratre de sang et de terre. Il récupéra son bouclier enfoncé dans une bute de terre. Il l’extirpa de cette mélasse non sans y laisser encore quelques forces. Il se dressa sur le monticule et observa l’assemblée se disperser ou s’amasser, dans cette foule il vit son amie. Elle était salie par les combats, mais l’amazone à la chevelure feu, se dressait fièrement au milieu de ce marasme
Elle s’approcha de lui et il fit de même, le cœur un peu perdu et serré.
« Tu es vivante c’est bien »
Elle le toisa visiblement contrarié par cette remarque.
Sirat resta perplexe « J’avais besoin de toi et tu n’es pas venu »
Elle lui fit la même remarque , elle lui reprochait d’être parti. Elle était calme et pleine d’assurance, son regard brûlait de passion.
« Alors nous avions tout deux besoins de l’autre mais nos destins prenaient des chemins différents. Je voulais que tu m’empêches de m’emporter et me permette de servir Zewen en accord avec une morale plus juste. Je l’ai fait seul, je n’ai pas toujours réussi. Pardon… » il prit une inspiration plus grande et souffla avant de reprendre. « Que vas-tu faire maintenant ? Car le destin m’appelle déjà et je suppose que tu as toi aussi des aspirations. »
Sibelle acquiesça à la première affirmation, elle était si calme, sa poitrine ondulait au rythme de sa respiration, lentement.
Elle se rapprocha et échangea avec lui, la fatigue l'étreignant elle brisait sa volonté. Il ne ressentait plus rien hormis ses vieux os qui lui faisaient horriblement mal et son cœur qui battait fort dans sa cage thoracique. Leur étreinte, leur adieux semblait irréelle dans ce décors infernale, elle luisait doucement et il leur semblait être seul au monde.
Le pirate, nonchalant, comme à son habitude s’avança et les interpella. Sorti de nulle part, il coupait court à cet instant qui appartenait maintenant au passé. Sirat avait conscience qu’il (heartless) avait été un levier important dans les rouages du destin. Il lui rendit un sourire, malgré sa déception de devoir quitter Sibelle.
Ils conversèrent vaguement tous les trois, pour Sirat sans s’en souvenir réellement. Son esprit semblait se détacher de cette ruine qui lui servait de corps. Physiquement et émotionnellement il arrivait à la limite de ce que son corps pouvait subir.
C’est Ezak qui réveilla ses vieux démons. Sa rage, contagieuse et sa colère s’infiltrèrent aussi rapidement qu’il débarqua. Il voulait en savoir plus sur son père. Sibelle diplomatiquement mais en restant ferme lui répondit. Sirat observa la jeune femme, sa position n’était pas facile, ses sentiments envers lui et les actions du zélotes avaient mis la rouquine dans une situation délicate. Sirat s’en voulait, mais il était trop tard pour les regrets et Sibelle n’en avait que faire. Elle gardait toute sa dignité et ne fléchissait pas ni avec lui ni avec les autres.
Ezak ne voulait rien entendre et l’humoran était incapable d’en dire plus, ses mains désiraient parler à sa place. C’est le borgne qui s’interposa avant que Sirat ne relance de vieilles rancunes. Il avait raison, écrasé le crâne d’Ezak ne ferait qu’attiser les véhémences des Xel et consorts et il n’avait pas besoin de cela, pas en cet instant. Sirat se calma.
Le groupe se sépara, et Sirat déambula vers le camp de la reine. Il n’était plus, la passion qui l’avait animé était un fer, un frein qui l’empéchait d'évoluer en tant que serviteur de l’infini.
Chaque pas dans la boue, chaque brimade comme cou d’épée dans l’eau le rapprochait de cette certitude. Le regard des survivants sur sa carcasse rebondissait sans le toucher.
Il se dissociait de tout ce qui faisait de lui, un homme en colère. Il voulu l’expliquer à la princesse.
Mais comment vouloir qu’ils comprennent. Il n’était plus un fils, ni un frère, ni un citoyen, il n’était plus que le bras armé d’un avenir aveugle à toute réclamation. Elle pouvait le bannir de ses yeux bleus profonds soufflant son aigreur pour celui qu’elle considérait comme un traître et un parjure, que les feuilles mortes dernier vestige de sa rancoeur à lui s’envolait sans laisser de trace.
Il tourna le dos à son passé, à cet enfant de Kendra-Kar.
Il était prêt, à devenir celui qu’il devait être, un zélote. Il savait que quand il les croiserait à nouveau ils seraient tous obligés de se plier au Dieu des Dieu, son maître.
Pas de compassion pour ce frère, qui n’était plus qu’un humain parmi d'autres. lui ne l’était plus. Il faisait enfin le deuil de tout cela.
Il monta sur l’Aynor, fit abstraction sans aucun effort des regards, des murmures et s’en alla au fond du bâtiment. Là recroqueviller se trouvait, l’assassine, plume, silencieuse.
Sirat s’approcha, fatigué il déposa ses mains sur le bastinguage et observa l’horizon noir, le champ de bataille s’ouvrait devant lui, immense et affamé, dégueulant ses morts sur un sol putride. il inspira l’air vicié de l’endroit.
Alors plume, penses-tu avoir fini ce que tu avais à faire ?
Elle leva un œil interrogateur vers le zélote, avant de replonger le visage entre ses genoux. Elle articula maladroitement comme ivre. L’Roi est mort Viv le Roi
Sirat esquissa un sourire, il avait compris son rôle, il n’y avait pas besoin d’en dire plus. il lui avoua son bannissement de la capitale Kendrane.
“Si Cromax n’était pas intervenu, sa sœur l'aurait rejoint.”
Il repensa à la discussion qui avait eu avec le métamorphe, étrange, il ne cernait pas ou il se plaçait. Il n’était peut-être pas qu’un simple perturbateur. Il chassa l’idée et les paroles de l’elfe de sa tête pour écouter la jeune femme.
Elle souligna l’ironie de son bannissement par un sarcasme, qui éclaira le visage de Sirat.
Il tenta de l’engager sur le chemin qu’il avait choisi, de lui suggérer une alliance, mais le poids des mots mal mesurer se retournait contre lui. Elle n'en revenait pas qu’il puisse encore parler et négocier après tout cela.
Elle lui demanda si il n’était pas fatigué et une marée d’épuisement le submergea et le fit choir sur le sol. Il se laissa glisser sur le parapet et lui répondit qu’il était plus que l’ombre de lui-même. Il leva les yeux au ciel, qui se rapprochait, l’aynor silencieux avait pris son envole.
Il faisait tout cela pour Zewen, et en même temps il admettait que la peur de ce qui allait se passer en haut pouvait en être aussi la cause.
Il extirpa une gourde de vin et il partagèrent entre paria quelques gorgées en silence, ils échangèrent un instant. Avant que le vin ne finissent de l’abattre. Il ferma les yeux, entendit son juron envers Zewen. Il laissa couler, elle faisait partie de la roue de la destinée qu’elle le veuille ou non.
Il se laissa emporter par le sommeil, le corps transi de fatigue. Quand il les ouvrit à nouveau, le navire était vide. Il ne savait combien de temps il avait dormi. Il attrapa sa gourde et bu une gorgée de vin pour se rincer la bouche, il se redressa encore fourbu par sa sieste et se dirigea vers la sortie et Nyr’tel Ermansi.