Non destiné aux âmes sensibles
Lorsqu'au petit matin, deux paires de mains silencieuses virent soulever Hrist par les bras, elle su que son tour était arrivé. Le vieil homme était resté d'un silence de mort tandis que les ombres venaient la cueillir. Elle ne dit rien, la femme ne voulait pas être battue ou torturée immédiatement, il ne fallait pas finir comme ce cadavre dans la cellule, pas dans une boîte.
Recroquevillée dans les bras de ses ravisseurs, elle se laissa guider au travers des couloirs, essayant de compter le nombre de pas qu'elle faisait en fermant les yeux, bien que les corridors soient plongés dans le noir le plus complet, Hrist usa de ses sens pour déterminer l'itinéraire emprunté en souhaitant que cela puisse lui servir.
Quant aux gardes autour d'elle, de véritables fantômes, aucun bruit, aucune respiration, elle en vint à croire à des spectres faucheurs mais lorsque les premières torches apparurent enfin au grès d'un couloir, ses yeux croûtés et larmoyant parvinrent à les reconnaître. Des Shaakts. Des Elfes Noirs, Hrist portait une haine indescriptible envers les Shaakts, bien que lointains cousins de sa propre race, il y avait là un passif trop lourd pour qu'elle puisse espérer un jour entretenir une relation même cordiale avec l'un de ces maudits Elfes Noirs.
Ils passèrent une porte donnant à une salle circulaire, au milieu de celle-ci, une estrade en demi lune montée par trois marches de pierre. Trônant en haut de celle-ci, une ombre familière. Elle fut jetée à même le sol comme on renverse un corps ou un sac, le temps de rassembler ses esprits, elle entendit simplement la porte derrière elle se refermer.
En massant ses poignets irrités par les fers de sa geôle, elle redressa le corps, à genoux, offerte à ses étranges ravisseurs, elle tâcha d'observer en silence. L'ombre féminine descendit les marches une à une en se penchant, la femme portait une longue robe aux motifs noirs et violets ainsi qu'une cape noire qui dissimulait son visage, arrivée à sa hauteur, elle planta ses deux bottes devant Hrist qui réalisait doucement ce qu'elle avait devait les yeux.
La capuche de l'inconnue curieuse tomba, dévoilant des yeux rouges et un visage d'ébène, de longs cheveux argentés tombaient sur ses épaules. Elle avait des yeux de chat, ronds et chargés de menace, elles restèrent s'observer, Hrist subjuguée, elle par curiosité manifeste.
L'inconnue attrapa les cheveux de la tueuse par l'arrière du crâne sans qu'elle ne puisse esquiver quoique ce soit et alors qu'elle fermait les yeux, s'attendant à prendre un mauvais coup en guise d'introduction à la torture - elle qui estimait qu'on ne l'ait pas déplacée pour rien. reçu alors un long baiser sur les lèvres. Complètement déboussolée, elle ouvrit grand les yeux tandis que la Shaak soudait ses lèvres aux siennes.
Lorsqu'elle se recula, Hrist avait changé de regard, totalement interloquée, elle en venait à se demander si elle n'aurait pas préféré un coup de gourdin sur le crâne.
" Si tu savais... Je suis tellement contente de te retrouver enfin. Enfin te voila, enfin je peux te toucher, te sentir... " Sa voix fascinée trahissait une réelle joie. Hrist faisait le tri dans ses souvenirs et sa mémoire, espérant trouver un indice de qui pouvait être cette femme et ce qu'elle voulait.
" Et... Je crois qu'une lettre parfumée aurait suffit. " Dit-elle doucement, ses lèvres tiédie par ce baiser demeuraient gercées et croûtées de sang.
" Mais avant d'aller plus loin... " Provocante, elle voulait lui parler de sa haine envers ceux de son espèce quand elle porta plus d'attention aux détails de la tenue qu'arborait la Shaakt. Une robe noire, des bottes et des gardes de poignet assorties, le tout en tissus enchanté, léger et desquels émanait une noirceur magnétique, quelques broderies dessinaient des Sylphes, créatures magiques et éthérées, adoratrices du vent.
" Est-ce que ce sont mes affaires ? " Demanda-t-elle sous le choc de sa découverte.
" Ouiii ! " Dit la Shaakt en se relevant d'un coup et clapota dans ses mains telle une enfant qu'on venait de gâter.
" C'est ta tenue, je n'allais pas la laisser s'abîmer dans les geôles tout de même, et puis figure toi qu'elle me va plutôt bien, j'avais des doutes au début mais je crois qu'on a beaucoup de choses en commun, taille y compris. "
Hrist restait silencieuse, elle n'allait pas s'arrêter là, la Shaakt allait bien donner une information supplémentaire, que faisait-elle ici ? Pourquoi Hrist ? S'agissait-il d'un complot, une trahison ?
Ses doigts noirs virent caresser la joue de Hrist et son regard aux airs profondément bienveillant s'enfoncèrent dans ses yeux. Elle puait l'horreur et la mesquinerie, d'ordinaire la Sindel n'avait rien contre ses traits de caractère mais dans la situation où elle se trouvait, elle aurait préféré un garde de Kendra Kâr bien bourru et enclin à la violence, au moins elle saurait à quoi s'en tenir...
" Alors, je sais que ça remonte à des lustres, mais ton dernier passage à Caix n'a pas laissé toutes les familles indifférentes, on se souvient encore d'un navire noir fendant les flots, s'extirpant du brouillard, avec pendu au mat et aux voiles pas moins de trente Shaakts. C'est un comportement très vilain, il est normal que certaines familles t'en tiennent rigueur. " Sa voix restait douce, son regard n'avait pas changé, mais la pression de ses doigts se fit plus dure, sa main doucement glissait derrière son oreille et Hrist se tenait prête à ce qu'elle lui tire les cheveux en arrière, ce qu'elle fit une demi-seconde plus tard.
" Alors tu te doutes bien, quand Edmond de la Maison Noire a offert aux grandes Matriarches de traquer et tuer la fameuse Hrist, Silmeria ou Lenneth, on s'y perd avec tous ces noms d'emprunt, je n'ai pas pu résister. "
Elle fit une pause, approchant son visage de la Sindel qui grimaçait de dégoût à l'avance, voyant venir un autre baiser.
" Vois-tu, il se trouve que certaines personnes t'admirent, et j'en fais partie. J'ai toujours succombé d'admiration devant la subtilité de tes crimes, de tes tortures et de tes méthodes de traque, j'en ai recopiées quelques unes... Et le clou du spectacle... "
Elle lâcha enfin prise, rejetant Hrist à terre.
" Je suis devenu toi ! Enfin ! " Clama la femme dans un éclat de rire cristallin.
Hrist ravala douloureusement sa salive à travers sa gorge sèche et lança d'un air mauvais :
" Si tu aimes tant mes méthodes de torture, je peux te proposer d'échanger les rôles. "
La Shaakt en ria aux éclats, d'un doigt joueur qu'elle enroula autour d'une de ses mèches argentée elle se recoiffa puis son expression joviale tomba et d'un masque grave dit simplement :
" Non. "
Elle envoya un remarquable coup de pied dans la poitrine de Hrist qui venait difficilement de parvenir à se redresser, l'envoyant de nouveau à terre. Sans plus de ménagement ni même lui laisser un maigre répit, la Shaakt en profita pour dominer la Sindel en lui plaçant la botte sur la gorge. Comme une araignée qu'on écrase, ses jambes se recroquevillèrent et ses mains tentèrent d'entourer la botte pour soulager la pression qu'elle exerçait sur sa gorge.
" Si tu es ici aujourd'hui, c'est parce qu'Edmond de la Maison Noire a ordonné ta mort. Si tu n'es pas encore morte aujourd'hui c'est parce que les maisons Shaakt exigent un paiement au moins aussi insupportable que le mal que tu as infligé à notre peuple, mon peuple. Alors je tente de concilier les deux demandes et devine quoi ! C'est moi qui va te torturer, sans relâche, nuit et jour, je briserai ton esprit et ton corps, tu seras si fragile que lorsque les Matriarches te verront, elle auront du mal à croire que tu es bien la Murène. "
Elle retira sa botte et Hrist prit une grande bouffée d'air, un goût de métal se faisait sentir au fond de sa gorge.
La Shaakt reprit une expression des plus aimable et s'accroupit à côté de la Sindel et disant :
" D'ailleurs, je dois te demander, pourquoi les murènes ? Je dois dire que ça m'intrigue beaucoup, quand on pense à quelque chose de menaçant, c'est pas la murène qui vient en premier. C'est comme ceux qui se donnent des noms ridicules, les Salamandres, les Requins des mers, j'ai même entendu parler de la secte les messagers du Corbeau ? Tu imagines un peu ? Non mais plus sérieusement, pourquoi une murène ? "
Son visage attentif semblait trahir un réel intérêt, Hrist frissonnait, elle avait bien retenu un des mécanismes de torture préféré de Hrist, lier la sympathie à la cruauté de sorte à ce que le prisonnier ne sache où commence la torture ni où elle s'arrête, face à un bourreau qui alterne les humeurs comme on alterne les instruments, il est impossible de trouver une marche à suivre permettait de ne pas s'attirer les foudres de son tortionnaire. C'est ainsi que Hrist aimait torturer ses victimes, la torture est équivoque, équivoque mais redoutable, protéiforme, implacable.
" Tu savais que les dents des murènes sont néfastes, et qu'en cas de morsure, il y a de grandes chances qu'elle ne s'infecte et provoque fièvre et douleur ? Et d'ailleurs, tu sais quel point commun ont les elfes et le biscuit ? "
Face à cette question pour le moins intrigante, la Shaakt fronça les sourcils, réfléchit un court instant ne sachant si Hrist faisait de l'humour ou si la question était justifiée.
" Un elfe et du biscuit ? Non, vraiment je ne vois pas. "
La tueuse ferma doucement les yeux, sachant que sa réponse allait lui attirer un flot de coups.
" Quand c'est noir, c'est raté. "