<< Précédemment
Une voie lumineuse
Deux jours plus tard, dans une ambiance plutôt sereine, le navire, troquant son pavillon noir pour un de Kendra-Kâr, accosta au port de la ville humaine de Bouhen. J'étais à la fois excitée et anxieuse. C'était la première fois que je mettais le pied sur ce continent, aussi fis-je bien attention de suivre les conseils de Makan. C'était un port militaire qui abritait des chantiers navals, aussi il fallait faire profil bas en entrant dans le port. Par chance, les stigmates de l'affrontement avec les pirates de Malfred étaient encore visibles et Makan put sans difficulté faire passer ça pour une véritable attaque de pirate lorsque deux humains montèrent à bord pour jauger les nouveaux venus. Ça, ajouté probablement à un pot-de-vin, sembla les contenter et ils laissèrent Makan arrimer son navire, pour la plus grande joie de tout l'équipage.
- Bon ! Comme d'habitude, pas d'esclandre ! J'veux tout le monde sur pied pour dans quatre jours ! Si en retard, pas mon problème, on vous laisse sur place. Profitez d'votre solde !
Après des exclamations enjoués, ceux qui ne participaient pas aux manœuvres débarquèrent tandis que Makan s'entretenait avec son second pour ravitailler le navire et vendre ce qu'il avaient réussi à piller sur le navire marchand et celui de Malfred. Elvia et Jonas posèrent également le pied à terre, visiblement prêts à passer un moment en toute intimité loin de la promiscuité de l'intérieur du navire. Je les regardai disparaître dans les ruelles avec un sourire. La voix de Makan me fit me retourner tandis qu'il approchait, un cigare inséré entre les dents.
- Encore là, gam.. Yliria ?
- J'hésitai... Comment sont perçus les shaakts ici ?
- Ah... Pas les bienvenus... au mieux... T'veux qu'on t'accompagne ?
Son sourire moqueur me fit grimacer mais je niai de la tête. J'étais parvenue à survivre à Nessima, je pouvais gérer une ville comme Bouhen. Enfin j'espérai.
- C'est bon, je peux m'en sortir.
- Comme tu veux. On s'ra chez la vieille paulette ce soir, une auberge qui vaut l'coup. Hésite pas à nous rejoindre, on t'ramènera au navire après.
- D'accord. A ce soir alors.
Je descendis prendre mon sac et mes affaires, bien déterminée à me débarrasser de quelques bricoles encombrantes que les hommes de Makan m'avaient collé dans les bras. En descendant la passerelle, je mis mon masquer sur mon visage en soupirant avant de me retourner en entendant Makan m'interpeller une nouvelle fois.
- Oh, j'oubliais. Évite la rue d'l'étalon! Crois-moi, t'veux pas passer par là.
Je hochai la tête, sans pour autant comprendre pourquoi il me précisait cela. Une fois sur le quai, je regardai autour de moi, espérant repérer quelque indication pour m'orienter, mais c'était peine perdue. Une question à un marin me donna vaguement une direction comme réponse et je le remerciai avant de prendre une des rues menant vers le cœur de la ville. Le port n'avait hélas rien d'intéressant, bien que les bâtiment qui y étaient ancrés semblaient plus imposant que ceux que je voyais à Tulorim lorsque j'y vivais. Probablement une conséquence de la présence des chantiers navals.
Les rues de la ville étaient étonnantes... Sales, peu entretenues et il n'étais visiblement pas rare que des mendiants s'y installent sans que personne ne fassent quoi que ce soit pour les aider. Les bâtiments étaient plus fonctionnels qu'esthétiques et il semblait y avoir des soldats et miliciens partout, où que mon regard se posait. Avec mon masque et mes cheveux dissimulés, je passais inaperçue, mais je craignais de me faire repérer en déambulant trop longtemps. Où que mon regard portait, il n'y avait que des humains. Parfois un elfe, mais guère plus, à croire que les autres ethnies n'étaient pas les bienvenues ici, et pas seulement les shaakts. Je remis sérieusement mon projet de faire des emplettes en question, mais, masquée, je pensais pouvoir m'en sortir. Le tout c'était d'être convaincante si on me demandait une raison à mon apparence. Je pouvais tenter de me faire passer pour une Eruïonne... ça avait fait un peu illusion à Nessima
(Pas une mauvaise idée... mais pas sûre qu'ils sachent ce qu'est un Eruïon)
(J'avais pas pensé à ça...)
(Sinon tu dis la vérité, que tu es une semi-shaakte qui voyage et que tu portes ce masque par sécurité.)
(Je n'ai pas envie qu'ils me prennent pour une espionne ou je ne sais quoi...)
(Ils se méfient des shaakts, certes, mais ils ne vont pas t'attaquer à vue. Ce ne sont pas les Sindeldi.)
Je fis la mue, peu convaincue, mais décidai quand même de continuer ma visite de la ville. Le marché fourmillait de monde et je déambulai, curieuse, entre les étals, attirant parfois le regard méfiant d'un marchand, probablement inquiet de voir une personne masquée s'approcher de ses produits. Lorsque je passai devant un marchand de nourriture, je m'arrêtai net, fixant avec intérêt des pots fermés qui renfermaient, selon l'indication, du miel. Je mis aussitôt la main à la bourse.
(On s'offre un petit plaisir?)
(J'en n'ai mangé qu'une fois... Je m'en souviens encore.)
- Ah, vous êtes intéressé, cher client ?
Je tournai la tête vers le marchand, un homme avec un certain embonpoint, à l'air jovial et aux joues rouges, qui me scruta, plissant légèrement les yeux. Je hochai la tête, éclairant son visage d'un sourire avant même que je n'ouvre la bouche à travers mon masque.
- Oui, en fait je... votre miel m'intéresse.
- Oh, une demoiselle. Fort bien. Du miel hein ? Il est récolté chez mon frère, je peux vous assurer de sa qualité. J'ai aussi des fruits confis dans du miel si vous voulez.
C'était tentant.. très tentant. Donc je me laissai tenter.
- Un pot de chaque alors, s'il vous plaît.
Il me servit le tout dans un tissu bariolé, « fait-maison » comme il dit et je lui donnai un petit plus lorsqu'il m'indiqua le prix. Ce n'était pas tous les jours qu'un marchand était aussi sympathique.
- J'aurai une question. Il y a un temple de Meno ici ?
- Meno ? Non, désolé, ici on vénère Gaïa, même s'il reste un sanctuaire de Rana, je ne sais plus où.
- Gaïa ? Vous pouvez m'indiquer où il se trouve ?
Il m'offrit ses explications avec un sourire et je l'écoutai, mémorisant le tout avant de le remercier et de ranger mes trouvailles dans mon sac et de reprendre ma route, vers le temple cette fois. J'avais une petite idée en tête, j'espérai seulement que les prêtres seraient assez ouverts pour m'aider.