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Les yeux fermés, je suivis les indications du prêtre et laissai mes fluides parcourir mon corps tandis que je tentai de faire le vide, de ne penser à rien d'autre. Alyah me conseilla de me focaliser sur ma propre respiration et je suivis son conseil. Je me sentais, m'entendais inspirer, puis expirer, lentement. Je me concentrai sur cela, tentant de faire abstraction de tout le reste. De la rumeur diffuse qui me parvenait depuis l'extérieur. Des réflexions qui me prenaient depuis le début de mon voyage. Des regrets qui me suivaient partout où j'allais. Plus je cherchais à m'en détacher, plus j'y pensais, au final et finis par ouvrir les yeux, le cœur se mettant lentement à accélérer en pensant à tout ce qu'il ne fallait pas. Le prêtre ne semblait pas m'avoir quitté des yeux et m'invita à recommencer.
- Ne cherchez pas à ignorer, laissez ce qui vous gène passer. Comme si vous étiez au milieu d'une rivière. Vous n'avez qu'à laisser tout ça suivre son cours. Cela va vous atteindre, puis vous dépasser. Ce n'est pas un exercice évident, j'en conviens, mais vous me semblez en être capable. Puisez dans vos fluides, laissez les voyager à travers votre corps et votre esprit.
Je hochai la tête, pas vraiment certaine de comprendre sa métaphore de rivière, mais fermai à nouveau les yeux. A nouveau des pensées parasites vinrent troubler ma concentration, mais je tentai de suivre les conseils du prêtre et laissai couler. Plutôt que me concentrer sur ma respiration, je suivis le mouvement des fluides que je libérai selon les indication du clerc. C'était apaisant, cette sensation. Comme si je suivais une petite lumière au cœur des ténèbres, une source de bien-être dans les abîmes d'une vie difficile. Je perdis un peu la notion du temps en le suivant ainsi, ce mouvement des fluides, cette ondulation qui m'apaisait peu à peu. Rien ne disparaissait vraiment, il y avait toujours l'angoisse, la tristesse, le doute, qui traînaient dans les parages, mais cela semblait relégué au second plan, pour une fois, comme si, finalement, ce n'était pas le plus important.
- Votre visage s'est détendu... un thé ?
J'ouvris les yeux, surprise. Le prêtre n'avait pas l'air d'avoir bougé, mais il me tendait une tasse fumante que je pris délicatement, le remerciant du bout des lèvres avant de les tremper dans la boisson chaude. Un goût étrange fondit sur ma langue et, en voyant mon air surpris, il m'expliqua que c'était un thé provenant d'Ynorie, un pays voisin, et parfumé d'une fleur locale, dont lui raffolait particulièrement. Je l'écoutai en silence, sirotant la boisson qui semblait parfaitement adaptée à un moment de quiétude de ce genre. Lui fit peu de cas de son breuvage et vida sa tasse rapidement, s'en servant une deuxième à l'aide d'une théière blanche posée à côté de lui. Cette fois, il prit son temps, la sirotant de la même façon que moi.
- Maintenant que vous êtes plus calme, je pense pouvoir vous être utile, concernant la magie de lumière. Je pense que vous en avez compris une des applications, au moins.
- Me calmer ?
- Exact. Vous êtes encore jeune et novice, donc c'est un simple sentiment apaisant, mais avec l'expérience, vous serez capable de chasser les émotions qui vous pèsent lorsque cela est nécessaire. Je dois cependant vous mettre en garde. C'est un sentiment appréciable, mais nos émotions nous définissent en partie, et plus vous reculez l'échéance, plus elle frapperont avec force en revenant. Certains n'en supportent pas le contrecoup et j'ai déjà vu des braves devenir fou ou mettre fin à leurs jours tant la douleur ressentie était vive et intolérable.
- Je comprends... Je serai prudente.
- M'en voici ravi. La magie est une bénédiction, mais il faut savoir jouer avec ses contrecoups et ne jamais en abuser. Maintenant, je vais vous montrer quelque chose. Un exercice très basique, pour vous aider à mieux appréhender vos fluides et les diffuser de façon plus naturelle.
Se plaçant à côté de moi, il remplit à nouveau ma tasse de la boisson fumante et m'offrit un petit sourire avant de placer ses mains au dessus de la tasse, de chaque côté. Peu après, un cercle apparut. Un anneau se forma au dessus de la tasse, possédant plusieurs couleurs, comme un arc-en-ciel. Je fixai la chose, surprise et, bêtement, voulus la toucher, ne rencontrant que la vapeur et tirant un rire amusé au prêtre. Je le regardai, sans comprendre et il s'éclaircit la voix.
- Nous savons depuis longtemps que la lumière a des effets étranges lorsqu'elle se reflète sur de l'eau, de la glace, qu'elle traverse la poussière, la vapeur. Ceci, est ce qu'on appelle une gloire. C'est comme un arc-en-ciel, en plus petit et en forme d'anneau. Bien sûr, à l'état naturel il est bien plus difficile d'en voir, mais la magie a ceci de merveilleux que de tels phénomènes sont réalisables, même à notre échelle.
- Vous voulez dire qu'avec la magie je peux créer des arc-en-ciel ?
- Avec suffisamment de pratique et les bonnes conditions, oui, c'est possible. Vous voulez essayer ?
Je hochai la tête avec enthousiasme, le faisant à nouveau sourire et je plaçai à mon tour mes mains là où il avait placé les siennes. Je diffusais mes fluides, mais rien ne se passa et, sous ses conseils, je réduisis leur intensité, les diffusais de manière plus légère, comme si je voulais couvrir une plus large zone avec moins de magie. Je tâtonnai un moment, suivant ses conseils avec applications, avant de finalement voir un anneau apparaître. Il n'était pas aussi bien tracé que le sien, ni même aussi coloré ou net, mais il était là et cela ma suffit à me tirer un sourire.
- Vous comprenez vite et êtes persévérante. Je ne peux que vous encourager à trouver d'autres applications. La créativité est aussi un domaine que Gaïa apprécie, et il est bon de vous laisser trouver vos propres idées, cela ne peut que vous être bénéfique, là encore.
- Merci de vos conseils.
Il secoua la main, comme si mes remerciements n'étaient nullement nécessaires, et m'invita à boire mon thé avant de se lever. Je l'accompagnai et sortit, constatant par l'une des fenêtres que le soleil avait dépassé son zénith et qu'il était déjà l'après-midi. J'avais passé des heures ici, et n'avait absolument rien vu de la ville, mais je ne m'en plaignis pas trop. J'avais appris des choses intéressantes et me sentait un peu mieux qu'en entrant. Le prêtre me raccompagna à la sortie, faisant taire dans l’œuf les murmures qui se seraient sinon élevés à mon passage. Lorsque je fis face à la porte, je remis mon masque et me tournai vers lui. Il gardait ce visage serein et cet étrange calme qui ne semblait jamais vouloir le quitter.
- Merci beaucoup pour votre aide et... pour le thé.
- Le plaisir a été pour moi, jeune Yliria. N'hésitez pas à repasser ici, je serai ravi de m'entretenir à nouveau avec vous. J'espère que, d'ici là, vous aurez trouver le moyen d'ôter ce masque de votre visage. Il est dommage de cacher ainsi une personnalité comme la vôtre.
- Je... Comment...?
- Puisse Gaïa illuminer votre route, jeune Yliria. Et souvenez-vous. Peu importe à quel point les ténèbres sont épaisses et vous paraissent infranchissables, il y aura toujours une lueur pour vous guider, où que vous soyez.
Sur ses paroles, et sans m'expliquer davantage, il s'inclina et prit congé, me laissant là, pantoise, face à la sortie. Je restai immobile quelques instants, essayant de mettre une explication sur ce qu'il venait de dire, sans succès probant. Pas vraiment avancée, je tournai la tête et pris le chemin de la sortie, les paroles cryptiques du prêtre tournant en boucle dans ma tête alors que je m'aventurai à nouveau dans les rues de Bouhen.