VIII L'étincelle d'un espoir.
IX Mutinerie.
Le temps passe sans que je n’aie de nouveau la venue de Cadmis. J’essaie de ne pas forcer et de faire semblant, pour garder un maximum de force. J’espère que cela ne va pas trop tarder, car l’impatience des hommes trahit l’arrivée proche. J’en parlais justement avec un camarade de chaînes il y a peu, me demandant où nous devrions être. Nous aurions dû atteindre le port depuis le temps.
"Je suis d’accord, on vogue depuis un bon moment maintenant. On est parti d’Oranan vers l’Imiftil et on a été pris sur le trajet. Cependant, même s’il s’agit de pirates de Darhàm, nous aurions déjà dû atteindre la cité portuaire." Dis-je en continuant mes suppositions. "La seule explication est qu’ils comptent nous vendre directement, va savoir pourquoi. Peut-être pour rentrer à Darhàm plein les poches. Comme Perailhon est aux commandes, les choses sont probablement différentes. S’ils comptent nous vendre comme esclaves, je doute qu’ils le fassent avec une cité inamicale envers le royaume d’Oaxaca du temps de son règne. Comme il fait de plus en plus froid ces derniers jours, pour moi la seule destination possible serait qu’ils nous conduisent à Pohelis !"
Voyant la mine désastreuse, j’ai bien vu que mes soupçons n’étaient pas dénués de sens. Y a-t-il quelqu’un à Pohelis qui serait ravis de m’avoir en tant que trophée ? Exhiber au bout d’une laisse, un de ceux ayant vaincu Oaxaca ? Cette idée provoque un frisson glacial à chaque fois que j’y pense.
(Dépêche-toi Cadmis !)
…
Alors que je suis de corvée sur le pont depuis plusieurs heures, l’apparition de la rousse provoque des sentiments mitigés. D’une part, j’ai une force envie de me venger et de mettre un terme à ce calvaire, mais d’une autre, la pression d’avoir toutes ces vies sur la conscience si jamais j’échoue est forte, presque handicapante. Cadmis jette un regard vers moi et désigne le sol à mes pieds. Elle semble insister et la distance entre nous diminuant, s’agace même un peu. Je ne comprends pas sa signification, mais heureusement que je ne suis pas seul.
(A mon avis, qu’elle veut que tu te baisses. Il faut faire croire à une insolation donc donne l'impression que tu ne te sens pas bien.)
(Je pense que ça ne va pas être dur à simuler !)
Je feins d’échapper mes affaires et tombe au sol en voulant les rattraper. Deux mains viennent rapidement à moi. Une à la taille pour me relever, même si la force n’y est pas et l’autre, au visage.
"Respire fort !" Murmure la voix de Cadmis
J’obéis et respire quelque chose de particulièrement désagréable. Une irritation qui s’intensifie avec le temps, au point d’avoir l’impression que mon nez sert de culture à du piment extra-fort. Ma main étant légèrement mouillée, j’en profite pour enlever quelques traces de poudre qui resteraient. Rapidement, une forte fièvre m’atteint, au point où je n’ai plus à feindre le malaise. Je tombe de nouveau au sol, haletant avec force, espérant me rafraîchir en vain.
"Qu’est-ce qu’il a celui-là ?" Demande une voix d’homme.
"Il a une forte fièvre. Je crois que c’est une insolation !" Répond Cadmis.
"Quoi ? Y’a un peu de soleil, mais il fait pas si chaud !" Réplique encore l’homme.
"C’est à vous de voir, mais je doute que votre capitaine apprécie le voir ainsi, alors qu’on arrive. Il a besoin de repos et surtout de manger convenablement !" S’agace-t-elle avant de le provoquer.
"Ou alors vous pouvez le jeter par-dessus bord comme les autres !"
(Heu...tu es sûr de toi Cadmis ?)
J’entends ses bruits de pas s’éloigner brièvement avant que l’homme ne l’interpelle.
"Ca va, ça va ! Allez, emmène-le ! Mais pas de coup fourré ou tu vas le regretter !"
Cadmis me soulève avec difficulté et m’entraîne dans une cabine à l’intérieur. Je me laisse tomber sur la couche, tandis qu’un homme un peu bouffi vient me saisir le visage pour m’examiner. L’effet de la poudre est toujours actif et la fièvre n’est pas simulée. Une aide précieuse pour m’aider à le tromper. Après m’avoir serré la mâchoire comme c’est pas permis, il me repousse le visage en grommelant quelque chose d’intangible, avant de déclarer vouloir passer régulièrement. Avant de partir, il détache le boulet à mes chaînes, pour le rattacher de nouveau en passant par l’armature du lit. Une façon de s’assurer que même si je me remets, je ne puisse pas bouger. Cadmis reste avec moi après que l’homme nous laisse seuls.
"Je t’apporte à manger et à boire. Repose-toi !" Puis elle s’approche de moi pour me déposer un oreiller avant de me murmurer.
"Tu en auras besoin pour la suite. Je compte sur toi !"
Elle quitte finalement la pièce, me permettant de dormir un peu. Mon repos est assez agité. Je parviens à dormir un petit peu et les quelques moments où je reprends conscience me montre que Cadmis m'a apporté à manger ainsi qu’à boire et que l’homme qui me surveille ne lésine pas sur les moyens pour me réveiller et s’assurer que je me porte mal. Lorsque je me réveille, ma faéra me pousse à me nourrir pour reprendre des forces. Puisque mon état n’est pas feint, les visites et les réveils se font moins fréquents et finalement, les effets de la poudre disparaissent alors que la nuit est tombée.
(J’ai pu me reposer et reprendre des forces, mais il faut absolument que je trouve un moyen de me libérer de mes chaînes !)
Je me relève pour observer correctement ce qu’il m’entoure. Il fait sombre, mais je perçois une table, une chaise et une commode en plus du lit. Je vais pour examiner plus en détail à la recherche d’une arme de fortune ou de quoi crocheter la serrure, mais la chaîne prise dans le lit, diminue considérablement mon champ d’action et m’empêche de les atteindre. Je n’ai qu’accès à la chaise en bois où se trouvait de quoi manger et une outre d‘eau à ses pieds.
(C’est à croire qu’il avait bien prévu son coup.)
(Il est certainement moins idiot qu’il n’en a l’air. Tu es sûr que tu ne peux atteindre la commode ?)
(Même si j’arrive à l’ouvrir, je doute parvenir à prendre quoi qu'il y ait à l'intérieur, mais c’est mieux que de ne rien faire !)
(Sinon il y a la chaise. Tu pourrais t’en faire un pieu ?)
(Non. Il faut que je taille le bois correctement pour qu’il soit utile et je te parle même pas du bruit en brisant un des pieds. Je vais essayer d’ouvrir la commode avec le drap.)
Je défais le drap sur lequel j’ai dormi et l’enroule pour en faire un simili de corde solide. Je réalise une boucle et voilà une prise de fortune ! J’use du drap enroulé sur lui-même pour essayer d’atteindre la poignée de la commode, mais je dois admettre que je ne suis pas très doué. Je tire un maximum sur la chaîne pour gagner du terrain, soulevant ainsi le boulet, mais en échouant une nouvelle fois, je perds l’équilibre et le boulet tombe lourdement, provoquant un bruit qui me fait craindre le pire. Rapidement, des bruits pas très rapprochés se font entendre : quelqu’un vient en courant. Sans plus attendre, je retourne dans mon lit et, ne pouvant le remettre à temps, cache le drap sous l’oreiller.
La porte s’ouvre avec force. J’ai les yeux fermés, mais je me doute de qui il s’agit. Je le reconnais à l’odeur particulière de sueur et d’alcool qui m’a accompagnée cette après-midi. Moi, je suis sur le dos, une main sur le ventre et l’autre sous l’oreiller. Les bruits de pas se rapprochent de moi. J’entends et sens qu’on tire sur les chaînes pour s’assurer qu’elles sont bien en place. Les pas se rapprochent, mais rien. Si ce n’est une forte odeur d’haleine chargée, contre laquelle je me force de ne pas réagir. J’entends la chaise bouger, les pas qui trépignent au sol et la commode qui s’ouvre. Je me permets d’ouvrir brièvement les yeux à ce moment et voit l’homme devant le meuble, me tournant le dos. Si la commode est hors de portée, ce n’est pas le cas du pirate. Je me redresse lentement sur ma couche pour me diriger vers lui et lorsque le bruit de mes chaînes se fait entendre, je n’attends plus. L’homme sursaute, mais il est trop tard. Il perd l’équilibre lorsque je l’agrippe par le pantalon et le ramène jusqu’à moi. Ma main droite passe le drap enroulé autour de son coup et lorsque la jonction avec la gauche se termine, je sers aussi fort que possible. L’homme se débat. Il me frappe de ses coudes et bat des pieds. J’encaisse ses coups et l’incline plus en arrière pour qu’il n’atteigne pas le sol et n’avertisse ses camarades. Sa gorge bloquée ne peut échapper le moindre son. Quant à moi, je reçois sans cesse des coups qui me font grincer les dents de douleurs. C’est autant une bataille de force que d’endurance. Le premier qui flanche à perdu. Le pirate lutte pour sa survie et moi, je me bats avec l’énergie d’un espoir retrouvé. Plus encore, si je parviens à me libérer, c’est tout un tas d’hommes et de femmes qui seront libres et prêts à se battre à nouveau. Cette idée, cette notion que des vies dépendent de ce moment et me donne la force de lutter. Au bout de longues minutes d’efforts, le pirate est vaincu.
Je vérifie plusieurs fois que ce n’est pas une duperie, tout en reprenant mon souffle après cet effort. Je le fouille pour trouver la clef de mes chaînes et délie ces liens qui m’ont trop longtemps entravés. Je ne prends qu’un peu le temps d’apprécier ce moment, avant de le déshabiller pour porter ses vêtements, ainsi que ses armes. Deux épées. Je ne suis pas à l’aise avec, mais c’est toujours mieux que rien. Avant de partir, je dispose le corps à ma place dans la couche et le recouvre du drap, juste assez pour laisser croire qu’il s’agit de moi. Pour ce faire, le boulet que j’attache à ses pieds m’y aidera. Une fois cela fait, je prends le temps de respirer. Les choses vont prendre une tout autre tournure lorsque je quitterais cette pièce. Je dois avoir l’esprit clair pour agir rapidement et sans hésitation. Une fois que mon cœur ne s’emballe plus par l’effort récent, je vérifie mon nouvel arsenal, me positionne devant la porte et l’ouvre lentement. Habillé de la sorte, il est préférable de garder mes armes rangées pour augmenter mes chances de passer inaperçu, si je me fais voir.
La porte ouverte donne sur un couloir sombre, mais dépourvu d’ennemi. Je vérifie une dernière fois que rien ne risque de faire du bruit en marchant, avant de m’y engouffrer. J’entends des rires, mais ceux-là proviennent d’assez loin me semble-t-il. Pour le moment, je ne croise aucun être.
(Prendre le contrôle du navire ne va pas être une chose aisée. Même si je défais la capitaine, il va me falloir éliminer ceux qui voudront prendre sa place : à savoir tout le reste de son équipage !)
(Tu ne comptes pas les tuer un à un je présume ? Ca va te prendre toute la nuit !)
J’arrive à une intersection lorsqu’un bruit de métal qui se brise se fait entendre, suivit d’une brève conversation inaudible et des bruits de pas rapides dans ma direction. Les lueurs faibles de la lune me montrent que le couloir poursuit droit devant et un autre accès se dirige à droite. De mémoire, le chemin menant aux prisonniers nécessite de prendre un escalier situé tout droit. Sans hésiter, je me dissimule dans la pénombre et place mes mains sur les gardes de mes épées, faisant coller à la perfection mes cuisses. Ca m’évitera de les cogner à cause du tangage. Je retiens ma respiration ainsi que mes pensées, tandis que mon pouls accélère si fort que je sens battre mon cœur jusque dans ma tête. Deux hommes passent par la droite, pour continuer le chemin droit devant moi, avec ce qui semble être des bouteilles de vins et du saucisson. Une fois éloignée, je reprends le luxe de respirer.
(J’ai surtout aucune chance, tu veux dire ! Durant la bataille de Kochii, j’avais armes, armures et équipements. Là, j’ai deux épées qui sont déjà trop longues pour moi !)
(Si tu as réussi à te libérer avec un drap, tu sauras utiliser ce que tu as !)
(Nous verrons. Pour le moment, il faut des hommes !)
Je file à droite le plus discrètement possible.
(Si tu voulais des hommes, pourquoi tu n’as pas pris le chemin menant tout droit ? Tu espères un autre accès ?)
(Il y a certes des hommes et des femmes, mais aucun n’a la force de se battre. Leur volonté leur a été piétinée jusqu’à la dernière miette ! Il faut raviver la flamme qui sommeil en eux en supprimant ce qui bloque leur esprit.)
(Je crois que je commence à comprendre où tu veux en venir et pourquoi tu te diriges ici !)
J’arrive à une porte et prends le temps d’écouter les bruits à l’intérieur. Rien. Je tourne délicatement la poignée et observe à l’intérieur : aucun mouvement suspect.
(Oui. Il y a une chose qui, selon moi, les retient plus que n’importe quelles chaînes au monde : une faim dévorante !)
Ainsi, je pénètre dans le garde-manger. Les lumières de la nuit ne sont pas assez fortes pour venir aussi loin. C’est donc à tâtons que je cherche à manger, mais aussi de quoi le transporter. Dans mon entreprise, je fais tomber plusieurs choses par terre.
(L’idéal serait le drap de ta précédente chambre !)
L’idée est bonne et son exécution ne se fait pas tarder. Plus confiant, je me déplace plus rapidement et atteint sans bruit ma destination. Je retourne à l’intérieur et d’instinct, mon regard sur porte sur le lit où le corps… s’y trouve toujours. Inerte et sans vie. Je ramasse un large drap qui fera office de sac pour tout transporter et retourne prestement au garde-manger. Toujours personne, parfait. Je dispose le drap au sol et y fous tout ce qui passe à portée de main : pain, fruits, viande séchée. Dans ma précipitation, je fais tomber certaines choses, mais qu’importe, je dois faire vite. Alors que je m’apprête à partir, une lumière survient là où se trouve l’unique sortie.
"Hey, mais qui je viens d’attraper ?" Ricane une voix d’homme.
(Merde ! Merde ! Merde ! Faut que je me débarrasse de lui !)
Les pas se rapprochent de moi et pendant ce temps, je laisse tomber les vivres et dégaine aussi silencieusement l’épée à ma gauche.
"La capitaine avait raison de penser que certains profiteraient de l’arrivée prochaine pour se péter le bide ! Je sens que je vais me régaler à te faire subir la punition pour un tel acte !" Continue-t-il en se rapprochant de moi.
L’homme n’est pas loin de moi. Sa lanterne se rapproche dangereusement et risque de dévoiler l’éclat de l’arme. Il me faut trouver une solution. Je ne suis pas à l’aise avec une lame aussi longue et pour compenser ce manque, je dois être aussi proche que possible. Ne frapper qu’une fois que je suis certain de moi, pour que ce coup soit mortel. Je cale donc la lame sous le bras gauche, pointant l’extrémité du métal derrière-moi et cachant la garde entre mes mains. L’homme se rapproche encore et se positionne dans mon dos. La lanterne éclaire l’intérieur du garde-manger, dévoilant les mets à l’intérieur. Mon ombre, qui prend déjà une part importante face à moi, prend des proportions énormes. Je n’en comprends la raison que lorsque je sens le souffle de l’homme sur ma nuque : il s’est penché sur moi.
"Alors à qui avons-nous affaire ? Erik ? Larz ?" Interroge-t-il en posant sa paluche sur le chapeau qui dissimule ma tête.
Mon déguisement est sur le point d’être dévoilé. Je tourne donc vivement la tête pour croiser brièvement le regard de l’homme, avant de porter mon attention plus bas. Dans le même temps, je place mon pied en opposition pour me servir d’appuis, oriente le bras pour diriger la lame encore invisible pour lui. Tous mes muscles agissent de concert. Mon corps entier se meut dans cet effort fulgurant. Mon bras gauche dévoile la lame, qui se voit propulsée par l’appui de ma jambe et la poussée de la main qui tient l’arme. L’épée transperce l’homme en plein cœur qui n’a le temps de réagir, si ce n’est un cri qui s’échappe de lui lorsque je le clou au mur, mais que j’étouffe rapidement en portant ma main libre à sa bouche pour l’en empêcher. Je lâche la garde pour attraper in extremis, la lanterne qui s’échappe de sa main. Son corps se détend finalement, lorsque la vie lui échappe. Son regard, encore plein de la stupéfaction qu’il vient de subir, comprenant que trop tard, qui je suis et ce que mon acte représente pour le reste de l’équipage pirate.
Désormais débarrassé de cette menace, j’ai le loisir de mettre dans mon drap, tout ce qui me vient. Il m’importe peu de prendre avec moi les récipients qui pourraient générer du bruit sur le moment, il faut être silencieux sur le chemin. Pour la même raison, je ne prends pas de vin. Si la faim assouvie fera jaillir un nouvel espoir, la soif toujours présente attisera leur vengeance, une récompense pour la victoire. Avant de partir chercher des hommes, je m’occupe de mon précédent adversaire. Je décroche l’épée faisant tomber le corps et le fouille avant de le jeter dans le garde-manger. J’obtiens une autre épée, ainsi qu’une lame courte.
(Enfin une arme qui me convient !)
La lumière de lanterne m’indique que le cadenas a été forcé. Sûrement les deux gros porcs qui m’ont précédé. J’éteins la lanterne et la dépose auprès de son défunt propriétaire. Je commence à être bien chargé avec mon gros sac de nourriture et mes armes. Je tâche de ranger le tout correctement. Le sac par-dessus l’épaule gauche, la dague sur mon côté gauche et toutes les épées sur ma droite. Ainsi, ma main directrice sera en charge de tenir les fourreaux pour qu’ils restent ensemble pour minimiser le bruit et la dague à ma gauche pour la dégainer rapidement. J’aurais bien apprécié quelque chose pour attacher les fourreaux, mais je rien d’utile ne me saute aux yeux et j’ai déjà perdu trop de temps. Je m’avance jusqu’à l’intersection et guette le moindre signe de présence : rien.
J’avance prudemment jusqu’à atteindre la soute, où se trouvent mes camarades prisonniers. Je progresse lentement, tous mes sens aux aguets à l’approche de mon objectif, qui je le crains, est gardé. Pas de lumière ! Je sais que je ne me suis pas trompé. Cela ne signifie qu’une chose.
(Pas de lumière, pas de garde !)
J’avance à tâtons, cherchant le verrou de la main. Je trouve le montant de la porte. Je descends jusqu’à atteindre le froid du métal et détermine la forme du cadenas qui ferme le tout.
(Je suis déjà pas foutu de crocheter en plein jour, alors dans le noir. Il ne me reste plus qu’à l’arracher !)
Il y a deux parties métalliques, un sur le montant et un autre sur la porte, le cadenas celant les deux parties. Je dépose mon sac de fortune, dégaine ma dague et la place entre le loquet métallique et le bois. Avec un peu de patience et de la force, je finis par entailler suffisamment le bois pour que la porte s’ouvre sans difficulté. Il me faut me dépêcher, car mon entreprise n’a pas été des plus discrète. Je reprends le drap et entre.
A mon arrivée, j’entends plusieurs personnes craindre cette étrange venue nocturne. Qui sait ce qu’un homme serait prêt à faire, s’il en vient à forcer la porte. Et c’est parmi ces personnes terrifiées que je compte commencer la mutinerie.
"Ecoutez-moi !" Fais-je clairement après avoir refermé la porte. Les voix se taisent, hormis quelques murmures.
"Je ne suis pas un de ces pirates, c’est moi, Jorus !" L’inquiétude et la stupéfaction reprend le dessus sur les esprits et commencent à provoquer une agitation que je coupe net.
"Taisez-vous !" J’ai pris un risque en parlant plus fort, mais cela aurait été pire si je n’avais rien fait. Je reprends ensuite plus calmement et parlant de façon clair pour ne pas hausser la voix.
"Nous avons été frappés, humiliés, violées pour certaines. On nous affame, on nous assoiffe, on nous fatigue jusqu’à l’épuisement et ce dans un seul but : saper notre espoir jusqu’à la dernière goutte pour empêcher toute rébellion ! Mais c’est fini !" Je laisse un léger silence pour que la graine de l’espoir renaisse à nouveau.
"Vous êtes des marins ! Vous bravez les dangers de la mer, des pires tempêtes, quand ce n’est pas des monstres marins. Avec tout ce que vous avez vécu, ces pirates ne sont qu’un défi de plus. Commençons par manger et ne faites aucune bruit !" Dis-je en déposant au sol le dras de vivre et donnant aux mains qui viennent à moi de quoi manger.
"Vous le savez, j’ai été présent durant la bataille de Kochii. J’ai affronté Oaxaca avec tant d’autres. Je vous ai nourri, je peux vous armer…" Je dépose au sol les épées dans le choc des fourreaux…
"j’ai besoin de vous pour prendre le contrôle du navire, mais il ne tient qu’à vous de vous libérer de vos chaînes !" Encore une fois, je m’arrête pour leur laisser prendre le temps de comprendre mes intentions.
"Alors, qui compte me suivre ?"
Personne ne pipe mot. Même si j’ai apporté de quoi calmer un peu une faim tenace, même si j’ai apporté des armes et la chance de se venger, aucun ne bronche à ma proposition. Est-elle folle ou suis-je arrivé trop tard ? Je sens qu’il ne faut qu’une étincelle pour allumer le feu, mais j’ai déjà fait tout ce que je pouvais.
"Si vous ne le voulez pas je ne vous obligerai à rien et irais seul !"
Je me retourne pour partir, abattu moralement, lorsqu’une voix féminine se fait entendre.
"Je ne peux plus subir un tel traitement. Je comptais mettre fin à ma vie, mais si je peux en emporter avec moi, se sera avec joie que je mourrais !"
Le silence s’installe à nouveau, lorsqu’une autre personne se joint à nous, puis un autre et encore un autre. Petit à petit, un effet de domino s’installe jusqu’à emporter l’ensemble des prisonniers.
"Nous n’avons pas la possibilité d’armer tout le monde. Il nous faut donc un petit groupe sachant se battre et capable de se faufiler discrètement ! Ensuite nous…" Derrière-moi, les bruits de pas se font entendre et une lumière confirme la venue de quelqu’un.
Je me cache donc dans un coin, entraînant avec moi le drap et attendant avec crainte cette présence imprévue, une arme courte en main, tandis que le murmure de la crainte s’installe parmi mes camarades d’infortune.
"Pourquoi diable la porte est-elle ouverte ?" Fait une voix masculine, avant de pénétrer à l’intérieur.
Sa lumière de la lanterne dévoile les marins debout, pieds et poings liés, avec un espoir brisé dans leurs regards. Ma présence étant passée inaperçu, je le vois s’avancer en me montrant son dos.
"Mais c’est quoi ce bordel ? Pourquoi vous êtes tous debout et…" Il s’avance un peu, percutant du pied les armes au sol.
"Mais qu’est-ce que… ?"
Il n’aura pas le temps de finir que déjà, je me suis avancé silencieusement jusqu’à lui. J’ai rassemblé l’énergie dans mon bras et au dernier moment, je bondis sur ma proie et plante ma lame dans la gorge. Si l’attaque ne lui est pas fatale sur le coup, il lui empêchera de hurler. Face à lui, tous sont figés par le spectacle. Tous sauf une personne. Une femme se précipite jusqu’à lui, ramasse une épée au sol et une fois dégainée, la lui plante profondément dans le torse, poussant de tout son être jusqu’à la garde. La vie s’échappe finalement du corps de l’homme qui tombe au sol, emportant avec lui la femme qui brise le silence de ses sanglots.